Je suis honorée de pouvoir m'exprimer devant vous et très heureuse que l'Assemblée nationale ait créé une mission d'information sur cette question.
La citoyenneté de l'Union a été consacrée en 1992, et tout ressortissant d'un État membre est formellement citoyen de l'Union européenne ; mais cette reconnaissance symbolique et politique importante n'a fait qu'entériner ce que prenait déjà en compte le droit communautaire.
Le traité a consacré des droits accordés au titre de la citoyenneté, dont le plus essentiel est celui de la libre circulation et de séjour dans le territoire des États membres dès lors que vous êtes citoyen d'un de ces États. Certaines catégories disposaient déjà de ce droit avant 1992, notamment les travailleurs, puis les retraités et les inactifs. À partir de 1998, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a affirmé le caractère fondamental de ce droit et a notamment connecté le statut de citoyen avec le principe de non-discrimination et d'égalité dans l'État de résidence. Cette décision a donné à tout citoyen européen un égal traitement juridique avec le national, quel que soit l'endroit où il réside dans l'Union européenne ; elle a ainsi considérablement élargi la palette des droits du citoyen, qui peut bénéficier de conditions de travail égales à celles des ressortissants nationaux, de l'accès à certaines prestations, du droit à l'éducation et de celui de faire venir sa famille dans l'État membre où il réside. La citoyenneté de l'Union procure également des droits politiques, notamment celui de voter pour les élections municipales et européennes dans le pays de résidence.
Les citoyens ont également le droit de recourir à un médiateur, de signer des pétitions et d'adresser des courriers aux institutions de l'Union européenne. Ces droits de bonne administration sont accordés non seulement aux citoyens européens, mais également à toute personne résidant dans le territoire de l'Union. Par ailleurs, les citoyens européens se trouvant à l'étranger peuvent faire appel aux services consulaires d'un autre État membre en cas d'absence de représentation diplomatique de leur propre pays.
D'un point de vue strictement juridique, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne équivaut à une rupture avec la communauté politique et juridique de l'Union. Le Royaume-Uni n'appliquera plus le droit de l'Union européenne, si bien que les ressortissants britanniques ne possédant pas une autre nationalité d'un État membre ne seront plus citoyens européens. Ils seront donc des étrangers comme les autres dans les États membres où ils résident et seront soumis aux règles de l'immigration ; de même, les citoyens européens vivant au Royaume-Uni seront régis par les règles britanniques applicables en la matière. On imagine le cataclysme que cela provoquera en termes de droits acquis, mais ce bouleversement doit être prévu et pris en compte dans l'accord qui résultera de la négociation avec le Royaume-Uni. L'article 50 du traité de Lisbonne n'a pas encore été activé, mais, quand il le sera, une négociation s'ouvrira, qui pourra durer deux ans – ce délai pouvant être prolongé sur décision unanime du Conseil européen, perspective fortement probable dans le cas du Brexit.
Qu'en est-il des droits acquis ? On a peine à croire que des citoyens puissent devenir ainsi, du jour au lendemain, des étrangers sur le territoire de l'État où ils résidaient jusqu'alors. Mais ces droits acquis reposent malgré tout sur une théorie très fragile, contestée par de nombreux spécialistes de droit international mais déjà appliquée pour des successions d'États. Quand bien même on peut y voir des similitudes avec la question du retrait, le contexte n'en est pas moins très différent. Le droit international s'appuie beaucoup sur la convention de Vienne sur le droit des traités, dont l'article 70 évoque bien les droits acquis, mais les droits acquis des seuls États, cette convention ne concernant que les relations interétatiques. La transposition de cette théorie au droit de l'Union semble donc difficile. Quant à l'article 50 du traité de Lisbonne, il ne fait aucune référence aux droits acquis, si bien que ce sera à l'accord de résoudre ces questions. En attendant, le droit de l'Union n'oblige pas à prendre en compte la situation de ces citoyens, ce qui semble logique : dans la mesure où le peuple britannique a décidé souverainement de quitter l'Union européenne, on ne saurait lui imposer le statut de la citoyenneté européenne.
Se pose la question de la réciprocité, et c'est là où l'on sent toute l'ambiguïté de la position britannique : les Britanniques désirent quitter l'Union, mais en cherchant à préserver leurs intérêts économiques et ceux de leurs ressortissants, très nombreux à résider dans un pays de l'Union européenne. Du coup, ils se retrouvent dans une position très difficile, car la libre circulation a occupé le coeur des débats de la campagne référendaire ; ainsi, le Royaume-Uni souhaiterait refuser la libre circulation des citoyens européens dans leur territoire, en s'inspirant des modèles suisse ou norvégien, mais si les ressortissants britanniques bénéficiaient d'un traitement favorable en Europe, il devra garantir une parfaite réciprocité. Il ne pourra pas choisir, comme il souhaiterait le faire, entre les États membres en signant des accords bilatéraux avec certains et pas avec d'autres, à cause des règles qui unissent les pays de l'Union européenne entre eux et qui excluent toute discrimination en la matière. Tout dépendra des positions politiques des acteurs de la négociation : il y a le droit, mais il y a aussi ce que la décision politique donnera… Mais en droit en tout cas, une telle position est extrêmement ardue.