Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Réunion du 3 novembre 2016 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La table ronde commence à dix heures dix.

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Madame, messieurs, bienvenue devant la mission d'information, qui s'intéresse ce matin aux effets du Brexit sur les activités bancaires et financières, les monnaies et les investissements. Nous rencontrerons aussi bientôt Mario Draghi.

Les milieux d'affaires londoniens ont clairement pris position, lors de la campagne référendaire, en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, et pour cause : Londres est la première place financière au monde et les services financiers représentent aujourd'hui 7,4 % du PIB et 4 % de l'emploi britanniques.

C'est le Royaume-Uni qui subira les conséquences les plus lourdes du choix fait par les électeurs, la chute de la livre n'en étant sans doute qu'un premier effet. Néanmoins, l'Union européenne, en particulier la zone euro, seront affectées également par l'incertitude engendrée par le retrait britannique, puis par le retrait lui-même. A contrario, la reconfiguration des marchés financiers européens créera des opportunités.

Quelles seront les conséquences du Brexit sur le secteur financier et les investissements, particulièrement s'il devait s'agir d'un hard Brexit ?

Alors que certaines banques européennes – je pense à la Deutsche Bank et à plusieurs banques italiennes – suscitent déjà des inquiétudes, que la croissance demeure trop faible et que la Banque centrale européenne a déjà utilisé des outils non conventionnels pour soutenir l'activité, comment la zone euro résistera-t-elle à ce choc ?

S'agissant des taux d'intérêt et du financement de l'économie de notre pays, quelles sont les perspectives qui se dessinent ?

Les institutions financières de la City vont-elles automatiquement perdre leur passeport européen ? La place de Londres pourra-t-elle continuer d'effectuer une grande partie des opérations financières, et notamment des opérations de compensation en euros ? Comment les services financiers auront-ils accès au marché unique ?

Quelle pourrait être l'ampleur des transferts d'activités financières et d'investissements vers le continent européen ? Certaines entreprises pourraient-elles décider de relocaliser leurs activités et leurs investissements aux États-Unis ou en Asie ?

Certaines mesures ont déjà été annoncées, mais comment la France s'organise-t-elle pour accueillir les établissements, les investisseurs et les activités jusqu'ici installés à Londres ? Quels types d'activités et d'investissements souhaitons-nous attirer ? Quelles sont nos forces et nos faiblesses par rapport aux autres places, notamment Francfort, Amsterdam et Dublin ? Quelles mesures sont prises dans ces pays ?

Voilà quelques-unes des questions qui se posent.

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François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

Merci d'avoir pris l'initiative de cette mission d'information sur un sujet à la fois essentiel, complexe et qui suscite de grandes incertitudes.

Le Brexit reste évidemment une mauvaise nouvelle, et d'abord pour l'économie britannique.

Les conséquences du référendum britannique sont toutefois jusqu'à présent moins sensibles que nous ne l'avions redouté. Pour la zone euro, les prévisions de l'Eurosystème, actualisées au mois de septembre, sont à peine modifiées par rapport à celles du mois de juin : 1,7 % de croissance pour la zone euro en 2016, 1,6 % en 2017 et 2018. Au Royaume-Uni, il y a eu un freinage au troisième trimestre, où la croissance est passée à 0,5 % contre 0,7 % au deuxième trimestre, mais ce freinage a été moindre qu'attendu. Nous ne disposons pas encore des prévisions actualisées pour 2017, qui pourraient marquer une division par deux de la croissance telle qu'elle était prévue avant le Brexit.

Déduire de l'absence de choc dur initial – due en partie à l'action coordonnée des banques centrales – l'absence de tout choc futur lié aux incertitudes économiques pesant notamment sur les investissements serait néanmoins une erreur.

Les négociations – tant leur calendrier que leur contenu – seront donc essentielles. La seule quasi-certitude dont nous disposons, c'est qu'il existe un rapport de un à quatre ou cinq entre l'effet économique du Brexit en zone euro et son effet sur l'économie britannique – ne serait-ce que parce que le Royaume-Uni est menacé de perdre 450 millions de clients, alors que les Vingt-sept en perdent une soixantaine.

Si le hard Brexit devait l'emporter, trois points appelleraient particulièrement notre attention.

Le premier impératif des Vingt-sept devra, à mon sens, être l'unité pour l'intégrité : l'unité des Vingt-sept, en particulier l'unité franco-allemande, pour l'intégrité du marché unique. En matière financière, cela implique de ne pas reculer par rapport à tous les progrès accomplis depuis 2008 en matière de régulation et de supervision financières, ni par rapport aux avancées prévues. Si le Royaume-Uni choisissait de ne plus appliquer celles-ci, la City n'aurait plus de passeport européen et ne pourrait prétendre à un régime d'équivalence.

Ensuite, dans un tel scénario, les accords dits « pays tiers », c'est-à-dire conclus avec des pays extérieurs à l'espace économique européen, deviendraient une référence intéressante, en particulier parce qu'ils comprennent certaines reconnaissances d'équivalences. Toutefois, ces accords constituent aujourd'hui un ensemble très hétérogène, lacunaire, et trop peu piloté par la Commission européenne : suivre ces accords de plus près doit être l'une de nos priorités. Il faut aussi noter qu'aucun de ces accords ne concerne aujourd'hui un partenaire essentiel et proche de l'Union européenne, à l'exception de la Suisse – pour laquelle ces accords sont intégrés à un ensemble beaucoup plus large, qui inclut notamment la libre circulation des travailleurs. Aucun de ces accords « pays tiers » n'a par ailleurs vocation à favoriser des délocalisations hors de l'Union. Enfin, si ces accords sont importants pour l'activité de marché, ils le sont beaucoup moins pour les activités de banque et d'assurance : dans le cas des banques, par exemple, un agrément national demeure nécessaire pour les succursales venant de pays tiers ; celles-ci n'ont pas de passeport européen.

Je voudrais enfin souligner que, si la voie du hard Brexit se confirmait, il serait très complexe de négocier parallèlement la sortie du Royaume-Uni de l'Union, dans le cadre de l'article 50 du traité de l'Union européenne, et les accords commerciaux qui prendront la suite : ce sont deux discussions bien différentes. La tentation de recourir à des mesures transitoires va grandir ; mais celles-ci ne peuvent que très difficilement se concevoir et s'écrire sans connaître la cible finale.

Notre intérêt commun est que tout se déroule bien, et cela peut aider la négociation. Nous devrons veiller à ce que le secteur financier, secteur-clé pour la zone euro, ne subisse pas les répercussions néfastes de négociations dans d'autres secteurs importants et sensibles : l'unité de la négociation est essentielle ; un tronçonnage secteur par secteur serait contraire aux intérêts de l'Union.

J'achève mon propos en insistant sur deux responsabilités cruciales de la Banque de France et de l'Eurosystème.

Il y a tout d'abord la stabilité financière, avec notamment les chambres de compensation et de paiement (CCP) en euros. Le principe est clair : il est difficile d'imaginer que le clearing se fasse hors de la supervision de la zone euro ou du marché unique. Une adaptation juridique, mais aussi pratique, sera donc nécessaire. Il est trop tôt pour en préciser les contours. Quoi qu'il en soit, l'argument parfois entendu selon lequel New York serait la seule alternative à Londres si la compensation devait devenir plus difficile au Royaume-Uni n'est guère robuste.

Il y a ensuite la solidité des institutions financières françaises et des infrastructures de la place de Paris. La concurrence entre places européennes s'effectuera sans doute par segments d'activité. Si l'on brosse à très gros traits le paysage actuel, on peut estimer que Londres est environ dix fois plus gros que Paris en dérivés de taux ou en instruments de change ; si l'on regarde les fonds – monétaires ou non monétaires –, Luxembourg et Dublin se sont beaucoup développés ; quant à Paris et Francfort, leurs positions sont comparables.

L'équipe de France – pouvoirs publics, Paris Europlace… – a jusqu'à présent su jouer collectif. Il importe que nous restions cohérents dans les mois qui viennent ; la taxe sur les transactions financières (TTF) est un sujet particulièrement sensible, sur lequel il serait difficile d'imaginer un comportement isolé de Paris.

Il importe surtout que chacun se prépare à un futur incertain, mais ouvert.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), autorité de supervision et d'agrément que je préside, a mis en place une procédure rapide pour les établissements qui souhaiteraient se réinstaller à Paris, depuis Londres ou depuis une autre place européenne. Le Premier ministre a confié à mon prédécesseur Christian Noyer une mission de contacts individuels avec les principaux établissements internationaux concernés.

Il me paraît également important que les banques et les assureurs de la zone euro commencent à dessiner une stratégie qui s'appliquerait à un hard Brexit.

Dans ce schéma, la zone euro a un atout formidable : sa capacité d'épargne ; l'épargne excédentaire y représente en effet en rythme annuel plus de 350 milliards d'euros. La matière première du secteur financier est donc très largement produite en zone euro. Nous devons donc bien jouer l'échelon régional ; nous devrons ensuite bien jouer l'avantage français au sein de la zone euro, c'est-à-dire la présence d'acteurs importants – banques, compagnies d'assurances, industrie des fonds. C'est ainsi que nous pourrons transformer ce qui demeure une mauvaise nouvelle en opportunité.

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Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor

Nous ne considérons pas non plus le Brexit comme une bonne nouvelle, car il risque d'affaiblir le projet européen et d'avoir des effets mécaniques sur les bénéfices que nous tirons du marché unique, par un amoindrissement des échanges à l'intérieur de celui-ci comme avec nos partenaires extérieurs.

Le Royaume-Uni, c'est une évidence, est un acteur essentiel des marchés financiers européens : en matière d'assurance et de réassurance, il détient 22 % des parts de marché de l'Union européenne ; il détient également 26 % des prêts bancaires et 35 % des financements interbancaires au niveau européen. Le Royaume-Uni est le premier marché européen de gestion de portefeuilles en termes de montants investis, et il est absolument prédominant en matière de marchés de dérivés échangés de gré à gré (over the counter ou OTC), avec 99 % du marché. Il réalise 38 % des opérations de Sale and Repurchase Agreement ou pension livrée (REPO).

