COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 26 octobre 2016
La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)
La commission des Affaires culturelles et de l'Éducation procède à l'examen des rapports pour avis de M. Hervé Féron (Création ; transmission des savoirs et démocratisation de la culture) et de M. Michel Herbillon (Patrimoines) sur les crédits pour 2017 de la mission « Culture ».
Mes chers collègues, nous poursuivons, cet après-midi, l'examen du projet de loi de finances pour 2017, avec la présentation de deux rapports pour avis sur les crédits de la mission « Culture ».
Nous entendrons, mardi 8 novembre, Mme la ministre de la Culture et de la communication nous présenter les crédits 2017 de la mission « Culture » en commission élargie.
Je vais maintenant donner la parole à M. Marcel Rogemont, qui supplée le rapporteur pour avis sur les programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Notre collègue Hervé Féron, malheureusement retenu dans sa circonscription, s'est beaucoup investi dans la rédaction de son avis budgétaire, sur un sujet qui lui tient tout particulièrement à coeur : la mise en place d'une stratégie publique d'aide au développement des artistes émergents d'expression française dans la filière musicale.
Je vais lire le texte de notre collègue Hervé Féron, et comme le disait à l'instant le président, la partition vaut le coup d'être lue.
La musique apparaît bien souvent comme le parent pauvre de la culture, tant les politiques culturelles l'ont négligée au cours des années passées.
L'abandon du Centre national de la musique (CNM), projet qui mettait pourtant d'accord la quasi-totalité de la filière, a été, à cet égard, emblématique. Outre cela, le manque de considération envers la musique, et notamment les musiques actuelles, a des racines profondes.
En 2006, c'est un exemple parmi d'autres, un rapport de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) soulignait la marginalisation historique des musiques actuelles au sein du ministère de la culture. Si l'on ajoute à cela la situation hégémonique de la langue anglaise, on comprend aisément que les grands sacrifiés de cette politique sont tout particulièrement les artistes émergents d'expression francophone, qui sont pourtant indispensables au maintien de la diversité culturelle. Il nous a paru essentiel d'appeler votre attention sur la situation de ces artistes menacés par une précarisation et un isolement rampants, afin de souligner la nécessité d'une stratégie publique globale et cohérente pour les aider à émerger et à se développer dans la durée au sein de l'écosystème musical.
Bien sûr, des efforts ont été consentis par les pouvoirs publics, notamment au cours de ce quinquennat. Le Gouvernement et les députés de la majorité ont agi en faveur d'une plus grande considération des musiques actuelles, avec la création du crédit d'impôt pour le spectacle vivant ou la mise en place du plan pour les scènes de musiques actuelles (SMAC) par exemple. Mais ces mesures demeurent de loin insuffisantes, surtout si l'on compare ce soutien avec celui qui est aujourd'hui accordé à la filière cinématographique.
Or les enjeux sont les mêmes, voire plus considérables encore. Il faut tout d'abord rappeler le poids économique conséquent de la filière musicale, qui génère plus de 10 % du chiffre d'affaire des industries culturelles et créatives et 240 000 emplois, soit deux fois plus que le secteur du cinéma. Le soutien aux artistes émergents doit, à cet égard, être considéré comme un investissement d'avenir.
Surtout, la musique et les artistes émergents d'expression francophone en particulier sont à l'origine d'une richesse qui ne se mesure pas. C'est non seulement du maintien de la diversité culturelle qu'il est question, mais aussi de la préservation du lien social vis-à-vis duquel les arts jouent un rôle fondamental. En accompagnant les musiciens novices qui chantent en français, c'est notre patrimoine culturel que nous abondons et sauvegardons pour les années à venir. Cela revient aussi à garantir la diffusion de notre langue dans le monde, alors que la francophonie représente déjà un enjeu majeur amené à prendre encore davantage d'ampleur dans un futur proche.
Nous avons insisté, dans le cadre de ce travail, sur l'importance du droit d'auteur et du statut des intermittents, qui participent de notre exception culturelle. Il faut les défendre en priorité : ce sont les fondations indispensables de toute stratégie visant à soutenir les artistes émergents d'expression française. Sans droit d'auteur, sans statut stable, comment des musiciens, à la situation fragile par définition, peuvent-ils espérer prospérer durablement ? Ce qui vaut pour préserver la prospérité financière du secteur de la musique en général, vaut encore plus pour les acteurs les plus fragiles de ce milieu. Quand bien même nous financerions de multiples dispositifs pour aider les jeunes artistes à se former, l'absence d'une rémunération équitable en retour de l'exploitation de leurs oeuvres les rendrait inopérants.
Il est difficile, aujourd'hui, de faire comprendre les principes du droit d'auteur et des droits voisins, tout particulièrement à la « génération du partage », expression sous laquelle on désigne les adolescents et jeunes adultes ayant grandi avec l'essor du numérique. La copie illicite est chez eux une pratique très répandue, et elle s'accompagne d'idées fausses sur le droit d'auteur, qui sont également présentes au sein de la Commission européenne, où l'on considère souvent le droit d'auteur comme un « obstacle » au grand marché numérique. Nous devons cependant être très prudents, car les conséquences d'un « détricotage » du cadre européen sur le droit d'auteur pourraient être extrêmement graves. L'exemple de l'Espagne, cité dans ce rapport, est particulièrement révélateur des conséquences que peut avoir la destruction du système de rémunération pour copie privée.
Au-delà des dangers qui pèsent sur les artistes émergents en raison de la remise en question du droit d'auteur, le rapporteur a cherché à comprendre les difficultés nouvelles auxquelles sont confrontés les jeunes artistes. Dans cette perspective, les auditions ont été extrêmement utiles pour prendre la mesure des évolutions de l'écosystème musical et de la façon dont elles impactent les trajectoires d'émergence.
Ces dernières ont évidemment été bouleversées par l'essor d'internet. Le web a pu les rendre à la fois plus rapides et plus indépendantes vis-à-vis du support physique que par le passé. Il suffit parfois d'une vidéo rencontrant le succès sur YouTube pour voir sa carrière décoller, de nombreux labels s'empressant de « signer » l'artiste s'étant ainsi fait remarquer. Mais de tels cas, mentionnés dans le rapport, s'ils ont un fort retentissement médiatique, ne sont finalement pas si fréquents. En effet, pour un artiste parvenant à percer grâce à internet, combien stagnent et ne parviennent pas à être entendus, faute d'un nombre de « vues » suffisant ?
Il faut par ailleurs mettre cette évolution en parallèle avec la crise du disque. Le rapporteur pour avis tient à souligner le fait que cette dernière est aussi due à des stratégies économiques choisies. Si le marché du disque s'est effondré de 50 % en quelques années, il faut rappeler que le disque représente encore 70 % des ventes de musique, ce qui n'est pas rien. De plus, le disque-objet, parce qu'il a une autre fonction, ne doit pas mourir.
