Mes chers collègues, comme le temps est compté aux rapporteurs et que la commission élargie sera l'occasion d'examiner les crédits du programme « Patrimoines » pour 2017, je consacrerai mon intervention à la présentation de la partie thématique de mon avis.
J'ai choisi de concentrer mon analyse sur la protection et la valorisation des monuments nationaux et sur l'action que mène le Centre des monuments nationaux (CMN).
Quelques mots d'abord de présentation sur le CMN, le réseau de monuments dont il a la charge et son mode de fonctionnement original.
Héritier de la Caisse nationale des monuments historiques, créée en 1914, le CMN est un établissement public, placé sous la tutelle du ministère de la culture, chargé de gérer quatre-vingt-dix-neuf monuments qui, hormis les six qui lui appartiennent en propre en vertu de legs ou de donations, appartiennent à l'État.
Ces monuments sont répartis sur l'ensemble du territoire ; certains sont aussi réputés que l'Abbaye du Mont-Saint-Michel, l'Arc de Triomphe, le Panthéon ou la Sainte-Chapelle, à Paris, le site mégalithique de Carnac ou le château d'Azay-le-Rideau, la Villa Savoye à Poissy ou les domaines nationaux de Rambouillet et de Saint-Cloud… Je citerai aussi la Villa Cavrois, qui date des années trente et a été conçue par l'architecte Robert Mallet-Stevens. Le livre magnifique, édité par le CMN, qui présente cette villa, montre la splendeur de ce monument, patrimoine du XXe siècle. D'autres sont moins connus. Je n'en ferai pas la liste, mais vous pourrez la consulter en annexe de mon avis. Ils illustrent tous, par leur diversité, la richesse exceptionnelle du patrimoine français de toutes les époques : sites archéologiques, grottes préhistoriques, abbayes, châteaux, maisons d'architectes du XXe siècle… Cela illustre tout à fait la spécificité de la culture et du patrimoine français. Ce sont des éléments extrêmement forts, constitutifs de l'histoire de notre pays, de son identité, de l'attractivité culturelle et touristique qu'exerce la France dans le monde.
Parmi les monuments gérés par le CMN, dix sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité de l'UNESCO. Certains sont inscrits en tant que sites uniques, comme le Mont-Saint-Michel, la cité et les remparts de Carcassonne, ou encore les cathédrales de Chartres et d'Amiens. D'autres le sont au titre d'inscriptions en série ou en « chemins », comme la place forte de Mont-Dauphin, au titre des fortifications de Vauban, le cloître de la cathédrale du Puy-en-Velay, au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ou encore le château d'Azay-le-Rideau, au titre du classement du Val-de-Loire, paysage naturel et culturel classé.
Le CMN s'est également vu attribuer le projet de restauration de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde, à Paris, qui permettra, à l'issue des travaux, l'ouverture au public des appartements du XVIIIe siècle des intendants du Garde-meuble, des appartements d'apparat du XIXe siècle, avec accès à la loggia donnant sur la place de la Concorde, ainsi qu'une présentation du patrimoine gastronomique français au rez-de-chaussée. Je rappelle que c'est dans cet hôtel qu'a été signé l'acte abolissant l'esclavage en 1848.
L'originalité du CMN réside dans son mode de fonctionnement en réseau, fondé sur une péréquation des ressources entre les monuments, qui implique une redistribution des « grands » vers les « petits » ; c'est ce qui permet au CMN d'ouvrir au public l'immense majorité des monuments, sans souci de rentabilité « individualisée ». Cette organisation en réseau se traduit également par un partage des compétences et la mutualisation de certains projets culturels – expositions itinérantes dans plusieurs monuments, organisation de saisons, telle « l'année Saint-Louis », célébrée en 2014 dans huit monuments.
Ce modèle mutualisé a joué un rôle d'amortisseur significatif de la baisse de fréquentation enregistrée dans les monuments, comme dans les autres établissements culturels, après la vague d'attentats qui ont endeuillé notre pays en janvier et novembre 2015 et juillet 2016.
Après avoir accueilli 9,5 millions de visiteurs en 2014 et 9,2 millions en 2015, les monuments du réseau devraient en accueillir, d'après les dernières projections, de l'ordre de 8,5 millions en 2016, ce qui représente une baisse de 7 % sur un an et 10 % sur deux ans. Ce chiffre global cache des situations contrastées : si les recettes de la billetterie de l'Arc de Triomphe ou des tours de Notre-Dame à Paris ont accusé un net repli, avec une baisse de 30 % sur un an, plusieurs monuments en régions ont enregistré une progression marquée : c'est le cas des tours de La Rochelle, des remparts d'Aigues-Mortes, de la Villa Cavrois ou de la maison des mégalithes de Carnac. Il y a eu manifestement un déplacement du tourisme des Français vers la province, qui a en partie compensé le reflux des touristes étrangers, effrayés par les récents événements. Les chiffres de l'hôtellerie à Paris confirment ce reflux.
Le CMN ne ménage pas ses efforts pour redresser la fréquentation de ses monuments. Il a, depuis plusieurs années, noué des partenariats pour mieux les faire connaître à l'étranger, notamment avec Air France ; il est aussi présent dans les grands salons du tourisme international, aux côtés d'Atout France. Il s'assure également une présence très active sur internet et sur les réseaux sociaux, afin de toucher un public plus jeune.
Après cette rapide présentation du CMN et de son modèle original, j'en viens aux principaux défis qu'il doit relever. Le premier a trait à son financement, le second à la gestion de l'emploi.
