Intervention de Olivier Peyrat

Réunion du 31 janvier 2013 à 9h00
Mission d'information sur les coûts de production en france

Olivier Peyrat, directeur général d'AFNOR :

Comment aborder la question des coûts de production du point de vue de la normalisation et des outils de démonstration et de conformité à la normalisation qui s'y rattachent ?

Le premier point sur lequel je voudrais insister est la différence entre la norme réglementaire qui interdit, parfois qualifiée à bon droit d'absurde, et la norme volontaire, qui correspond à une pratique volontaire. Pour prendre un exemple simple, l'utilisation de feuilles de papier de format A4 – ou 2129,7 – découle d'une norme ISO. Certains se souviennent peut-être du format 2127. Il a été remplacé par le 2129,7, qui présente l'avantage d'avoir un rapport hauteur sur largeur de racine carrée de 2, et donc de pouvoir être réduit ou agrandi à la photocopie en conservant ses propriétés. Pour votre information, le format A0 correspond à un mètre carré. Autre exemple : le CD ROM est une norme ISO.

AFNOR est donc le membre français des organisations européennes ou internationales en matière de normalisation. Nous travaillons avec un réseau d'intervenants de premier plan, au premier rang desquels opèrent les CTI.

Il y a vingt-cinq ans, les normes sur lesquelles nous travaillions étaient « franco-françaises » : les Français faisaient des normes pour les Français. C'est désormais l'inverse : 90% des normes travaillées avec AFNOR sont des normes d'essence européenne ou internationale.

Je m'intéresserai davantage ici aux normes volontaires : ce sont elles qui font gagner de l'argent. Elles répondent à une logique de réduction des coûts au niveau économique pour les entreprises et à une logique d'optimisation des coûts. Enfin, elles permettent une meilleure valorisation de ces coûts.

Réduction des coûts, car qui dit normalisation dit économies d'échelle, encouragement de la formation des intervenants, c'est-à-dire de ceux qui aident l'entreprise à produire, des jeunes qui entrent dans l'entreprise, des sous-traitants, clients et installateurs… On mesure là les bénéfices liés à une meilleure utilisation de l'information disponible ou à une meilleure exploitation du stock d'informations disponibles. La codification de l'information permet un libre partage de celle-ci. Avec l'effet de halo qui entoure la norme, nous sommes dans une logique d'optimisation des coûts.

Le rapport sur la simplification des mesures administratives dans l'industrie que votre collègue députée Laure de la Raudière a rédigé en 2010, à la demande du précédent gouvernement, a soulevé une question essentielle : comment mieux réglementer ? Vous l'aurez compris, il s'agit ici des normes réglementaires. Nous proposons de faire à l'échelle de notre pays ce que nous faisons déjà à l'échelle européenne : les « nouvelles approches », directives qui fixent des exigences essentielles et qui donnent aux entreprises le souhaitant – ce n'est pas une obligation ; c'est simplement un moyen reconnu – la possibilité de se référer aux normes européennes prises en application de ces directives. Il serait bon de faire de même à l'échelle de la France. Le rapport de la Raudière proposait par exemple que les entreprises ayant fait une démarche de mise en conformité avec la norme ISO 14 001, qui est la norme internationale en matière de systèmes de management de l'environnement, bénéficient d'une présomption de plus grande conformité à la réglementation, et donc d'un allégement des contrôles. Il s'agit de prendre en compte les approches volontaires, afin d'optimiser autant que possible le coût des contrôles subis.

La nouvelle approche à la française pourrait ainsi consister à lancer un défi aux acteurs économiques, les incitant à travailler sur des normes susceptibles d'apporter des réponses, et indiquant que les pouvoirs publics feront confiance aux entreprises qui mettent en place des démarches conformes à ces normes. Il ne s'agit donc pas d'une obligation. Prenons l'exemple du porte-bébé : la norme européenne est le porte-bébé vertical, ce qui n'a pas empêché une entreprise de commercialiser un porte-bébé ventral. L'innovation n'est donc pas entravée, mais ceux qui s'inscrivent dans la logique classique – celle du porte-bébé vertical – sont en mesure de poursuivre.

Nous devons en tout cas avoir conscience que le terrain de jeu est de moins en moins « franco-français ». J'aimerais par exemple attirer votre attention sur les projets de réglementation européens en matière de développement de carburants propres, et notamment le projet de directive sur les infrastructures, qui fait référence à des normes ou à des projets de normes européennes ayant un impact direct sur les entreprises d'origine française impliquées dans la filière. C'est désormais à l'échelle européenne ou internationale que le débat a lieu.

L'optimisation des coûts joue non seulement sur le plan microéconomique, mais aussi sur le plan macroéconomique. Selon les études conduites en 2009 par l'AFNOR et en 2010 et 2011 par ses homologues allemande et britannique, la normalisation contribuerait directement à la croissance de l'économie – en moyenne annuelle, cette contribution s'établirait à 0,8% sur la période 1950-2007. Ce chiffre est intéressant : il montre que tout euro investi dans des travaux de normalisation peut se traduire mécaniquement, grâce à l'effet de halo que j'évoquais à l'instant, par de la croissance.

Mais comme je vous l'ai dit, nous ne sommes pas seuls à jouer. Pour mieux me faire comprendre, je prendrai une comparaison sportive. Imaginons que des équipes jouent au rugby et d'autres au jeu à treize, et que la compétition pour les infrastructures et les terrains oblige à choisir une seule règle du jeu : les équipes qui appliquent l'autre règle seront défavorisées. Nous ne devons donc pas hésiter à défendre nos thèses au plan européen et international. Pour faire un raccourci digne de Boris Vian, je dirais même que pour diminuer les coûts de production en France, il faut sans doute développer l'apprentissage de l'anglais dans notre pays – puisque les négociations se font en anglais. Mieux défendre nos thèses au plan européen et international peut en effet nous permettre d'imposer la règle du jeu que nous sommes habitués à appliquer, que ce soit celle du rugby ou du jeu à treize… Il faut être conscient que même si nous coopérons souvent, nous sommes aussi dans une compétition européenne et internationale.

