Intervention de Thomas Fatome

Réunion du 20 octobre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale :

La coordination en matière de politiques de sécurité sociale a pour but d'éviter les ruptures et les pertes de droits de protection sociale pour les citoyens européens en situation de mobilité. Elle repose sur l'égalité de traitement, qui interdit à un État de léser un ressortissant d'un autre État membre de l'Union européenne, sur des critères de législation de sécurité sociale applicable destinés à éviter des conflits de compétence et des vides juridiques, sur des mécanismes de reconnaissance des périodes d'affiliation dans les différents États membres afin d'assurer la prise en compte des périodes de travail pour le calcul de la retraite, sur le détachement des travailleurs enfin, qui permet d'organiser, dans des conditions un peu spécifiques, la mobilité des travailleurs dans le continent européen.

Les citoyens européens détenteurs de la carte européenne d'assurance maladie peuvent être pris en charge sans autorisation préalable dans un autre État membre pour les soins médicalement nécessaires, et, avec autorisation préalable, pour les soins programmés.

Pour le calcul de leur retraite, les citoyens européens peuvent cumuler les périodes travaillées dans différents pays membres de l'Union. Aujourd'hui, 9 000 retraités français sont installés au Royaume-Uni et ont perçu 22 millions d'euros des régimes français en 2014, alors que les 64 000 retraités britanniques vivant en France ont reçu 370 millions d'euros des régimes britanniques.

La législation de l'assurance chômage s'avère également assez favorable à la mobilité, puisqu'il suffit d'avoir travaillé un jour dans un pays pour être indemnisé par son État, qui reconnaît les périodes d'assurance antérieures dans un autre pays. Une personne ayant travaillé plusieurs années au Royaume-Uni et s'installant en France pour prendre un emploi serait indemnisée par Pôle emploi à la perte de celui-ci et ne perdrait pas le bénéfice des salaires perçus au Royaume-Uni.

Le détachement permet le maintien du droit à la sécurité sociale d'origine des travailleurs envoyés dans un autre État membre, même si le droit du travail de l'État d'accueil s'applique. La France a ainsi détaché 12 000 travailleurs au Royaume-Uni, alors qu'elle n'a accueilli que 6 100 salariés britanniques.

Que pourrait-il se passer après le Brexit ? En l'absence de mécanismes de coordination, les trimestres cotisés par les Français au Royaume-Uni ne pourraient plus être cumulés, ce qui conduirait de fait à des retraites décotées ; cela étant, le Brexit n'aura pas d'impact sur les retraites déjà liquidées, quelle que soit la teneur des accords à venir. Les cotisations chômage seraient également perdues en cas de mobilité.

En 2014, les soins payés par le National health service (NHS) pour des citoyens britanniques résidant en France représentent un montant de 80 millions d'euros pour 70 000 bénéficiaires, la charge pour l'assurance maladie des citoyens français vivant au Royaume-Uni n'atteignant que 6 millions d'euros – cette inégalité s'explique par la dissymétrie des populations accueillies de part et d'autre de la Manche. Sans dispositions spécifiques pour l'assurance maladie dans les accords réglant la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, ce serait la fin de ce système : rappelons que dans la plupart des accords bilatéraux de sécurité sociale, il n'y a pas de clause de coordination en matière d'assurance maladie ; les personnes sont donc couvertes par l'assurance maladie, selon les cas, soit de l'État d'activité, soit de l'État de résidence, ou par une assurance privée comme la caisse des Français de l'étranger.

L'accès aux prestations sociales non contributives comme le revenu de solidarité active (RSA) est ouvert aux citoyens communautaires sous condition de résidence de trois mois. Sans adaptation des règles, ce délai passerait à cinq ans de séjour régulier et préalable comme pour les citoyens non communautaires.

Voilà, rapidement posés, quels pourraient être les impacts dans l'hypothèse, peu vraisemblable, où aucun accord ne serait passé. On peut évoquer trois formes possibles de coordination avec nos amis britanniques, déjà évoquées.

Le Royaume-Uni, une fois sorti de l'Union européenne, pourrait être considéré, en matière de droit social, comme l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein, membres de l'espace économique européen (EEE), et, dans une moindre mesure, comme la Suisse qui a conservé des règles spécifiques. Ces pays appliquent l'acquis communautaire, et les règlements de coordination couvrent les citoyens de ce pays. Cette solution offrirait une assez large continuité pour les Britanniques, à ceci près que le Royaume-Uni ne pourrait plus peser sur la définition de ces politiques.

L'Union européenne pourrait, autre solution, signer un accord spécifique avec le Royaume-Uni dont le champ dépasserait probablement la protection sociale et dont le contenu dépendrait des négociations.

En l'absence d'arrangement spécifique, les pays de l'Union européenne pourraient négocier séparément des conventions bilatérales de sécurité sociale avec le Royaume-Uni. La France en a déjà signé une trentaine, d'abord avec les pays du Maghreb et d'Afrique noire dans les années 1970 et 1980, puis avec des pays d'Asie et d'Amérique latine. Ces documents organisent souvent, notamment en matière de retraite, des mécanismes de totalisation et d'articulation des systèmes, destinés à favoriser les mobilités et les investissements croisés. Cette possibilité existe, mais elle ravalerait le Royaume-Uni au rang de partenaire bilatéral classique dans ses relations avec la France.

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