Le Brexit aura donc nécessairement un effet structurant dans l'organisation des services financiers en Europe. Mais nous n'avons d'autre choix que de tenir compte du vote du peuple britannique : il nous faut donc rechercher la meilleure solution pour la France et l'Union européenne.

La Première ministre britannique a indiqué, vous le savez, que la notification interviendrait d'ici au mois de mars 2017 ; d'ici là, aucune négociation n'est engagée, mais les différents gouvernements mènent leurs réflexions propres, et des discussions à vingt-sept vont commencer d'ici à la fin de l'année.

Parmi les sujets à traiter, il y a d'abord l'accord de retrait du Royaume-Uni, sur le fondement de l'article 50 : il doit intervenir dans un délai de deux ans, sauf si les Vingt-sept étaient unanimes pour prolonger cette période. Il visera principalement à organiser les modalités du divorce, et abordera donc les questions du budget européen et des dettes du Royaume-Uni vis-à-vis de ce budget, du traitement du personnel britannique au sein des institutions européennes, de la répartition des contingents commerciaux dans les accords passés avec des pays tiers qui en comprennent. Ce sont donc des considérations très pratiques. Les questions sectorielles – le sort, par exemple, de l'Autorité bancaire européenne, dont le siège est actuellement à Londres – devraient occuper une partie très marginale de cet accord.

Il faut également se préoccuper des négociations de l'accord qui organisera les relations bilatérales entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Le champ des possibles est ici très vaste ; quelle que soit la forme juridique qui sera retenue, les conséquences pour le secteur financier seront importantes. J'y reviendrai.

À plus court terme, nous devons réfléchir à la façon dont nous allons gérer la période qui s'ouvre : comment préserver, pendant ces deux années, la capacité de l'Union européenne à avancer collectivement et à répondre aux défis qui lui sont lancés ?

En particulier, le Royaume-Uni demeure, pendant cette période, membre à part entière de l'Union européenne ; mais il peut se trouver, dans certaines circonstances, en position de conflit d'intérêts, puisqu'il discute de réglementations qu'il n'appliquera pas forcément, ou qu'il appliquera en étant doté d'un autre statut. Les Vingt-sept doivent donc s'imposer des règles de comportement propres à maintenir leur cohésion, et s'efforcer de défendre les intérêts de l'Union européenne.

Durant cette période transitoire, des questions d'adaptation du droit européen en vigueur peuvent également se poser : seuils, révision des régimes d'équivalence en faveur des pays tiers… La portée de ces réglementations sera en effet largement modifiée si le Royaume-Uni devient un pays tiers : on ne peut pas comparer un petit pays de l'autre côté de l'Atlantique et un grand pays au coeur de l'Europe.

Au niveau national, nous devrons enfin nous pencher sur l'organisation et l'attractivité de la place de Paris, afin de faciliter d'éventuelles réimplantations. Le Gouvernement se mobilise, avec Paris Europlace et les autorités de supervision, pour présenter les atouts français et faciliter l'accueil de nouvelles institutions – ce qui implique des considérations très pragmatiques, sur la présence d'écoles par exemple.

J'en viens aux enjeux d'un hard Brexit pour les acteurs financiers européens. Deux principes du marché intérieur sont aujourd'hui essentiels à l'organisation des marchés financiers.

Le premier, c'est le principe de libre installation : les établissements de crédit, les entreprises d'investissement, les établissements de monnaie électronique et les établissements d'assurance d'un autre pays membre peuvent venir s'installer librement en France ou dans tout autre État membre de l'Union, en ouvrant une succursale. Ainsi, notre pays compte aujourd'hui 75 assureurs, 21 établissements de crédit et 46 entreprises d'investissement britanniques, qui exercent dans notre pays grâce à des succursales.

Le second principe, c'est la liberté de prestation de services : toute entité soumise à agrément peut assurer la prestation de services dans tout autre État membre depuis son pays d'origine sans ouvrir d'établissement dans le pays concerné. Aujourd'hui, 87 entités londoniennes, dont 40 % sont détenues par une maison mère britannique, exercent dans ce cadre des activités bancaires en France depuis la capitale britannique. C'est aussi le cas de 218 assureurs, et un grand nombre d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) opèrent sur cette base. À l'inverse, les quatre grandes banques françaises disposent de 70 autorisations de fournir des services financiers et 340 OPCVM sont commercialisés au Royaume-Uni sur la base de ce principe.

La fin du dispositif de passeport, et la fin des principes de liberté d'établissement comme de prestation de services, auraient donc des effets extrêmement forts.

Elles ne signifient pas pour autant la fin de l'accès au marché européen depuis le Royaume-Uni. Dans le cadre actuel, il est toujours possible – quoique plus contraignant – pour un groupe bancaire ou d'assurances d'un pays tiers de s'installer dans un pays en y créant une filiale. De la même façon, il existe dans certains secteurs un régime national de succursale de pays tiers ; c'est notamment le cas pour les établissements de crédit, qui doivent disposer d'un agrément, et dont la capacité d'agir est limitée aux pays où cet agrément a été accordé. Mais un tel régime n'a jamais été expérimenté pour un pays de l'importance du Royaume-Uni. Enfin, la question du bénéfice des régimes d'équivalence se pose : la législation britannique est aujourd'hui, naturellement, équivalente à celle de l'Union européenne, et certains textes prévoient déjà des régimes d'équivalence, mais surtout dans le domaine des marchés ; ils ne couvrent ni les activités de crédit ni celles d'assurance.

La fin de l'accès au marché intérieur aurait donc pour les Britanniques des effets radicaux. Parallèlement, il est crucial pour l'Union européenne de préserver l'intégrité et la logique de fonctionnement du marché intérieur.

Les autorités britanniques ont d'ores et déjà indiqué vouloir suspendre la liberté de circulation des personnes ; ils souhaitent également se retirer de l'aire de compétence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). De telles conditions nous paraissent tout à fait incompatibles avec un accès plein et direct au marché intérieur, dont les principes fondamentaux sont les quatre libertés – circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux –, mais aussi un ordre juridique intégré où un droit commun s'applique de façon égale sur tout le territoire, sous la supervision de la CJUE.

Il faudra donc trouver des modalités de coopération. Il nous semble en tout cas essentiel de veiller à éviter tout dumping réglementaire, mais aussi tout dumping en matière de supervision qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur la stabilité financière de l'Europe. Dans la perspective des futures relations bilatérales, nous devrons également identifier, secteur par secteur, nos intérêts offensifs et défensifs. Nous travaillons très étroitement avec la place de Paris pour parvenir à une position commune avant l'ouverture effective des négociations.

Dans le cadre de ces discussions, nous aurons à parvenir à un équilibre entre les différents intérêts économiques de notre pays : d'un côté, il faut essayer d'attirer en France de nouvelles activités, mais il faut aussi préserver un bon financement de l'économie, ce qui suppose de réfléchir à certains services offerts aujourd'hui par le Royaume-Uni.

Dans ce contexte, la France et sa place financière disposent d'atouts importants, qu'il faudra mettre en valeur : nous sommes le deuxième acteur du secteur de l'assurance, derrière le Royaume-Uni ; nous disposons de banques de taille internationale ; la place de Paris représente 20 % de la gestion européenne d'actifs. Enfin, la qualité de nos infrastructures est reconnue.

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Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers, AMF

Je prends la parole en tant que président de l'AMF, régulateur de marché chargé de garantir que les infrastructures de marché fonctionnent bien, que les sociétés cotées dont les instruments financiers sont échangés délivrent une bonne information et que la gestion d'actifs, très importante en France, se fait selon les règles et donne satisfaction aux consommateurs. Je m'exprime également comme membre de l'ESMA (European Securities and Markets Authority), l'association européenne des régulateurs.

Si le champ de la régulation est très limité au regard des enjeux du Brexit, qui concernent l'ensemble de l'économie et des services, les conséquences du retrait britannique de l'Union n'y sont pas moins considérables, comme l'ont dit les précédents intervenants.

C'est d'abord le régulateur le plus puissant qui sort de l'Union européenne, donc de l'ESMA : notre homologue britannique emploie quelque 3 300 personnes quand nous n'avons que 475 agents – le même ordre de grandeur que les régulateurs italien et allemand même si ces derniers sont un peu mieux dotés que nous. La position dominante que le gouverneur de la Banque de France et la directrice du Trésor vous ont décrite à propos de l'activité se retrouve évidemment dans les moyens du régulateur.

Un autre chiffre : 55 % de la négociation d'actions européennes a lieu à Londres, soit sur le London Stock Exchange, soit sur des plateformes d'échange qui résultent de la directive MIF 1 (première directive sur les marchés d'instruments financiers) et qui ont toutes été installées au Royaume-Uni. L'effet volume est donc absolument considérable.

Ensuite, à moins d'un accord général, tout l'édifice fondé sur le passeport et sur le libre exercice de l'activité s'écroulera, au plus tard deux ans après la mise en oeuvre de l'article 50, comme Odile Renaud-Basso vient de l'expliquer. Les effets directs et indirects du Brexit dans ce domaine sont très nombreux et très divers : en voici quelques exemples, faute de temps pour les énoncer tous.

Aujourd'hui, un OPCVM de l'Union européenne, régulé par les directives, ne peut pas investir plus de 30 % dans un OPCVM extérieur à l'Union. Or les Britanniques seront hors de l'Union.

De même, un acteur financier régulé dans le cadre de l'Union européenne ne peut sans encourir de lourdes pénalités prudentielles faire compenser ses opérations par une chambre de compensation qui n'est pas enregistrée dans l'Union européenne. Vu l'importance des CCP britanniques, cela risque de poser un gros problème.

Les prospectus d'opérations financières, les introductions en Bourse, les augmentations de capital, les offres publiques visées dans l'un des Vingt-sept n'auront plus de valeur au Royaume-Uni, et réciproquement, si aucune solution n'est trouvée.

En outre, les directives et les règlements établis depuis 2008 et 2009 pour tirer toutes les conséquences de la crise des subprimes, et qui composent l'impressionnant édifice que l'on a coutume d'appeler le « paquet Barnier », se réfèrent à des marchés financiers incluant la place de Londres. Les réadapter en moins de deux ans à un univers à vingt-sept et non plus à vingt-huit représente une tâche gigantesque, d'autant qu'il ne s'agit pas d'en retirer un vingt-huitième, mais beaucoup plus, en raison notamment de l'existence de seuils techniques.

