Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 3 novembre 2016 à 15h00
Commission élargie : finances - affaires sociales

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Si la reprise de l'activité économique est encore fragile, il faut noter une baisse du nombre de demandeurs d'emploi de 66 300 au mois de septembre, ce qui est une bonne nouvelle pour les Françaises et les Français. Depuis le début de l'année, ce sont ainsi 90 000 demandeurs d'emploi en moins. Ces bons résultats doivent nous inciter à amplifier nos politiques, et c'est tout le sens de ce budget 2017.

Ce budget de 15,3 milliards d'euros, soit une augmentation de 13 % par rapport à 2016, marque un effort inédit de la part de l'État. Il traduit un choix fort dans un contexte de chômage très élevé, et vise à accompagner une dynamique de reprise. Il traduit également un choix cohérent au regard des différentes réformes menées par ce gouvernement. Notre politique repose ainsi sur le triptyque modernisation-formation-cohésion, rappelé par le Président de la République en janvier dernier lors de sa présentation du plan d'urgence pour l'emploi.

Modernisation, d'abord. La loi « travail » vise à développer le dialogue social, notamment de proximité. Elle crée aussi des droits fondamentaux pour les salariés, je pense notamment au compte personnel d'activité. Dans un monde du travail marqué par une discontinuité des parcours, il est important de créer cette sécurité sociale professionnelle.

Formation, ensuite. Le plan de 500 000 formations supplémentaires permet de franchir un cap à la fois quantitatif et qualitatif, notamment au regard de la problématique des besoins de recrutements et emplois non pourvus. N'oublions pas que l'investissement en formation en direction des personnes qui en ont le plus besoin a été le point faible de notre pays pendant de nombreuses années.

Cohésion, enfin. Les dispositifs concernés sont les contrats aidés, la Garantie jeunes, ou encore l'aide « embauche PME » qui est essentielle pour accélérer le retour à l'emploi, notamment dans les plus petites entreprises.

L'aide « embauche PME » vise donc à développer et à accélérer le retour à l'emploi dans les petites entreprises, qui ont besoin d'un soutien renforcé dans un contexte de reprise de l'activité économique. Un montant de 1,85 milliard d'euros supplémentaires est attribué à la fois à l'aide « embauche PME » et à l'aide « TPE première embauche ». À ce jour, l'aide embauche PME a fait l'objet de plus de 825 000 demandes, dont 66 % pour des contrats à durée indéterminée (CDI). Ce dispositif a donc permis de développer l'emploi durable, sachant que les personnes concernées étaient souvent en contrat précaire – elles peuvent désormais accéder plus facilement à un prêt et à un logement. Près de 40 % de ces aides sontdestinées à des jeunes de moins de vingt-six ans.

Ce succès s'explique par le contexte de reprise que je viens d'évoquer. Bien entendu, ce n'est pas l'aide « embauche PME » qui va inciter une entreprise sans carnet de commandes à créer un emploi. Mais, à un moment où les carnets de commandes se remplissent, les petites structures peuvent hésiter à recruter : l'aide embauche PME joue un vrai rôle de déclencheur et d'accélérateur sur la décision d'embauche.

À côté de ce soutien financier, d'autres mesures sont le fruit la loi « travail », à laquelle vous avez largement contribué. Je pense au service gratuit d'information sur les questions du droit du travail en direction des petites entreprises – la réponse de l'administration les sécurise en cas de contentieux –, à la modulation du temps de travail sur neuf semaines au lieu de quatre dans les petites entreprises, ou encore aux accords-types de branche pour les petites entreprises qui leur apportent une souplesse en l'absence de représentants syndicaux.

La formation est une réponse essentielle à un monde du travail qui évolue extrêmement rapidement et qui est très polarisé entre les personnes peu qualifiées et les personnes qui le sont beaucoup plus. Ce sont les 2 millions de demandeurs d'emploi ayant un niveau inférieur ou égal au baccalauréat qui restent durablement au chômage : cet effort en faveur de la formation était bien sûr essentiel.

