Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 2 novembre 2016 à 9h00
Commission élargie : finances - affaires étrangères - lois constitutionnelles

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je me réjouis de commencer avec vous l'examen du budget de mon ministère par l'aide publique au développement, car j'y vois un symbole. En écoutant les rapporteurs, je vois aussi une ambition partagée. Il s'agit, en effet, monsieur Guibal, d'un aspect extrêmement important de notre politique étrangère.

Je ne vous décrirai pas tous les désordres du monde, vous les connaissez fort bien. Il est vrai que le ralentissement de la croissance dans les pays émergents à des conséquences sur les États les plus pauvres, notamment en Afrique, où des centaines de millions de personnes n'ont pas accès aux services de base comme la santé et l'éducation.

À cela, il faut ajouter le dérèglement climatique, ainsi que, vous l'avez tous deux évoqué, messieurs les rapporteurs, les désordres sécuritaires, notamment la menace du terrorisme et de la radicalisation, situation qui conduit la France à intervenir soit directement, soit dans le cadre d'opérations de maintien de la paix, contre Daech, AQMI au Sahel, Boko Haram en Afrique subsaharienne. Les populations sur place n'ont d'autre choix que de subir la barbarie au quotidien ou de fuir, ce qui pose la question de l'immigration en provenance de ces pays. Aussi aider tous ces pays constitue-t-il l'une des priorités de notre politique.

Il est vrai que nous intervenons militairement, mais il faut aussi s'attaquer aux racines du mal ; nous le constatons au Mali et en Centrafrique. Des modèles politiques doivent prendre la suite des opérations militaires, ce qui est le cas au Mali avec les accords pour la paix et la réconciliation ; c'est aussi vrai pour la République centrafricaine où le gouvernement légitime doit faire face à une exigence de réconciliation, mais aussi de l'installation d'un État, de la construction d'une administration, d'une police et d'une armée. La mise en oeuvre de projets de développement est aussi nécessaire, ce qui rend indispensable une aide s'inscrivant dans la durée, mais ne se limitant pas à une action sécuritaire.

C'est la raison pour laquelle, en préparant ce budget pour 2017, j'ai souhaité que le budget de l'aide publique au développement connaisse une forte augmentation. Les moyens de l'APD augmenteront de très manière significative en 2017. C'est la traduction concrète des engagements du Président de la République : augmentation de plus 4 milliards d'euros de la capacité l'intervention de l'AFD et de près de 400 millions d'euros de dons à l'horizon 2020.

Les crédits budgétaires de la mission APD augmentent de 133 millions d'euros, dont 83 millions d'euros pour l'aide sous forme de dons sur le programme 209, ce qui constitue un changement significatif que Jean-François Mancel a souligné, 50 millions d'euros pour l'aide sous forme de prêt sur le programme 110, conjointement géré avec le ministère des finances.

L'aide publique au développement de la France doit être considérée de façon globale. Il convient donc aussi de prendre en compte les ressources extrabudgétaires affectées à partir d'une partie des recettes de la taxe sur les transactions financières et de la taxe sur les billets d'avion. Le niveau des recettes de la taxe sur les billets d'avion affecté à l'APD est reconduit en 2017 à son niveau de 2016, soit 210 millions d'euros. La taxe sur les transactions financières a fait l'objet de débats approfondis lors de l'examen de la première partie du PLF la semaine dernière.

Vous avez adopté trois amendements : deux amendements dits « fiscaux », à l'article 11 du PLF, l'un instituant le dispositif de TTF intra-journalière, l'autre augmentant le taux de la TTF de 0,2 % à 0,3 %. Cela veut dire qu'il y aura plus de recettes de TTF l'an prochain. Une partie de ces recettes additionnelles sera affectée à l'APD : c'est l'objet du troisième amendement, qui affecte plus de 270 millions d'euros à l'AFD. Avec ce dernier amendement, le niveau de TTF affecté à l'APD passera donc de 528 millions d'euros en 2016 à 798 millions d'euros en 2017.

Le total des taxes affectées à l'aide publique au développement, TTF plus taxe sur les billets d'avion, dépassera en 2017 le milliard d'euros, pour s'établir à 1,8 milliard d'euros. Au final, avec ces 270 millions d'euros de ressources extrabudgétaires additionnelles que vous avez votés, cumulées aux 133 millions d'euros supplémentaires prévus sur les crédits budgétaires de la mission, les crédits de notre APD augmenteront de 403 millions d'euros par rapport à 2016. Cela veut dire que le niveau d'APD en 2017 sera supérieur de 160 millions d'euros à son niveau de début de quinquennat.