Par ailleurs, l'AMF consacre un quart de ses moyens à ses activités dites répressives, c'est-à-dire d'enquête et de contrôle, pour lesquelles nous utilisons massivement des systèmes d'échanges de données qui font l'objet d'une coordination dans le cadre de l'ESMA, ce qui nous permet d'accéder aux données de marché quotidiennes, par exemple aux titres de marché français échangés sur les plateformes britanniques. Si aucune disposition ne l'empêche, nous perdrons cet accès dès lors que l'Union européenne ne comprendra plus le Royaume-Uni : il nous faudra passer par les MMoU (Multilateral Memoranda of Understanding) internationaux, ce qui sera plus long. Il deviendra alors bien plus difficile de réprimer les manipulations de cours, la diffusion de fausses informations, et surtout les abus de marché et les délits d'initiés.

Un travail technique rapide et efficace va donc être nécessaire. À cet égard, les orateurs précédents ont donné quelques pistes.

En réponse à certaines de vos questions, monsieur le président, et si je peux me risquer à exprimer une opinion personnelle, je ne vois pas le Brexit comme un choc systémique pour la zone euro comparable de près ou de loin à ceux que nous avons subis en 2008-2009 ou en 2011. Je n'y vois même pas une véritable menace pour le financement de l'économie. En revanche, si rien n'est fait ou si la situation n'est pas gérée convenablement, le risque est élevé d'une moindre efficacité du système financier européen, donc d'une hausse des coûts tant pour les émetteurs que pour les investisseurs. Mais il est toujours difficile de faire des prévisions.

Dans le champ qui nous occupe, les priorités sont les suivantes.

La première a été évoquée par le gouverneur : il s'agit de clarifier la position du Royaume-Uni jusqu'au Brexit proprement dit. En droit, évidemment, le pays conserve toute sa place au sein de l'ESMA et reste tenu par toutes les règles européennes, dont nos collègues britanniques nous ont d'ailleurs indiqué qu'ils les feraient respecter jusqu'au Brexit. Or la position du Royaume-Uni au sein de l'ESMA lui permet d'y apporter une contribution précieuse – compte tenu de la technicité des matières et de ses moyens et capacités – à la définition des règles, souvent de niveau 2 ou 3, qui sont essentielles pour les marchés, dans le champ de toutes les directives. Ainsi, pendant un peu plus de deux ans – si le calendrier annoncé par Mme May est respecté –, en droit, la FCA (Financial Conduct Authority), notre homologue britannique, va participer à la formulation de règles qui ne vaudront bientôt plus pour elle ou qui s'appliqueront à elle dans des conditions encore inconnues. La situation est donc très ambiguë, et nos collègues britanniques, sans leur prêter d'intentions machiavéliques, pourraient être en conflit d'intérêts sur tel ou tel point, par exemple la position de pays tiers.

Si ce régime de pays tiers est aussi important, c'est parce qu'un scénario de hard Brexit ferait du Royaume-Uni un pays tiers vis-à-vis de l'Union européenne. Dans cette hypothèse, seules les dispositions de chaque directive relatives aux pays tiers nous donnent une idée de ce qui va se passer. Or, cela a été dit, les régimes de pays tiers n'ont absolument pas été conçus pour une telle situation.

D'abord, ils sont hétérogènes, comme l'a dit le gouverneur : il faut chercher dans chacun des sept ou huit textes concernés pour savoir s'il y a ou non un régime de pays tiers. En outre, ils n'ont pas du tout été imaginés pour un acteur de la taille du Royaume-Uni, moins encore pour un pays qui a dès le départ une réglementation équivalente à celle de l'Union – et, ici, elle est identique ! Ils ont par ailleurs un énorme défaut : ces accords d'équivalence, assez flous, conçus dans des conditions très imparfaites, ne prévoient absolument pas de suivi. On considère qu'un pays a une réglementation équivalente à celle de l'Union, ce qui ne veut pas dire qu'elle est identique, mais que, selon une approche outcome-based, elle aboutit globalement au même résultat, à la même sécurité : c'est suffisant lorsque les échanges sont marginaux, mais, avec un acteur dominant, cela comporte des risques considérables – d'autant que, si la réglementation britannique est au départ identique à celle de l'Union, nul ne connaît son évolution future.

Aujourd'hui, la FCA semble privilégier la continuité. N'oublions pas un aspect rarement souligné : l'édifice financier, le « paquet Barnier », bien qu'il porte le nom d'un Français, a été conçu à 95 % avec l'accord des Britanniques qui, concrètement, ont très souvent tenu la plume au sein de l'ESMA. Il n'y a guère que les fameux bonus qu'ils aient critiqué, les jugeant trop sévères, parce que les Américains n'avaient pas le même système. Mais cette situation pourrait ne pas perdurer.

Je partage donc entièrement l'avis de mes collègues : si l'on doit vraiment utiliser le régime de pays tiers, ce qui n'est pas encore certain, alors il serait rationnel de le repenser et de l'harmoniser.

Sans entrer dans le détail de chacune des réglementations de pays tiers, en gros, c'est ici la Commission qui a la main. Elle peut demander dans certains cas son avis à l'ESMA dans le champ des marchés financiers, mais elle n'est pas obligée de le suivre, et elle peut s'adapter. C'est un point sur lequel il faut être très vigilant : il serait éminemment paradoxal que nous vivions un hard Brexit, avec toutes ses conséquences économiques que je juge dommageables pour les deux parties, mais que, dans le secteur financier, l'un des grands atouts de l'économie britannique, l'on maintienne une sorte de statu quo par une interprétation habile des dispositions d'ouverture prévues pour des échanges marginaux.

Enfin, le régime de pays tiers ignore pratiquement la réciprocité. On peut introduire celle-ci si la Commission le souhaite, mais ce n'est pas prévu.

La troisième orientation consiste à mettre à plat la question délicate de la compensation hors Union européenne d'instruments financiers et de contrats libellés en euros. La BCE avait entrepris cette démarche, mais a buté sur des obstacles juridiques ; elle avait voulu imposer l'enregistrement en zone euro des chambres de compensation dont l'exposition de crédit atteignait une certaine taille. L'idée était que l'accès à la liquidité ne pose pas de problème dans des situations difficiles.

La question se repose dès lors que les chambres de compensation, dans l'hypothèse d'un hard Brexit, ne se trouvent plus dans une zone à laquelle s'appliquent les règles européennes. La solution à ce sérieux problème devra s'articuler aux négociations très complexes qui ont eu lieu entre la Commission et la partie américaine, principalement la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), sur la reconnaissance de l'équivalence en Union européenne de l'action des chambres de compensation américaines régulées par la CFTC, homologue de l'AMF dans le secteur des dérivés – lequel est principalement concerné.

Enfin, il faut absolument accroître l'attrait de la place de Paris aux yeux des acteurs, français ou non, qui sont aujourd'hui installés à Londres et qui souhaiteraient s'implanter en zone euro. De notre point de vue, la régulation est un atout pour une place ; on le mesure surtout depuis la crise, à laquelle les pays dotés d'une bonne régulation ont mieux résisté que les autres. Elle doit être efficace, protectrice, tout en restant ouverte à l'innovation. Nous avons donc accru nos efforts dans les domaines suivants.

En matière de gestion d'actifs, en coopération avec l'Association française de la gestion financière (AFG), nous avons lancé le programme FROG (French [Routes & Opportunities] Garden), destiné à aplanir les dernières spécificités qui pouvaient encore affecter l'interprétation des réglementations et rendre le système français difficile à comprendre pour un intervenant de culture anglo-saxonne. Sans toucher à la protection des consommateurs, nous avons par exemple revu les dispositions relatives à la délégation en matière de gestion d'actifs. Lorsque l'on parle de volumes échangés et de parts de marché dans ce domaine, il convient de distinguer la société de gestion et le gérant. Ainsi, les Luxembourgeois détiennent une part de marché très importante du point de vue de la domiciliation des sociétés de gestion, mais, très souvent, les gérants sont ailleurs, à Londres ou à Paris. Nous pouvons donc introduire davantage de souplesse à cet égard, et c'est ce que nous avons essayé de faire.

En partenariat avec la Banque de France et l'ACPR, nous avons créé le forum FinTech pour accompagner les entreprises du secteur, nouvelles ou implantées à l'étranger, en leur apportant une expertise particulière. Au sein de l'AMF, une équipe d'environ vingt-cinq personnes y travaille, en liaison étroite avec les spécialistes équivalents de l'ACPR et de la Banque de France.

Nous avons également lancé un programme spécifique appelé AGILITY pour accueillir les gérants londoniens, auxquels nous proposons de délivrer en deux semaines un avis de pré-autorisation, en nous appuyant sur le travail accompli par notre collègue britannique, pour qu'ils puissent entamer leurs démarches et faire assez rapidement agréer leurs sociétés de gestion chez nous.

Enfin, nous participons avec Europlace et les associations professionnelles à des démarches de communication visant différentes places, en accompagnement de l'action de Christian Noyer.

En conclusion, je reviendrai à l'un des points de départ de l'exposé du gouverneur : l'un des enjeux les plus importants est de sauvegarder l'acquis que représente la régulation. Nous avons construit un marché unique financier et une régulation adaptée ; celle-ci n'est pas parfaite, le travail a été très long, très technique et n'est pas achevé, mais il a été considérable et il faut en préserver les résultats. Nous devons conserver notre dynamique malgré l'absence des Britanniques, la perte de leur contribution technique au sein de l'ESMA et le fait qu'ils puissent, en fonction de la stratégie qu'ils adopteront, modifier légèrement leur positionnement. Cela supposera de la part des régulateurs allemand, italien et français, en compensation, une participation encore plus active aux travaux de l'ESMA.