La formation permet aussi de renforcer la compétitivité de nos entreprises – elle est en cela à la fois une exigence morale, une exigence sociale et une exigence économique. La prise de conscience a été longue dans notre pays : le plan « 500 000 actions de formation » marque un tournant. Ce plan a été conçu avec les régions – à l'exception d'Auvergne-Rhône-Alpes, mais dont les demandeurs d'emploi en bénéficieront puisqu'il est mis en oeuvre par Pôle Emploi – dans le cadre d'une plateforme que nous avons mise en oeuvre ; je salue à cet égard le travail de M. Cherpion au titre de l'Association des régions de France. Nous avons également conçu ce plan avec les partenaires sociaux sur la base des besoins des entreprises. L'enveloppe de 200 millions d'euros supplémentaires en 2017 pour le financement des conventions 2016 que nous avons signées avec les régions servira également à financer le lancement du compte personnel d'activité. Ainsi, la formation professionnelle a vocation à s'inscrire dans un parcours : le CPA, au travers du compte personnel de formation (CPF) aujourd'hui mis en oeuvre, nous permet de donner plus d'efficacité au dispositif.

Troisième priorité de ce budget : la cohésion sociale, à travers l'insertion des jeunes. La situation des jeunes s'améliore, mais reste encore difficile. Je reviens d'un déplacement en Guyane, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Si, en métropole, le taux de chômage des jeunes est extrêmement important, notamment dans les quartiers de la politique de la ville, dans les territoires d'outre-mer les vraies difficultés se posent non à l'échelle des quartiers, mais à celle de la région. Même si nous avons observé une diminution en un an de 35 000 jeunes inscrits en catégorie A à Pôle Emploi, soit une baisse de 7 % – il y a moins de jeunes chômeurs en France qu'il n'y en avait en 2012 –, nous ne devons pas réduire nos efforts. Il nous faut donc développer les dispositifs qui permettent une prise en charge globale au travers d'un dispositif d'accompagnement intensif : je pense, bien sûr, à la Garantie jeunes.

La Garantie jeunes n'est pas une simple allocation, mais un dispositif « donnant-donnant », qui assortit celle-ci d'un accompagnement intensif ; 747 millions d'euros sont alloués à ce programme, soit 176 millions supplémentaires par rapport à 2016. L'emploi des jeunes reste bien évidemment la priorité.

Je suis très favorable au développement des établissements publics d'insertion de la défense (EPIDE). Outre la généralisation de la Garantie jeunes, ce nouveau budget va donc financer de nouvelles structures EPIDE, ainsi que l'augmentation des moyens de fonctionnement des missions locales à hauteur de 15 millions. Car il ne suffit pas de concevoir des dispositifs : l'accompagnement, notamment en direction des jeunes, est plus que jamais nécessaire et, à cet égard, il est important de saluer l'investissement des agents des missions locales.

Concernant la Garantie jeunes – je rappelle que ce dispositif s'adresse aux jeunes les plus précaires qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en étude (NEET) –, il ressort d'une étude scientifique, dont des résultats partiels ont été publiés en juillet, que le taux d'emploi passe de 30 % à 40 % pour les jeunes qui en bénéficient, avec, dans la plupart des cas, un accès à de l'emploi durable, c'est-à-dire des CDI ou CDD de plus de six mois, dans le secteur marchand. La Cour des comptes salue, dans son rapport récent, ce dispositif.

Bien entendu, il faut replacer tous ces dispositifs dans le cadre d'une politique plus large en faveur de l'emploi des jeunes. Celle-ci inclut d'abord le maintien des emplois d'avenir au même niveau qu'en 2016 ; 35 000 créations d'emplois d'avenir sont prévues dans le PLF 2017. En raison d'une surconsommation des enveloppes, j'ai adressé aux services une circulaire dans laquelle je rappelle que d'ici le 2 janvier 2017, les enveloppes doivent financer des reconductions d'emplois d'avenir, mais pas de nouveaux contrats ; j'y évoque également la question de la sortie des emplois d'avenir, qui est essentielle. Je souhaite vous rassurer complètement : il n'est pas question de mettre fin aux emplois d'avenir. L'étude publiée le 5 octobre dernier par la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) montre que trois jeunes sur quatre en emploi d'avenir avaient bénéficié d'une formation, et que, pour la moitié d'entre eux, celle-ci était certifiante. Les contrats aidés doivent aussi être évalués sous l'angle de la formation. La politique en faveur de l'emploi des jeunes comprend aussi la revalorisation des stages et des bourses, le soutien renforcé aux jeunes décrocheurs ou aux entrepreneurs, ou encore la relance de l'apprentissage.

