Intervention de Pascale Boistard

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h00
Commission élargie : finances - affaires sociales

Pascale Boistard, secrétaire d'état chargée des personnes âgées et de l'autonomie :

Je vous remercie toutes et tous pour vos questions, car les réponses que je vais vous apporter vont me permettre de donner un sens à ce que nous faisons depuis 2012, en particulier concernant les personnes âgées, comme vient de le faire Pascal Terrasse il y a quelques instants. Il est également important de « recontextualiser » notre action en remontant à une époque un peu plus éloignée.

En 2001, Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'État en charge des personnes âgées, fait voter un texte de loi créant l'APA. Nous commençons ainsi à franchir une marche très importante quant à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et de leur accompagnement, les départements devenant les pilotes aux côtés de l'État de ces politiques publiques qui sont ainsi menées au plus près des territoires tout en prenant en compte des questions comme la ruralité, qui viennent compliquer la mise en oeuvre de la solidarité. Rappelons que Paulette Guinchard-Kunstler préside aujourd'hui la CNSA.

Survient le drame de la canicule du mois d'août 2003. La France découvre brutalement qu'elle avait abandonné ses anciens, qui furent nombreux à mourir seuls, à leur domicile, mais parfois aussi dans les établissements qui, depuis bien longtemps, n'avaient pas bénéficié de travaux de modernisation qui leur auraient permis de faire face à cet épisode de fortes chaleurs.

Après la canicule, on décide d'une journée de solidarité pour financer les politiques de solidarité. Puis, plus rien, à part de beaux discours. La loi ASV a été la première, depuis 2001, à prendre en compte les personnes âgées envisagées dans leur globalité. Cette loi, entièrement financée par l'État, est le fruit d'une coconstruction entre les différents acteurs : les collectivités territoriales, dont les départements qui sont chargés de piloter ces politiques publiques, mais aussi l'ensemble des fédérations d'aide à domicile et autres structures, qui les mettent en oeuvre pour prendre en charge le vieillissement de la population. À ce propos, les chiffres que j'ai cités en introduction sont extrêmement importants, puisqu'ils annoncent le défi démographique auquel sera confronté notre pays : plus de 30 % de notre population aura plus de soixante ans en 2060.

Nous avons voulu mettre au centre de la loi ASV – que vous avez d'ailleurs largement approuvée – la personne âgée, non pas pour qu'elle s'adapte à la société, mais pour que la société commence à s'adapter à elle.

Vous avez décidé qu'il était important de respecter les personnes âgées, c'est-à-dire de considérer qu'elles étaient toujours des citoyens et des citoyennes à part entière, et de respecter leur volonté. Comment ? En leur permettant, tant qu'elles le peuvent et qu'elles le souhaitent, de rester à leur domicile.

Pour cela, il fallait renforcer l'aide à domicile et améliorer les dispositifs d'adaptation des logements. Nous avons donc rajouté 20 millions d'euros pour que les personnes âgées – et les personnes en perte d'autonomie – puissent déjà techniquement continuer à vivre chez elles. Par ailleurs, la revalorisation de l'APA a permis de réduire le reste à charge sur l'aide à domicile, voire de prendre en charge à 100 % l'aide à domicile d'un nombre plus important de ses bénéficiaires.

Mais il fallait aussi organiser les territoires. Les départements devenant les pilotes de ces politiques publiques, il fallait les aider à affronter ce bouleversement, même si certains, pour des raisons historiques, étaient plus en avance que d'autres. Voilà pourquoi nous avons décidé de débloquer plus de 6 millions d'euros pour contribuer à financer l'ingénierie qu'ils doivent mettre en place, ne serait-ce que pour valoriser la situation des personnes âgées bénéficiaires de l'APA et de celles qui allaient rentrer dans le dispositif.

Ce processus est complexe à mettre en oeuvre. Parallèlement à la revalorisation de l'APA, il faut aussi, et c'est inédit, pouvoir repérer les aidants, celles et ceux qui sont au quotidien auprès de la personne âgée ou de la personne en situation de handicap et qu'ils n'ont pas de droit au répit. Je rappelle que 30 % de ceux qui s'occupent d'une personne âgée décèdent avant la personne âgée elle-même, par épuisement.

Tous les parlementaires qui ont voté cette loi peuvent être fiers du nouveau dispositif qui a été mis en place et qui prend en compte ces réalités. Là encore, l'État apporte 100 % des financements – ce dont je me félicite. De ce fait, la participation de l'État dans les politiques de solidarité des départements augmente – 3,7 % sur ce point précis ; plus de 10 % dans leur globalité ; voire 46 % si l'on prend en compte les droits de mutation à titre onéreux(DTMO) qui participent évidemment au financement de cette solidarité. Il convenait d'évacuer certains préjugés, souvent véhiculés de façon récurrente.

J'en viens aux établissements hospitaliers pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui auront bénéficié, au cours de cette mandature, de la création de 25 000 places supplémentaires.

À l'occasion de ce texte de loi, nous avons décidé ensemble qu'il était important de changer la relation entre le département et l'établissement.

Quand le département avait plusieurs établissements, chaque structure devait contracter individuellement avec chaque structure ; aucun regroupement n'était possible. Cela l'est désormais, et cela facilitera les relations.