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Arnaud de Bresson, délégué général de Paris Europlace

Beaucoup ayant déjà été dit, je serai bref. J'insisterai d'abord sur l'enjeu que représente le développement d'une place financière forte en France. J'expliquerai ensuite en quoi le Brexit – que nous n'avons pas voulu et auquel nous nous sommes opposés, y compris en achetant des encarts publicitaires dans la presse britannique pour exprimer le point de vue des entreprises françaises en faveur du Bremain –, peut représenter une opportunité historique pour la place de Paris. Enfin, j'évoquerai nos atouts, les conditions à mettre en oeuvre et les priorités d'action.

Sur le premier point, je commencerai par rappeler quelques chiffres.

La place financière française apporte chaque année 300 milliards d'euros de financement à l'économie et aux entreprises, y compris aux PME, dont 180 milliards de crédits bancaires, 50 milliards de financement en actions – c'est d'ailleurs encore trop peu – et 10 milliards de capital-investissement, par le biais des fonds d'investissement pour les jeunes entreprises de croissance.

L'industrie financière française, avec l'ensemble de ses composantes, ce sont 1,2 million d'emplois en France, 4,5 % de l'emploi national, 6 % de l'emploi en région Île-de-France ; il s'agit de l'une des grandes industries créatrices d'emploi dans notre pays, même si elle n'a pas encore la surface de la place financière de Londres.

Enfin, le secteur représente un enjeu majeur pour la souveraineté économique française. À l'heure où les investisseurs étrangers représentent 40 à 50 % de la capitalisation en actions de la place de Paris, si nous voulons garder le contrôle de nos centres de décision au cours des années à venir – et l'on sait combien il est menacé –, il est essentiel de développer l'épargne en France et de l'orienter vers l'investissement dans nos entreprises.

La place de Paris est également très mobilisée pour accompagner le développement de l'économie durable et la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons lancé hier un plan d'action dans ce domaine, qui succède aux engagements que nous avions pris lors de la COP21. Gérard Mestrallet et moi-même serons demain à Casablanca pour le deuxième Climate Finance Day international, que Paris Europlace organise en partenariat avec la place financière de Casablanca, pour ouvrir la COP22 et témoigner des engagements que contracte l'industrie financière internationale, à un rythme de plus en plus soutenu.

J'en viens à l'opportunité que le Brexit peut représenter.

Dès l'annonce du référendum, la place de Paris s'est mobilisée, nommant très rapidement Christian Noyer président de la commission Paris Europlace, afin, quelle que soit l'issue du vote, de réfléchir à ses conséquences et aux paramètres à mettre en oeuvre, d'une part, et de faire valoir les atouts de la place de Paris, d'autre part.

Nous avons adressé aux pouvoirs publics nos recommandations sur les conditions de la négociation ; je ne reviens pas sur ce point qui a déjà été abordé. Concrètement, les entreprises que nous représentons ont été attentives à trois aspects.

Premièrement, même si le processus de sortie sera complexe, personne n'a intérêt à une négociation longue ; nous avons donc insisté dès l'origine sur la nécessité de faire au plus vite, les incertitudes représentant un frein considérable pour les acteurs économiques et pour l'économie française et européenne.

Deuxièmement, en ce qui concerne le contenu de l'accord, il faut être ferme sur les objectifs : la fin du passeport pour les services financiers, compte tenu de la nouvelle situation dans laquelle se trouvera le Royaume-Uni une fois sorti de l'Union européenne ; la reprise du contrôle de la monnaie européenne, enjeu tout aussi important et stratégique à l'heure où 40 % des transactions en euros sont effectuées sur la place de Londres, ce qui était déjà étrange dans la mesure où le Royaume-Uni était en dehors de la zone euro, et devient absurde dès lors qu'il quitte l'Union.

Troisièmement, c'est maintenant que les entreprises internationales, à Londres, à Tokyo, à Pékin et à New York, mènent leurs diligences afin d'analyser les performances comparées des différentes places financières européennes et d'arrêter leur plan B. Il y a encore quelques semaines, nous étions à Londres dans le business as usual : nos interlocuteurs préconisaient d'attendre de voir ce qui allait se passer, estimant qu'il n'était finalement pas certain qu'il arrive quoi que ce soit. Mais, depuis que Mme Theresa May a annoncé que l'article 50 serait activé en mars 2017, toutes les entreprises sont au travail. C'est donc le moment d'agir et de faire valoir nos atouts si nous voulons conserver une place financière en France.

Ces atouts, sur lesquels vous nous avez interrogés, ont été cités ; je n'y reviens pas en détail. Mais ils sont réels, y compris par comparaison avec Francfort. Si, eu égard aux chiffres, les deux places sont à peu près équivalentes, il faut aussi prendre en considération la nature de la place financière. Francfort est une ville de banques ; Paris est une place d'entreprises, de grandes entreprises françaises et internationales qui occupent les premiers rangs mondiaux, bien plus qu'à Francfort et même qu'à Londres. Dès lors, pour les banques, Paris est la place de leurs clients alors que Francfort est celle de leurs concurrents. En outre, ces entreprises sont très actives sur les marchés financiers : leur financement est désormais assuré à 40 % par le marché et à 60 % par les banques, contre respectivement 20 % et 80 % à Francfort.

À ces atouts s'ajoutent la présence d'infrastructures de marché très compétitives, notamment la plateforme Euronext et le pôle de gestion d'actifs, qui représente 20 % de la gestion européenne – le double de l'Allemagne, avec 3 600 milliards d'euros d'actifs gérés, contre 1 300 à Francfort ; une main-d'oeuvre hautement qualifiée ; le développement des FinTech, qui s'accélère ; la régulation, déjà mentionnée.

Ce sont autant d'aspects auxquels nos interlocuteurs sont sensibles lorsque nous les leur présentons, comme nous avons commencé à le faire.

En revanche – je m'excuse d'y revenir, mais c'est mon devoir –, notre principal handicap, perçu par tous les acteurs internationaux, est évidemment l'environnement réglementaire et fiscal, le coût du travail, la rigidité des lois sociales et l'instabilité réglementaire permanente qui règne dans notre pays.

J'en parlais ce matin encore avec Patrick Ollier, président de la métropole du Grand Paris, à l'occasion de l'ouverture du guichet unique, important facteur d'attractivité, par le Premier ministre, accompagné d'Anne Hidalgo et de Valérie Pécresse – un acte d'union sacrée pour marquer les avancées de la place de Paris. Nous saluons les mesures que le Premier ministre a annoncées au mois de juillet et rappelées ce matin : l'amélioration du régime des cadres impatriés, l'engagement à une baisse progressive de l'impôt sur les sociétés pour revenir à la moyenne européenne, l'ouverture de lycées internationaux, essentielle pour accueillir les familles des cadres qui viendront ou reviendront en France, enfin l'ouverture du guichet unique qui s'est matérialisée aujourd'hui. Ces signaux sont importants et bienvenus pour réduire la portée de notre handicap. Mais, au même moment, l'Assemblée nationale dresse de nouveaux obstacles en adoptant différents amendements.

D'abord, sur l'attribution gratuite d'actions (AGA), vecteur essentiel de l'épargne salariale, notamment dans les PME. Les PME françaises de croissance qui avaient réuni leurs assemblées générales pour présenter à leur personnel un nouveau dispositif de participation proposé par les pouvoirs publics et favorable à la croissance de leur société, et qui ont fait voter les mesures correspondantes, sont aujourd'hui confrontées à l'éventualité de la suppression de ce dispositif, lourde de conséquences pour la motivation des salariés et l'organisation de l'entreprise.

Viennent ensuite le relèvement de 50 % du taux de la taxe sur les transactions financières (TTF), adopté sans même attendre l'issue des discussions européennes sur le sujet, et l'instauration d'une taxe sur les opérations intraday. Celles-ci n'ont pourtant rien à voir avec le trading à haute fréquence, que nous avons déjà supprimé de la place de Paris pour exaucer votre souhait de réduire la part de la finance spéculative de court terme : ce sont des opérations d'achat et de vente journalières sans lesquelles un marché ne peut exister et qui en constituent la condition de liquidité.

Le vote de ces amendements constitue un signal totalement contre-productif qui risque de réduire à néant l'action collective que nous sommes en train de mener avec les pouvoirs publics et la ville de Paris. Ils nous sont déjà opposés par nos interlocuteurs, nos concurrents immédiats que sont Francfort, Amsterdam, Luxembourg et Dublin les mettent en avant.

Il nous paraît donc essentiel que lors des prochaines étapes du débat sur le projet de loi de finances, vous vous mobilisiez pour rejeter les amendements en question et que la réforme des cadres impatriés soit confirmée. À défaut, ce retour sur les annonces faites par les pouvoirs publics donnera le pire signal possible de la part de la France.

Pour l'étape suivante, nous allons remettre, dans le cadre de la campagne présidentielle, un livre blanc sur les quatre réformes qui nous paraissent indispensables en matière d'attractivité.

Premièrement, il faut aller au-delà de la trajectoire actuelle de baisse de l'impôt sur les sociétés pour rejoindre effectivement la moyenne européenne ; le taux de 28 % visé en 2020 est encore supérieur de cinq points. Deuxièmement, il faut éteindre progressivement la taxe sur les salaires, qui est une taxe sur l'emploi. Troisièmement, il convient de remettre la fiscalité de l'épargne à l'endroit pour privilégier l'épargne de long terme, qui accompagne le financement des entreprises et de l'économie. Enfin, une fois ces réformes accomplies, il faudra faire de la stabilité et de la lisibilité de la norme fiscale réglementaire un principe cardinal pour notre pays. Je crois savoir qu'Anne Hidalgo a annoncé ce matin son souhait à cet égard, ainsi que son voeu de voir la mesure sur les cadres impatriés maintenue, et même élargie.

Je profite enfin de la présence de François Villeroy de Galhau et d'Élisabeth Guigou pour affirmer nos autres priorités, qui concernent l'accélération de la construction européenne avec les pays motivés autour de ce projet. Nous avons deux priorités immédiates : l'accélération de la mise en place du plan Juncker pour le financement des investissements d'infrastructures et de projets en Europe – la place de Paris contribue à remettre des projets – et surtout l'accélération de la capital market union, ou union de financement et d'investissement en Europe, qui est la condition pour la compétitivité de l'Europe dans le monde de demain.