Pour ce qui est de la normalisation verticale, c'est-à-dire au sein d'un secteur, qu'il s'agisse de la mécanique, de l'électricité ou du bois et de l'ameublement, les choses sont sous contrôle : nous disposons de bons experts capables de défendre une position. L'AFNOR travaille dans de bonnes conditions avec les bureaux de normalisation qui sont ses partenaires. Selon le baromètre international que nous pourrons vous faire parvenir suite à la réunion, nous nous situons juste après les Allemands, mais devant les Américains, pour le ratio rapportant le PIB à des équivalences de prise de responsabilité au plan européen ou international en matière de normalisation. Les États-Unis, qui sont une grande puissance économique, ont une influence moindre au plan normatif.

Les véritables enjeux concernent en fait la normalisation verticale – par exemple en matière de santé, d'infrastructures, de smart grids, de carburants propres… La règle du jeu que nous proposons est ici confrontée à celles que proposent nos voisins. Et si la règle du jeu du voisin s'impose, les coûts microéconomiques de mise en conformité augmenteront nécessairement. Or ce n'est pas parce que nous n'allons pas à l'étranger que les étrangers ne viendront pas sur le marché français… Les normes ayant justement vocation à aplanir un certain nombre de difficultés et à homogénéiser, c'est un point qu'il faut garder à l'esprit.

Je voudrais également insister sur le lien vertueux qui existe entre normalisation, innovation et propriété intellectuelle. Certains disent que la norme tue l'innovation. Non : la norme volontaire est l'amie de l'innovation. Dans certains cas, c'est précisément grâce à la norme que l'innovation va être légitimée. Dans d'autres cas, c'est grâce à la norme que l'innovation va naître. Les chargeurs de téléphones portables, qui font maintenant l'objet d'une normalisation internationale, ont donné l'idée à une entreprise française, spécialisée dans les produits jetables, de travailler sur un système de recharge instantanée qui s'applique non plus à une marque ou à un type de portable, mais à tous les portables, qui suivent désormais la norme.

J'en viens à la relation entre norme et propriété intellectuelle. Deux approches sont ici possibles. La propriété intellectuelle – le fait d'avoir un brevet – vous rend propriétaire exclusif d'une innovation, moyennant quoi vous la remettez dans le domaine public au terme du brevet. C'est l'échange qui a été trouvé par la société : le partage de l'innovation en contrepartie d'un monopole temporaire. La normalisation correspond à l'inverse : tout le monde peut faire ce qui est dans la norme. Lorsque les partenaires travaillent sur des normes au plan européen ou international, si des titulaires de brevets laissent ceux-ci « embarquer » dans la norme, ils doivent s'engager à accorder une licence à tous ceux qui la demanderont. Autrement dit, ils échangent une stratégie « d'épicerie fine » – celle du brevet – contre une stratégie de très grande distribution, en cherchant la valorisation maximale. Imaginons que sur un produit, un institut Fraunhofer ait développé un brevet, qui est embarqué par ce produit, et qu'il y ait quelques centimes d'euro dans chacun des téléphones qui font venir, par exemple, du bluetooth. La propriété intellectuelle a été développée une fois, en partenariat, par exemple, entre un groupe d'entreprises et un institut Fraunhofer ; les Allemands sont capables de faire « embarquer » la norme, et prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent ; d'une certaine manière, ils se transforment en bureau d'études européen ou mondial, et ils sont prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent, sur la base du brevet que leur technologie et leurs moyens d'investissement auront permis de développer. Nous avons là des mécanismes très puissants et très vertueux.

Si nous adoptons une stratégie de montée en gamme, comme le préconise le rapport Gallois, il faut garder à l'esprit que celle-ci passe par la reconnaissance de la différence. On change de terrain de jeu. L'initiative qui a été prise dans le domaine de la construction avec les fiches environnement sécurité, qui permettent de prendre en compte les performances d'un certain nombre de produits, pourrait utilement être transposée à d'autres domaines. Des produits plus efficaces sur le plan énergétique et plus respectueux de l'environnement et du développement durable doivent bénéficier de meilleures conditions d'accès au marché. L'obsolescence programmée revient aussi régulièrement dans le débat : vaut-il mieux un produit qui vaut 100 et a trois années d'espérance de vie, ou un produit qui vaut 80 et qui n'a que deux années d'espérance de vie ? Sur des produits durables, avec le concours de partenaires de premier plan comme les CTI, nous devons être capables de définir des essais normatifs pour des biens durables, et de déterminer une espérance de vie selon les types de produits. Puisque le prix au kilo doit obligatoirement être affiché, pourquoi ne pas imaginer d'afficher un prix à l'année d'espérance de vie ou par rapport à des équivalents au plan environnemental, afin de distinguer l'offre la plus vertueuse ?

AFNOR est prête à apporter son concours à toute initiative qui serait prise sur ces points. Encore une fois, la norme volontaire est l'amie des expérimentations.

Pour conclure, je voudrais vous dire qu'AFNOR a lancé, avec des partenaires régionaux, des travaux qui ont abouti à un accord pré-normatif à l'échelle régionale. Ce document a été instantanément porté à l'ISO. C'était le bon moment : il fallait montrer que nous avions la théorie que nous proposions, mais aussi la pratique, et que nous étions capables de la partager avec nos partenaires au plan international.

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