Quoi qu'il en soit, une telle crise rend les producteurs particulièrement frileux lorsqu'il s'agit de « signer » des artistes inconnus du grand public. La plupart du temps, ces derniers sont amenés à se constituer une visibilité tout seuls. Selon l'expression du président du Fonds pour la création musicale (FCM), Laurent Rossi, les entreprises de production phonographique jouent donc moins le rôle de « pépinières » que d'« accélérateurs de particules » vis-à-vis d'artistes qui ont déjà un vivier de fans constitué.
Les mutations de l'écosystème musical ont des conséquences concrètes sur les débuts de carrière : plus isolés, les artistes émergents doivent souvent s'autoproduire, mais aussi se construire une image, gérer leur communication, acquérir des connaissances juridiques précises. Autant d'éléments qui les empêchent de se concentrer sur leur art et qu'une stratégie de soutien aux artistes émergents doit prendre en compte pour être véritablement efficace.
Un autre point essentiel est l'éducation artistique et musicale. Sans une politique volontariste en la matière, notre vivier d'artistes d'expression française a toutes les chances, à terme, de s'appauvrir. Certains pays ont fait de la pratique du chant ou d'un instrument de musique un pivot de leur système scolaire, et c'est tout le système éducatif qui en sort grandi : c'est le cas de la Finlande, étudié dans l'avis, mais aussi de la Suède ou de l'Allemagne.
Si plusieurs mesures ont été prises en faveur de l'éducation musicale en France, nous devons faire bien davantage pour atteindre les objectifs de la Charte présentée en juillet dernier par la ministre de la Culture et de la Communication, Mme Audrey Azoulay. On pourrait notamment développer des opérations telles que l'« Orchestre à l'école » et la « Fabrique à Chansons », afin que chaque enfant, à la fin de son parcours scolaire, ait fait l'expérience d'un processus de création musicale. Une autre suggestion serait de donner les moyens à chacun des 7 100 collèges de France de développer un auditorium et un parc instrumental.
Si la musique doit être enseignée dès l'école pour donner envie aux créateurs de demain de faire de la musique, ces derniers ne pourront pourtant pas émerger durablement sans des dispositifs d'aide au développement efficaces et mis en cohérence. Il existe actuellement tout un ensemble de structures, allant du Fonds d'action et initiative rock (Fair) au Studio des variétés, en passant par le Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles (Irma) ou encore l'incontournable Fonds pour la création musicale (FCM), qui ont pour mission de répondre à cet objectif.
Dans cet écosystème, les éditeurs de musique, dont le métier est mal connu et qui sont souvent confondus avec les éditeurs littéraires, occupent une place primordiale, mais trop souvent sous-estimée. En effet, l'éditeur prête des avances sur ses fonds propres à un artiste, il lui trouve des interprètes, des musiciens et, enfin, un label, une fois son projet abouti. Il n'attend pas, pour investir, que l'artiste soit « mûr » pour générer des revenus, comme c'est le cas du producteur, mais est présent, au contraire, en amont, alors que le créateur est encore largement méconnu. Une juste mesure serait de rendre éligibles les éditeurs au crédit d'impôt phonographique, qui bénéficie déjà aux autres catégories de métiers, comme les producteurs de disques.
Si ces structures sont si efficaces, c'est parce qu'elles mettent en relation des acteurs de la filière musicale encore trop souvent dispersés. Le projet de Centre national de la musique, qui devait créer des synergies en rassemblant le soutien à la musique enregistrée et au spectacle vivant dans un établissement public couvrant l'ensemble de la filière, aurait permis de regrouper une grande partie de ces dispositifs, qui ont le mérite d'exister et de bien fonctionner, mais qui restent inconnus d'une partie des artistes. Cette mission semble être désormais celle du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), qui devra néanmoins bénéficier de moyens humains et financiers suffisants pour devenir une véritable « maison commune » de la musique française.
Enfin, un aspect incontournable de l'émergence réside dans l'exposition ; ainsi, les scènes de musiques actuelles (SMAC), ainsi que les médias radio et télévision, sont indispensables pour assurer une bonne visibilité de l'artiste et lui permettre de percer. Il est difficile, aujourd'hui, pour les SMAC, d'assurer ce rôle, tant leurs moyens sont réduits par rapport aux autres scènes conventionnées. Il convient de remédier à cela en augmentant le montant de leurs subventions publiques.
Pour finir, l'audiovisuel public doit également être davantage mis à contribution, avec des objectifs de production et de diffusion de nouvelles chansons francophones à des heures décentes. C'est particulièrement le cas pour France Télévisions, où il manque aujourd'hui une émission intégralement consacrée à la musique, permettant de montrer des artistes émergents francophones, ainsi que des spectacles en direct. Radio France, souvent considéré comme le champion de la diversité, n'est pas non plus exemplaire : en effet, la diffusion d'oeuvres musicales francophones est en recul quasiment sur l'ensemble de ses stations.
Ce travail a permis d'aborder un grand nombre de questions liées aux problématiques de la création et de l'émergence, qui ne laissent pas de doute sur la nécessité d'une approche globale de l'écosystème musical en la matière. Chaque maillon de la chaîne doit être examiné jusqu'à l'export, dont les problématiques sont abordées dans l'avis. C'est pourquoi la solution passe nécessairement par une stratégie publique ambitieuse allant du développement de la formation musicale dès l'école à l'octroi de moyens supplémentaires pour la filière de production, en passant par l'amélioration de l'exposition des nouveaux talents dans les médias publics. Vingt propositions sont ainsi formulées dans ce but. Ce procédé n'étant pas habituel dans le cadre d'un avis budgétaire, je vais les citer.
Proposition n° 1 : procéder à la gestion collective des droits issus de l'exploitation de la musique en ligne afin de remédier à la paupérisation et à l'isolement des artistes-interprètes.
Proposition n° 2 : veiller à la modification de la directive-cadre européenne sur le commerce électronique afin de mettre fin au laisser-faire fiscal dont bénéficient les géants du net.
Proposition n° 3 : développer les opérations « Orchestre à l'école » et « Fabrique à chansons » afin que chaque enfant, à la fin de son parcours scolaire, ait pu faire l'expérience d'un processus de création musicale.
Proposition n° 4 : donner les moyens aux 7 100 collèges français de développer un auditorium et un parc instrumental par établissement.
Proposition n° 5 : créer une option au baccalauréat, estampillée « musiques actuelles », où la chanson d'expression française serait mise à l'honneur.
Proposition n° 6 : faire de l'éducation musicale une matière à part entière, en développant la formation initiale et continue des enseignants et en favorisant le contact avec les musiciens intervenants.
