Intervention de Odile Renaud-Basso

Réunion du 3 novembre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor :

Nous ne considérons pas non plus le Brexit comme une bonne nouvelle, car il risque d'affaiblir le projet européen et d'avoir des effets mécaniques sur les bénéfices que nous tirons du marché unique, par un amoindrissement des échanges à l'intérieur de celui-ci comme avec nos partenaires extérieurs.

Le Royaume-Uni, c'est une évidence, est un acteur essentiel des marchés financiers européens : en matière d'assurance et de réassurance, il détient 22 % des parts de marché de l'Union européenne ; il détient également 26 % des prêts bancaires et 35 % des financements interbancaires au niveau européen. Le Royaume-Uni est le premier marché européen de gestion de portefeuilles en termes de montants investis, et il est absolument prédominant en matière de marchés de dérivés échangés de gré à gré (over the counter ou OTC), avec 99 % du marché. Il réalise 38 % des opérations de Sale and Repurchase Agreement ou pension livrée (REPO).

Le Brexit aura donc nécessairement un effet structurant dans l'organisation des services financiers en Europe. Mais nous n'avons d'autre choix que de tenir compte du vote du peuple britannique : il nous faut donc rechercher la meilleure solution pour la France et l'Union européenne.

La Première ministre britannique a indiqué, vous le savez, que la notification interviendrait d'ici au mois de mars 2017 ; d'ici là, aucune négociation n'est engagée, mais les différents gouvernements mènent leurs réflexions propres, et des discussions à vingt-sept vont commencer d'ici à la fin de l'année.

Parmi les sujets à traiter, il y a d'abord l'accord de retrait du Royaume-Uni, sur le fondement de l'article 50 : il doit intervenir dans un délai de deux ans, sauf si les Vingt-sept étaient unanimes pour prolonger cette période. Il visera principalement à organiser les modalités du divorce, et abordera donc les questions du budget européen et des dettes du Royaume-Uni vis-à-vis de ce budget, du traitement du personnel britannique au sein des institutions européennes, de la répartition des contingents commerciaux dans les accords passés avec des pays tiers qui en comprennent. Ce sont donc des considérations très pratiques. Les questions sectorielles – le sort, par exemple, de l'Autorité bancaire européenne, dont le siège est actuellement à Londres – devraient occuper une partie très marginale de cet accord.

Il faut également se préoccuper des négociations de l'accord qui organisera les relations bilatérales entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Le champ des possibles est ici très vaste ; quelle que soit la forme juridique qui sera retenue, les conséquences pour le secteur financier seront importantes. J'y reviendrai.

À plus court terme, nous devons réfléchir à la façon dont nous allons gérer la période qui s'ouvre : comment préserver, pendant ces deux années, la capacité de l'Union européenne à avancer collectivement et à répondre aux défis qui lui sont lancés ?

En particulier, le Royaume-Uni demeure, pendant cette période, membre à part entière de l'Union européenne ; mais il peut se trouver, dans certaines circonstances, en position de conflit d'intérêts, puisqu'il discute de réglementations qu'il n'appliquera pas forcément, ou qu'il appliquera en étant doté d'un autre statut. Les Vingt-sept doivent donc s'imposer des règles de comportement propres à maintenir leur cohésion, et s'efforcer de défendre les intérêts de l'Union européenne.

Durant cette période transitoire, des questions d'adaptation du droit européen en vigueur peuvent également se poser : seuils, révision des régimes d'équivalence en faveur des pays tiers… La portée de ces réglementations sera en effet largement modifiée si le Royaume-Uni devient un pays tiers : on ne peut pas comparer un petit pays de l'autre côté de l'Atlantique et un grand pays au coeur de l'Europe.

Au niveau national, nous devrons enfin nous pencher sur l'organisation et l'attractivité de la place de Paris, afin de faciliter d'éventuelles réimplantations. Le Gouvernement se mobilise, avec Paris Europlace et les autorités de supervision, pour présenter les atouts français et faciliter l'accueil de nouvelles institutions – ce qui implique des considérations très pragmatiques, sur la présence d'écoles par exemple.

J'en viens aux enjeux d'un hard Brexit pour les acteurs financiers européens. Deux principes du marché intérieur sont aujourd'hui essentiels à l'organisation des marchés financiers.

