Intervention de Ségolène Neuville

Réunion du 7 novembre 2016 à 21h00
Commission élargie : finances - affaires sociales

Ségolène Neuville, secrétaire d'état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion :

Je remercie l'ensemble des rapporteurs pour leurs interventions et vous prie d'excuser Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui ne peut être avec nous ce soir.

Je vais m'efforcer de répondre à vos premières questions, mais je souhaite d'abord rappeler les choix structurants en matière de santé que traduisent nos lois financières pour 2017, dont le projet de loi de finances. Ces lois financières montrent la priorité absolue que nous accordons à la prévention depuis 2012.

La politique de prévention fait l'objet d'un soutien sans précédent depuis cette date. Cela se traduit par un effort budgétaire conséquent en direction de la prévention. Ce soutien budgétaire passe notamment par le Fonds d'intervention régional (FIR), créé en 2012, qui a permis de rassembler des crédits autrefois dispersés, et d'identifier une enveloppe unique allouée à la prévention, répartie entre les agences régionales de santé (ARS). L'enveloppe déléguée par l'Etat et l'assurance maladie aux ARS pour la prévention dans le cadre du FIR a progressé, passant de 227 millions d'euros en 2012, à 274 millions d'euros en 2016.

Ces ressources sont renforcées par les crédits supplémentaires que les ARS peuvent mobiliser par le mécanisme dit de « fongibilité asymétrique », qui permet que des crédits du FIR finançant d'autres actions puissent être redéployés vers la prévention. En 2015, 38,9 millions d'euros de crédits supplémentaires ont ainsi été alloués à la prévention dans ce cadre, soit un apport de 13,6 % par rapport aux crédits délégués pour la prévention.

Afin de garantir la pérennité dans le temps de ce soutien à la prévention, le projet de loi de finances pour 2017 organise le transfert vers l'assurance maladie de l'intégralité de la dotation de l'Etat au FIR. Ce transfert, en assurant le financement intégral des crédits de prévention par l'assurance maladie, permettra de donner davantage de visibilité et de garantie aux ressources dédiées à la prévention : ces ressources, en relevant de l'assurance maladie, seront davantage préservées des régulations budgétaires et des ajustements intervenant en cours d'année du fait du cofinancement qui existait jusqu'à présent.

Ce transfert sera intégralement compensé par l'État à l'assurance maladie, à hauteur de 116 millions d'euros. Dans un contexte où d'importants efforts de réduction sont demandés sur plusieurs autres lignes de dépenses de l'État, y compris sur le programme 204, la préservation de ces crédits est un choix politique fort.

L'évolution des crédits du FIR prévue en 2017 permettra de financer des mesures nouvelles de renforcement de la prévention.

On peut citer la généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l'utérus, pour les femmes de vingt-cinq à soixante-cinq ans. C'est d'autant plus important que, dans ce type de cancer, le pronostic est totalement lié à la précocité du diagnostic. Par ailleurs, on sait que les femmes qui ne se font pas dépister – par une visite chez le gynécologue tous les trois ans – sont en situation précaire.

On peut citer aussi la diffusion, dans les centres d'information et de dépistage, des autotests, des traitements post-exposition du VIH et de l'hépatite B, ainsi que des traitements pré-exposition du VIH – que Mme Marisol Touraine a autorisés le 1er décembre dernier.

Au-delà du Fonds d'intervention régional, l'effort budgétaire en faveur de la prévention est soutenu par la mobilisation d'autres ressources. Ainsi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 inscrit dans la loi le Fonds de lutte contre le tabagisme, qui finance entre autres la prise en charge des dispositifs de sevrage tabagique. Ce fonds bénéficiera de la création d'une contribution sur le chiffre d'affaires des fournisseurs agréés de tabacs.

Avant d'en venir aux interventions de vos rapporteurs, je souhaiterais informer votre commission sur un sujet qui donnera lieu à un amendement du gouvernement au projet de loi de finances : il s'agit de la mise en place d'un dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine, à laquelle la ministre s'était engagée. Je vous rappelle que la Dépakine, médicament largement prescrit pour lutter contre l'épilepsie, a été identifié comme responsable de troubles envahissants du développement, ou de troubles du spectre de l'autisme chez l'enfant exposé avant la naissance.

