Merci d'avoir pris l'initiative de cette mission d'information sur un sujet à la fois essentiel, complexe et qui suscite de grandes incertitudes.
Le Brexit reste évidemment une mauvaise nouvelle, et d'abord pour l'économie britannique.
Les conséquences du référendum britannique sont toutefois jusqu'à présent moins sensibles que nous ne l'avions redouté. Pour la zone euro, les prévisions de l'Eurosystème, actualisées au mois de septembre, sont à peine modifiées par rapport à celles du mois de juin : 1,7 % de croissance pour la zone euro en 2016, 1,6 % en 2017 et 2018. Au Royaume-Uni, il y a eu un freinage au troisième trimestre, où la croissance est passée à 0,5 % contre 0,7 % au deuxième trimestre, mais ce freinage a été moindre qu'attendu. Nous ne disposons pas encore des prévisions actualisées pour 2017, qui pourraient marquer une division par deux de la croissance telle qu'elle était prévue avant le Brexit.
Déduire de l'absence de choc dur initial – due en partie à l'action coordonnée des banques centrales – l'absence de tout choc futur lié aux incertitudes économiques pesant notamment sur les investissements serait néanmoins une erreur.
Les négociations – tant leur calendrier que leur contenu – seront donc essentielles. La seule quasi-certitude dont nous disposons, c'est qu'il existe un rapport de un à quatre ou cinq entre l'effet économique du Brexit en zone euro et son effet sur l'économie britannique – ne serait-ce que parce que le Royaume-Uni est menacé de perdre 450 millions de clients, alors que les Vingt-sept en perdent une soixantaine.
Si le hard Brexit devait l'emporter, trois points appelleraient particulièrement notre attention.
Le premier impératif des Vingt-sept devra, à mon sens, être l'unité pour l'intégrité : l'unité des Vingt-sept, en particulier l'unité franco-allemande, pour l'intégrité du marché unique. En matière financière, cela implique de ne pas reculer par rapport à tous les progrès accomplis depuis 2008 en matière de régulation et de supervision financières, ni par rapport aux avancées prévues. Si le Royaume-Uni choisissait de ne plus appliquer celles-ci, la City n'aurait plus de passeport européen et ne pourrait prétendre à un régime d'équivalence.
Ensuite, dans un tel scénario, les accords dits « pays tiers », c'est-à-dire conclus avec des pays extérieurs à l'espace économique européen, deviendraient une référence intéressante, en particulier parce qu'ils comprennent certaines reconnaissances d'équivalences. Toutefois, ces accords constituent aujourd'hui un ensemble très hétérogène, lacunaire, et trop peu piloté par la Commission européenne : suivre ces accords de plus près doit être l'une de nos priorités. Il faut aussi noter qu'aucun de ces accords ne concerne aujourd'hui un partenaire essentiel et proche de l'Union européenne, à l'exception de la Suisse – pour laquelle ces accords sont intégrés à un ensemble beaucoup plus large, qui inclut notamment la libre circulation des travailleurs. Aucun de ces accords « pays tiers » n'a par ailleurs vocation à favoriser des délocalisations hors de l'Union. Enfin, si ces accords sont importants pour l'activité de marché, ils le sont beaucoup moins pour les activités de banque et d'assurance : dans le cas des banques, par exemple, un agrément national demeure nécessaire pour les succursales venant de pays tiers ; celles-ci n'ont pas de passeport européen.
Je voudrais enfin souligner que, si la voie du hard Brexit se confirmait, il serait très complexe de négocier parallèlement la sortie du Royaume-Uni de l'Union, dans le cadre de l'article 50 du traité de l'Union européenne, et les accords commerciaux qui prendront la suite : ce sont deux discussions bien différentes. La tentation de recourir à des mesures transitoires va grandir ; mais celles-ci ne peuvent que très difficilement se concevoir et s'écrire sans connaître la cible finale.
Notre intérêt commun est que tout se déroule bien, et cela peut aider la négociation. Nous devrons veiller à ce que le secteur financier, secteur-clé pour la zone euro, ne subisse pas les répercussions néfastes de négociations dans d'autres secteurs importants et sensibles : l'unité de la négociation est essentielle ; un tronçonnage secteur par secteur serait contraire aux intérêts de l'Union.
J'achève mon propos en insistant sur deux responsabilités cruciales de la Banque de France et de l'Eurosystème.
Il y a tout d'abord la stabilité financière, avec notamment les chambres de compensation et de paiement (CCP) en euros. Le principe est clair : il est difficile d'imaginer que le clearing se fasse hors de la supervision de la zone euro ou du marché unique. Une adaptation juridique, mais aussi pratique, sera donc nécessaire. Il est trop tôt pour en préciser les contours. Quoi qu'il en soit, l'argument parfois entendu selon lequel New York serait la seule alternative à Londres si la compensation devait devenir plus difficile au Royaume-Uni n'est guère robuste.
Il y a ensuite la solidité des institutions financières françaises et des infrastructures de la place de Paris. La concurrence entre places européennes s'effectuera sans doute par segments d'activité. Si l'on brosse à très gros traits le paysage actuel, on peut estimer que Londres est environ dix fois plus gros que Paris en dérivés de taux ou en instruments de change ; si l'on regarde les fonds – monétaires ou non monétaires –, Luxembourg et Dublin se sont beaucoup développés ; quant à Paris et Francfort, leurs positions sont comparables.
L'équipe de France – pouvoirs publics, Paris Europlace… – a jusqu'à présent su jouer collectif. Il importe que nous restions cohérents dans les mois qui viennent ; la taxe sur les transactions financières (TTF) est un sujet particulièrement sensible, sur lequel il serait difficile d'imaginer un comportement isolé de Paris.
Il importe surtout que chacun se prépare à un futur incertain, mais ouvert.
L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), autorité de supervision et d'agrément que je préside, a mis en place une procédure rapide pour les établissements qui souhaiteraient se réinstaller à Paris, depuis Londres ou depuis une autre place européenne. Le Premier ministre a confié à mon prédécesseur Christian Noyer une mission de contacts individuels avec les principaux établissements internationaux concernés.
Il me paraît également important que les banques et les assureurs de la zone euro commencent à dessiner une stratégie qui s'appliquerait à un hard Brexit.
Dans ce schéma, la zone euro a un atout formidable : sa capacité d'épargne ; l'épargne excédentaire y représente en effet en rythme annuel plus de 350 milliards d'euros. La matière première du secteur financier est donc très largement produite en zone euro. Nous devons donc bien jouer l'échelon régional ; nous devrons ensuite bien jouer l'avantage français au sein de la zone euro, c'est-à-dire la présence d'acteurs importants – banques, compagnies d'assurances, industrie des fonds. C'est ainsi que nous pourrons transformer ce qui demeure une mauvaise nouvelle en opportunité.