Intervention de Félix Géradon

Réunion du 20 octobre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Félix Géradon, secrétaire général adjoint de l'Union syndicale-Bruxelles :

Je suis très honoré d'avoir été invité à participer à cette table ronde pour évoquer le cas des fonctionnaires européens de nationalité britannique – ce qui reste un bien petit problème à l'échelle du Brexit.

L'Union syndicale est le principal syndicat des fonctionnaires européens ou internationaux en Europe ; nous avons également des membres au sein du Conseil de l'Europe ou dans des organisations non européennes en Europe.

Le cadre juridique en vigueur est assez différent de ceux dont on a l'habitude. Les fonctionnaires et agents de l'Union européenne sont au service de l'Union, ils lui doivent leur loyauté. Ils ne peuvent accepter ni instruction ni distinction honorifique, décoration, faveur, don ou quelque rémunération que ce soit de la part de leur gouvernement ou de quelque autre source extérieure. Nous avons donc affaire à des fonctionnaires de l'Union et non, pour le sujet qui nous occupe, à des fonctionnaires britanniques qui travailleraient par hasard pour l'Union européenne.

Le statut des fonctionnaires prévoit l'interdiction de toute discrimination. Déjà le traité sur l'Union européenne interdit la discrimination fondée sur la nationalité. Il y a toutefois une exception : au moment de leur recrutement, les fonctionnaires doivent avoir la nationalité d'un État membre, à moins de bénéficier d'une dérogation – nous avons eu en effet quelques fonctionnaires norvégiens, suisses ou américains. Mais une fois le recrutement effectué, l'obligation d'être citoyen d'un État membre ne s'applique plus ; reste que les institutions peuvent licencier, donc démettre d'office les fonctionnaires qui n'ont plus la nationalité d'un État membre. Si les institutions ne font pas usage de cette faculté, le fonctionnaire garde son statut et son poste. Il en va différemment pour les agents temporaires et les agents contractuels dont le contrat se termine lorsqu'ils n'ont plus la nationalité d'un État membre, sauf dérogation accordée par les institutions – la logique est donc ici inverse.

J'ajoute que si les fonctionnaires sont démis d'office, aucune couverture sociale n'est prévue pour eux, aucune indemnité de chômage, aucun préavis, et ils ne bénéficient plus de couverture sociale – l'assurance maladie est un régime à part qui ne fait pas partie de la coordination des régimes européens d'assurance maladie. En revanche, pour les agents temporaires, des indemnités sont prévues.

Les pensions sont également régies par notre statut qui prévoit expressément qu'elles sont à charge du budget européen mais que les États membres en garantissent collectivement le paiement.

Jusqu'au moment du Brexit, soit, théoriquement, deux ans après l'activation de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, les fonctionnaires européens de nationalité britannique ne devraient subir aucune discrimination en matière de promotion, d'affectation ou de recrutement. Après le Brexit, même s'il est possible, théoriquement, de tous les licencier, on peut supposer que des Britanniques resteront fonctionnaires de l'Union européenne et dès lors ceux-ci ne pourront être l'objet de discrimination. Ce principe de non-discrimination doit toutefois, de mon point de vue, être appliqué en tenant compte du risque de conflit d'intérêts. On peut dès lors supposer que, pour des postes dont le titulaire doit définir la politique de l'Union, négocier avec des États tiers – et le Royaume-Uni en fera partie –, il pourrait y avoir conflit d'intérêts. Il est dès lors fort possible que certains postes, les plus sensibles, soient d'un accès très difficile pour les fonctionnaires de nationalité britannique qui demeureraient en poste après le Brexit. Ils garderaient bien sûr la possibilité de tenter de faire valoir, devant la Cour de justice de l'Union européenne, qu'ils ont été victimes de discrimination.

En ce qui concerne les pensions des fonctionnaires européens de nationalité britannique qui sont déjà à la retraite et celles, futures, des fonctionnaires aujourd'hui en activité, elles seront toujours payées par l'Union européenne. Néanmoins, le statut prévoyant que les États membres sont solidairement responsables du paiement des retraites, on pourrait très bien imaginer que, au cours des négociations, on demande aux Britanniques de supporter une partie du coût des retraites actuelles et futures des fonctionnaires européens en général. Il ne s'agirait pas de leur demander de payer les retraites des fonctionnaires de nationalité britannique, mais leur quote-part des droits à la retraite acquis pendant que le Royaume-Uni faisait partie de l'Union européenne.