Proposition n° 7 : accroître le soutien financier de l'État et des collectivités territoriales aux conservatoires et écoles de musique dans le but de favoriser leur accès.
Proposition n° 8 : doubler les subventions du Fair pour développer un dispositif qui a fait ses preuves dans le développement des artistes émergents et qui mérite d'être étendu à un plus grand nombre d'entre eux.
Proposition n° 9 : veiller à ce que le CNV, parmi ses autres missions, accompagne les artistes émergents d'expression francophone.
Proposition n° 10 : pour cela, supprimer le plafond de 30 millions d'euros à la taxe sur les spectacles, afin que le CNV dispose de davantage de ressources.
Proposition n° 11 : s'assurer de la rétroactivité du crédit d'impôt pour les entreprises de spectacles vivants musicaux, indispensable pour le secteur.
Proposition n° 12 : conditionner le bénéfice de ce crédit d'impôt au respect d'un critère de francophonie, comme c'est le cas pour le crédit d'impôt phonographique.
Proposition n° 13 : rendre le métier d'éditeur éligible au crédit d'impôt phonographique.
Proposition n° 14 : créer sur internet un portail public qui permettrait de présenter l'ensemble des artistes créateurs émergents d'expression française.
Proposition n° 15 : relever le plancher des subventions reçues par les SMAC de 75 000 à 150 000 euros, afin de les aider à accomplir leurs missions de service public.
Proposition n° 16 : préciser, dans le cahier des charges des SMAC, la nécessité de mieux accompagner les artistes émergents d'expression française.
Proposition n° 17 : imposer des objectifs de production et de diffusion de nouvelles chansons francophones à des heures d'écoute décentes sur les antennes de Radio France et surtout de France Télévisions.
Proposition n° 18 : augmenter le budget du Bureau export de la musique, afin de lui donner les moyens d'exploiter pleinement le potentiel économique de la filière musicale à l'international.
Proposition n° 19 : renforcer la coordination et la complémentarité entre les différents guichets d'aide à l'exportation et resserrer les liens entre le ministère des Affaires Étrangères et le Bureau export.
Proposition n° 20 : créer une antenne du Bureau export en Afrique afin d'exploiter le potentiel de la francophonie.
Voici, mes chers collègues, ce que j'avais à dire au nom et à la place de notre collègue Hervé Féron.
Mes chers collègues, comme le temps est compté aux rapporteurs et que la commission élargie sera l'occasion d'examiner les crédits du programme « Patrimoines » pour 2017, je consacrerai mon intervention à la présentation de la partie thématique de mon avis.
J'ai choisi de concentrer mon analyse sur la protection et la valorisation des monuments nationaux et sur l'action que mène le Centre des monuments nationaux (CMN).
Quelques mots d'abord de présentation sur le CMN, le réseau de monuments dont il a la charge et son mode de fonctionnement original.
Héritier de la Caisse nationale des monuments historiques, créée en 1914, le CMN est un établissement public, placé sous la tutelle du ministère de la culture, chargé de gérer quatre-vingt-dix-neuf monuments qui, hormis les six qui lui appartiennent en propre en vertu de legs ou de donations, appartiennent à l'État.
Ces monuments sont répartis sur l'ensemble du territoire ; certains sont aussi réputés que l'Abbaye du Mont-Saint-Michel, l'Arc de Triomphe, le Panthéon ou la Sainte-Chapelle, à Paris, le site mégalithique de Carnac ou le château d'Azay-le-Rideau, la Villa Savoye à Poissy ou les domaines nationaux de Rambouillet et de Saint-Cloud… Je citerai aussi la Villa Cavrois, qui date des années trente et a été conçue par l'architecte Robert Mallet-Stevens. Le livre magnifique, édité par le CMN, qui présente cette villa, montre la splendeur de ce monument, patrimoine du XXe siècle. D'autres sont moins connus. Je n'en ferai pas la liste, mais vous pourrez la consulter en annexe de mon avis. Ils illustrent tous, par leur diversité, la richesse exceptionnelle du patrimoine français de toutes les époques : sites archéologiques, grottes préhistoriques, abbayes, châteaux, maisons d'architectes du XXe siècle… Cela illustre tout à fait la spécificité de la culture et du patrimoine français. Ce sont des éléments extrêmement forts, constitutifs de l'histoire de notre pays, de son identité, de l'attractivité culturelle et touristique qu'exerce la France dans le monde.
Parmi les monuments gérés par le CMN, dix sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité de l'UNESCO. Certains sont inscrits en tant que sites uniques, comme le Mont-Saint-Michel, la cité et les remparts de Carcassonne, ou encore les cathédrales de Chartres et d'Amiens. D'autres le sont au titre d'inscriptions en série ou en « chemins », comme la place forte de Mont-Dauphin, au titre des fortifications de Vauban, le cloître de la cathédrale du Puy-en-Velay, au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ou encore le château d'Azay-le-Rideau, au titre du classement du Val-de-Loire, paysage naturel et culturel classé.
Le CMN s'est également vu attribuer le projet de restauration de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde, à Paris, qui permettra, à l'issue des travaux, l'ouverture au public des appartements du XVIIIe siècle des intendants du Garde-meuble, des appartements d'apparat du XIXe siècle, avec accès à la loggia donnant sur la place de la Concorde, ainsi qu'une présentation du patrimoine gastronomique français au rez-de-chaussée. Je rappelle que c'est dans cet hôtel qu'a été signé l'acte abolissant l'esclavage en 1848.
L'originalité du CMN réside dans son mode de fonctionnement en réseau, fondé sur une péréquation des ressources entre les monuments, qui implique une redistribution des « grands » vers les « petits » ; c'est ce qui permet au CMN d'ouvrir au public l'immense majorité des monuments, sans souci de rentabilité « individualisée ». Cette organisation en réseau se traduit également par un partage des compétences et la mutualisation de certains projets culturels – expositions itinérantes dans plusieurs monuments, organisation de saisons, telle « l'année Saint-Louis », célébrée en 2014 dans huit monuments.
Ce modèle mutualisé a joué un rôle d'amortisseur significatif de la baisse de fréquentation enregistrée dans les monuments, comme dans les autres établissements culturels, après la vague d'attentats qui ont endeuillé notre pays en janvier et novembre 2015 et juillet 2016.
Après avoir accueilli 9,5 millions de visiteurs en 2014 et 9,2 millions en 2015, les monuments du réseau devraient en accueillir, d'après les dernières projections, de l'ordre de 8,5 millions en 2016, ce qui représente une baisse de 7 % sur un an et 10 % sur deux ans. Ce chiffre global cache des situations contrastées : si les recettes de la billetterie de l'Arc de Triomphe ou des tours de Notre-Dame à Paris ont accusé un net repli, avec une baisse de 30 % sur un an, plusieurs monuments en régions ont enregistré une progression marquée : c'est le cas des tours de La Rochelle, des remparts d'Aigues-Mortes, de la Villa Cavrois ou de la maison des mégalithes de Carnac. Il y a eu manifestement un déplacement du tourisme des Français vers la province, qui a en partie compensé le reflux des touristes étrangers, effrayés par les récents événements. Les chiffres de l'hôtellerie à Paris confirment ce reflux.
