Beaucoup ayant déjà été dit, je serai bref. J'insisterai d'abord sur l'enjeu que représente le développement d'une place financière forte en France. J'expliquerai ensuite en quoi le Brexit – que nous n'avons pas voulu et auquel nous nous sommes opposés, y compris en achetant des encarts publicitaires dans la presse britannique pour exprimer le point de vue des entreprises françaises en faveur du Bremain –, peut représenter une opportunité historique pour la place de Paris. Enfin, j'évoquerai nos atouts, les conditions à mettre en oeuvre et les priorités d'action.
Sur le premier point, je commencerai par rappeler quelques chiffres.
La place financière française apporte chaque année 300 milliards d'euros de financement à l'économie et aux entreprises, y compris aux PME, dont 180 milliards de crédits bancaires, 50 milliards de financement en actions – c'est d'ailleurs encore trop peu – et 10 milliards de capital-investissement, par le biais des fonds d'investissement pour les jeunes entreprises de croissance.
L'industrie financière française, avec l'ensemble de ses composantes, ce sont 1,2 million d'emplois en France, 4,5 % de l'emploi national, 6 % de l'emploi en région Île-de-France ; il s'agit de l'une des grandes industries créatrices d'emploi dans notre pays, même si elle n'a pas encore la surface de la place financière de Londres.
Enfin, le secteur représente un enjeu majeur pour la souveraineté économique française. À l'heure où les investisseurs étrangers représentent 40 à 50 % de la capitalisation en actions de la place de Paris, si nous voulons garder le contrôle de nos centres de décision au cours des années à venir – et l'on sait combien il est menacé –, il est essentiel de développer l'épargne en France et de l'orienter vers l'investissement dans nos entreprises.
La place de Paris est également très mobilisée pour accompagner le développement de l'économie durable et la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons lancé hier un plan d'action dans ce domaine, qui succède aux engagements que nous avions pris lors de la COP21. Gérard Mestrallet et moi-même serons demain à Casablanca pour le deuxième Climate Finance Day international, que Paris Europlace organise en partenariat avec la place financière de Casablanca, pour ouvrir la COP22 et témoigner des engagements que contracte l'industrie financière internationale, à un rythme de plus en plus soutenu.
J'en viens à l'opportunité que le Brexit peut représenter.
Dès l'annonce du référendum, la place de Paris s'est mobilisée, nommant très rapidement Christian Noyer président de la commission Paris Europlace, afin, quelle que soit l'issue du vote, de réfléchir à ses conséquences et aux paramètres à mettre en oeuvre, d'une part, et de faire valoir les atouts de la place de Paris, d'autre part.
Nous avons adressé aux pouvoirs publics nos recommandations sur les conditions de la négociation ; je ne reviens pas sur ce point qui a déjà été abordé. Concrètement, les entreprises que nous représentons ont été attentives à trois aspects.
Premièrement, même si le processus de sortie sera complexe, personne n'a intérêt à une négociation longue ; nous avons donc insisté dès l'origine sur la nécessité de faire au plus vite, les incertitudes représentant un frein considérable pour les acteurs économiques et pour l'économie française et européenne.
Deuxièmement, en ce qui concerne le contenu de l'accord, il faut être ferme sur les objectifs : la fin du passeport pour les services financiers, compte tenu de la nouvelle situation dans laquelle se trouvera le Royaume-Uni une fois sorti de l'Union européenne ; la reprise du contrôle de la monnaie européenne, enjeu tout aussi important et stratégique à l'heure où 40 % des transactions en euros sont effectuées sur la place de Londres, ce qui était déjà étrange dans la mesure où le Royaume-Uni était en dehors de la zone euro, et devient absurde dès lors qu'il quitte l'Union.
Troisièmement, c'est maintenant que les entreprises internationales, à Londres, à Tokyo, à Pékin et à New York, mènent leurs diligences afin d'analyser les performances comparées des différentes places financières européennes et d'arrêter leur plan B. Il y a encore quelques semaines, nous étions à Londres dans le business as usual : nos interlocuteurs préconisaient d'attendre de voir ce qui allait se passer, estimant qu'il n'était finalement pas certain qu'il arrive quoi que ce soit. Mais, depuis que Mme Theresa May a annoncé que l'article 50 serait activé en mars 2017, toutes les entreprises sont au travail. C'est donc le moment d'agir et de faire valoir nos atouts si nous voulons conserver une place financière en France.