Grâce à ces moyens additionnels, le pourcentage de notre revenu national brut consacré à l'APD augmentera très significativement puisque nous étions à 0,37 % du RNB en 2015, à 0,38 % en 2016 et que nous devrions, en 2017, dépasser très largement la barre des 0,40 %, et même approcher les 0,42 %. Nous ne sommes pas encore à 0,7 %, mais c'est ce vers quoi nous devons tendre. Parmi ceux de nos pays voisins qui sont très engagés en matière d'aide au développement, la Grande-Bretagne atteint presque ce taux et l'Allemagne se situe légèrement au-dessus de nous. J'admets que nous avions contracté un retard que nous devons rattraper, objectif qui s'inscrit dans la durée.

Nous nous rencontrons quotidiennement avec André Vallini, et considérons que, dans la répartition des moyens additionnels, la priorité doit être donnée à l'aide sous forme de dons. Les 270 millions d'euros de TTF que vous avez votés seront intégralement consacrés à l'aide sous forme de dons. Si l'on ajoute les 83 millions d'euros prévus pour le programme 209, les dons augmenteront de 353 millions d'euros. Cela veut dire que nous aurons réalisé en 2017 l'essentiel de la trajectoire fixée par le Président de la République dans ce domaine, soit une augmentation des dons de l'ordre de 400 millions d'euros à l'horizon 2020. Je ne peux donc que me féliciter du rôle que chacun a pu jouer, particulièrement du travail fourni par les parlementaires qui, depuis plusieurs années et singulièrement l'année dernière, ont pris des initiatives.

À côté des dons, les crédits du programme 110 pour l'aide sous forme de prêts augmenteront de 50 millions d'euros. Il y a donc bien un rééquilibrage de notre dispositif global en faveur des dons. Dans le même temps, l'augmentation de ce programme nous permet d'être en cohérence avec la trajectoire fixée par le Président de la République en matière de prêts avec l'augmentation de 4 milliards d'euros de la capacité d'intervention de l'AFD à l'horizon 2020.

Vous m'avez interrogé au sujet de la répartition des moyens additionnels pour les dons : elle devra se faire en fonction des grandes orientations qui seront décidées lors du prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui ne s'est pas réuni depuis plusieurs années, et se tiendra sous peu sous la présidence du Premier ministre.

Il faut faire preuve de pragmatisme au sujet des canaux qui devront être activés pour mettre en oeuvre ces ressources nouvelles. Il ne faut pas créer de rigidités supplémentaires par des considérations techniques, car, à chaque fois, il s'agit de revenir à nos choix politiques. Le pragmatisme impose d'être en mesure d'utiliser tous les canaux à notre disposition avec le maximum d'efficacité, qui dépend de la rapidité de la mise en oeuvre des actions conduites.

L'essentiel de la ressource additionnelle pour 2017 a vocation à être affectée à notre aide bilatérale, notamment au profit de l'aide à projet mise en oeuvre par notre opérateur pivot, l'Agence française de développement.

Je sais, par ailleurs, d'expérience que nous devons conserver une partie de la ressource pour nos outils de réponse aux crises, notamment en matière de stabilisation, d'aide humanitaire d'urgence, dont une partie très importante transite par les organisations non gouvernementales (ONG), et l'aide alimentaire. J'ai récemment lu un article de presse dont le ton était assez ironique et qui considérait, au sujet d'Haïti, que le plus clair de l'aide apportée à ce pays était le fait des ONG. C'est faux : il s'agit d'une aide que les ONG que nous considérons comme de bons opérateurs de terrain mettent en oeuvre, mais qui est financée par l'État.

À chaque fois qu'une crise survient, nous travaillons avec les ONG les plus performantes et les mieux implantées, et nous les aidons. C'est pourquoi il faut augmenter les moyens du Centre de crise et de soutien dont vous connaissez tous le rôle. Au cours des arbitrages budgétaires, j'ai insisté pour que les moyens en personnels de cette structure soient renforcés, fut-ce de façon modeste. Car ce centre de crise a fait preuve de sa compétence dans bien des situations, par exemple à Nice où dix-neuf nationalités étaient concernées par le terrible attentat. Et j'ai pu le constater lors de la cérémonie à la mémoire des victimes, les équipes du Centre étaient présentes depuis une semaine pour accompagner les familles des victimes. Un travail à la fois très professionnel et très humain a été accompli, et je profite de cette occasion pour le saluer.