Le CMN ne ménage pas ses efforts pour redresser la fréquentation de ses monuments. Il a, depuis plusieurs années, noué des partenariats pour mieux les faire connaître à l'étranger, notamment avec Air France ; il est aussi présent dans les grands salons du tourisme international, aux côtés d'Atout France. Il s'assure également une présence très active sur internet et sur les réseaux sociaux, afin de toucher un public plus jeune.
Après cette rapide présentation du CMN et de son modèle original, j'en viens aux principaux défis qu'il doit relever. Le premier a trait à son financement, le second à la gestion de l'emploi.
En ce qui concerne son financement, le CMN est confronté à une difficulté particulière en matière de crédits d'investissement. Dans le cadre de la loi de finances pour 2007, le législateur a confié au CMN la charge, au-delà de ses activités traditionnelles de gestion des monuments, d'assurer la maîtrise d'ouvrage des travaux de restauration des monuments nationaux qui lui ont été remis en dotation. Le CMN n'a été en capacité effective d'exercer cette compétence nouvelle qu'en 2010.
Il n'est pas question, pour moi, de remettre en cause cette mission nouvelle, qui permet au CMN de concevoir et de mettre en oeuvre des opérations de restauration intégrées, prenant en compte tous les éléments patrimoniaux – immobilier, mobilier et paysage –, ainsi que tous les points de vue – conservation, médiation, valorisation, aménagement du territoire – afin d'obtenir la meilleure présentation du monument au public. J'ai pu mesurer les vertus d'un tel système lorsque je me suis rendu au château d'Azay-le-Rideau, où le CMN a engagé une très importante campagne de restauration globale, destinée à redonner tout son lustre à ce joyau de la Renaissance, que je vous engage tous, mes chers collègues, à aller visiter !
La difficulté à laquelle est confronté le CMN réside dans le fait que le transfert de la maîtrise d'ouvrage ne s'est pas traduit par la pérennisation d'une dotation budgétaire suffisante pour lui permettre de mener à bien tous ses projets de rénovation. Après 2007, le CMN, qui n'était pas en mesure de consommer tous ses crédits, s'est constitué un fonds de roulement anormalement élevé ; il a donc naturellement puisé dans ce fonds de roulement pour compléter la dotation de l'État réduite en raison de l'existence de ce fonds de roulement. Les chiffres précis figurent dans le projet d'avis qui vous a été remis. La perspective d'épuisement à venir du fonds de roulement rendra toutefois nécessaire une augmentation des crédits alloués au CMN, sauf à le contraindre, comme c'est déjà le cas, à reporter certaines campagnes de restauration.
Je me suis rendu au Panthéon où j'ai pu mesurer, d'abord, les travaux qui ont été réalisés sur le dôme mais, surtout, la nécessité de poursuivre l'ambitieuse campagne de restauration, dont seule la première phase a, pour l'heure, été réalisée : il faut encore consolider le péristyle, restaurer les façades et les décors intérieurs. Un travail sur l'organisation de l'accueil et les supports de médiation doit également être engagé. Le président du CMN estime que ces travaux pourraient être réalisés en sept ou huit ans, à condition que les crédits d'investissement du CMN soient portés à 30 millions d'euros chaque année.
Au-delà des querelles de chiffres – vous imaginez bien que le ministère n'a pas la même lecture des choses que le CMN –, je crois fondamental que le Centre des monuments nationaux puisse bénéficier, dans les années à venir, d'une plus grande visibilité sur les dotations de l'État afin de pouvoir engager, à l'image de ce qu'a pu faire l'établissement public en charge du château de Fontainebleau, dont j'ai rencontré le président Jean-François Hebert, un schéma directeur ou un programme pluriannuel de travaux. La rénovation des monuments s'inscrit nécessairement dans un temps long et la réalisation d'opérations globales bien construites en amont s'avère toujours moins coûteuse in fine.
Le second défi auquel est confronté le CMN a trait à la gestion de l'emploi, en raison de la coexistence de deux régimes juridiques distincts : des fonctionnaires titulaires sont affectés au CMN par le ministère de la culture, qui continue d'assurer le recrutement et la gestion de ces personnels, et des contractuels de droit public, recrutés directement par le CMN. Ce double régime se révèle très souvent source de difficultés dans le pilotage des emplois, comme dans les actes de gestion courante au sein des monuments.
Le CMN demande, depuis plusieurs années, que lui soit déléguée la responsabilité des différents actes de gestion à l'égard des personnels affectés, avec transfert de la masse salariale correspondante, à l'image de ce qui se pratique au Louvre depuis 2003. Pour le moment, le Centre des monuments nationaux n'a pas obtenu gain de cause. Pis encore pour lui, la loi récente relative à la déontologie des fonctionnaires, d'avril dernier, devrait conduire à réduire ses capacités de recrutement d'agents contractuels.
Je sais que le sujet est regardé de près au ministère et je plaide pour que le CMN obtienne gain de cause s'agissant de la gestion des titulaires affectés, tant cette question est source de difficulté au quotidien dans les monuments.
Le CMN joue désormais un rôle important sur les territoires en matière d'emplois induits et de tourisme. Ne pas doter le Centre des monuments nationaux des crédits dont il a besoin pour restaurer et entretenir correctement le patrimoine dont il a la charge apparaîtrait peu cohérent avec le souci affiché d'aménagement culturel des territoires.
Sans doute faut-il que le CMN développe encore davantage ses ressources propres et accentue ses recherches de mécénat, ce qu'il fait, d'ailleurs, en lançant des campagnes de mécénat participatif. Je vous engage, mes chers collègues, à aller consulter la page web : mapierrealedifice.fr ! Il n'est pas interdit aux députés, notamment de notre commission, de participer au mécénat en faveur du CMN. Je précise que le président Bélaval ne m'a pas chargé de passer ce message. Je le fais à titre personnel.
L'État ne saurait pour autant se désengager ni s'exonérer d'une programmation pluriannuelle des dotations, donnant une visibilité accrue au CMN.
Comme l'a estimé le Président de la République, en décembre 2014, à Chambord, « nous avons tout avantage à faire que le tourisme soit notre pétrole ». Encore faudrait-il ne pas en fermer le robinet, faute de crédits suffisants !