Je n'oublie pas le plan « Numérique, Emploi, Travail », soutenu par le programme d'investissements d'avenir – je pense au projet développé par Paul Duan et son ONG Bayes Impact.

Le budget permet également d'honorer des engagements forts du Gouvernement : la consolidation des crédits destinés à l'insertion par l'activité économique et aux travailleurs handicapés – avec une progression de 7,8 millions d'euros, le budget 2017 s'inscrit dans la continuité de l'effort continu déployé depuis 2012 – ; l'amélioration de la rémunération des apprentis, à hauteur de 80 millions d'euros, conformément aux engagements du Premier ministre en avril dernier ; l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » qui est dotée de 15 millions d'euros – je veux saluer l'engagement de Laurent Grandguillaume et d'ATD Quart Monde qui ont été à l'origine de cette initiative.

Le service public de l'emploi est également conforté grâce à la stabilité de la subvention à Pôle Emploi – 1,5 milliard d'euros –, au financement des maisons de l'emploi à hauteur de 21 millions d'euros, financement qui avait fait l'objet de discussions nourries l'année dernière – il faut savoir entendre les territoires –, et à l'augmentation des moyens des missions locales.

Enfin, nous prévoyons la sanctuarisation des financements dédiés aux contrats aidés à hauteur de 2,4 milliards d'euros comme en 2015, pour un total de 280 000 nouveaux contrats en 2016.

Monsieur Castaner, s'agissant de la baisse du nombre de contrats initiative emploi (CIE), je souhaite aborder la question des contrats aidés sans tabou ni caricature.

Trop de discours laissent croire qu'une personne en contrat aidé est une personne que l'on entretient dans l'oisiveté ou dont le travail ne serait pas utile. Pour moi, une personne qui retrouve un emploi retrouve aussi une utilité, donc aussi une dignité. Au nom même de la recherche de l'efficacité des politiques de l'emploi, les contrats aidés doivent être défendus.

Dans le débat sur les contrats aidés, trois questions importent : les publics – à qui s'adresse-t-on ? – ; les secteurs – associations, secteur sportif, organismes de l'économie sociale et solidaire – ; les résultats – quel niveau d'insertion et quelle qualité de l'emploi ?

Chaque dispositif a son intérêt propre. Dans le secteur marchand, les contrats s'adressent à des personnes qui peuvent accéder à court ou moyen terme à un emploi, mais que les entreprises n'auraient pas spontanément recrutées en raison de leurs profils. Lorsque la DARES interroge les employeurs ayant eu recours aux emplois aidés dans le secteur marchand, dans 16 % des cas, le contrat aidé est à l'origine de leur décision de recrutement.

J'assume de mettre l'accent sur les contrats aidés dans le secteur non marchand – j'avais porté lorsque j'étais secrétaire d'État à la politique de la ville les CIE « starter » pour les jeunes issus des quartiers de la politique de la ville (QPV). Ces contrats permettent d'éviter l'éloignement durable du marché du travail des demandeurs d'emploi les plus fragiles.

Les bénéficiaires des contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE) sont plus souvent allocataires des minima sociaux que les bénéficiaires des CIE, ils ont plus souvent vécu une alternance de courtes périodes d'emploi et de longues périodes de chômage et d'inactivité, ils ont plus souvent des problèmes de santé, ils sont plus souvent en situation de handicap – j'ai augmenté la proportion de 9 % à 15 % de personnes en situation de handicap bénéficiant de ces contrats –, ils sont moins mobiles, ils sont plus souvent sans diplôme et ils résident plus souvent outre-mer où les opportunités de recrutement dans le secteur privé sont parfois faibles.

Parmi les bénéficiaires des CAE, plus d'un quart sont sans diplôme ; plus de 70 % sont sans emploi depuis plus d'un an ; 40 % sont au chômage depuis plus de deux ans ; près d'un tiers sont issus de zones prioritaires – quartiers de la politique de la ville, zones de revitalisation rurale (ZRR), outre-mer.

Lorsqu'on parle du taux d'insertion, il faut tenir compte du public concerné. Je ne considère pas comme un échec le fait que 41 % des personnes sorties d'un contrat aidé du secteur non marchand soient toujours en emploi six mois après. Compte tenu des publics dont nous parlons, l'efficacité de ces dispositifs mérite d'être soulignée.

