Intervention de Ségolène Neuville

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h00
Commission élargie : finances - affaires sociales

Ségolène Neuville, secrétaire d'état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion :

Il me semble également important, en répondant à vos questions, de remettre en perspective la politique du handicap du Gouvernement depuis 2012, menée dans le même esprit, aux côtés de Mme Marisol Touraine, par Mme Marie-Arlette Carlotti d'abord, par moi-même ensuite. Oui, nous nous sommes appuyées sur la loi de 2005 qui, en définissant le handicap comme « toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant », mettait en avant les notions d'accessibilité universelle et de compensation. Ce sont les principes qui ont guidé notre action.

La participation des personnes handicapées à la vie en société suppose un accompagnement adapté, et ce dès la scolarisation. De nombreux parents d'enfants handicapés, en particulier d'enfants autistes, souhaitent en effet qu'ils soient scolarisés. Notre objectif a été de permettre la liberté de choix des parents en fonction de la situation de leur enfant. Le spectre est large : il va de l'inclusion des enfants en milieu scolaire ordinaire avec l'aide d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) à l'accueil dans des instituts médico-éducatifs, sans oublier les classes spécialisées ni les services spécialisés pour une vie autonome à domicile. Nous avons voulu maintenir et amplifier ces dispositifs, en les diversifiant.

C'est nous a conduits à faire du métier d'AVS un vrai métier d'accompagnement d'élève en situation de handicap en créant le nouveau diplôme d'État d'accompagnant éducatif et social – qui peut être obtenu au terme d'une formation de deux ans – et à pérenniser l'emploi de tous les accompagnants qui, jusqu'à présent, étaient recrutés avec des contrats précaires. À ce jour, l'accompagnement des élèves handicapés est confié à des personnels qui relèvent de statuts différents. Sur les 80 000 personnes concernées, 50 000 ont des contrats aidés qui viennent à échéance au terme de deux ou trois ans et d'autres ont des contrats à durée déterminée (CDD). Désormais, les CDD peuvent être pérennisés et transformés en contrat à durée indéterminée (CDI) au bout de six ans, et toutes les personnes en contrat aidé passeront par vagues successives, à chaque rentrée scolaire, en CDD puis, après six ans, en CDI. Les compétences des accompagnants de vie scolaire sont ainsi reconnues, et leurs contrats sont pérennisés : ces mesures sont un bien aussi bien pour les élèves accompagnés que pour ceux qui les accompagnent.

Ce mouvement a permis de faire progresser le nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire dans une proportion considérable : plus 30 % depuis 2011 ; ils sont désormais 300 000 environ. Se posent ensuite la question de leur accompagnement au collège, au lycée, lors de la formation professionnelle et de l'apprentissage et à l'Université puis, avec une grande acuité, celle de leur insertion professionnelle. Le taux de chômage des personnes handicapées est effectivement très élevé : on estime que 480 000 travailleurs handicapés sont chômeurs, et leur nombre augmente continûment.

Contrairement à ce qui a été avancé, on ne résoudra pas cette épineuse question en augmentant les places en ESAT. Il y a actuellement 120 000 places dans ces établissements ; prétend-on rationnellement qu'il faudrait ouvrir 480 000 places supplémentaires pour accueillir tous les travailleurs handicapés chômeurs ? Dans leur immense majorité, ces chômeurs travaillaient en milieu ordinaire jusqu'à ce qu'un handicap se déclare au cours de leur vie professionnelle, qui les empêche de reprendre leur poste. Ces gens-là, tout le monde en conviendra, n'iront pas en ESAT.

En revanche, nous avons finalement le même raisonnement sur le travail que sur la scolarisation, et ce raisonnement est dans le droit fil de la loi de 2005, mais aussi de nos engagements internationaux vis-à-vis des Nations unies. Nous pensons en effet qu'il faut ouvrir davantage le milieu ordinaire aux personnes en situation de handicap. Jusqu'à présent nous avons finalement réservé un milieu spécialisé aux personnes en situation de handicap, ce qui est bien, mais nous avons oublié de leur ouvrir beaucoup plus le milieu ordinaire. C'est ce qu'elles nous demandent aujourd'hui.

Mais comment faire, car ce n'est pas très simple ? Il faut déjà comprendre pourquoi le chômage et plus élevé chez les personnes handicapées. En fait, les personnes handicapées sont moins formées, moins diplômées que les personnes valides qui sont au chômage, ce qui rejoint la question de la scolarisation et de la formation professionnelle. C'est pourquoi le compte personnel de formation est largement ciblé sur les personnes en situation de handicap et qu'un nombre important de personnes en situation de handicap ont accédé à des formations dans le cadre du plan « 500 000 formations supplémentaires » mis en oeuvre par Myriam El Khomri. De plus, le taux de personnes en situation de handicap bénéficiant d'un contrat aidé a considérablement augmenté : il est passé de 9 à 15 % au cours du quinquennat. Toutes les personnes en situation de handicap exclues du marché du travail peuvent reprendre une activité, quand c'est possible, via les contrats aidés, une formation professionnelle, bref via tous les outils de droit commun qui sont à notre disposition.