Permettez-moi de me féliciter de la forte hausse des crédits dédiés à la mission que nous examinons, aujourd'hui, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017. Les programmes « Patrimoines », « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » bénéficieront de 173 millions d'euros de plus qu'en 2016, soit 6,9 % de hausse.
Ce budget, en hausse chaque année depuis 2015, s'inscrit dans un contexte marqué par des risques de division inédits dans notre histoire récente. La place de la culture doit donc être plus que jamais réaffirmée pour nous rassembler autour des valeurs de la République, parmi lesquelles la liberté de création, l'élargissement des horizons artistiques et l'ouverture à la jeunesse.
Avant d'évoquer plus longuement le programme « Patrimoines » et l'excellent rapport de notre collègue Michel Herbillon, permettez-moi de revenir sur le programme « Création » et le rapport d'Hervé Féron, magnifiquement présenté par M. Marcel Rogemont. Quelques points me semblent particulièrement importants à souligner.
Je commencerai par les 64 millions d'euros affectés à la politique d'éducation artistique et culturelle, soit 12 % de plus qu'en 2016. En tant que rapporteur de la mission d'information sur le marché de l'art, dont nous présenterons les conclusions, avec son président Michel Herbillon¸ le 16 novembre prochain, je soutiens particulièrement cette disposition en faveur de la jeunesse et de l'éducation à l'ouverture et à l'esprit critique.
Par ailleurs, 816 millions d'euros seront destinés aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC), soit une hausse de 7 %. Ce budget vient rapprocher encore davantage la culture et les citoyens dans nos territoires.
Enfin, je rappelle que ce budget de soutien à la création permet de pérenniser les emplois pour les artistes et techniciens du spectacle vivant. C'est l'objet du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle, créé en 2016 et doté de 90 millions d'euros dans le budget pour 2017.
En ce qui concerne le programme « Patrimoines », je me félicite de la hausse de 30 millions d'euros prévue pour l'année 2017. Le programme « Patrimoines » finance les politiques de préservation et d'enrichissement du patrimoine culturel français, les musées, l'architecture, l'archéologie, les archives, le patrimoine immatériel, et comporte plusieurs priorités qui s'inscrivent, en 2017, dans un cadre renouvelé depuis l'adoption par notre assemblée de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite « loi LCAP ».
La première priorité du programme « Patrimoines » en 2017 vise à rendre accessible et faire mieux comprendre à tous les publics le patrimoine sous toutes ses formes. Cet objectif est au coeur du projet national d'éducation artistique et culturelle, qui met l'accent sur les publics jeunes du champ social et le public familial de médiation. À titre d'exemple, il a été décidé d'ouvrir aux groupes scolaires trois établissements culturels majeurs – le musée d'Orsay, le musée du Louvre et le château de Versailles – le jour habituel de leur fermeture.
La deuxième priorité est de sauvegarder, protéger, mettre en valeur et enrichir ce patrimoine afin d'en assurer la transmission aux générations futures. La loi LCAP a permis de réaffirmer le rôle de l'État en matière de contrôle scientifique et technique de l'archéologie, de renforcer la lutte contre le trafic de biens culturels et de rendre plus opérationnelles les procédures de protection du patrimoine urbain et paysager. Enfin, 2017 permettra de généraliser les stratégies pluriannuelles régionales d'intervention en matière de monuments historiques.
Enfin, la troisième priorité consiste à améliorer le cadre de vie, non seulement en favorisant la protection et la mise en valeur des espaces de grande qualité patrimoniale mais, plus généralement, en encourageant la qualité architecturale sur l'ensemble du territoire – cela renvoie aux politiques de labellisation que nous avons renforcées dans la loi « LCAP ».
Monsieur Herbillon, vous vous êtes intéressé dans votre rapport à la protection et à la valorisation des monuments nationaux en proposant un regard tout à fait intéressant sur un opérateur sous tutelle du ministère, le Centre des monuments nationaux. Vous appuyant sur les auditions auxquelles vous avez procédé, dont celle de M. Philippe Bélaval, président de cet établissement depuis 2012, et sur les visites de terrain que vous avez effectuées, vous avez formulé nombre de problématiques et de préconisations sur lesquelles je vous propose de revenir brièvement.
Selon vous, le périmètre d'action du CMN est assez flou. Il s'est étendu à de nouveaux sites comme les sites préhistoriques alors que d'autres sites ont choisi l'indépendance à l'instar du château de Fontainebleau devenu établissement public administratif en 2009 selon le choix de Mme Christine Albanel, alors ministre de la Culture et de la Communication. Quels sont les avantages d'une telle indépendance selon vous ?
Le climat social au sein du CMN s'est apaisé depuis 2012, notamment grâce un rééquilibrage de son fonctionnement entre son siège parisien et les monuments, comme le souhaitait le ministère de la culture. Pouvez-vous nous indiquer quelle était la situation avant l'arrivée de son actuel président, M. Bélaval ?
Au coeur de votre rapport, vous soulignez le manque structurel de crédits destinés au Centre pour mener à bien ses missions. À juste raison, vous indiquez que la baisse de fréquentation, liée principalement aux attentats de 2015-2016, a amputé une partie de ses recettes de billetterie. D'autre part, vous soulignez que le transfert de la maîtrise d'ouvrage des travaux de restauration au Centre n'aurait pas été accompagné par une dotation budgétaire suffisante, ce qui a entraîné le report de certaines campagnes de restauration. Néanmoins, vous indiquez qu'« hors hôtel de la Marine, la programmation de travaux reste, avec 31 millions d'euros de crédits engagés, encore élevée en 2016 ». Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une vision paradoxale de la situation ?
Enfin, vous préconisez la clarification du régime de l'emploi entre agents titulaires du ministère et contractuels du CMN. Sachez que je partage cette vision, indispensable pour le bon fonctionnement de cet établissement.
Les Français aiment leur patrimoine et nous constatons un attachement profond de la Nation à ses monuments et jardins. C'est un trait d'union avec notre histoire qui traduit un désir de culture partagé par tous. S'efforcer de regarder le présent avec l'oeil de l'avenir en établissant un continuum entre la création et le patrimoine, c'est la meilleure façon de favoriser l'une et l'autre. C'est pourquoi nous nous félicitons au sein du groupe Socialiste, écologiste et républicain du budget volontariste de la mission « Culture » qui nous est soumis cette année.
Monsieur Herbillon, vous avez souhaité consacrer votre avis au Centre des monuments nationaux qui constitue l'un des établissements publics culturels les plus importants de l'État puisqu'il a la responsabilité de la conservation, de la restauration et de la présentation au public de 99 monuments et près de 110 000 biens culturels de notre pays. Le président du CMN l'a déclaré publiquement : chaque sortie du périmètre de compétence de l'établissement est vécue de l'intérieur comme un traumatisme – pensons à Chambord ou au Haut-Koenigsbourg. Il estime avoir fait du changement du périmètre un tabou tout en restant ouvert à de nouvelles entrées.
