Vos choix, monsieur le ministre, confortent nos prises de position d’alors : nul doute que votre approche est plus sécuritaire que celle de votre prédécesseur ; nous vous en donnons acte.
Revenons-en au budget de cette mission pour l’année 2017, qui amorce une évolution salutaire. D’abord en raison du contexte : alors que les déséquilibres accumulés par nos finances publiques rendent plus que jamais nécessaire une stricte maîtrise des dépenses de l’État, les crédits affectés à la mission « Justice » par ce projet de loi de finances progressent significativement. Espérons que les chefs de juridiction sauront utiliser ces augmentations à bon escient !
De fait, l’ensemble des programmes bénéficient d’une augmentation plutôt soutenue. Chacun d’entre nous peut se réjouir que le projet de loi de finances pour 2017 comporte déjà les premiers crédits nécessaires à la réalisation du nouveau programme immobilier pénitentiaire que vous avez annoncé, monsieur le garde des sceaux.
Hormis ce renforcement notable des moyens de l’administration pénitentiaire, il convient également de souligner l’utilité des ressources dégagées cette année en faveur de la justice judiciaire, dont de la création de 666 équivalents temps plein. Une telle mesure permet d’apporter les premières réponses à des besoins aujourd’hui identifiés à deux titres : la défense de la sécurité de nos compatriotes et le bon fonctionnement du service public de la justice.
Dans la lutte contre le terrorisme qui nous menace depuis bientôt deux ans, chacun comprend l’importance de déployer les moyens nécessaires aux juridictions, notamment aux parquets. Le projet de loi de finances pour 2017 fait donc oeuvre utile en prévoyant l’affectation de 568 créations d’emplois pour la justice judiciaire. Il s’avère tout aussi indispensable de donner à la justice judiciaire la capacité de trancher les litiges dans les meilleurs délais et de permettre à nos concitoyens de faire valoir leur droit d’accès à la justice. On donnera donc volontiers acte au garde des sceaux de donner à la justice davantage de moyens pour agir efficacement.
Suffit-il d’accroître les moyens de la justice pour en assurer l’efficacité ? L’expérience montre qu’année après année, persiste un écart chronique entre les prévisions de la loi de finances initiale et les résultats de son exécution. Pourquoi ? Parce que la justice souffre depuis des décennies de problèmes quasi structurels qui relativisent l’effort que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux – je reconnais bien volontiers, cependant, que cela n’est pas de votre fait.
En réalité, les ressources de ce service public sont restreintes, et leur gestion apparaît perfectible. En effet, cette progression du budget de la justice judiciaire ne remet pas significativement en cause un constat établi par de nombreuses études, dont celle, récente, de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice : je veux parler du rang relativement médiocre qu’occupe la France vis-à-vis de pays comparables, du point des ressources qu’elle consacre au fonctionnement de son système judiciaire. Le sous-financement relatif – et à certains égards historique – de la justice française revêt aujourd’hui un caractère d’autant plus aigu que son budget demeure exposé aux aléas de la régulation budgétaire à laquelle je faisais référence tout à l’heure. C’est là tout le problème de l’exécution budgétaire : je ne suis pas sûr que Bercy en mesure tous les effets.
Mais ainsi que l’ont révélé les travaux de la Cour des comptes, dans l’accomplissement de ses missions, la justice ne se heurte pas seulement à un manque de moyens : elle se trouve également confrontée à des problèmes liés à l’organisation administrative et à la procédure budgétaire, qui sont de nature à compromettre l’efficacité de l’emploi des ressources mises à sa disposition.
Malgré les résultats qui ont été obtenus, beaucoup de progrès restent donc à accomplir afin de rationaliser l’emploi des ressources consacrées au service public de la justice. Répondre à cette nécessité objective implique de développer les moyens d’évaluation, de mener à bien la réorganisation de la chaîne des dépenses et de donner au secrétariat général du ministère les moyens d’assumer pleinement son rôle d’impulsion.
C’est à cette condition que le renforcement des ressources humaines et financières prévu par le projet de loi de finances pour 2017 portera ses fruits. La justice doit aujourd’hui relever des défis considérables, qui ne sauraient être appréhendés par ce seul exercice budgétaire annuel. Le projet de loi de finances pour 2017 comporte des mesures et des moyens utiles à la poursuite de chantiers de long terme.
Sur des sujets stratégiques, il conviendrait de forger les conditions d’un consensus, par exemple par le biais d’une loi de programmation pour le parc pénitentiaire – dont vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez avancé l’idée. Cette manière de faire pourrait être étendue à l’ensemble de la mission « Justice ».
Quoi qu’il en soit, l’exécution de ce projet de loi de finances me paraît grevée de trop d’hypothèques. Compte tenu de l’incertitude qui pèse sur la portée exacte des crédits de cette mission, et de l’avis réservé que j’ai formulé sur eux à l’issue de mes travaux, mon groupe s’abstiendra sur leur vote.