Mme Marisol Touraine a annoncé la mise en place d'un dispositif d'indemnisation pour permettre aux familles de bénéficier d'une juste réparation des préjudices subis en raison du défaut d'information dont elles ont été victimes, tout en permettant d'agir contre les responsables qui seront identifiés. Le dispositif d'indemnisation fait encore l'objet d'échanges, notamment avec les associations de victimes, ce qui explique qu'il ne puisse pas être présenté pour le moment.

Ce dispositif, qui sera adossé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) nécessite de réformer l'Office pour renforcer son organisation et améliorer parallèlement les procédures d'indemnisation des accidents médicaux.

En décembre 2015, la ministre avait saisi l'IGAS sur le fonctionnement de l'ONIAM ; elle devrait rendre très prochainement ses premières recommandations. Dans la prolongation de ce travail, Mme Marisol Touraine a d'ores et déjà demandé à l'IGAS de piloter un comité, auquel seront associées les entités représentées au conseil d'administration de l'Office, afin d'élaborer pour le 1er mars un plan d'action, dès que les premières recommandations seront rendues publiques – c'est-à-dire très prochainement.

Madame la rapporteure Bernadette Laclais, vous m'avez interrogée sur la création de l'Agence nationale de santé publique, et sur les principaux « gisements » de mutualisation.

La création de cette agence n'est pas dictée par la recherche d'économies, mais par le souhait d'améliorer concrètement l'efficacité de la réponse aux risques sanitaires, et de disposer d'une approche intégrée de la santé publique. La fusion de l'InVS, de l'INPES et de l'EPRUS permettra d'être beaucoup plus efficace, et, comme toutes les opérations de fusion, de favoriser les mutualisations et les économies d'échelle.

Sur ce sujet, je peux vous indiquer que les travaux d'harmonisation sont déjà très largement engagés, notamment dans le domaine informatique, ce qui est une très bonne chose car il est difficile ensuite d'unifier les différents systèmes.

Ce mouvement est appelé à s'étendre. Dans le domaine immobilier, le regroupement à venir, à compter de février 2017, sur le site de l'InVS, permettra de dégager une économie de l'ordre de 2,1 millions d'euros par an. S'agissant des fonctions support, nous escomptons un gain de l'ordre de 10 % sur trois ans, d'ici à la fin de l'année 2019. Cette mutualisation est toutefois une opération délicate pour l'ensemble des agents qui travaillent dans ces trois agences. Elle sera donc menée progressivement, une fois passée la phase d'installation, c'est-à-dire à partir de la deuxième partie de l'année 2017, afin de ne pas porter atteinte aux capacités opérationnelles de l'agence.

Le financement de l'ANSP sera par ailleurs simplifié en 2017. En effet, comme pour la quasi-totalité des opérateurs de santé, nous mettons fin au cofinancement du fonctionnement de l'agence entre l'État et l'assurance maladie.

J'en viens à votre question concernant les missions et les moyens de l'Institut national du cancer.

Vous m'avez interrogée sur la mise en place du troisième plan cancer.

On dénombre chaque année, dans notre pays, 385 000 nouveaux cas de cancer et 149 500 décès. Le troisième plan cancer, lancé en février 2014, mobilise associations de patients, soignants, chercheurs, industriels, pour mieux prévenir, mieux guérir et mieux vivre après le cancer.

Pour réduire le nombre de nouveaux cas de cancer, nous avons fait de la prévention le socle de notre système de santé.Le tabac et l'alcool sont respectivement responsables de 30 % et 9,5 % des décès par cancer. S'attaquer aux déterminants comportementaux du cancer est donc notre priorité. Paquet neutre, augmentation de 15 % du prix du tabac à rouler, opération « Moi(s) sans tabac », triplement du forfait de prise en charge des substituts nicotiniques, sont autant de mesures efficaces contre le tabagisme. Nous commençons à obtenir des résultats chez les lycéens qui fument moins en 2015 qu'en 2011 ; ils boivent également moins d'alcool.

Les dépistages permettent d'augmenter les chances de guérison.

Le renforcement de la qualité de l'information, la personnalisation du parcours, l'implication plus grande du généraliste, l'amélioration des tests diagnostiques sont donc des leviers que le Gouvernement active pour améliorer quantitativement et qualitativement le dépistage des cancers du sein, du côlon et, dès 2017, du col de l'utérus.