Durabilité de l'emploi, formations certifiantes : autant de recommandations formulées par la Cour des comptes, qui sont mises en oeuvre aujourd'hui. La durée moyenne des contrats a régulièrement augmenté ; elle est aujourd'hui supérieure à onze mois. L'exigence en matière de formation professionnelle des bénéficiaires n'a cessé de progresser.

La programmation pour 2017 de 45 000 CIE, soit 15 000 de moins, est triplement cohérente : cohérente avec les niveaux enregistrés ces dernières années – 50 000 prescriptions de CIE en 2014 et 2015 ; cohérente avec l'amélioration de la situation économique ; cohérente avec la création de nouveaux dispositifs en faveur de l'emploi marchand, comme l'aide « Embauche PME ».

S'agissant de l'insertion par l'activité économique (IAE) et de l'utilité de mettre en place un fonds de péréquation ou de réaffecter les crédits alloués à l'IAE non-consommés à un tel fonds, madame Khirouni et monsieur Castaner, je pense que nous sommes tous d'accord : l'utilité cruciale de l'IAE n'est pas discutable !

Dès les lois de finances pour 2013 et 2014, ce sont près de 25 millions d'euros supplémentaires qui ont été dégagés au bénéfice de l'IAE.

Depuis 2011, le nombre de personnes en insertion au sein des structures de l'IAE a progressé de près de 7 % – il était de 133 000 à la fin de 2015.

Pour 2016, même si ces données sont encore provisoires, le taux de consommation des crédits devrait s'établir à 98 %, soit un reliquat de l'ordre de 5 millions d'euros, qui n'est pas anormal sur une ligne budgétaire de cette importance.

Dès mon arrivée au ministère du travail, j'ai permis la fongibilité entre la programmation des contrats aidés du secteur non marchand et le financement de postes dans l'IAE. C'est une souplesse pour répondre aux besoins des structures d'insertion que nous avons expérimentée fin 2015, puis mise en oeuvre sur toute l'année 2016.

En quels termes se pose le débat actuel s'agissant de l'IAE ? Conserve-t-on le mécanisme de fongibilité ? Je veux rappeler que cette année, cette fongibilité a concerné 5 460 CAE, permettant ainsi de financer près de 3 000 aides au poste supplémentaires dans l'IAE.

Faut-il faire le choix d'acter dans le PLF de nouvelles aides aux postes en diminuant le nombre de CAE ? Je crois comprendre que vous le souhaitez. Je veux être très claire avec vous : si vous choisissiez d'inscrire dans le projet de loi de finances la hausse des aides au poste, cela impliquerait de facto la fin de la fongibilité.

Concernant le plan « 500 000 formations supplémentaires », d'abord, une satisfaction : les résultats sont là. Depuis le 1er janvier, 740 000 personnes en recherche d'emploi sont entrées en formation.

Le plan est mis en oeuvre avec les régions, les partenaires sociaux, les acteurs de terrains : Pôle Emploi, les missions locales, les opérateurs du conseil en évolution professionnelle, les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) et les organismes de formation. Nous sommes sur le point d'atteindre nos objectifs, tant quantitatifs que qualitatifs.

Quant au financement, l'État consacre un effort exceptionnel aux conventions régionales de formation, à hauteur de 990 millions d'euros ; les régions se sont engagées à reconduire leur effort de formation de 2015 ; Pôle Emploi finance 70 000 parcours d'accompagnement à la création d'entreprises ; je veux aussi saluer l'implication des partenaires sociaux : les OPCA financent 50 000 contrats de professionnalisation, et le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels accompagne le plan par une augmentation de 130 millions d'euros en 2016 de son effort en faveur de la formation des demandeurs d'emploi.

Le projet de loi de finances prévoit 196 millions d'euros de crédits de l'État pour le financement des versements aux régions au titre de 2017, ainsi que pour le financement de la commande nationale de formations.

Le débat sur les ressources des OPCA est récurrent. Nous avons souhaité examiner de quelle manière les fonds de la formation professionnelle pourraient être davantage orientés vers les demandeurs d'emploi. Afin d'objectiver la situation des OPCA, une mission a été confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l'Inspection des finances (IGF) ; ses conclusions seront rendues dans les prochaines semaines. Cette démarche a été présentée aux partenaires sociaux avant d'être engagée. Ils ont fait part de leur souhait, à l'instar de l'État, de voir tous les fonds disponibles utilisés pour la formation.