Pour votre part, monsieur le rapporteur, vous estimez avant tout qu'un nouveau changement de périmètre risquerait surtout de remettre en cause l'équilibre financier de l'établissement qui repose sur une péréquation des ressources. Cet équilibre est fragile, comme vous le démontrez fort bien. Le fonctionnement en réseau permet aux « gros » monuments de financer la renaissance des « petits » grâce à la mutualisation des projets, des moyens et des compétences. Ce modèle doit être absolument soutenu, car il constitue une garantie forte pour notre patrimoine en matière d'unité, de dynamisme et de protection. Nous avons besoin d'un CMN solide qui garantisse une gestion publique de nos monuments et qui forme un rempart contre les risques de fermeture ou de cession non maîtrisée de notre patrimoine. Dans le contexte post-attentats que nous connaissons, le CMN déplore une baisse de fréquentation et, par conséquent, une baisse de ressources propres, ce qui le rend vulnérable.
Vous dénoncez par ailleurs une sous-budgétisation de ses crédits destinés à l'investissement depuis 2009 : une dotation de 18,9 millions d'euros est programmée pour 2017 alors que 30 millions d'euros seraient nécessaires selon vous. Vous tirez la sonnette d'alarme parce que l'État a laissé le CMN compenser la sous-budgétisation de ses crédits par des prélèvements sur son fonds de roulement qui arrive à épuisement.
Dès l'année prochaine, plusieurs chantiers de restauration pourraient être ajournés et reportés, menaçant ainsi tout un secteur économique. Or le CMN est bon gestionnaire, il l'a prouvé : il a su élargir ses missions et accueillir dans son giron de nouveaux monuments qui constituent autant de défis. Il faut en effet lui donner les moyens d'agir.
Vous proposez de donner à l'établissement une visibilité de ses dotations sur plusieurs années, sur le modèle des contrats d'objectifs et de moyens, afin de lui permettre de rationaliser ses campagnes de restauration. Avez-vous eu l'occasion de faire part de vos propositions au ministère ? Quels échos avez-vous pu avoir à ce sujet ?
J'en viens aux crédits consacrés à la création. Nous partageons les regrets exprimés par notre collègue Hervé Féron sur l'absence d'ambition de ce quinquennat pour la musique, sur l'abandon du Centre national de la musique, beau projet – certes gourmand en crédits budgétaires –, et sur le désengagement de l'État à l'égard des conservatoires. Le rapporteur note lui-même la dégringolade de 50 % des crédits entre 2012 et 2015. Nous ne pouvons que souscrire à sa proposition n° 7.
En revanche, la proposition n° 1, qui consiste à procéder à la gestion collective des droits issus de l'exploitation de la musique en ligne, nous pose question. D'abord, les sociétés d'artistes ne s'appuient pas toutes sur le même modèle de gestion, tant s'en faut. Vous avez certainement eu connaissance du constat de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits à ce sujet : elle pointe un niveau de trésorerie anormalement élevée au détriment des ayants droit. La gestion collective a un coût, qui rogne nécessairement les revenus de l'artiste. Surtout, cette proposition reviendrait à complexifier la gestion des droits et à multiplier les interlocuteurs – plateformes, sociétés de perception, producteurs. Nous ne pensons pas que l'avenir de la musique et de l'offre légale en ligne passe par des modes de gestion qui risquent de se retourner contre les artistes eux-mêmes.
Concernant le soutien aux artistes émergents, nous avions pu nous retrouver lors des débats de la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » sur la nécessité de renforcer les quotas francophones. Vous proposez entre autres de renforcer les obligations du service public en matière de nouvelles chansons francophones, notamment pour ce qui est de la diffusion à des heures décentes. Cela va dans le bon sens.
Je remercie en premier lieu les rapporteurs pour la qualité des travaux qu'ils viennent de nous présenter. Le Premier ministre m'a récemment confié une mission parlementaire ayant pour objet la valorisation et l'évaluation de la mise en oeuvre des pratiques artistiques et culturelles au profit des projets éducatifs territoriaux (PEDT) des écoles des quartiers prioritaires et, dans le rapport de M. Féron, je me suis plus particulièrement intéressée à la partie consacrée à l'éducation musicale dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle (EAC).
Le rapporteur cite l'exemple de la Finlande qui a développé une éducation musicale ambitieuse. Dispensés dès l'école primaire, les cours de musique, d'une heure au minimum par semaine, peuvent être complétés par d'autres options. Ces options sont-elles uniquement musicales ou plus largement artistiques au sens du parcours d'éducation artistique et culturelle instauré par la loi pour la refondation de l'école ?
L'éducation artistique est un fantastique vecteur de culture, de compréhension entre les individus et de lien social. C'est un outil au service des apprentissages qui fait travailler la langue, la mémoire, l'expression, le numérique. Le rapport cite divers exemples comme les actions organisées par l'association « Orchestre à l'école » ou le programme DEMOS – Dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale – initié par La Philharmonie de Paris. Lors des déplacements que j'ai effectués dans le cadre de ma mission, j'ai pu découvrir d'autres actions, plus locales, comme à Pantin autour de la chanson française ou à Perpignan autour de la Casa musicale, lieu de partage multiculturel.
L'avis évoque la création d'une option « Musiques actuelles » au baccalauréat, proposition intéressante à condition qu'elle concerne tous les types de musique comme le rapporteur le suggère. J'ai pu constater que dans les quartiers prioritaires, l'éducation musicale se résume trop souvent au seul hip-hop, comme si les jeunes de ces quartiers n'avaient pas d'autres envies, d'autres penchants, d'autres appétences. Pensez-vous que l'enseignant en charge de ces cours devrait les dispenser seul ou entouré d'intervenants extérieurs ? Comment, dans cette deuxième hypothèse, assurer sur tout le territoire, notamment en zone rurale, un égal accès à la richesse des styles musicaux proposés ?
Notre collègue Michel Herbillon souligne dans son avis la capacité de nos monuments nationaux à attirer des touristes et à produire de la richesse. En quoi pourraient-ils contribuer à créer du lien social et constituer des lieux d'acculturation pour les jeunes publics ? Comment s'inséreraient-ils dans les parcours d'éducation artistique et culturelle ?
Je m'intéresserai plus particulièrement à ce qui relève du rayonnement international de la France dans les deux avis.
Je partage le diagnostic posé par notre collègue Hervé Féron sur la rémunération équitable. Nous avons pu aborder cette question complexe mais nécessaire à plusieurs reprises au cours des dernières années. Il est bon de la poser à nouveau. Il faut saluer la méthodologie adoptée par le rapporteur qui consiste à appeler l'attention non sur le patrimoine musical mais sur la valorisation des scènes vivantes. En cela, je me félicite de l'augmentation du budget alloué au Bureau export de la musique, qui passera en 2017 à 4,5 millions d'euros, contre 3,2 millions en 2015. Cette association mène une action précieuse, notamment en favorisant la diffusion d'un répertoire essentiel et en participant à l'élaboration de projets autour des musiques urbaines à l'étranger.