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Merci pour cette intervention, d'analyse autant que de lobbying. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

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Il y a une chose réconfortante dans vos propos : si le Brexit est une mauvaise nouvelle, c'est surtout une mauvaise nouvelle pour les Britanniques. Ils sont les responsables de cette décision, que nous regrettons profondément, et il ne tient qu'à nous que les conséquences n'en soient pas trop dommageables, nous pouvons même en faire une opportunité. C'est un élément à considérer dans notre attitude à l'égard de l'Union européenne.

À entendre les analyses développées par le gouverneur de la Banque de France et la directrice du Trésor, l'essentiel va dépendre de la façon dont nous abordons la négociation. Rien n'est plus dommageable que l'incertitude, pour l'économie, pour le secteur financier, mais aussi pour l'ensemble des vingt-sept pays de l'Union européenne. Malgré les positions très nettes de la Première ministre britannique sur la date et la façon dont les Britanniques vont entrer dans la négociation, tout reste soumis à de nombreuses incertitudes.

Ceux au Royaume-Uni qui souhaitaient rester dans l'Union espèrent un revirement, et nous ne savons pas comment les choses peuvent évoluer au sein du gouvernement britannique et du Parlement. La grande majorité du Parlement était opposée au Brexit, et c'est bien à lui qu'il reviendra d'approuver l'accord de divorce – si toutefois il se conclut avant mars 2019, ce qui est évidemment très souhaitable puisque les élections européennes auront lieu deux mois plus tard.

Donc, malgré toute l'amitié et la compassion que nous pouvons avoir pour nos amis britanniques qui souhaitaient rester dans l'Union européenne, je pense qu'il faut que nous entrions dans cette négociation avec beaucoup de fermeté. Cela évitera les pollutions nées des conséquences indirectes de négociations d'accords avec des pays tiers.

Les discussions sur les conditions du divorce doivent être limitées aux quelques points que Mme Renaud-Basso a évoqués, sans nous perdre dans toute sorte de sujets variés. Une fois entrés dans ces discussions, il y a un vrai risque que les Britanniques prennent conscience de l'absurdité folle de cette décision et modifient leur position. On ne peut pas se laisser ballotter ; peut-être qu'un jour, le Royaume-Uni, constatant les effets négatifs du Brexit pour lui-même, choisira de revenir. Mais tout dépend de l'attitude que nous adopterons, et de notre capacité à rester unis, sur le plan politique et sur le plan technique.

J'ai une question fondamentale : de votre point de vue, comment pouvons-nous le mieux défendre les intérêts de la France, défensifs et offensifs, et amener les autres Européens à nous rejoindre ? Quelles concessions devrons-nous faire à l'unité des Vingt-sept ?

J'ai la conviction que nous ne sortirons convenablement de cette situation qu'en entrant dans les négociations de façon très ferme, sans commencer à intérioriser la dislocation du marché unique, comme certains l'ont fait dans des articles que je continue à ne pas comprendre. Par ailleurs, nous devons avoir le souci de défendre nos intérêts franco-français, mais aussi d'être ouverts aux intérêts des vingt-six autres États, et ce ne sera pas la chose la plus facile à faire.

C'est à l'initiative d'une majorité de parlementaires de la commission des affaires étrangères – que j'ai l'honneur de présider – que les amendements sur la taxe sur les transactions financières ont été adoptés. Mon opinion est qu'il faut revenir sur l'intraday, qui défavorise trop les intérêts français. Quant au niveau de la taxe sur les transactions financières, c'est un enjeu de financement de l'aide au développement. Peut-être peut-on trouver une autre solution, mais je ne suis pas sûre de me faire la porte-parole de la majorité de la commission des affaires étrangères en le disant. C'est une question importante, nous devons tenir compte d'intérêts beaucoup plus généraux : aider des pays qui nous sont proches et défendre des intérêts de sécurité et de maîtrise de l'immigration.

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Je ne vais pas me livrer à un exercice de guérilla avec Mme Guigou, coutumier au sein de notre commission. Autant je suis convaincu que nous avons un problème de ciblage de l'aide au développement, autant la façon de faire n'est pas la bonne.

Deux aspects ressortent de vos interventions ce matin.

Tout d'abord, il y a un problème d'équipe de France en ce qui concerne la place de Paris. En tant qu'élu parisien, je pense que nous pouvons gagner à condition d'être cohérents. On ne peut pas tenir un discours très incitatif pour attirer vers Paris, tout en décidant de mesures fiscales allant dans l'autre sens au gré de nos débats internes à l'Assemblée nationale. J'en appelle à la raison, et j'espère qu'au cours de l'examen budgétaire, nous pourrons compenser les erreurs qui ont été commises par certains, en cohérence avec les voeux de la maire de Paris, la présidente de région, le Premier ministre. Nous voulons tous la même chose, mais nous sommes très gaulois, et très incohérents.

Le volet européen est au moins aussi important pour la façon de gérer les opérations. Je suis très inquiet du précédent suisse, un pays en Europe qui sait parfaitement jouer avec les institutions européennes, et qui a multiplié toutes sortes d'accords. Quand j'étais secrétaire d'État chargé des affaires européennes, j'ai été épaté par la capacité de ce petit pays à se jouer des règles européennes et à faire du cherry picking, pays par pays, en fonction de ses intérêts. Ils sont donc les mieux lotis, puisqu'ils ont tous les avantages sans les inconvénients. Les Britanniques sont des négociateurs roués et parfaitement capables d'exploiter toutes les divisions internes. Ils le font déjà au sein de l'OTAN et dans beaucoup d'autres domaines.

Je suis donc complètement d'accord avec Élisabeth Guigou sur ce point : tout va dépendre de la façon dont nous abordons cette négociation. Maintenant que nous avons une date, la pire des choses serait d'entrer dans la négociation sur les conditions de sortie du Royaume-Uni avec les Britanniques au sein des institutions.

Comment négocier la sortie de quelqu'un qui est à la table des négociations, et qui va continuer à produire les règles de droit pendant la période intérimaire ? Surtout que c'est la Commission européenne qui va négocier, sur laquelle nous n'avons aucun contrôle – voyez l'exemple des négociations commerciales. Si nous restons dans ce schéma, et faute d'une volonté politique très forte de la France, de l'Allemagne, et de quelques autres pour refuser de jouer ce jeu, nous sommes fous.

Il s'agit d'une décision souveraine du peuple britannique de sortir de l'Union. Nous avons une date. Il ne faut pas que le juridisme de l'article 50 nous amène à négocier les conditions du divorce avec l'autre partie autour de la table. Même en droit de la famille, cela ne se fait pas, sauf en cas de consentement mutuel, si tout est acté à l'avance devant le notaire. Là, nous allons discuter de la séparation alors que les négociateurs britanniques vont jouer de toutes les tensions internes au sein des Vingt-sept ; pensez à la Pologne, à l'Allemagne, c'est infini ! Si nous procédons ainsi, nous sommes cuits, dans le domaine financier mais aussi s'agissant du commerce, des droits sociaux, de la libre circulation. Et au final, le risque est qu'ils ne s'en sortent pas si mal que cela. Même si théoriquement, ils perdent l'accès au marché, il ne faut pas sous-estimer la capacité d'adaptation du système britannique.

Tout cela n'est pas entre vos mains, ce sont des décisions politiques qui se prennent au plus haut niveau, et je souhaite qu'à l'occasion de l'élection présidentielle, les candidats de droite comme de gauche le disent. On ne peut entrer dans cette négociation dans les conditions actuelles, c'est de la folie.

J'en viens à l'utilisation de l'euro. Dans le cadre d'un rapport rédigé avec Karine Berger sur l'extraterritorialité des lois américaines, nous avons étudié l'histoire de l'euro et du dollar. À notre totale consternation, nous nous sommes aperçus que ces dix ou quinze dernières années, la part de l'euro dans les échanges mondiaux avait diminué. Sachant que la moitié des transactions se font à Londres – alors que Londres n'est pas dans l'euro – et que la part de l'euro baisse, ma question aux techniciens que vous êtes est la suivante : comment profiter de la sortie de l'Angleterre pour redonner à l'euro un rôle de monnaie d'échange ? Si l'euro ne joue pas ce rôle de monnaie d'échange, nous allons continuer à subir les normes édictées par les Américains – et demain par les Chinois – et nous serons totalement marginalisés.

Voilà les trois questions que je me pose. Celle de l'équipe de France est une question de bon sens, mais je perds parfois espoir. La deuxième question est très difficile, et si nous laissons les choses filer, les Anglais vont profiter de ce délai de deux ans pour nous éplucher et profiter des divisions internes. La troisième est celle de notre stratégie pour que l'euro devienne une monnaie de réserve, ce qui était son objectif initial.

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Je remercie les intervenants pour les propos extrêmement clairs qu'ils ont tenus sur un sujet très compliqué.

J'aimerais connaître l'état d'esprit de leurs collègues européens. Quand nous sommes seuls au monde, il est facile de donner des coups de menton, mais c'est toujours plus compliqué dans les cénacles européens. Nous avons tendance à considérer ici que la voix de la France est universelle et s'impose d'emblée, mais ce n'est pas toujours évident, je pense que vous le mesurez, les uns comme les autres.

Vous nous avez parlé du Brexit hard, mais pas du Brexit « mou ». Il pourrait être dans les esprits, car perdre la place de Londres peut entraîner des conséquences considérables pour l'Europe, en particulier si la redistribution des dépouilles ne se fait pas à l'intérieur de l'Union, mais dans d'autres places, asiatiques ou américaines. Nous considérons que c'est un jeu à somme nulle ; que ce que Londres perd, Paris ou Francfort le récupéreront. La question se pose-t-elle bien en ces termes, ne courrons-nous pas le risque de perdre un atout considérable dans un univers très mondialisé ?

Par conséquent, de façon sous-jacente, au-delà de la fermeté martiale que nous réclamons tous, existe-t-il des stratégies qui pourraient déboucher sur un Brexit « mou » dans le domaine financier, un Brexit sélectif, avec des accords d'équivalence ad hoc ? Les rapports de force, très différents des rapports de force habituels, pourraient-ils nous amener à un quasi statu quo ?