Le fonds de concours de 350 millions d'euros correspond à l'hypothèse de participation volontaire des OPCA retenue lors de la construction du PLF 2017. Le rapport définitif de la mission et les échanges avec les partenaires sociaux permettront d'actualiser cette hypothèse et de préciser la mobilisation de ces fonds. Le montant devra être réajusté au vu d'un chiffrage précisé et affiné du coût du plan « 500 000 formations supplémentaires » en 2017, tenant compte des entrées effectives en formation région par région et du calendrier de déploiement. Ce travail sera pleinement abouti d'ici quelques semaines, et nous ne manquerons pas de vous en rendre compte.

Madame la rapporteure, vous avez abordé la question de la lutte contre les discriminations. Le rapport que j'ai demandé à France Stratégie sur le coût des discriminations évalue ce dernier à 150 milliards d'euros sur les quinze prochaines années.

Notre action a ciblé les publics victimes de ces discriminations – c'est tout le sens des emplois d'avenir et des CIE « starter ».

Les discriminations à l'embauche ont un coût économique mais aussi moral. Lorsqu'on sait qu'avec deux CV identiques, une personne se prénommant Mohammed a quatre fois moins de chances d'être convoqué à un entretien d'embauche qu'une personne dont le nom n'a pas de consonance étrangère, on mesure parfaitement comment les discriminations nourrissent la défiance et le ressentiment.

Nous avons développé plusieurs outils : le parrainage, dont nous avons augmenté les financements – je citerai la convention entre Pôle Emploi et Mozaïk RH pour les jeunes diplômés issus des quartiers populaires ; l'amendement de Daniel Goldberg au projet de loi « Egalité et citoyenneté » ; mais aussi les associations Passeport d'avenir, Face, Nos quartiers ont des talents ; la campagne de communication « Les compétences d'abord » au printemps dernier ; la signature dans les prochains mois d'une convention avec le Défenseur des droits pour renforcer la collaboration de ses services avec ceux du ministère du travail.

Ensuite, mon ministère mène une campagne de « testing » auprès de quarante entreprises pour évaluer leurs pratiques d'embauche. Actuellement ont lieu des réunions bilatérales entre mon équipe et chacune de ces entreprises ; elles disposent d'un délai de quatre mois pour mettre en place de nouvelles procédures ; si les mesures pour corriger leurs pratiques ne sont pas prises ou sont purement cosmétiques, nous publierons les noms des entreprises qui n'ont pas joué le jeu – c'est l'engagement que nous avions pris.

Vous m'avez également interrogée, madame la rapporteure, sur le revenu minimum universel en faveur des jeunes.

Si, dans une vision libérale, le revenu universel est une alternative au salaire minimum, je n'y adhère pas ! Il s'agit pour moi, au contraire, de penser une nouvelle sécurité émancipatrice. Ce débat doit avoir lieu, notamment du fait de toutes les nouvelles formes d'emploi que nous voyons apparaître. Le rapport du Conseil national du numérique et celui de Christophe Sirugue abordent cette question du revenu universel.

La première étape que nous devons réussir, c'est la généralisation de la Garantie jeunes. Actuellement, 80 000 jeunes en bénéficient. L'objectif est de parvenir à 150 000 entrées supplémentaires dès le 1er janvier 2017 ; alors que 20 % des missions locales aujourd'hui ne mettent pas en oeuvre la Garantie jeunes, il reste deux mois pour assurer l'accès au service public sur tout le territoire.

Dès le 1er janvier 2017, tous les jeunes en situation de précarité, qui ne sont ni en formation, ni en emploi, ni en stage, auront accès à un accompagnement intensif. La Garantie jeunes est assortie d'une allocation, d'un montant de 461 euros par mois, qui permet de financer les dépenses nécessaires à la recherche d'un emploi – le transport, l'habillement, etc.

De la même manière, le compte personnel d'activité, qui garantit une formation qualifiante gratuite à tous ceux qui sont sortis du système éducatif sans diplôme, constitue une étape décisive vers la construction d'un nouveau modèle social.