En ce qui concerne son financement, le CMN est confronté à une difficulté particulière en matière de crédits d'investissement. Dans le cadre de la loi de finances pour 2007, le législateur a confié au CMN la charge, au-delà de ses activités traditionnelles de gestion des monuments, d'assurer la maîtrise d'ouvrage des travaux de restauration des monuments nationaux qui lui ont été remis en dotation. Le CMN n'a été en capacité effective d'exercer cette compétence nouvelle qu'en 2010.
Il n'est pas question, pour moi, de remettre en cause cette mission nouvelle, qui permet au CMN de concevoir et de mettre en oeuvre des opérations de restauration intégrées, prenant en compte tous les éléments patrimoniaux – immobilier, mobilier et paysage –, ainsi que tous les points de vue – conservation, médiation, valorisation, aménagement du territoire – afin d'obtenir la meilleure présentation du monument au public. J'ai pu mesurer les vertus d'un tel système lorsque je me suis rendu au château d'Azay-le-Rideau, où le CMN a engagé une très importante campagne de restauration globale, destinée à redonner tout son lustre à ce joyau de la Renaissance, que je vous engage tous, mes chers collègues, à aller visiter !
La difficulté à laquelle est confronté le CMN réside dans le fait que le transfert de la maîtrise d'ouvrage ne s'est pas traduit par la pérennisation d'une dotation budgétaire suffisante pour lui permettre de mener à bien tous ses projets de rénovation. Après 2007, le CMN, qui n'était pas en mesure de consommer tous ses crédits, s'est constitué un fonds de roulement anormalement élevé ; il a donc naturellement puisé dans ce fonds de roulement pour compléter la dotation de l'État réduite en raison de l'existence de ce fonds de roulement. Les chiffres précis figurent dans le projet d'avis qui vous a été remis. La perspective d'épuisement à venir du fonds de roulement rendra toutefois nécessaire une augmentation des crédits alloués au CMN, sauf à le contraindre, comme c'est déjà le cas, à reporter certaines campagnes de restauration.
Je me suis rendu au Panthéon où j'ai pu mesurer, d'abord, les travaux qui ont été réalisés sur le dôme mais, surtout, la nécessité de poursuivre l'ambitieuse campagne de restauration, dont seule la première phase a, pour l'heure, été réalisée : il faut encore consolider le péristyle, restaurer les façades et les décors intérieurs. Un travail sur l'organisation de l'accueil et les supports de médiation doit également être engagé. Le président du CMN estime que ces travaux pourraient être réalisés en sept ou huit ans, à condition que les crédits d'investissement du CMN soient portés à 30 millions d'euros chaque année.
Au-delà des querelles de chiffres – vous imaginez bien que le ministère n'a pas la même lecture des choses que le CMN –, je crois fondamental que le Centre des monuments nationaux puisse bénéficier, dans les années à venir, d'une plus grande visibilité sur les dotations de l'État afin de pouvoir engager, à l'image de ce qu'a pu faire l'établissement public en charge du château de Fontainebleau, dont j'ai rencontré le président Jean-François Hebert, un schéma directeur ou un programme pluriannuel de travaux. La rénovation des monuments s'inscrit nécessairement dans un temps long et la réalisation d'opérations globales bien construites en amont s'avère toujours moins coûteuse in fine.
Le second défi auquel est confronté le CMN a trait à la gestion de l'emploi, en raison de la coexistence de deux régimes juridiques distincts : des fonctionnaires titulaires sont affectés au CMN par le ministère de la culture, qui continue d'assurer le recrutement et la gestion de ces personnels, et des contractuels de droit public, recrutés directement par le CMN. Ce double régime se révèle très souvent source de difficultés dans le pilotage des emplois, comme dans les actes de gestion courante au sein des monuments.
Le CMN demande, depuis plusieurs années, que lui soit déléguée la responsabilité des différents actes de gestion à l'égard des personnels affectés, avec transfert de la masse salariale correspondante, à l'image de ce qui se pratique au Louvre depuis 2003. Pour le moment, le Centre des monuments nationaux n'a pas obtenu gain de cause. Pis encore pour lui, la loi récente relative à la déontologie des fonctionnaires, d'avril dernier, devrait conduire à réduire ses capacités de recrutement d'agents contractuels.
Je sais que le sujet est regardé de près au ministère et je plaide pour que le CMN obtienne gain de cause s'agissant de la gestion des titulaires affectés, tant cette question est source de difficulté au quotidien dans les monuments.
Le CMN joue désormais un rôle important sur les territoires en matière d'emplois induits et de tourisme. Ne pas doter le Centre des monuments nationaux des crédits dont il a besoin pour restaurer et entretenir correctement le patrimoine dont il a la charge apparaîtrait peu cohérent avec le souci affiché d'aménagement culturel des territoires.
Sans doute faut-il que le CMN développe encore davantage ses ressources propres et accentue ses recherches de mécénat, ce qu'il fait, d'ailleurs, en lançant des campagnes de mécénat participatif. Je vous engage, mes chers collègues, à aller consulter la page web : mapierrealedifice.fr ! Il n'est pas interdit aux députés, notamment de notre commission, de participer au mécénat en faveur du CMN. Je précise que le président Bélaval ne m'a pas chargé de passer ce message. Je le fais à titre personnel.
L'État ne saurait pour autant se désengager ni s'exonérer d'une programmation pluriannuelle des dotations, donnant une visibilité accrue au CMN.
Comme l'a estimé le Président de la République, en décembre 2014, à Chambord, « nous avons tout avantage à faire que le tourisme soit notre pétrole ». Encore faudrait-il ne pas en fermer le robinet, faute de crédits suffisants !