Intervention de Christopher Chantrey

Réunion du 20 octobre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Christopher Chantrey, président de l'association British community committee of France :

Je remercie vivement l'Assemblée nationale d'avoir créé cette mission d'information sur les suites du référendum britannique. Les Britanniques en France sont représentés par l'association British community committee of France (BCC), créée en 1937, et dont la marque est British in France. Mes compatriotes sont, j'en suis certain, très touchés par cette marque de sympathie du Parlement français et de leur pays de résidence, la France. Du fond du coeur, merci la France !

Nous avons d'abord représenté les intérêts de Britanniques en région parisienne avant d'étendre notre action à l'ensemble du pays. Le BCC fédère un peu plus d'une centaine d'associations locales – écoles, clubs et cercles sportifs, amicaux, professionnels et politiques – dans tous les domaines imaginables. Elles rassemblent les Britanniques résidant en France ou leur font bénéficier de leurs prestations, souvent à caractère charitable.

La communauté britannique en France est relativement modeste par rapport aux Italiens, aux Espagnols ou aux Portugais, mais également par rapport au nombre de Français établis au Royaume-Uni. Reste que la communauté française vivant au Royaume-Uni partage malheureusement les perturbations, les haines et les incertitudes dans lesquelles nous vivons.

Quel est le profil des Britanniques résident en France ? Selon une étude de l'Institut britannique pour la recherche en matière de politique publique, nous sommes grosso modo 55 % à travailler, 45 % à la retraite et 10 % à suivre des études. Par comparaison, la communauté française au Royaume-Uni compte bien plus d'actifs, les retraités français semblant moins apprécier le temps, la gastronomie et les vins de mon pays… Sans parler du soleil.

Le résultat du référendum, connu le 24 juin 2016 au matin, nous a étonnés, dépités et frappés droit au coeur. Pour les Britanniques établis à l'étranger, le Brexit n'est pas une opportunité, contrairement à ce que l'on a entendu au cours d'une campagne longue, imprécise, remplie d'exagérations, de xénophobie et de mensonges, mais bel et bien une menace, voire une catastrophe.

Ce ne fut pas un vote en connaissance de cause : quand on analyse le scrutin par catégories socioprofessionnelles, on s'aperçoit que les catégories supérieures ont voté en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Ainsi, les gens instruits, les hommes et les femmes d'affaires et les Britanniques entretenant des liens réguliers avec les autres pays ont refusé le Brexit. Londres, où de très nombreux étrangers résident, ce qui ne gêne aucunement les Londoniens, l'Écosse, l'Irlande du Nord, Oxford et Cambridge ont voté très largement pour le maintien dans l'Union européenne. Qui plus est, les Britanniques résidant à l'étranger depuis plus de quinze ans ont été exclus du scrutin, malgré la promesse du parti conservateur, formulée lors de la campagne pour les législatives de 2015, de déposer un projet de loi destiné à abolir cette règle arbitraire et antidémocratique. Le Gouvernement n'a pas tenu cet engagement, et le nouveau ministre britannique de la constitution estime qu'environ deux millions de Britanniques sont exclus des scrutins nationaux par cette loi disgracieuse qu'il veut faire abroger. Rappelons que 5,6 millions de Britanniques vivent à l'étranger, dont 1,2 million dans les pays de l'Union européenne.

Nous ignorons toujours la nature du Brexit choisie par le Gouvernement, de même que le Parlement ne sait pas s'il pourra se prononcer sur un texte de loi autorisant la Première ministre à invoquer l'article 50 du traité de Lisbonne, ou si Mme Theresa May pourra se contenter, comme elle l'a dit à plusieurs reprises, d'un arrêté ministériel… C'est la raison pour laquelle bon nombre de mes concitoyens ont demandé à la Haute Cour de Londres et à celle de Belfast d'imposer l'adoption par le Parlement d'une loi. Le vote de plusieurs lois me paraît nécessaire pour que le Gouvernement agisse dans l'intérêt de l'ensemble des Britanniques.

Le sujet le plus important pour les Britanniques résidant à l'étranger concerne la perte de la citoyenneté européenne, incluant notamment la liberté de s'établir dans tout pays de l'Union européenne. Beaucoup de Britanniques habitant en France nous ont témoigné de leur engagement financier et émotionnel envers la France ; la grande majorité de notre communauté s'est installée ici par amour de la France et de sa culture ; certains y ont investi toutes leurs économies.

Les Britanniques participent de manière remarquable à la vie civique française et sont conseillers municipaux ou bénévoles dans les communes ; ils contribuent ainsi très souvent à la vie de leur communauté d'adoption, tout comme les Français établis au Royaume-Uni. Plusieurs villages français survivent ou revivent grâce aux bénévoles britanniques, notamment dans le Lot ou en Dordogne.