Le premier, c'est le principe de libre installation : les établissements de crédit, les entreprises d'investissement, les établissements de monnaie électronique et les établissements d'assurance d'un autre pays membre peuvent venir s'installer librement en France ou dans tout autre État membre de l'Union, en ouvrant une succursale. Ainsi, notre pays compte aujourd'hui 75 assureurs, 21 établissements de crédit et 46 entreprises d'investissement britanniques, qui exercent dans notre pays grâce à des succursales.

Le second principe, c'est la liberté de prestation de services : toute entité soumise à agrément peut assurer la prestation de services dans tout autre État membre depuis son pays d'origine sans ouvrir d'établissement dans le pays concerné. Aujourd'hui, 87 entités londoniennes, dont 40 % sont détenues par une maison mère britannique, exercent dans ce cadre des activités bancaires en France depuis la capitale britannique. C'est aussi le cas de 218 assureurs, et un grand nombre d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) opèrent sur cette base. À l'inverse, les quatre grandes banques françaises disposent de 70 autorisations de fournir des services financiers et 340 OPCVM sont commercialisés au Royaume-Uni sur la base de ce principe.

La fin du dispositif de passeport, et la fin des principes de liberté d'établissement comme de prestation de services, auraient donc des effets extrêmement forts.

Elles ne signifient pas pour autant la fin de l'accès au marché européen depuis le Royaume-Uni. Dans le cadre actuel, il est toujours possible – quoique plus contraignant – pour un groupe bancaire ou d'assurances d'un pays tiers de s'installer dans un pays en y créant une filiale. De la même façon, il existe dans certains secteurs un régime national de succursale de pays tiers ; c'est notamment le cas pour les établissements de crédit, qui doivent disposer d'un agrément, et dont la capacité d'agir est limitée aux pays où cet agrément a été accordé. Mais un tel régime n'a jamais été expérimenté pour un pays de l'importance du Royaume-Uni. Enfin, la question du bénéfice des régimes d'équivalence se pose : la législation britannique est aujourd'hui, naturellement, équivalente à celle de l'Union européenne, et certains textes prévoient déjà des régimes d'équivalence, mais surtout dans le domaine des marchés ; ils ne couvrent ni les activités de crédit ni celles d'assurance.

La fin de l'accès au marché intérieur aurait donc pour les Britanniques des effets radicaux. Parallèlement, il est crucial pour l'Union européenne de préserver l'intégrité et la logique de fonctionnement du marché intérieur.

Les autorités britanniques ont d'ores et déjà indiqué vouloir suspendre la liberté de circulation des personnes ; ils souhaitent également se retirer de l'aire de compétence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). De telles conditions nous paraissent tout à fait incompatibles avec un accès plein et direct au marché intérieur, dont les principes fondamentaux sont les quatre libertés – circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux –, mais aussi un ordre juridique intégré où un droit commun s'applique de façon égale sur tout le territoire, sous la supervision de la CJUE.

Il faudra donc trouver des modalités de coopération. Il nous semble en tout cas essentiel de veiller à éviter tout dumping réglementaire, mais aussi tout dumping en matière de supervision qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur la stabilité financière de l'Europe. Dans la perspective des futures relations bilatérales, nous devrons également identifier, secteur par secteur, nos intérêts offensifs et défensifs. Nous travaillons très étroitement avec la place de Paris pour parvenir à une position commune avant l'ouverture effective des négociations.

Dans le cadre de ces discussions, nous aurons à parvenir à un équilibre entre les différents intérêts économiques de notre pays : d'un côté, il faut essayer d'attirer en France de nouvelles activités, mais il faut aussi préserver un bon financement de l'économie, ce qui suppose de réfléchir à certains services offerts aujourd'hui par le Royaume-Uni.

Dans ce contexte, la France et sa place financière disposent d'atouts importants, qu'il faudra mettre en valeur : nous sommes le deuxième acteur du secteur de l'assurance, derrière le Royaume-Uni ; nous disposons de banques de taille internationale ; la place de Paris représente 20 % de la gestion européenne d'actifs. Enfin, la qualité de nos infrastructures est reconnue.

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