Mais il fallait aussi donner un peu plus d'autonomie aux directeurs et directrices des établissements. En effet, les situations diffèrent selon les besoins des publics accueillis. Désormais, les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) vont permettre aux directeurs d'ajuster les lignes budgétaires et de les rendre plus fongibles, par exemple pour adapter les effectifs aux besoins des personnes âgées. Ils vont permettre aussi et surtout de rendre transparente la tarification en EHPAD. Nos concitoyens en ont assez de découvrir, au fur et à mesure du séjour de leur parent âgé, que certains services qu'ils sont obligés de prendre ne sont pas compris dans le prix. Leur reste à charge s'en voit alors augmenté alors qu'ils sont tenus de contribuer, il est vrai, au titre de la solidarité familiale.

Le décret est depuis le 8 août au Conseil d'État, qui a fort à faire. Comme il sera applicable au 1er janvier 2017, il ne devrait pas tarder à paraître. Je précise que ce texte a été coconstruit avec l'ADF et les professionnels concernés.

Vous avez également parlé des personnes handicapées vieillissantes. Avec Ségolène Neuville, nous travaillons à l'évolution des structures et des places qui leur sont destinées.

Plusieurs expériences intéressantes sont en cours dans les territoires. Il est possible de s'orienter vers une mixité des publics. De nombreux établissements sont prêts à accueillir des personnes en situation de handicap vieillissantes. Vous avez raison, c'est un nouveau défi à relever. Dans le même esprit, on crée de plus en plus de places d'accueil de jour pour des personnes âgées vivant à domicile, dont beaucoup sont atteintes de maladies neurodégénératives. C'est le moyen d'assurer aux aidants, pendant quelques heures par semaine, ce droit au répit qui est essentiel.

Il faut également doter les établissements d'outils adaptés à ces maladies neurodégénératives, pour accompagner les personnels qui assurent un travail pénible, que ce soit dans les établissements ou à domicile. Rappelons que ces métiers sont exercés à 98 % par des femmes ; peut-être est-ce pour cette raison qu'ils sont si mal connus.

Nous avons demandé, au travers d'une concertation, à la CNSA de lancer une grande campagne de valorisation de ces métiers à partir de l'année prochaine. Nous souhaitons également mener une réflexion sur l'évolution de carrière dans ces métiers qui consistent à s'occuper de ceux qui sont les plus fragiles et de gens qui parfois, cumulent des situations de précarité.

J'espère avoir répondu à l'ensemble des questions. Notre nation est confrontée à un enjeu démographique très fort ; pour le relever, nous devons être au rendez-vous.

Le conflit potentiel entre générations que peut susciter le reste à charge pose un problème de fond. Il a été partiellement réglé par les mesures que nous avons prises dans la loi ASV pour assurer la transparence de la tarification des EHPAD, et par l'accroissement des crédits destinés à l'investissement dans ces établissements. Lorsque vous restructurez un établissement, ou lorsque vous en construisez un nouveau, plus vous diminuez la part d'emprunt de l'établissement grâce à l'apport de l'État – que ce soit via l'ARS ou via la CNSA –, plus vous baissez le tarif à la journée. C'est la raison pour laquelle, David Habib l'a évoqué, mais bien d'autres ici le savent, que j'ai rencontrés, le Gouvernement a décidé, cette année encore, de débloquer 115 millions d'euros pour les investissements dans ces établissements, ce qui, par effet mécanique, permettra de faire baisser le « reste à charge » pour les intéressés et leurs familles. Mais la question du reste à charge est encore sur la table.

J'espère que nous saurons faire face au défi démographique à venir. L'allongement de la durée de la vie est un signe de la bonne santé de notre pays ; car c'est bien parce que nous avons su mettre en place des dispositifs de solidarité aptes à accompagner toutes les catégories sociales de la population que nous vieillissons dans de meilleures conditions en France. Je souhaite que notre pays continue d'agir en ce sens comme elle a su le faire depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. C'est un enjeu pour nous tous, et non un poids, comme je l'entends trop souvent dire.

C'est également une formidable opportunité économique. Comme l'a relevé M. Pascal Terrasse, la silver economy est une économie de recherche, une économie de l'avenir, qui fait appel à la domotique, au numérique, à l'informatique, mais pas seulement : c'est aussi la possibilité de développer l'économie sociale et solidaire et l'insertion au service des autres. C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup oeuvré, parlementaires et Gouvernement, à débloquer le « nouveau CICE », le crédit d'impôt de taxe sur les salaires pour accompagner ces structures et les développer. Enfin, la France se doit d'être un fleuron de la recherche en ce domaine car les retombées industrielles possibles à l'international sont multiples – la Chine, pour ne citer que ce pays, est très intéressée par l'expérience française dans ces domaines. L'enjeu pour notre pays est donc, aussi, économique. J'irai dans quelques semaines en Nouvelle Aquitaine engager la restructuration de la filière ; je souhaite le faire avec d'autres régions. Pour la même raison, je me suis rendue en Corse, où j'ai réuni universités, collectivités et tous les services et institutions concernés ; le processus a bien démarré, ce qui est de bon augure pour l'avenir de ce territoire insulaire. Nous devons être exigeants, mais nous pouvons aussi être optimistes et fiers de cette loi et de sa mise en oeuvre. Et si quelques difficultés d'application persistent, sachez que je suis toujours sur le terrain pour améliorer ce qui peut l'être.

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