Vous m'avez également interrogée sur le pilotage budgétaire de l'INCA et les moyens financiers et humains sur lesquels il pourra compter dans les années à venir pour assurer l'ensemble de ses missions.

Depuis 2012, la subvention allouée à l'INCA par le ministère de la santé a évolué, conformément à l'effort demandé à l'ensemble des opérateurs du programme 204. L'INCA, comme les autres agences, est soumis à la rationalisation de son budget. Si l'on tient compte de l'ensemble des subventions qui lui sont allouées, un effort relatif a toutefois été consenti au profit de l'INCA, par comparaison avec les autres agences sanitaires.

D'une manière générale, la stratégie de cette agence a consisté à rationaliser l'allocation de ses moyens et à recentrer ses équipes sur les tâches à plus haute valeur ajoutée et à fort niveau d'expertise. Un travail a été engagé pour réinterroger les principaux postes de dépenses de fonctionnement et d'intervention, et les mettre en cohérence avec la stratégie, les ambitions et les objectifs du troisième plan cancer. À titre d'exemple, les dépenses immobilières ont été réduites de plus de 2,8 millions d'euros sur la période 2011-2015, et les missions des cancéropôles recentrées sur un socle de sept missions. Des mutualisations ont d'ores et déjà été menées à bien, en lien avec l'ANSP et l'ANSM, et elles doivent se développer.

Contribuer aux efforts d'économies tout en finançant les priorités, c'est également le sens de notre action au sein du programme 183, qui assure la protection face à la maladie dans des situations relevant de la solidarité nationale.

Monsieur le rapporteur, votre ténacité sur le sujet appelle des réponses précises. Comme sur toutes les questions budgétaires, il convient de respecter deux règles : d'une part, ne pas additionner non pas les choux et les navets mais plutôt les choux et les carottes » ; d'autre part, ne pas se laisser tenter par la multiplication des petits pains !

Je rappelle que l'AME se subdivise en trois types de dépenses : l'AME de droit commun, les soins urgents, et les autres dispositifs – humanitaire, transferts de Mayotte et personnes gardées à vue.

Pour 2017, nous prévoyons 772,55 millions d'euros de crédits pour l'AME de droit commun. Pour les années précédentes, les dépenses constatées sont les suivantes : 715 millions d'euros en 2013, 723 millions d'euros pour 2014 – soit une hausse de 8 millions –, 734 millions d'euros en 2015 – soit une hausse de 11 millions d'euros. Pour 2016, le montant sera très inférieur à celui des crédits ouverts pour 2017. Ainsi, à la question de savoir si les dépenses s'envolent, la réponse est clairement non.

Les dépenses de l'assurance maladie pour l'AME soins urgents s'envolent-elles, sachant qu'une partie est financée par une dotation de l'État de 40 millions, et le reste par l'Assurance maladie ?

En 2015, le montant total de l'AME soins urgents s'est élevé à 89 millions d'euros, contre 105 millions en 2014. Pour cette année, je peux d'ores et déjà vous dire que le montant est inférieur de 10 millions d'euros au mois de septembre à celui de l'année dernière. En 2015, la part de l'assurance maladie a donc été de 49 millions d'euros et non de 65 millions d'euros, monsieur le rapporteur. Ainsi, les dépenses ne s'envolent pas non plus du côté de l'assurance maladie.

Autre question posée par les uns et les autres : existe-t-il une dette cachée de l'État à l'assurance maladie concernant l'AME ? Vous le savez : la totalité de la dette de l'État à l'assurance maladie a été remboursée fin 2014 – il ne s'agissait pas que de l'AME. Pour ce qui concerne la dette à venir, le montant sera légèrement supérieur à 10 millions d'euros, mais guère plus. Ces montants ne sont pas ceux que vous annoncez, monsieur le rapporteur !

À Mayotte, les habitants n'ont pas droit à l'AME. Des gens sont cependant susceptibles de se faire soigner à l'hôpital de Mayotte et, effectivement, lorsqu'il s'agit d'enfants ou femmes enceintes, le paiement du forfait dû par les étrangers en situation irrégulière n'est en général pas demandé. Néanmoins, le budget de l'hôpital de Mayotte s'élève à 164 millions d'euros, et il n'est pas consacré dans sa totalité aux étrangers en situation irrégulière ! Là encore, j'ai entendu des exagérations, monsieur le rapporteur !