Le montant peut s'en révéler élevé ; on considère que la dette de l'Union européenne envers les fonctionnaires pour payer leur retraite est de 50 à 60 milliards d'euros. C'est énorme mais il faut bien comprendre comment fonctionne ce régime. Il s'agit d'un fonds virtuel. Contrairement à un régime de répartition, pay as you go, dans lequel les contributions financent au même moment les prestations, les actifs finançant les pensionnés, ici, les actifs contribuent pour bénéficier, au moment où ils prennent leur retraite, de l'argent que, mutuellement, ils auront versé au fonds. Ce fonds a existé à l'époque de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) – les fonctionnaires payaient leur contribution et les États la part patronale selon une répartition un tiers-deux tiers. Au moment de la fusion des exécutifs des trois communautés (CECA, Communauté économique européenne et Euratom), les États membres ont considéré qu'il était plus intéressant pour eux, plutôt que de payer la totalité des salaires à laquelle s'ajoutaient 20 % versés au fonds de retraite, de ne payer que 90 % des salaires et de considérer que les 10 % que les fonctionnaires devaient payer au fonds de retraite et que les 20 % que ces mêmes États versaient au fonds, étaient mis de côté afin de garantir le paiement des pensions. C'est pourquoi le statut prévoit cette garantie solidaire des États membres. C'est un peu comme si ces derniers avaient émis des bons du Trésor – c'est d'ailleurs en général aux bons du Trésor qu'on compare les taux d'intérêt utilisés pour le calcul des cotisations retraites. Chaque année, une évaluation actuarielle permet de déterminer le taux de contribution nécessaire pour assurer les prestations de retraite prévues par notre statut. C'est pourquoi les droits à la retraite de tous les retraités, ajoutés à ceux des fonctionnaires en activité sont évalués à 50 ou 60 milliards d'euros – chiffre du reste tout à fait hypothétique parce que calculé selon des règles comptables suivant lesquelles on doit prendre en considération le taux d'intérêt au 31 décembre de l'année précédente ; or ce dernier était très bas et non représentatif de l'évolution des cinquante prochaines années, en tout cas nous l'espérons.

Il faut savoir que le statut des fonctionnaires européens provient d'un règlement du Conseil européen soumis à la procédure législative ordinaire – initiative de la Commission, adoption par le Conseil et par le Parlement : il relève donc du droit secondaire, au-dessus duquel on trouve les traités – traité de Rome, traité de Maastricht, traité de Lisbonne… mais aussi les traités d'adhésion – et donc au-dessus duquel on trouvera, sans doute, le traité qui sera conclu avec le Royaume-Uni à la suite des négociations prévues par l'article 50 du traité sur l'Union européenne. Ce droit primaire, qui est supérieur, peut prévoir d'autres dispositions et j'imagine mal, par exemple que l'une d'entre elles ne concerne pas la couverture sociale des fonctionnaires de nationalité britannique éventuellement démis d'office.

J'ai dit qu'il resterait probablement des fonctionnaires britanniques au sein des institutions européennes après le Brexit : ce sera en partie pour des raisons linguistiques. Il est en effet plus que probable, malheureusement, que l'anglais restera la lingua franca des institutions de l'Union européenne : même si les Britanniques ne sont plus là, la grande majorité des nouveaux États membres n'utilisent quasiment que l'anglais ; aussi, j'imagine mal tous ces États se mettre rapidement à parler français ou une autre langue qui deviendrait notre lingua franca. Nous aurons donc probablement besoin de traducteurs-interprètes britanniques.

Les modifications du statut des fonctionnaires par le biais du traité qui serait conclu à la fin des négociations devraient bien sûr respecter les principes généraux du droit, notamment celui de non-discrimination et, plus largement, ceux contenus dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il devrait être par exemple exclu, à mon avis, qu'on décide que les pensions des anciens fonctionnaires britanniques soient payées par le Royaume-Uni, transférées au régime britannique, car il y aurait discrimination entre les fonctionnaires britanniques et les autres. De même, on ne devrait pas non plus pouvoir démettre d'office ou licencier les fonctionnaires qui ont la nationalité britannique et une autre nationalité, ce qui serait tout à fait contraire, de mon point de vue, j'y insiste, aux principes généraux du droit applicables au sein de l'Union européenne.

La seule question qui se pose encore est de savoir s'il y aura un accord, un tel traité à la suite des négociations. Plusieurs options sont envisageables. La première est l'absence de Brexit – ce qui est très peu probable mais on ne peut pas totalement exclure que les Britanniques reviennent sur leur décision. Puis nous avons le soft Brexit, le hard Brexit mais aussi le « extra-hard » Brexit.

Or vu les positions respectives du gouvernement britannique, des autres États membres et des institutions européennes, il est fort possible que les négociations calent rapidement – nécessitant une révision desdites positions – et qu'elles prennent plus de temps que les deux années imparties par l'article 50 du traité sur l'Union européenne. Il faut dès lors que les Vingt-Huit soient unanimement d'accord pour prolonger ce délai. Dans la mesure où les conflits, au cours de ces négociations, seront assez durs, chacun faisant pression en sens contraire, les uns jouant les prolongations, les autres désirant aller vite, il n'est pas du tout exclu qu'au bout de deux ans aucun accord ne soit conclu, les traités ne s'appliquant dès lors plus au Royaume-Uni. La situation serait chaotique. Resterait à espérer que le Royaume-Uni accepte de respecter ses engagements non seulement vis-à-vis des fonctionnaires mais aussi ceux concernant la recherche, les fonds européens, la Banque centrale européenne… Car les Britanniques ne seront plus obligés par la Cour de justice de l'Union européenne de les respecter. Reste que s'ils ne les respectaient pas, leur crédibilité s'en trouverait atteinte sur la scène internationale dans la perspective de la conclusion d'autres accords avec d'autres États. Cette option n'est toutefois pas à exclure, j'y insiste.

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