S'agissant du revenu universel, le Premier ministre l'a dit il y a quelques jours en Gironde où cette mesure est expérimentée, c'est un projet à l'horizon d'un quinquennat. Je suis pour ma part favorable à ce que les expérimentations se développent – c'est ce que préconise la mission d'information du Sénat. En tout état de cause, je souhaite que la Garantie jeunes ne soit pas transformée en une simple allocation mais qu'elle conserve sa mission d'accompagnement « donnant-donnant ». Le revenu universel mérite d'être porté politiquement, mais il demande aussi un travail de préparation et d'évaluation exigeant.

Vous avez évoqué l'ACCRE et le compromis qui a été trouvé avec l'amendement de M. Bapt au PLFSS. Nous soutenons ce dispositif en faveur des créateurs d'entreprise, et ce avec d'autant plus de force que les demandeurs d'emploi représentent un tiers d'entre eux.

Nous travaillons au transfert du dispositif aux régions avec l'Association des régions de France, l'agence France Entrepreneur et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), afin que l'accompagnement des porteurs de projets qui ont été soutenus en 2016 puisse être prolongé.

L'ACCRE, qui est un outil important, n'est pas remise en cause. Les débats parlementaires ont permis de trouver une solution d'équilibre. Il est prévu d'élargir le bénéfice de l'ACCRE à de nouvelles catégories : les salariés d'entreprises en difficultés, les repreneurs d'entreprises dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les salariés en activité réduite. L'exonération de cotisations sociales deviendra dégressive à partir d'un revenu de 29 000 euros, contre 19 000 euros dans le PLFSS initial.

Monsieur Vercamer, l'augmentation de 4 millions d'euros de la masse salariale est un sujet sur lequel je me suis battue : il s'agit de l'intégration, dès le projet de loi de finances, des montants nécessaires au versement du complément indemnitaire annuel des agents. En 2015, ce n'est qu'en novembre que les agents ont pu avoir la certitude du versement d'un complément indemnitaire, qui fait pourtant partie intégrante du régime indemnitaire des agents de l'État.

La Commission de refondation du code du travail s'inscrit dans le prolongement de la loi « travail ». Je travaille actuellement à sa composition. Je tiens à ce qu'elle comprenne des praticiens du droit du travail, pas seulement des experts, ainsi que des chefs de petites entreprises. Elle sera paritaire, et composée de personnes qui s'étaient opposées à la loi « travail » comme de personnes qui l'ont soutenue. Je souhaite l'installer au début de l'année 2017.

Quant à l'association des partenaires sociaux, elle se fera à travers le Haut Conseil du dialogue social, présidé par Jean-Denis Combrexelle, qui devra aussi faire le lien avec la Commission de refondation.

Nous avons tenu à instaurer des règles supplétives pour deux raisons. L'absence de telles règles aurait été, d'une part, un désastre social pour les salariés qui auraient perdu leurs protections et, d'autre part, un désastre économique pour les entreprises qui jouent le jeu et auraient été confrontées à une concurrence déloyale. Cela aurait été la porte ouverte à la dérégulation. En outre, cela aurait été inconstitutionnel car la loi n'aurait pas épuisé sa compétence.

S'agissant de la notion d'ordre public conventionnel, nous avons inscrit clairement dans la loi que, dans six matières, les entreprises ne pourront pas faire du moins-disant par rapport aux branches. En plus des quatre qui existaient déjà – les salaires, les classifications, les fonds de la formation professionnelle, la protection complémentaire –, nous avons ajouté l'égalité entre les femmes et les hommes et la pénibilité. La notion d'ordre public conventionnel est une réalité économique et sociale.

Pour les autres matières qui ne relèvent pas du domaine de l'entreprise, nous avons laissé aux branches le soin de définir leur ordre public conventionnel, sur le temps partiel par exemple.

Je n'ai jamais opposé un niveau à un autre. L'enjeu est bien l'équilibre de chaque niveau et l'espace de respiration laissé à chacun.

La marge de manoeuvre pour les branches sera importante car les sujets sont nombreux : indemnités, primes, périodes d'essais, préavis, etc. Grâce à ces mesures, les salariés et les entreprises seront protégés contre la concurrence déloyale.