Par ailleurs, dans l'aide publique au développement, le canal européen ne doit pas être oublié. Il constitue un vrai levier pour mobiliser les ressources conjointes de l'ensemble des États membres pour un certain nombre de projets. Pratiquement à chaque réunion du Conseil des affaires étrangères (CAE), la question de l'aide publique au développement, en particulier à l'Afrique est à l'ordre du jour. Et le fonds européen de développement (FED), auquel la France contribue au niveau de 17,6 %, ce qui en fait le deuxième financeur, constitue un facteur de démultiplication des actions engagées. Notre contribution, versée à partir du programme 209, augmentera de 41 millions d'euros. La France pèse donc particulièrement sur les orientations de ce fonds, et elle veille à ce que les décisions prises au Conseil européen des affaires étrangères concernent prioritairement les régions les plus fragiles comme le Burkina Faso, la République démocratique du Congo, le Mali, le Niger – pays qui fait preuve de beaucoup de courage – et Madagascar, pays qui connaît de graves difficultés et où se tiendra le prochain sommet de la francophonie.

S'agissant des priorités thématiques, je n'oublie pas notre contribution au Fonds fiduciaire d'urgence pour les migrations. Vous avez en mémoire les décisions prises au sommet de La Valette ; les aides sont très attendues par les pays partenaires, particulièrement en Afrique. Il faut encore mentionner la facilité pour l'investissement pour l'Afrique, la facilité africaine pour la paix, le travail en cours pour fixer un objectif de 20 % des ressources du FED consacrées au climat. On ne parle pas assez, à mon avis, du volet européen de la politique publique de développement dans le débat français. Je tenais donc à le rappeler, car il est essentiel.

Par ailleurs, les canaux multilatéraux inscrivent notre action dans de grandes priorités transversales. Je souhaite évoquer en particulier notre contribution aux fonds santé, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), ainsi qu'aux grandes pandémies. La France est très présente, et personne au sein de l'Organisation des nations unies ne néglige son rôle. Cela est aussi vrai pour le climat, avec par exemple le Fonds vert, dont les dotations augmenteront en 2017.

Il s'agit de mobiliser des ressources, via les canaux multilatéraux, là où la situation sécuritaire est très dégradée. En Syrie et en Irak, nous nous préparons à disposer, à l'issue de la bataille de Mossoul, de fonds d'urgence très importants que nous utiliserons dans un cadre soit bilatéral, soit multilatéral. La France devra être présente, car des crises humanitaires ne manqueront pas de survenir après cette bataille, auxquelles il faudra faire face, et l'on voit déjà le nombre de réfugiés augmenter. Là encore, nous devrons collaborer étroitement avec les agences onusiennes.

Afin de répondre de façon précise à vos questions, je vous indique que le Fonds de solidarité et de développement (FSD) constitue le réceptacle naturel des taxes affectées à l'APD. En complément des outils du programme 209, il présente, en matière de dons, la souplesse de gestion permettant aussi bien de mettre en oeuvre nos canaux bilatéraux que multilatéraux. Encore une fois, j'insiste sur la nécessité d'agir rapidement, surtout dans les situations de crise, et le FSD permet d'affecter les fonds de façon beaucoup plus dynamique.

Je rappelle quelles sont nos priorités thématiques. La première consiste à poursuivre notre effort visant à augmenter l'aide transitant par les ONG, ce qui est très attendu. La seconde réside dans la définition de nos priorités géographiques, en Afrique en particulier. La troisième est constituée par le renforcement de notre action en faveur des secteurs prioritaires que sont la santé, le climat et l'éducation. La quatrième est la réorganisation de l'AFD, qui travaille bien avec son nouveau directeur, Rémi Rioux, en tant qu'opérateur pivot de notre aide bilatérale.

Nous avons élargi les missions de l'AFD au secteur de la gouvernance, avec transfert des instruments financiers, mais également de l'ensemble de l'expertise technique dans ce domaine. Nous avons recommandé à Expertise-France de se rapprocher de l'AFD afin de se restructurer et être ainsi beaucoup plus efficace, ce que M. Mancel a préconisé avec raison.

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