Parmi les propositions formulées à la fin du rapport – qui dépassent le cadre du simple avis budgétaire –, je me réjouis que beaucoup aient trait à la francophonie, d'autant que la francophonie musicale a pu être mise en valeur à travers la nomination récente de l'artiste camerounais Manu Dibango comme Grand témoin de la francophonie. Pour la valorisation du spectacle vivant, n'aurions-nous pas intérêt à travailler de plus près encore avec l'Organisation internationale de la francophonie qui, dans son budget, prévoit le financement de telles initiatives ?
Dans le rapport de notre collègue Michel Herbillon, il est beaucoup question de restauration et de création, mais un peu moins de valorisation. Atout France a créé des parcours culturels pour mettre en valeur notre patrimoine. Il me semblerait important d'explorer la piste de la coopération décentralisée, car cet organisme a des moyens très limités à l'étranger.
Nous pouvons collectivement nous réjouir de voir le budget de la culture croître dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017. Il viendra irriguer les bibliothèques, il contribuera à protéger et à défendre notre patrimoine et facilitera, par un doublement de moyens, l'accès à l'éducation artistique et culturelle, autant d'objectifs qui justifient amplement cette augmentation des crédits.
Pour ma part, je me réjouis des propositions formulées par le rapporteur pour avis pour développer les scènes de musique actuelle (SMAC) – particulièrement en territoire rural –, qui passent, notamment, par un relèvement du plancher des subventions reçues de 75 000 euros à 150 000 euros. Cela viendrait conforter le plan de rénovation du réseau de ces salles, qui concourent au rayonnement de la chanson francophone et à la valorisation des nombreux talents. Je tiens à citer ici le Rocksane de Bergerac en Dordogne, qui contribue à l'attractivité du territoire.
Monsieur Rogemont, je souhaiterais connaître votre avis sur la densité des SMAC, notamment dans le cadre de la stratégie publique d'aide au développement des jeunes talents ? Des demandes particulières ont-elles émergé des auditions menées par le rapporteur Hervé Féron ?
Quand on lit l'encadré consacré dans le rapport de Michel Herbillon à l'Hôtel de la Marine, l'opération de reconversion paraît extrêmement simple. J'ai l'impression que les choses sont plus complexes en réalité, qu'il s'agisse des différents niveaux d'intervention ou de l'étage consacré à l'excellence de la gastronomie française. Tout cela donne l'impression d'un mélange des genres. Que vient faire la gastronomie française dans ce projet ? Je ne suis pas le seul à me le demander : une étude parlait du passage « du garde-meuble au garde-manger ». Le rapporteur pourrait-il nous éclairer ?
Merci à nos deux rapporteurs pour la qualité de leurs avis, qui mettent en avant la progression du budget de la Culture pour cette année.
Notre collègue Michel Herbillon me pardonnera, je l'espère, de concentrer mon intervention sur le rapport de M. Hervé Féron et plus précisément sur deux de ses propositions auxquelles j'aimerais revenir.
La proposition n° 17 vise à imposer des objectifs de production et de diffusion de nouvelles chansons francophones à des heures décentes sur les antennes de Radio France et surtout de France Télévisions. Plutôt que de contraindre, ne vaudrait-il pas mieux prévoir l'organisation d'un débat avec les producteurs de musique dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions ? Certes, le groupe public a consenti des efforts notables depuis quelques années avec le retour de Taratata ou la mise en valeur des modules Alcaline mais ceux-ci restent insuffisants.
La proposition n° 18 vise à augmenter le budget du Bureau export de la musique. Ne pourrait-on pas promouvoir plutôt une refonte totale du financement de cet organisme ? L'industrie musicale française exporte plutôt bien mais elle aurait besoin d'une structuration de plus grande envergure à l'international, à l'instar de l'industrie cinématographique avec Unifrance et ses divers partenaires.
Si vous le permettez, monsieur le président, je commencerai par quelques remarques personnelles sur le rapport d'Hervé Féron.
Il pose de légitimes questions sur la structuration de la filière musicale, en désignant les résultats probants de l'organisation de la filière cinématographique comme un exemple. Ce travail d'édification du secteur musical est devant vous et l'exemple du secteur cinématographique constitue notre « étoile polaire ». Dire que les relations enfin fraternelles et harmonieuses entre la SPEDIDAM et l'ADAMI constituent une base active pleine d'avenir pour l'industrie musicale est faible. La fusion de ces deux filières de perception place la nouvelle entité au premier rang des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) au niveau européen et facilitera grandement l'objectif affiché par Hervé Féron. J'ajouterai que nous devons être attentifs à l'évolution du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) afin de faire prospérer une ambition plus large pour cette institution.
J'en viens aux questions, en précisant que j'aurai peut-être peine à me substituer à notre rapporteur Hervé Féron pour répondre à certaines d'entre elles.
Madame Genevard, je tiens à vous préciser que les financements des conservatoires et écoles de musique ont été renforcés, même si ce n'est que récemment.
S'agissant de la proposition n° 1, je rappelle que l'article 10 de la loi « Liberté de la création, architecture et patrimoine » crée le principe d'une garantie minimale de rémunération pour les artistes-interprètes dont les oeuvres sont exploitées sur internet.
Madame Doucet, l'option « Musiques actuelles » pour le baccalauréat pourrait s'approcher de l'option théâtre, et reposer sur l'intervention d'artistes. Je vous remercie d'avoir évoqué les initiatives mises en oeuvre par certains établissements, moins connues que celles citées dans l'avis de notre collègue Hervé Féron. Quant aux parcours d'éducation artistique et culturelle instaurés par la loi pour la refondation de l'école, ils prévoient une rémunération pour les artistes intervenants. Enfin, pour ce qui est de votre question sur l'organisation des enseignements artistiques en Finlande, nous vous ferons parvenir une réponse dès que nous disposerons des informations demandées.
Monsieur Premat, la réorganisation de nos ambassades, ambitieux projet mené depuis le début de la législature, devra permettre une meilleure collaboration entre les acteurs des dispositifs qui assurent le développement de la francophonie.
Madame Langlade, vous nous avez demandé si la densité des SMAC nous paraissait suffisante. Plus que la multiplication de ces scènes, c'est l'affirmation de leur rôle qui nous paraît importante. C'est la raison pour laquelle le rapporteur a proposé une mesure ambitieuse – très ambitieuse, même – de relèvement du plancher des subventions, destinée notamment à soutenir les SMAC dans leur fonction d'accompagnement des jeunes talents.