La Commission de refondation n'a absolument pas vocation à remettre en cause ces travaux. Au contraire, la loi prévoit que les négociations doivent éclairer la commission. D'ici le 30 juin 2018, chaque branche devra établir un rapport sur l'état de ses négociations et le transmettre à la Commission de refondation, ainsi qu'à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) et au Haut Conseil du dialogue social.

Sur la restructuration des branches, j'ai présidé, encore récemment, une réunion de la CNNC. D'ici la fin de l'année, les branches territoriales et celles qui n'ont pas négocié depuis plus de quinze ans auront fusionné. L'enjeu est de redonner une dynamique beaucoup plus forte. Alors que le monde du travail bouge énormément, l'enjeu est aussi de trouver les moyens d'établir des passerelles, en matière de formation par exemple, entre les branches. Je vous rappelle que l'Allemagne compte 150 branches quand nous en avons 700.

La main est aux partenaires sociaux, à qui il revient de définir les rapprochements pertinents. Plusieurs branches telles que la métallurgie, l'agriculture et l'enseignement privé sous contrat ont d'ailleurs engagé un travail remarquable à ce sujet. L'État interviendra si, d'ici trois ans, les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à des regroupements permettant d'en arriver à 200 branches en tout. Nous souhaitons des mariages, mais pas des mariages forcés. Les travaux menés au sein de la CNNC ont déjà permis la fusion de 100 branches qui, chacune, ne concernaient qu'un très faible nombre de salariés et qui, pour certaines, n'avaient pas négocié depuis plus de vingt ans. Au nombre des critères retenus figure l'état de la négociation ; nous souhaitons aussi, comme l'a préconisé M. Combrexelle dans son rapport, le rattachement de toutes les branches qui représentent moins de 5 000 salariés à une convention collective d'accueil.

L'application des accords collectifs aux sous-traitants est une question très importante. Nous y avons apporté une première réponse dans la loi Travail par la création des accords inter-entreprises, qui auront désormais un cadre clair. C'est essentiel pour les sous-traitants, et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ont parfois à connaître d'externalisations qui visent des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) déguisés. La restructuration des branches est une autre manière d'apporter une solution au problème de la sous-traitance. Il est aussi traité dans le PLFSS 2017 par le biais des seuils d'affiliation au régime social des indépendants (RSI) et d'assujettissement aux cotisations sociales.

Quelle réflexion menons-nous sur l'« ubérisation » de l'économie, m'avez-vous demandé ? L'article 60 de la loi « travail » dispose que les salariés des entreprises sous-traitantes et des plateformes collaboratives bénéficient de la couverture accidents du travail, du droit à formation, du droit de grève et des droits collectifs. Nous ne devons pas freiner le développement de l'économie des plateformes de mise en relation par voie électronique, car elles offrent une nouvelle forme d'emploi. Près d'un quart des créations d'activité dans le secteur des véhicules de transport avec chauffeur en France ont lieu en Seine-Saint-Denis. Voilà qui fait le lien avec ce que Mme Khirouni disait tout à l'heure des discriminations : ce secteur crée des emplois et des revenus, notamment pour des personnes qui ont du mal à accéder à des emplois « classiques ». Pour autant, les pouvoirs publics ne peuvent rester spectateurs quand la dépendance économique est manifeste : lorsqu'une plateforme décide de baisser ses tarifs du jour au lendemain ou que des coursiers à vélo ne sont pas couverts en cas d'accident du travail, de nouvelles formes de précarité se développent. Aussi l'article 60 de la loi « travail » vise-t-il à rappeler aux plateformes collaboratives leur responsabilité sociale.

Le dialogue avec les plateformes collaboratives se poursuit. En liaison avec les ministères de l'économie et des affaires sociales, nous avons lancé le 17 octobre une concertation avec leurs représentants, visant à décliner l'article 60 de la loi « travail » – un décret est en cours d'élaboration – et à affiner la distinction entre salariés et travailleurs indépendants dans le contexte de l'économie collaborative. Nous allons élaborer un guide qui, en s'appuyant sur la jurisprudence relative au lien de subordination, explicitera les critères pris en compte. Lorsqu'une plateforme abusera de la qualification de travailleur indépendant pour ceux qui travaillent pour elle alors qu'il y existe en réalité un lien de subordination, la requalification en contrat de travail s'imposera ; mais nous voulons aussi donner une sécurité juridique aux entreprises qui respectent le droit.

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