J'ai reçu de nombreux témoignages de membres d'associations du BCC, du mensuel The Connexion, voix des Britanniques en France, et de l'association promouvant les droits des citoyens expatriés dans l'Union européenne (ECREU — Expat Citizen Rights in EU), créée, comme plusieurs autres, au lendemain du résultat du référendum. L'ECREU a rassemblé un échantillon de 2 333 Britanniques vivant en France, soit 10 à 11 % du total, pour les interroger : il ressort de cette enquête que 84 % des personnes se soucient de leur couverture santé, principalement les retraités et les préretraités qui n'ont pas cotisé au système français ; 81 % craignent la suppression des hausses des pensions de retraite britanniques prévues pour compenser l'augmentation du coût de la vie et s'interrogent également sur le régime d'imposition et de prélèvement social sur des pensions versées par un État qui ne serait plus membre de l'Union européenne ; 74 % évoquent l'évolution du taux de change ; 74 % s'inquiètent d'éventuelles restrictions en matière de voyage ; 70 % sont préoccupés par le maintien du droit de posséder des biens immobiliers en France et d'y habiter ; 65 % souhaitent acquérir le droit de vote aux élections britanniques même après quinze ans de résidence à l'étranger, mais s'inquiètent également de la perte du droit de voter et d'être candidat aux élections municipales et européennes en France ; 58 % s'interrogent sur les nouvelles règles de succession internationales ; 56 % refusent la perspective d'échanger les permis de conduire comme il fallait le faire avant ; 52 % veulent avoir la possibilité de prendre leur retraite dans le pays de leur choix ; 44 % se soucient des conditions de résidence au Royaume-Uni des citoyens d'autres pays de l'Union européenne ; 29 % sont inquiets de l'emploi en France ; 19 % citent le droit de fonder et de faire fonctionner une entreprise en France et 18 % parlent de l'immatriculation des voitures en France. J'ajoute à cette liste les sujets complémentaires communiqués par les membres des associations du BCC et par les lecteurs de The Connexion : le programme Erasmus, les passeports pour les animaux domestiques, les allocations pour les handicapés et l'ensemble des allocations versées par le Royaume-Uni, l'emploi et les droits à la retraite des fonctionnaires britanniques dans les institutions européennes.

Je m'attarderai sur cinq de ces sujets.

Sur le droit à la citoyenneté européenne et le droit de s'établir librement sur le territoire de l'Union européenne, je reçois des témoignages sur l'effet désastreux du Brexit sur la vie des familles. Des époux d'âge différent, dont l'un est resté au pays et l'autre est venu en France, voient leur projet de passer leur retraite en France remis en cause. De nombreux correspondants insistent sur l'importance de sauvegarder les droits des citoyens du Royaume-Uni vivant dans des pays de l'Union européenne. D'autres demandent s'il ne serait pas possible de créer une citoyenneté associée, ou d'imaginer une procédure rapide pour acquérir la nationalité française.

Autre problème posé, celui de la carte de séjour Union européenne ou de la carte de séjour permanent. Le couperet tombera deux ans après l'invocation de l'article 50 du Traité. Une personne qui n'aura pas totalisé cinq ans de résidence en France pourra-t-elle obtenir une carte de séjour permanent ? Les cartes de séjour n'étant plus obligatoires depuis 2004, la plupart des Britanniques de France n'en ont pas ; ils doivent donc en demander, mais certains essuient des refus en préfecture. Quelles garanties auront mes compatriotes que les mêmes règles soient appliquées dans tous les départements ? J'ai ici plusieurs témoignages : certains services de l'État, des préfectures ou la mutuelle sociale agricole (MSA) du Languedoc, considèrent d'ores et déjà que le Royaume-Uni a quitté l'Union européenne et refusent de recevoir les Britanniques pour leur délivrer des cartes de séjour ou des cartes européennes d'assurance maladie. Pourquoi faut-il fournir de nouvelles traductions d'extraits de naissance – dont le contenu ne change par définition jamais – ou de mariage pour l'obtention de cartes de séjour ? Un de mes correspondants me dit avoir l'impression que l'on se sert des expatriés comme jetons dans les négociations.

Troisième sujet de préoccupation : comment seront accueillies les demandes, de plus en plus nombreuses, d'acquisition de la nationalité française ? Nous sommes très souvent sollicités pour aider nos compatriotes à élaborer leur dossier, la procédure étant très complexe. Une procédure d'exception pourrait-elle accélérer le traitement des demandes ? La France, pays des droits de l'Homme, a ouvert les bras à des réfugiés syriens, afghans, ou érythréens, me dit un correspondant : pourrait-elle également accueillir les Britanniques qui se sentent apatrides après le référendum ?

La poursuite de la couverture santé, je l'ai dit, inquiète 84 % de mes compatriotes. La couverture sociale des Britanniques n'ayant pas cotisé en France entre dans le champ du règlement 883-2004 portant sur la coordination de la sécurité sociale. Ce régime sera-t-il maintenu lorsque le Royaume-Uni ne fera plus partie de l'Union européenne ? Si ces personnes perdent leur couverture sociale sans pouvoir payer une assurance privée, ils seront contraints de retourner au Royaume-Uni, ce qui créerait un fardeau supplémentaire pour le pays. Un retour annuel de 100 000 Britanniques vivant dans un pays de l'Union européenne au Royaume-Uni alimenterait un flux supérieur à celui des migrants, contre lequel notre gouvernement voulait lutter, et poserait un problème social particulièrement lourd, ces personnes n'ayant pas d'argent.

Nous aurons l'occasion de reparler des pensions de retraite britanniques et de l'action possible du gouvernement britannique, de l'accord sur la double taxation et du droit de fonder et de faire fonctionner une entreprise.

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