Quel est votre sentiment sur l'état d'esprit de nos grands partenaires : Allemagne, Luxembourg ? Quelle est la tentation dominante ? Est-ce de casser Londres le plus rapidement possible, et de rentrer dans une compétition européenne impitoyable qui pourrait se traduire par un arbitrage en faveur de Singapour, Hong Kong ou New York, ou par la victoire de Londres ? Ou bien l'hypothèse d'un Brexit « mou » dans le domaine financier est-elle présente dans les esprits ?

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Ma première question concerne le passeport financier européen. Le principe de la suppression du passeport financier à Londres est-il acquis ? Et dans ce cas, quand ? Il est important que les choses se fassent rapidement pour éviter les périodes d'incertitude. Cette suppression du passeport européen se fera-t-elle dans toutes les hypothèses, en cas de Brexit « mou » comme de Brexit « hard » ? Je considère que c'est une condition sine qua non.

J'ai bien noté vos souhaits concernant la taxe sur les transactions financières, la baisse de la fiscalité et la réforme du droit du travail, j'y souscris pleinement. Compte tenu de ces éléments, positifs et négatifs, sur la place de Paris, j'aimerais savoir ce qui se passe pour les banques et les compagnies d'assurance, françaises ou étrangères, actuellement installées à Londres. Des intentions se sont-elles manifestées depuis l'annonce ?

Enfin, je rejoins Mme Guigou et M. Lellouche, il faut vraiment de la fermeté, car rien ne serait pire que le statu quo, qui donnerait une image catastrophique de l'Europe. Cela voudrait dire qu'il est possible de faire n'importe quoi, et qu'il n'y a pas de solidarité européenne. De cette fermeté dépend l'avenir de la zone euro, et la meilleure réponse au Brexit est son renforcement : la nomination d'un président de la zone euro et l'instauration de politiques nouvelles. Ce Brexit offre l'opportunité d'une réponse de la zone euro : il a beaucoup été question des Vingt-sept, mais pas des Dix-Neuf.

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Nous vivons les événements en direct : j'apprends à l'instant que la Haute Cour de justice de Londres estime que le Parlement a son mot à dire. Elle a jugé dans un arrêt rendu ce jeudi que le Parlement britannique doit voter sur le lancement du Brexit. Le Gouvernement britannique a immédiatement annoncé son intention de faire appel, cet appel sera examiné entre le 5 et le 8 décembre prochains.

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Même si Londres ne fait pas partie de la zone euro, pour protéger le secteur financier européen, ne faut-il pas aller encore plus avant dans l'idée d'instituer un gouvernement de la zone euro, avancée par le chef de l'État en 2015 ? Ce pourrait être un paratonnerre et un initiateur, dans le cadre du Brexit mais aussi dans l'éventualité du départ d'autres pays. Il est important que le secteur financier européen trouve une certaine stabilité, ou en tout cas un apaisement.

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Permettez-moi de revenir sur l'opération séduction menée, sous l'égide de Paris Europlace, par l'industrie financière française, le Gouvernement, la région Île-de-France, la ville de Paris et la métropole du Grand Paris, dans le but d'attirer les grands PDG de banques qui souhaitent délocaliser leurs activités.

Nous venons de voter de manière consensuelle la modification de la durée des avantages fiscaux des impatriés, et sous la forme d'une exonération de taxe pour les employeurs avec un effet rétroactif au 6 juillet. Ce dispositif a un double avantage, il n'a pas d'équivalent en Allemagne, et le Royaume-Uni est en train de revoir à la baisse les avantages de son propre système fiscal.

Associé à la baisse programmée de l'impôt sur les sociétés en France, qui vient également d'être votée dans un certain consensus, cette opération séduction me semble avoir de quoi convaincre. D'autant que le régulateur français jouit d'une bonne réputation, vous l'avez tous rappelé, et que nos compétences en matière financière sont assez renommées.

J'entends bien, Monsieur de Bresson, que vous puissiez vous offusquer que le Parlement vote à son initiative des mesures de rendement. Je rappelle que si la mini taxe sur les transactions financières de la place de Paris a été augmentée à 0,3 %, celle qui est en vigueur à la City demeure de 0,5 %.

Quant à l'élargissement de l'assiette aux transactions intraday de la TTF locale, il n'a pas dû faire peur à grand monde dans la mesure où le ministre de l'économie et des finances a précisé que cette mesure ne serait pas opérationnelle, et qu'elle n'aurait donc pas d'effet en 2017.

Je me demande si le Brexit n'offre pas une occasion d'assainir les pratiques des marchés, le Royaume-Uni ne pouvant aller porter plainte contre la procédure de coopération renforcée européenne, pour mettre en oeuvre une TTF digne de ce nom, pourquoi pas sous la houlette de la France. Elle permettrait de dégager des montants honnêtes au service du développement de pays en difficulté, dans un contexte de terrorisme international que nous subissons et qui me semble plus déstabilisant que la légère augmentation du taux de la TTF.

Compte tenu de ces enjeux qui dépassent l'économie et les finances – ce sont des enjeux de civilisation – j'aimerais connaître vos positions sur les possibilités de réforme financière offertes par le Brexit.

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Permettez-moi quelques remarques supplémentaires. Quel est votre avis sur l'affirmation du Chancelier de l'Échiquier britannique selon laquelle il n'est pas réaliste de croire que les chambres de compensation quitteront Londres, au risque de perdre les bénéfices qu'elles recueillent en termes d'économies d'échelle du fait de la concentration des infrastructures de marché et des acteurs financiers ?

Entre les différents qualificatifs de Brexit « dur » ou de Brexit « mou », nous voyons apparaître l'hypothèse que le Royaume-Uni joue la carte d'un dumping réglementaire et fiscal. Quel est votre avis ?

Monsieur de Bresson, je fais partie de ces élus de la région Île-de-France qui sont quelquefois très surpris de voir que nous sommes capables de nous mobiliser pour arracher l'implantation d'Euro Disney, mais que nous n'avons pas la même réponse collective pour attirer les cadres britanniques. Il s'agit tout de même de 300 000 cadres, soit l'équivalent de la ville de Bordeaux. Quoi que l'on pense des besoins de régulation de la finance internationale, on ne peut pas passer à côté de cela. Nous savons que nos débats ont parfois des répercussions qui dépassent la réalité des faits. Je me souviens du débat sur l'imposition à 75 % : un certain nombre de décideurs à l'étranger nous ont jugés en allant bien au-delà de la réalité de cette mesure.

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Déréguler, pourquoi pas ? Mais la régulation est nécessaire au sein de la zone euro, pour ne plus être dans la situation que nous connaissons. Je regarde de très près un certain nombre de mesures arrêtées aujourd'hui par le Portugal, qui essaie de développer son attractivité, pas uniquement pour les capitaux financiers, mais aussi pour les retraités aux revenus moyens.

Il y a besoin de régulation, mais la France ne peut pas y répondre toute seule. On ne peut pas être en situation d'inégalité par rapport à d'autres pays qui vont se faire concurrence pour obtenir un certain nombre de réinstallations de banques ou d'assurances.

Ils ont voulu dérouler le tapis rouge, il me paraît indispensable d'avoir la capacité de dérouler le tapis bleu-blanc-rouge. Il faut une cohérence entre les annonces faites par le Premier ministre et l'Assemblée nationale. On ne peut pas prétendre que cette question sera sans conséquences sur l'activité de nos PME. La présence de centres de décisions financiers et d'entreprises, y compris d'entreprises en démarrage, est extrêmement importante, et il faudra y être attentif.

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François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

Je vais me concentrer sur trois questions : notre position dans la négociation, le renforcement de l'euro et de la zone euro, et celle du passeport européen selon les scénarios de Brexit « dur » ou « mou » – je ne sais d'ailleurs pas s'il convient de traduire soft Brexit par « Brexit mou » ou « Brexit doux » !

S'agissant de notre position dans la négociation, je voudrais préciser la formule que j'ai employée dans mon propos liminaire : la clé, c'est l'unité pour l'intégrité. Chacun de ces termes emporte deux conséquences.

Deux intégrités sont absolument essentielles dans la négociation. Tout d'abord, l'intégrité du marché unique financier lui-même. Sur ce point, les vingt-sept membres de l'Union européenne ont une position forte, et je pense que c'est l'élément essentiel en réponse à M. Giraud : nous avons construit un marché unique fortement régulé. Nous pouvons encore le renforcer, mais il est hors de question de reculer sur ce point. C'est la première intégrité.

La deuxième intégrité, c'est celle du marché unique entre les différents secteurs. Nous parlons aujourd'hui des services financiers, mais il y a aussi l'agriculture, l'industrie et les services. Cette deuxième intégrité est extrêmement importante. Il ne faudra pas accorder de concessions secteur par secteur ; il est probable que les négociateurs britanniques soient tentés de saucissonner le sujet, mais il sera au contraire très important de maintenir cette deuxième intégrité et l'équilibre d'ensemble du marché unique.

Sur l'unité, M. Savary soulevait la question de l'unité européenne, qui est la première des deux unités. À ce stade, tel que je sens les choses autour de la table du Conseil des gouverneurs, je crois qu'elle est forte. Bien sûr, elle devra résister au déroulement des négociations, mais il y a un intérêt économique, presque patrimonial, à préserver la valeur du marché unique que nous avons construit ensemble. Il y a aussi un intérêt politique à ce que les règles du jeu soient respectées.

La deuxième unité, c'est celle de l'équipe de France. Je ne reviendrai pas sur la TTF, je comprends le débat au sein du Parlement, qui est évidemment souverain en la matière. Le seul point que nous pouvons souligner est qu'aux yeux des observateurs étrangers, plus encore que le niveau des normes fiscales ou réglementaires, c'est leur instabilité qui peut nous pénaliser. Nous devons veiller à une certaine stabilité de nos règles.

Dans l'unité de l'équipe de France, j'ai insisté sur l'engagement de l'industrie financière. Beaucoup d'établissements attendent de voir comment les règles du jeu vont évoluer, mais je crois important qu'ils se préparent à une stratégie alternative en cas de Brexit « dur », comme Mme May semble en donner le signal.