Avec la ministre du travail, nous avons souhaité organiser, au début de l'année 2016, une concertation avec l'ensemble des syndicats et des associations représentatives des personnes handicapées pour discuter justement des freins qui existent et qui peuvent expliquer que l'on n'ait pas réussi à atteindre, voire dépasser, les 6 % de travailleurs handicapés en entreprise. Car les freins ne manquent pas. Et qui mieux que les partenaires sociaux peuvent effectivement effectuer un diagnostic et trouver des solutions ? Une feuille de route issue de cette concertation sera mise en place à la fois par le ministère du travail et, bien sûr, par les partenaires sociaux.

Vous avez parlé des entreprises adaptées qui sont en quelque sorte un modèle intermédiaire entre les entreprises ordinaires et les ESAT. Nous avons souhaité augmenter le nombre de places dans les entreprises adaptées, car c'est un modèle intéressant. Jusqu'à présent, une personne en situation de handicap travaillant en milieu ordinaire pouvait bénéficier des moyens du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) ou de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) pour adapter son poste. Par exemple, l'AGEFIPH peut allouer des moyens à une entreprise privée qui emploie un salarié en fauteuil afin d'adapter son poste de travail. Toutefois, certains travailleurs en situation de handicap ont moins besoin d'un investissement de départ, que d'un accompagnement dans la durée. C'est vrai notamment pour le handicap psychique et pour l'autisme. Beaucoup de gens qui vivent avec ce type de handicap aimeraient pouvoir être accompagnés dans la durée. Cet accompagnement est nécessaire également pour l'employeur et les collègues de travail. Ce type d'aide existe, mais de façon extrêmement parcellaire : il est organisé par des associations grâce à des financements qui sont souvent mêlés entre collectivités territoriales et agences régionales de santé, mais ce dispositif n'est pas reconnu. C'est pourquoi nous avons voulu créer, dans le cadre de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue sociale et à la sécurisation des parcours professionnels, le dispositif de l'emploi accompagné, et c'est la raison pour laquelle le projet de loi de finances pour 2017 a inscrit 5 millions d'euros fléchés sur ce tout nouveau dispositif. Cette décision fait suite effectivement au rapport de la députée Annie Le Houerou sur l'emploi accompagné. Ce dispositif permet de multiplier les possibilités de choix pour les personnes.

Je précise que bien souvent les personnes en situation de handicap sont orientées vers les mêmes métiers. C'est ce qui se passe dans les ESAT. C'est pourquoi la ministre du travail s'est penchée sur la diversification des métiers qui pourraient être proposés en fonction des types de handicap, afin que ces personnes ne soient pas limitées à un seul horizon professionnel possible mais bien toujours une liberté de choix.

Évidemment, la question du travail est étroitement liée à celle de l'accessibilité de la société en général, ce qui me permet de faire le point sur l'accessibilité des établissements recevant du public (ERP). L'un d'entre vous a parlé de l'ordonnance que vous avez discutée au Parlement pour mettre en place les agendas d'accessibilité programmée (ADAP). Je vous rappelle l'état des lieux au 1er janvier 2015. En France, sur environ 1 million d'établissements recevant du public, un peu moins d'un tiers d'entre eux, soit 300 000, étaient déjà accessibles au 1er janvier 2015 et avaient donc respecté la loi de 2005. Précisons toutefois que sur ces 300 000 établissements accessibles, 250 000 avaient été construits entre 2005 et 2015 ; autrement dit 50 000 seulement se sont réellement mis en accessibilité.

À ce jour, 350 000 établissements sont accessibles et 560 établissements sont entrés dans le dispositif des ADAP dans leur grande majorité sur trois ans. Certains sont encore sous prorogation – et non dérogation –, c'est-à-dire qu'ils ont demandé un allongement de la durée pour pouvoir déposer leur ADAP en raison des diagnostics qui sont demandés à des entreprises extérieures et qui prennent du temps. 89 000 établissements sont sous prorogation et 470 000 sont réellement entrés dans la procédure ADAP. Les ERP qui ne sont pas encore entrés dans le dispositif sont actuellement moins de 100 000. Évidemment, il reste maintenant à s'assurer que tous ceux qui se sont engagés dans leur ADAP mettront bien en oeuvre les mesures qu'ils ont annoncées. Il n'empêche : qui aurait parié, au moment de la discussion de l'ordonnance au Parlement, que sur le million d'ERP qui existe en France, seulement 90 000 ne seraient pas entrés dans le dispositif en 2016 ? Je peux vous dire qu'il n'y en a pas beaucoup. J'ai surtout entendu dire que personne ne déposerait de dossier, que c'était trop compliqué, etc.

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