Monsieur Pouzol, s'agissant de la proposition n° 17, je dois vous rappeler que notre commission a souhaité que l'élément que vous citez ne figure plus dans les objectifs du COM de France Télévisions. Quant au Bureau export musique, il est largement financé par le secteur privé et il fonctionne bien : mieux vaut ne pas revenir là-dessus.
Monsieur Rogemont, ce n'est pas notre commission en tant que telle qui a agi sur le COM de France Télévisions, c'est la négociation avec le ministère qui a abouti à ces résultats.
En effet, mais c'est notre commission qui a mis en avant la nécessité de réduire le nombre d'objectifs.
Je remercie M. Stéphane Travert d'avoir appuyé mes remarques s'agissant de l'investissement et de l'emploi au sein du CMN. Il y a une véritable nécessité de clarifier le régime de l'emploi au sein de cet établissement.
J'aimerais, comme vous l'avez fait, revenir sur l'évolution des crédits dédiés au patrimoine. Si le budget s'accroît cette année, à périmètre constant, de 6,9 %, je voudrais souligner le fait que le constat est plus nuancé sur l'ensemble de la législature. Les crédits consacrés au patrimoine monumental ont chuté en cinq ans de 11 % ; les crédits des musées, de 5 % ; ceux des archives, de 40 %. Il ne faut pas oublier la saignée très forte qu'a subie le budget de la culture pendant les deux premières années du quinquennat, avant l'arrivée à Matignon de M. Manuel Valls.
En ce qui concerne l'éducation culturelle et artistique, évoquée par nos collègues Stéphane Travert et Sandrine Doucet, je veux regretter qu'il n'y ait plus de convention entre le ministère de l'Éducation nationale et le CMN depuis 2013. Peut-être que la visibilité que nous donnons au Centre dans le cadre de la discussion budgétaire permettra au ministère de se ressaisir. Pour l'heure, c'est le CMN qui finance sur ses fonds propres les missions d'éducation artistique et culturelle, hors mise à disposition de professeurs-relais.
Je partage le point de vue de M. Stéphane Travert selon lequel le patrimoine est un élément fédérateur : il constitue un repère pour nos concitoyens, y compris dans les villes de banlieue – je peux en porter témoignage en tant que maire de Maisons-Alfort, riche en bâtiments des années trente. Le patrimoine contribue à rassembler autour de valeurs qui constituent une part de l'identité de notre pays, il est important de le souligner. En cela, chère Sandrine Doucet, le patrimoine est créateur de lien social.
Le patrimoine repose néanmoins sur un équilibre fragile. Je remercie Mme Annie Genevard de son soutien au modèle original du CMN, fondé sur la péréquation des ressources entre monuments très réputés et d'autres qui le sont moins. La baisse de fréquentation a induit une certaine vulnérabilité des ressources propres. Toutefois, le CMN a été plutôt moins touché que d'autres établissements : d'une part, parce que le réseau des monuments dont il a la charge s'étend sur l'ensemble du territoire ; d'autre part, parce qu'il développe d'autres types de ressources. Il faut lui donner les moyens d'agir, vous avez raison d'insister sur ce point. Lui permettre de disposer d'une plus grande visibilité sur l'évolution pluriannuelle de ses ressources est indispensable, compte tenu des actions de rénovation et de restauration qu'il mène. L'audition de M. Vincent Berjot, directeur général des patrimoines, me laisse penser que cette demande sera favorablement accueillie par le ministère de la culture.
Monsieur Premat, vous soulignez l'importance de la valorisation des monuments nationaux à l'étranger. Atout France disposant de moyens limités, il serait bon de s'appuyer sur les réseaux diplomatiques et les instituts français. En évoquant la coopération décentralisée, peut-être suggériez-vous de développer des partenariats entre les monuments nationaux français et les monuments à l'étranger ? Cela me paraît être une idée intéressante.
Monsieur Kert, l'avenir de l'hôtel de la Marine a fait l'objet de beaucoup de polémiques, dont nous sommes fort heureusement sortis. Je dois vous dire que je suis plutôt confiant dans le projet de rénovation retenu. Le programme de restauration est clairement identifié. Il fait partie des priorités du Centre des monuments nationaux et de son président Philippe Bélaval et l'on peut penser à bon droit qu'une attention particulière y sera portée, compte tenu de l'extrême visibilité de ce bâtiment, qui donne sur la place de la Concorde. Je dois préciser que la restauration de la galerie extérieure, menée dans le cadre d'une opération de mécénat du groupe Bouygues, est déjà achevée. La mise en valeur du mobilier fait partie intégrante du projet actuel. Certaines salles, comme celle où fut signé le décret d'abolition de l'esclavage, conserveront leur configuration. Une autre partie du projet, qui n'est pas encore totalement finalisée, vise à mettre en valeur la place qu'occupe la gastronomie dans notre histoire et dans notre culture. Au rez-de-chaussée, dans la partie donnant sur la cour, un restaurant sera ouvert avec la participation de chefs emblématiques. Je tiens ici à rappeler que la gastronomie fait partie intégrante de notre patrimoine culturel – le repas gastronomique des Français a été inscrit au patrimoine immatériel de l'UNESCO, comme vous le savez – et qu'elle constitue un élément de l'attractivité culturelle de la France qu'il ne faut pas négliger.
Je termine par Fontainebleau. Le bilan que l'on peut tirer de son autonomie est très globalement positif. Cela a permis de simplifier la gestion et l'administration de l'édifice, de renforcer l'unité de gestion des collections, des bâtiments et du domaine de Fontainebleau, de responsabiliser l'établissement et de favoriser son développement culturel, scientifique et économique. La fréquentation annuelle s'est très sensiblement accrue, passant de 350 000 visiteurs avant 2009 à 520 000 en 2014.
Le président de l'établissement public, Jean-François Hébert, a beaucoup insisté sur le fait que la prise de décisions avait été rendue bien plus aisée par ce nouveau statut. L'élaboration du schéma directeur qui couvre les années 2015 à 2026 permet au président et à ses équipes d'avoir une plus grande visibilité de moyen terme s'agissant de l'usage des crédits de rénovation. Le château de Fontainebleau a pu également nouer des partenariats exemplaires avec les collectivités territoriales, qui ont permis l'installation en mars 2015 du pôle d'excellence du tourisme de Seine-et-Marne dans le quartier Henri IV. Enfin, l'autonomie que permet le statut a favorisé le choix du château de Fontainebleau comme lieu d'accueil, depuis 2011, du Festival de l'histoire de l'art, en association avec le ministère de la culture et l'Institut national d'histoire de l'art (INHA). Un service de compétence nationale aurait sans doute eu plus de peine à faire aboutir ce type d'initiative.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante.