Intervention de Claude Goasguen

Réunion du 7 novembre 2016 à 21h00
Commission élargie : finances - affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Goasguen, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

C'est sans doute le quatrième ou le cinquième rapport que je fais sur l'aide médicale de l'État (AME). Je serai donc plutôt rapide, d'autant que je connais l'utilité très relative de ce genre d'exercice. Cela étant, je relèverai quelques différences entre celui-ci et le précédent.

Cette ligne budgétaire comporte deux programmes, le programme 183 qui couvre essentiellement les dépenses de l'AME, et le programme 204 qui est consacré à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins.

Le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » se présente plutôt bien et me donne globalement satisfaction. Le PLF 2017 prévoit que lui soient alloués 431,8 millions d'euros en autorisation d'engagement, et 433,1 millions d'euros en crédits de paiement. Certes, cela représente une diminution de 13 % par rapport au PLF 2016. Mais celle-ci résulte, incontestablement, d'importants efforts de mutualisation et de transferts. Hors transferts, les subventions pour charges de service public des opérateurs diminueront de 1,9 % en 2017. Ils rendront, à périmètre constant, 21 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sous plafond.

Je me réjouis par ailleurs de la création de l'Agence nationale de santé publique (ANVS), par fusion de l'Institut national de veille sanitaire (InVS), de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et du groupement d'intérêt public « Addictions drogues alcool info service (GIP ADALIS). Elle participe à l'effort de rationalisation du paysage des agences, dont nous avions besoin.

J'en viens au programme 183 « Protection maladie », qui couvre à 99 % les dépenses de l'AME – éternel sujet ! Chaque année depuis sa création, les crédits qui lui sont alloués sont en progression constante. Mais, du fait de la conjugaison de deux phénomènes, la croissance de la dépense réelle et sa sous-évaluation systématique, chaque année nous devons ouvrir en loi de finances rectificative les crédits qui n'ont pas été initialement attribués –inconvénient majeur.

Pour ce qui est de l'action constatée, je veux rappeler que les crédits de l'action « Aide médicale de l'État » ont augmenté de 30 % en exécution entre 2012 et 2015. La cause principale de cette hausse est l'explosion du nombre des bénéficiaires de l'AME de droit – plus 51 % entre 2011 et 2015. En 2016, les dépenses d'AME continueront à augmenter.

Je voudrais signaler, à cet égard, que cette année, nous avons eu beaucoup plus de mal que précédemment à obtenir des renseignements. J'aurais d'ailleurs été fondé à engager la même procédure qu'il y a deux ans, imposant au ministère le carcan de la commission spéciale. Ainsi, pour l'AME, nous ne sommes pas en mesure, pour le moment, d'avoir des chiffres allant au-delà du 1er mars de cette année. Le ministère m'a indiqué que depuis cette date, on ne disposait que de chiffres approximatifs. Ne faudrait-il pas équiper le ministère de la santé publique en ordinateurs pour lui permettre de faire de la prospective ? Quoi qu'il en soit, il ne sait rien ou fait semblant de ne pas connaître les chiffres de l'AME depuis le 1er mars 2015.

J'en viens aux écarts entre prévision et exécution. En 2015, il y avait une différence de 13 % entre les crédits ouverts en loi de finances et les crédits consommés. En 2014, elle était de 26 %, et en 2013 de 27 %. À ce stade, ce n'est plus la qualité de la prévision qui est en cause, mais sa sincérité. D'ailleurs, la Cour des comptes n'a pas ménagé ses critiques : « la programmation de l'AME pour 2015 est marquée d'un défaut de qualité et de sincérité », les économies censées contenir l'augmentation tendancielle (en particulier la réforme du droit d'asile) apparaissant plus qu'incertaines dès la programmation ».

Il y a fort à parier que ce sera la même chose pour l'exercice 2016. Mais dans la mesure où l'on ne sait pas ce qui se passe depuis le 1er mars il est difficile de préjuger ce que prévoira la prochaine loi de finances rectificative.

Je voudrais néanmoins appeler l'attention sur trois nouveaux éléments, qui me semblent très inquiétants.

D'abord, comme dit Mme la ministre Marisol Touraine, le problème de l'immigration clandestine est fait d'une collecte de choux et de navets. L'AME ne représente pas, en effet, l'intégralité des dépenses entraînées par l'immigration clandestine, loin de là. Il faut ainsi compter – mais ces dépenses sont, là encore, très difficiles à calculer – avec les 260 millions d'euros par an pour Mayotte qui, tôt ou tard, entrera dans l'AME, et probablement 100 millions pour l'immigration clandestine. En toute hypothèse, si l'on additionne les choux et les navets qui correspondent à l'immigration clandestine, on dépasse très largement le milliard, rien que sur l'AME.

Ensuite, il faut prendre en compte cette fameuse mission d'intérêt général accordée aux hôpitaux, et qui est établie à hauteur de 150 millions par an. Il s'agit de répartir sur les hôpitaux les plus sollicités une aide spécifique qui tient à la qualité du service qu'ils sont obligés de rendre et que l'AME ne couvre pas. Ces 150 millions supplémentaires se retrouvent sur le budget de la sécurité sociale.

Enfin, il faut prendre en compte le coût de l'accès au soin des demandeurs d'asile qui seront déboutés. Nous sommes là devant un problème juridico-politique et économique tout à fait exceptionnel.

Il y a eu cette année 70 000 demandeurs d'asile. Environ 30 % d'entre eux ont été reconnus comme tels. On sait qu'un demandeur d'asile est affilié au régime de la CMU, c'est-à-dire à la sécurité sociale, mais que s'il est débouté de sa demande, il passe au régime de l'AME. J'ai essayé de savoir combien de demandeurs d'asile déboutés étaient passés à l'AME. Mais selon la sécurité sociale et le ministère, ces chiffres n'existent pas.

Mon sentiment est que, eu égard aux difficultés de perception et de négociation, ces personnes doivent être très peu nombreuses à signifier qu'elles sont déboutées. Et comme elles se trouvent en situation illégale, elles ne vont pas aller au siège de l'AME pour notifier leur changement de situation, au risque d'être déférées puis expulsées. Nous sommes donc dans le noir absolu. De ce fait, on ne sait pas combien d'immigrés clandestins bénéficient de la CMU.

J'observe enfin que les contrôles sont toujours aussi « efficaces ». Sur l'ensemble du budget, il y a eu 115 contrôles, alors qu'il y a prèsde 390 000 personnes à l'AME. L'ensemble des contrôles ont permis de détecter 1,4 million d'euros d'indus. Le directeur de la santé publique s'en félicitait. Je trouve que c'est pitoyable !

Par conséquent, je pense que l'AME est condamnée – et depuis très longtemps – et que c'est la dernière fois que nous en parlons. Elle n'est plus viable et sera réformée – même si je ne sais pas dans quel sens.

Dans ces conditions, bien entendu, je vous invite à voter contre le budget qui vous est proposé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion