Le Royaume-Uni est un acteur mondial majeur dans les domaines de l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, cette influence étant évidemment encore plus forte à l'échelle de l'Union européenne. Toute distance prise par ce pays dans les dispositifs communs est perçue défavorablement par les acteurs de ces secteurs. La France réalise 26 % de ses publications en commun avec les États-Unis, 17,8 % avec l'Allemagne et 17,7 % avec le Royaume-Uni. Un fait est à remarquer, l'indice d'affinité des recherches britanniques par rapport aux nôtres : 0,99, le meilleur que nous ayons avec n'importe quel autre pays de la planète.
Toute la question est de savoir si cet épisode sera soft ou hard… Si la sortie du Royaume-Uni est douce, il ne se passera pas grand-chose pour nous, mais si la séparation est dure, la question de la circulation des personnes deviendra centrale à nos yeux. La Commission européenne s'est déjà exprimée à ce sujet, et plusieurs pays ont d'ores et déjà soutenu cette position d'avant-négociation.
La période de la négociation du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne durera au moins deux ans – encore est-il peu probable qu'elle aboutira dans ce délai – et sera suivie d'une transition destinée à mettre en oeuvre le nouveau statut. Au cours de ces longs mois, les bases juridiques, pour l'essentiel européennes, sur lesquelles repose l'ensemble de la coopération universitaire et de recherche avec le Royaume-Uni auront un statut incertain, ce qui pourrait se révéler catastrophique.
Les personnes travaillant à la Commission européenne dans les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche se retrouvent déjà dans une grande incertitude, qui risque de durer deux ans et demi puisque l'on parle d'une activation de l'article 50 en mars prochain. Le droit de l'Union est en tout cas clair sur le fait qu'il faut posséder la nationalité d'un État membre pour être fonctionnaire à la Commission européenne. On peut se demander si une exception pourrait être apportée à cette règle. Les fonctionnaires britanniques, notamment les cadres dirigeants, se retrouvent d'ores et déjà face à un problème de légitimité ; ils rencontrent des difficultés à prendre une position ferme vis-à-vis d'autres partenaires dans l'élaboration de règlements dont l'application aura lieu après le Brexit. Ils se font du reste de moins en moins présents dans les réunions à un niveau très élevé : j'ai assisté au conseil de compétitivité où le ministre britannique ne s'est pas rendu. Les Britanniques, très efficaces dans les jeux d'influence, représentaient un associé important pour nous – même si nous ne sommes pas toujours en accord avec eux, comme sur le dossier du Golden access. Reste que nous nous appuyons beaucoup sur les Britanniques et les Allemands, notamment sur la question, assez complexe, de l'excellence. Il faut savoir que les Britanniques, les Allemands et les Français font de l'excellence de la recherche et de l'enseignement supérieur le pilier de la coopération européenne, alors qu'un bloc de treize pays, souvent membres récents de l'Union, souhaiterait renforcer les facteurs de cohésion. Une forte pression s'exerce pour rééquilibrer le financement entre les anciens et les nouveaux membres.
Le retrait britannique ne devrait pas avoir de grandes conséquences sur l'espace européen d'enseignement supérieur (EEES), car le processus de Bologne est suivi au Conseil de l'Europe, qui regroupe 48 pays et dans lequel la Commission européenne n'est qu'un acteur parmi d'autres.
Il n'en sera pas de même pour Erasmus. La France représente la troisième destination des étudiants britanniques inscrits au programme Erasmus et le Royaume-Uni occupe le même rang pour les étudiants français. La question de la circulation des personnes sera déterminante, mais, comme pour l'EEES, des pays non-membres de l'Union européenne adhèrent à Erasmus en payant une cotisation. Il n'est pas certain que l'enseignement supérieur britannique se montre très favorable à Erasmus : il est tenu de pratiquer des prix très modérés pour les étudiants étrangers de ce programme, à la différence des autres étudiants étrangers qui acquittent des droits de scolarité très élevés ; les établissements britanniques perdent donc de l'argent avec Erasmus. Les universités britanniques n'ont rien à envier à leurs homologues européennes en termes d'attractivité aujourd'hui, mais la situation pourrait évoluer si les étudiants et les enseignants européens rencontraient davantage de difficultés pour se rendre au Royaume-Uni.
La recherche britannique est très alimentée par les financements européens vis-à-vis desquels elle se trouve fortement bénéficiaire avec 135 % de retour par rapport à la France, par exemple ; elle est d'autant plus attachée aux financements communautaires que le financement national de la recherche au Royaume-Uni s'avère relativement faible et bien inférieur au nôtre. La question est posée de la pérennité des accords, d'autant qu'ils sont régis par le droit belge, une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union européenne ; les Britanniques affirment avoir d'ores et déjà été évincés de certains consortiums par mesure de précaution. Cette question s'étend à la circulation des personnes, des citoyens britanniques pouvant hésiter à rejoindre un projet européen à l'étranger s'ils en sont exclus dans trois ans. Dans ce domaine, la France et le Gouvernement britannique envoient des messages très positifs : le ministère de la recherche britannique a ainsi déclaré qu'il couvrirait les dépenses et qu'il permettrait aux chercheurs de circuler ; néanmoins, l'incertitude demeure.
La soutenabilité des infrastructures communes représente une question très lourde : dans la plupart des accords, les Européens ont mis en place des consortiums pour une infrastructure européenne de recherche (ERIC), possédant un statut ad hoc de droit belge. Il en existe 95, dont 47 sont en liaison avec les Britanniques, certains d'entre eux étant situés entièrement ou partiellement au Royaume-Uni. La question est posée du statut juridique et de la soutenabilité de ces consortiums, puisque ces projets représentent souvent des milliards d'euros. Chaque ERIC possède un mode de pilotage et un calendrier propres, puisqu'il s'agit d'entités juridiques autonomes : d'où un risque de saucissonner la négociation, au risque d'effets assez désastreux pour tout le monde.
Le projet énergétique ITER n'est pas régi par le droit de l'Union, mais par celui de la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) ; néanmoins Euratom étant placé sous la compétence des instances de l'Union européenne, le maintien de la présence britannique reste en suspens. Il faut éviter un retrait britannique d'ITER : nous ne sommes pas très inquiets à ce sujet, mais l'incertitude est renforcée par l'inachèvement, à l'heure actuelle, des négociations sur le projet.
Enfin, les Britanniques sont très impliqués dans l'Agence spatiale européenne (ESA), dont le programme n'est pas régi par le droit de l'Union européenne ; en outre, le Royaume-Uni abrite de nombreuses installations dédiées à la recherche spatiale, si bien que nous ne nourrissons pas d'inquiétudes majeures dans ce domaine.