Comme le préconise le rapport de M. Lellouche et de Mme Berger, je souhaite que la part de l'euro se renforce. Après sa naissance, l'euro comme actif international a connu une montée rapide – et positive – avant d'atteindre un palier, puis de redescendre en pente douce au cours de la dernière décennie, non seulement en raison de la crise de la zone euro mais aussi de la montée des devises émergentes, et parce que l'incertitude profite toujours au dollar.

Si nous voulons relancer la consolidation de la zone euro, nous devons en premier lieu poser la question de la localisation des chambres de compensation. Le Chancelier de l'Échiquier britannique estime qu'elles ne pourraient pas déménager ; qui, à sa place, dirait autre chose ? Cela étant, compte tenu des pouvoirs de supervision et de régulation dont nous disposons sur les établissements financiers de la zone euro, nous avons les moyens d'orienter fortement les transactions vers des chambres de compensation qui présentent toutes les garanties nécessaires de sécurité – car, au fond, l'enjeu est bien celui de la stabilité financière. Le fait que les transactions soient compensées via un organisme qui échappe totalement à notre supervision présenterait à l'évidence un risque accru dont il faudrait tirer les conséquences prudentielles. Des adaptations juridiques seront naturellement nécessaires, mais nul ne saurait prétendre que cette question, venant de la zone euro, est illégitime.

Quant à l'idée selon laquelle nous risquerions ainsi de susciter le transfert de la compensation de Londres à New York ou Singapour, elle ne me semble guère robuste : la question prudentielle se poserait exactement dans les mêmes termes, puisque la compensation échapperait également à notre supervision, et nous en tirerions les mêmes conséquences s'agissant du ratio de capital appliqué aux établissements.

Le renforcement de la zone euro doit aller au-delà. M. Elkouby a tracé plusieurs pistes en ce sens ; j'ai, quant à moi, eu l'occasion, avec plusieurs de mes homologues de la zone euro, en particulier Jens Weidmann, président de la Bundesbank, de formuler des propositions dans le champ de l'union économique. Souvenons-nous des débats sur le traité de Maastricht : il s'agissait de fonder une union économique et monétaire. Nous avons fait l'union monétaire, qui est un succès ; nous ne sommes qu'en chemin – c'est un euphémisme – vers l'union économique. Or, il est indispensable d'avancer en ce sens, y compris pour la croissance économique et l'emploi dans la zone euro. La politique monétaire est très active et le restera autant qu'il le faut, mais elle ne peut pas tout faire.

Le renforcement de l'union économique passe par deux étapes. La première consiste à élargir et renforcer l'union des marchés de capitaux – je préfère parler d'union de financement et d'investissement. Cet objectif déjà en vue inclut le plan Juncker sur l'investissement public et des mesures relatives à l'union bancaire. La zone euro dispose d'un formidable atout : son excédent d'épargne sur l'investissement, qui s'élève à 350 milliards d'euros par an. Mobilisons davantage cette épargne au profit des infrastructures publiques, de l'investissement productif et des fonds propres des entreprises européennes. Voilà en quoi consiste l'union de financement et d'investissement.

La deuxième étape pourrait nécessiter une modification des traités : elle consiste en effet à renforcer les institutions de l'union économique – en nommant par exemple un ministre des finances de la zone euro qui serait chargé non pas de décider d'un impôt européen – qui viendra plus tard – mais d'animer une stratégie collective visant à mettre en cohérence les politiques nationales de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de tous les autres pays de la zone euro pour stimuler la croissance et l'emploi. Précisons que la zone euro en tant que telle – y compris ses banques et sa politique monétaire – n'est ni menacée, ni même affectée par le Brexit, même si celui-ci l'invite à se renforcer.

Un dernier mot sur la question du passeport européen et le débat sur un Brexit « dur » ou « doux ». De deux choses l'une : soit le Royaume-Uni entend demeurer au coeur du marché unique en appliquant toutes ses règles – y compris la liberté de circulation des travailleurs – et, quoique sorti de l'Union, reste membre de l'Espace économique européen, en vertu d'un accord semblable à celui qui s'applique à la Norvège. Il ne semble pas que cette voie soit choisie. Deuxième option : le Brexit « dur » – ces adjectifs ne venant pas de nous, mais d'outre-Manche – et, en conséquence, l'abandon du passeport européen. Dans ce cas, l'accord de séparation engloberait le marché unique et ouvrirait la voie à un régime de pays tiers, ce qui n'empêchera pas de continuer à appliquer certaines règles, moyennant des contreparties.

Dans cette hypothèse, le risque de dumping réglementaire sera limité par le fait que le Royaume-Uni n'aura plus accès au marché unique, les règles qu'il édictera ne s'appliquant que sur son propre marché, beaucoup plus limité.

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Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor

Depuis le référendum britannique et les déclarations subséquentes de Mme May, je suis frappée par l'unité et la solidité des positions des Vingt-sept, qui doivent désormais gérer les conséquences sur les intérêts de l'Union d'une décision qu'ils n'ont pas prise. Sans doute la négociation fera-t-elle apparaître des divergences sur les intérêts financiers ou sectoriels de tel ou tel État mais, à ce stade, l'unité est forte : chacun s'est engagé d'une part à ne pas entamer de discussions bilatérales avant l'activation de l'article 50, ce qui inscrit la négociation dans un cadre assez strict, et d'autre part à préserver l'intégrité du marché intérieur en refusant toute approche à la carte, ou pick and choose. La liberté de circulation des personnes, par exemple, constitue un enjeu majeur pour certains pays de l'Est, qui n'accepteront sans doute pas qu'elle soit abandonnée si la liberté de circulation des capitaux, elle, est maintenue. De même, les Vingt-sept s'accordent sur l'importance de préserver l'intégrité de l'ordre juridique européen et du rôle de ses institutions, par exemple la Cour de justice. Si aucune décision formelle n'est encore prise concernant le passeport financier, la cohérence des positions européennes est très forte même si, encore une fois, des arbitrages seront nécessaires entre pays – et à l'intérieur de chacun d'entre eux – au fil de la négociation.

J'en viens à la période intermédiaire : l'exclusion ex ante, en quelque sorte, étant juridiquement impossible, le Royaume-Uni demeurera membre de l'Union jusqu'à sa sortie, avec les droits – participation aux débats – et les devoirs – paiement de la contribution budgétaire – que cela lui confère. En revanche, les Vingt-sept pourraient adopter un code de conduite régissant leurs relations avec le Royaume-Uni au cours de cette période. Admettons par exemple que le représentant britannique adopte dans un débat sur le régime des pays tiers une position qui, à l'évidence, sert à anticiper la situation future de son pays : les Vingt-sept devraient alors veiller à ce que la décision prise in fine ne soit pas influencée par ce point de vue, qui procède d'un conflit d'intérêts.

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Vous excluez donc toute espèce de modification du mécanisme de sortie de l'Union qui, certes, figure dans les traités mais qui n'a jamais été conçu dans l'hypothèse qu'il aurait à être appliqué ? Il est impensable de préparer une séparation pendant deux ans en laissant l'intéressé s'asseoir à table comme si de rien n'était ! Il me semble essentiel que les Vingt-sept déterminent entre eux si c'est cette voie qu'ils souhaitent suivre ; dans ce cas, nous n'arriverons à rien. De surcroît, nous serons pris en otage par les convulsions politiques et judiciaires qui se produiront au Royaume-Uni et le processus finira par traîner en longueur – ce qui est dans l'intérêt des Britanniques, mais qui nous mettra en difficulté.

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Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor

Il va de soi que le Royaume-Uni ne participera à aucune des discussions des Vingt-sept portant sur le divorce et les relations futures. En revanche, il continuera, en tant que membre de l'Union, de prendre part à la gestion de ses affaires courantes, en quelque sorte, et c'est dans ce domaine qu'il faudra définir un code de conduite. Précisons un point particulier : la compétence commerciale est communautaire, or le Royaume-Uni a annoncé qu'il entamerait des négociations commerciales avec des pays tiers – les États-Unis et le Canada, par exemple – pour son propre compte. La Commission a clairement identifié le problème juridique qui en résulte, le Royaume-Uni ne pouvant évidemment pas participer tout à la fois aux négociations qu'il conduit à titre bilatéral et aux négociations commerciales de l'Europe.

Entre Brexit « dur » et Brexit « mou », le premier est le plus vraisemblable : les lignes rouges fixées par les Britanniques ne leur permettront pas de demeurer dans le marché intérieur. La marge de négociation reste considérable, cependant : puisque le modèle de l'Espace économique européen n'est pas envisageable pour les Britanniques, c'est sans doute celui de l'accord de libre-échange qui s'imposera. La négociation sur les relations futures avec le Royaume-Uni, devenu pays tiers, portera donc sur chaque secteur, sachant qu'il existera des possibilités de reconnaissance mutuelle, même s'il faudra les encadrer. Pour nous, la priorité est d'éviter qu'un acteur économique non membre de l'Union – et beaucoup plus puissant que la Suisse, en l'occurrence – puisse accéder facilement à nos marchés sans que ses entreprises, financières ou non, soient soumises aux mêmes règles que les entreprises européennes. Pour se prémunir contre l'émergence d'un tel centre offshore – qui, de surcroît, poserait un réel problème de souveraineté –, il est indispensable de préserver nos acquis juridiques.

Il faut poursuivre l'intégration économique de la zone euro, une nécessité que le Brexit n'atténue aucunement, même s'il change quelque peu la donne en termes politiques, car la priorité consiste désormais à préserver l'unité des Vingt-sept plutôt qu'à soulever des sujets qui pourraient susciter la division entre les membres de la zone euro et les autres pays de l'Union. Quoi qu'il en soit, la volonté de renforcer l'union économique autour de la zone euro est partagée, et la Commission européenne présentera prochainement des propositions en la matière.

S'agissant des intentions des banques et du secteur financier, les décisions devraient être prises rapidement : les acteurs économiques n'attendront pas de connaître précisément la nature des relations futures entre l'Union et le Royaume-Uni dans la mesure où il est déjà clair que le passeport et l'accès direct au marché intérieur seront remis en cause.