Par ailleurs, et même si je ne peux pas encore vous donner le montant exact des crédits dépensés en 2016, je peux vous dire que le montant des ouvertures de crédits supplémentaires que nous demanderons en loi de finances rectificative pour 2016 sera en très nette décroissance par rapport aux années précédentes, ce qui montre que nous progressons dans la précision de la budgétisation.

En tout état de cause, cette dépense est nécessaire.Elle garantit en effet un accès aux soins à des personnes qui, sans cette aide, ne se feraient pas soigner. Cette démarche correspond à nos valeurs et permet dans le même temps de prévenir les surcoûts liés à des soins retardés et pratiqués dans l'urgence. Pour la tuberculose, par exemple, la durée d'hospitalisation pour une personne en AME de droit commun est de 20 jours, contre 52 jours pour une personne en AME soins urgents. Ainsi, soigner les gens avant qu'ils ne se retrouvent en situation d'extrême urgence permet, au-delà de l'aspect humain, de faire des économies ! Et cela vaut pour toutes les maladies infectieuses. Cela relève du b.a.-ba de la santé publique.

En outre, si l'AME était supprimée, ou si elle était réservée aux soins urgents, les soignants et les médecins, qui sont dans l'immense majorité des humanistes, continueraient à soigner les gens – étant moi-même soignante à l'hôpital, je peux témoigner que je n'en connais pas qui refusent de prendre en charge des malades. En tout état de cause, cela engendrerait un déficit pour l'hôpital, qui ne récupérerait pas l'argent de l'AME.

Pour autant, cela ne signifie pas que l'AME soit exemptée des efforts d'économies. Vous avez du reste souligné, madame la rapporteure, que la dépense par bénéficiaire a très nettement diminué depuis quelques années.

Sur ce sujet, je souhaite rappeler que des mesures à fort impact ont été prises depuis 2015. Je pense à la fin de la prise en charge des médicaments à 15 % – c'est-à-dire à service médical rendu faible – ou encore à la baisse du coefficient de majoration de certains tarifs hospitaliers qui, compte tenu des délais de facturation, continue à produire une économie de l'ordre de 50 millions d'euros en 2016.

Tous les moyens sont par ailleurs mis en oeuvre pour rendre plus fiable l'instruction des dossiers et améliorer les procédures de contrôle.Il a été demandé au directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie de rendre plus efficaces les procédures de contrôle d'ouverture des droits. Tous les dossiers de demande pour lesquels les demandeurs ont déclaré n'avoir aucune ressource font l'objet d'un contrôle approfondi des moyens d'existence, avec convocation du demandeur à la CPAM pour un entretien. Cela vaut pour l'AME comme pour d'autres prestations, et ces contrôles peuvent concerner à la fois les bénéficiaires et les professionnels de santé. En 2015, ces contrôles ont permis de détecter des indus de l'ordre de 1,5 million d'euros, pour un peu plus d'une centaine de personnes.

Vous le voyez, il n'y a pas lieu de polémiquer. Ceux qui voudraient attiser des rancoeurs entre assurés sociaux et bénéficiaires de l'AME, par exemple en comparant le taux de remboursement des assurés sociaux à celui des bénéficiaires de l'AME, oublient de préciser que la règle est la même pour tous ! La couverture à 100 % ne vaut que lorsque les revenus sont inférieurs à un peu plus de 700 euros par mois ; la même règle et le même plafond s'appliquent pour la CMU-complémentaire et l'AME. Être pris en charge à 100 % en France signifie soit qu'on est très malade, soit qu'on est très pauvre, soit les deux. Il faut donc arrêter de laisser croire à nos concitoyens que cette situation est enviable, a fortiori quand il s'agit de personnes qui cumulent, c'est-à-dire qui sont pauvres, malades et sans papier. Il faut également arrêter de laisser croire que les dépenses s'envolent, car cela est faux, comme je viens de le démontrer. La dépense en soins par bénéficiaire diminue. Ces quelque 800 millions permettent d'éviter des épidémies, notamment dans les centres d'hébergement, et des morts dans la rue, devant la porte des hôpitaux. Ainsi, c'est une dépense indispensable en termes de santé publique, mais aussi sur le plan éthique, et chacun ici devrait s'en féliciter.

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