D'autre part, la perception de la place de Paris évolue : les perspectives qu'elle offre en vue d'éventuelles relocalisations suscitent un intérêt réel. À ce stade, la stratégie des établissements consiste plutôt à diversifier l'implantation de leurs activités en tirant parti des avantages comparatifs de chacune des places financières de l'Union en fonction de leurs intérêts. De ce point de vue, les décisions annoncées, qui sont perçues comme un signal très favorable d'ouverture et d'attractivité de la place de Paris, illustrent la forte cohérence de la stratégie globale de la France.

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Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers, AMF

Telle une poupée russe, le Brexit invite à penser en cascade des problèmes imbriqués les uns dans les autres, mais il est difficile de prévoir dans quel ordre ils se présenteront. Le passeport financier, par exemple, disparaîtra le jour de la sortie du Royaume-Uni, c'est-à-dire au plus tard en mars 2019 si l'article 50 est invoqué en mars prochain – à moins qu'un accord n'ait été trouvé pour qu'il soit maintenu. Si le Royaume-Uni accepte de respecter toutes les règles concernant la sphère financière, y compris celles qui évolueront, il pourrait alors obtenir de conserver peu ou prou les droits dont il jouit aujourd'hui. En revanche, il serait problématique qu'il accepte un accord dans le domaine financier tout en refusant des concessions politiques sur la liberté d'installation et de circulation. Autrement dit, il faut d'abord établir si le Brexit – dans l'hypothèse où il serait « doux » – donne lieu à un accord de libre-échange et si les dispositions convenues dans la sphère financière s'accompagnent de contreparties suffisantes. En cas de Brexit « dur », la négociation sera compartimentée entre secteurs. Dans la sphère financière, je ne doute pas que les Britanniques tenteront de s'adapter à la situation. S'ils proposent de respecter toutes les règles en la matière, un arbitrage politique sera nécessaire.

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Ils seront plus en difficulté que nous…

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Quoi qu'il arrive, il faudra leur résister !

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Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers, AMF

Si nous refusons une telle proposition, ils entreprendront alors de négocier des accords spécifiques, qu'ils soient bilatéraux ou sectoriels ; il faudra dans ce cas faire preuve de toute la rigueur nécessaire pour éviter que le diable ne se loge dans les détails. De mon point de vue, il faut donc éclaircir ce sujet au mieux.

Il est inévitable que certaines activités financières aujourd'hui exercées à Londres soient transférées sur le continent, même si leur volume n'est pas considérable. Les différentes places européennes étant en concurrence, nous devons faire valoir nos atouts. Nous faisons tout notre possible pour promouvoir l'attractivité de la place de Paris ; mieux vaut toutefois adopter des positions claires sans les nuancer dans la foulée – même pour de bonnes raisons – par d'autres déclarations, car l'efficacité dans les négociations s'en ressent.

Enfin, nos infrastructures de marché jouent un rôle important. Nous n'avons pas encore abordé la question du rapprochement des bourses de Londres et de Francfort. Les enjeux sont pourtant colossaux, tant en termes de risques systémiques dus à la concentration excessive des opérations dans une seule et même structure, qu'en raison du paradoxe selon lequel, à l'issue du Brexit, l'un des principaux centres de décision financiers européens serait localisé hors de l'Union européenne.

À mon sens, aucune autorité de régulation financière en Europe n'a le souhait de « casser » la place de Londres ; au contraire, la continuité de la régulation et des affaires sont prioritaires pour éviter tout accident. Dans toutes les hypothèses, la place de Londres conservera un rôle majeur. En revanche, il est important d'évaluer les activités qu'elle gardera et selon quelles modalités. Le risque de dumping est une question très complexe : les Britanniques seront partagés entre la volonté de conserver certaines règles, car il est utile de réguler la finance en certaines circonstances, et celle de procéder à des assouplissements en réponse, par exemple, à la demande de partenaires américains souhaitant s'installer à Londres, pour lesquels ils ont les yeux de Chimène. Il faudra donc établir avec la plus grande clarté si le passeport – ou son équivalent – est maintenu, et dans quelle mesure l'application des règles en vigueur dans les Vingt-sept demeure contraignante.

Encore une fois, la question du Brexit est complexe parce qu'elle se décline en innombrables sous-questions. Or, les Britanniques sont les techniciens les plus habiles en la matière. Nous devrons donc nous doter des moyens suffisants pour analyser précisément les implications de chaque choix.

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Arnaud de Bresson, délégué général de Paris Europlace

Serait-elle capable de « casser » la place de Londres que la place de Paris n'en aurait aucunement l'intention, car cette place est un atout concurrentiel pour l'Europe – nous avions d'ailleurs pris clairement parti en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'Union. Au fond, la question ne se pose pas en ces termes, et ce pour au moins deux raisons concrètes. Tout d'abord, les banques et institutions internationales, notamment américaines, concentrent 80 % de leurs activités de financement en Europe à Londres et ne veulent plus courir un tel risque, a fortiori dans la perspective du Brexit. La question a d'ailleurs été soulevée auprès de leurs autorités de régulation nationale. Plutôt que de quitter définitivement Londres, les banques et sociétés de gestion internationales vont chercher à rééquilibrer une partie de leurs activités vers l'Union européenne, ne serait-ce que pour gérer ces risques. L'enjeu – important – pour nous consiste donc à tenter de reprendre une partie des activités en euros actuellement traitées à Londres. Même ainsi, la City continuera d'exister, vu l'écart qui la sépare des autres places financières européennes.

J'entends d'autre part demander pourquoi Paris Europlace se bat pour doter la France d'une place financière européenne, ce rôle pouvant être confié à Londres puisque la ville de Paris a plutôt fait le choix de développer les start-ups. Comment peut-on imaginer développer des PME de croissance et de haute technologie en France sans disposer des instruments financiers nécessaires à leur accompagnement ? Il n'y aura pas de start-ups en France sans place financière capable de leur apporter les instruments indispensables que sont le capital-investissement et la bourse des PME. En clair, l'idée de consolider une place financière en Europe continentale, notamment en France – l'une des principales économies de l'Europe – est réaliste et nous permettra, sans « casser » la place de Londres car ce n'est pas notre intention, de jouer un rôle croissant dans les différents secteurs liés à l'euro.

Nous n'avons adopté aucune religion hostile à la taxe sur les transactions financières, monsieur Giraud. En revanche, nous partageons précisément votre souhait que le Brexit soit l'occasion d'assainir davantage les marchés financiers européens en les rendant plus responsables. En effet, nous avons là une possibilité de développer une place financière européenne qui ne réponde pas aux mêmes standards que la place de Londres. Nous avons créé Paris Europlace il y a vingt ans selon un modèle économique consistant à placer les entreprises au premier rang, plutôt qu'à recréer un club de banquiers londoniens. C'est pourquoi depuis l'origine, Paris Europlace est présidée par un président d'entreprise, les entreprises représentant 70 % de nos membres, outre les banques et les investisseurs ; de plus, elle accorde une grande importance au dialogue des professionnels avec les autorités de régulation. Avant la crise financière, ce modèle était jugé franchouillard et irréaliste ; je prétends qu'il s'impose aujourd'hui comme le modèle d'après la crise. Depuis 2008, nous avons ainsi signé une quinzaine d'accords de coopération avec des places émergentes – Shanghai, Pékin, Moscou et Dubai ou encore Casablanca, Alger et Tunis, qui choisissent désormais notre modèle car elles l'estiment plus proche de la réalité du financement de l'économie et plus adapté à une bonne régulation des marchés.

La seule religion que nous nous sommes faite concernant la taxe sur les transactions financières est celle de M. Bartolone : la France ne saurait adopter seule cette mesure, à moins de provoquer la disparition de cette place financière que vous souhaitez plus responsable, monsieur le député. La Suède, qui avait instauré cette taxe, a dû l'abandonner au bout de deux ans car toute l'activité financière avait disparu. L'Italie, quant à elle, a créé une taxe sur les activités dérivées qui s'est traduite par le transfert de 60 % de ce secteur vers Londres, précisément. En prenant seuls cette mesure, vous provoqueriez le départ vers Londres de ce qui reste de la place financière de Paris au lieu d'y attirer et développer une finance européenne responsable.

Les banques et les sociétés d'assurance à Londres, monsieur Lequiller, ont non seulement exprimé leur souhait mais aussi entrepris concrètement de rééquilibrer leurs activités au profit de l'Europe continentale, compte tenu des risques liés à une surconcentration sur la place de Londres et au Brexit. Nous les rencontrons, et nous avons lancé une réflexion sur les six filières industrielles concernées – banque de financement, gestion d'actifs, capital-risque, entreprises industrielles, start-ups et technologie financière, infrastructures de marché – pour déterminer plus précisément nos objectifs en matière de relocalisation des activités. En effet, les banques et sociétés de gestion concernées ont d'ores et déjà commencé à recueillir les données relatives à la performance comparée des places financières concurrentes que sont Paris, Francfort, Amsterdam, Luxembourg et Dublin. La place de Paris a l'avantage de représenter une économie de rang mondial s'appuyant sur de grandes entreprises, ce qui n'est le cas ni de Luxembourg ni de Dublin – où, de surcroît, les capacités immobilières sont arrivées à saturation. De plus, Paris est le siège de grandes entreprises internationales et de marchés très actifs ; c'est un centre financier mondial, alors que Francfort est une place régionale largement tournée vers les banques – dont la situation n'est guère florissante.

Nous avons donc une véritable chance à saisir, à condition de réaliser une union sacrée. Le Premier ministre, la maire de Paris, la présidente de la région Île-de-France, le président de la métropole et le président de Paris Europlace, monsieur Mestrallet, sont heureusement autour de la table pour que nous progressions sur ce sujet, dont je ne comprends pas qu'il soit absent des débats sur le projet de loi de finances.

La table ronde se termine à 12 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Guillaume Bachelay, M. Claude Bartolone, M. Christophe Caresche, M. Philip Cordery, M. Eric Elkouby, M. Joël Giraud, Mme Elisabeth Guigou, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Gilles Savary.

Excusés. – Mme Nicole Ameline, Mme Valérie Fourneyron, M. Christophe Premat, M. Rudy Salles.