Ces atouts, sur lesquels vous nous avez interrogés, ont été cités ; je n'y reviens pas en détail. Mais ils sont réels, y compris par comparaison avec Francfort. Si, eu égard aux chiffres, les deux places sont à peu près équivalentes, il faut aussi prendre en considération la nature de la place financière. Francfort est une ville de banques ; Paris est une place d'entreprises, de grandes entreprises françaises et internationales qui occupent les premiers rangs mondiaux, bien plus qu'à Francfort et même qu'à Londres. Dès lors, pour les banques, Paris est la place de leurs clients alors que Francfort est celle de leurs concurrents. En outre, ces entreprises sont très actives sur les marchés financiers : leur financement est désormais assuré à 40 % par le marché et à 60 % par les banques, contre respectivement 20 % et 80 % à Francfort.
À ces atouts s'ajoutent la présence d'infrastructures de marché très compétitives, notamment la plateforme Euronext et le pôle de gestion d'actifs, qui représente 20 % de la gestion européenne – le double de l'Allemagne, avec 3 600 milliards d'euros d'actifs gérés, contre 1 300 à Francfort ; une main-d'oeuvre hautement qualifiée ; le développement des FinTech, qui s'accélère ; la régulation, déjà mentionnée.
Ce sont autant d'aspects auxquels nos interlocuteurs sont sensibles lorsque nous les leur présentons, comme nous avons commencé à le faire.
En revanche – je m'excuse d'y revenir, mais c'est mon devoir –, notre principal handicap, perçu par tous les acteurs internationaux, est évidemment l'environnement réglementaire et fiscal, le coût du travail, la rigidité des lois sociales et l'instabilité réglementaire permanente qui règne dans notre pays.
J'en parlais ce matin encore avec Patrick Ollier, président de la métropole du Grand Paris, à l'occasion de l'ouverture du guichet unique, important facteur d'attractivité, par le Premier ministre, accompagné d'Anne Hidalgo et de Valérie Pécresse – un acte d'union sacrée pour marquer les avancées de la place de Paris. Nous saluons les mesures que le Premier ministre a annoncées au mois de juillet et rappelées ce matin : l'amélioration du régime des cadres impatriés, l'engagement à une baisse progressive de l'impôt sur les sociétés pour revenir à la moyenne européenne, l'ouverture de lycées internationaux, essentielle pour accueillir les familles des cadres qui viendront ou reviendront en France, enfin l'ouverture du guichet unique qui s'est matérialisée aujourd'hui. Ces signaux sont importants et bienvenus pour réduire la portée de notre handicap. Mais, au même moment, l'Assemblée nationale dresse de nouveaux obstacles en adoptant différents amendements.
D'abord, sur l'attribution gratuite d'actions (AGA), vecteur essentiel de l'épargne salariale, notamment dans les PME. Les PME françaises de croissance qui avaient réuni leurs assemblées générales pour présenter à leur personnel un nouveau dispositif de participation proposé par les pouvoirs publics et favorable à la croissance de leur société, et qui ont fait voter les mesures correspondantes, sont aujourd'hui confrontées à l'éventualité de la suppression de ce dispositif, lourde de conséquences pour la motivation des salariés et l'organisation de l'entreprise.
Viennent ensuite le relèvement de 50 % du taux de la taxe sur les transactions financières (TTF), adopté sans même attendre l'issue des discussions européennes sur le sujet, et l'instauration d'une taxe sur les opérations intraday. Celles-ci n'ont pourtant rien à voir avec le trading à haute fréquence, que nous avons déjà supprimé de la place de Paris pour exaucer votre souhait de réduire la part de la finance spéculative de court terme : ce sont des opérations d'achat et de vente journalières sans lesquelles un marché ne peut exister et qui en constituent la condition de liquidité.
Le vote de ces amendements constitue un signal totalement contre-productif qui risque de réduire à néant l'action collective que nous sommes en train de mener avec les pouvoirs publics et la ville de Paris. Ils nous sont déjà opposés par nos interlocuteurs, nos concurrents immédiats que sont Francfort, Amsterdam, Luxembourg et Dublin les mettent en avant.
Il nous paraît donc essentiel que lors des prochaines étapes du débat sur le projet de loi de finances, vous vous mobilisiez pour rejeter les amendements en question et que la réforme des cadres impatriés soit confirmée. À défaut, ce retour sur les annonces faites par les pouvoirs publics donnera le pire signal possible de la part de la France.
Pour l'étape suivante, nous allons remettre, dans le cadre de la campagne présidentielle, un livre blanc sur les quatre réformes qui nous paraissent indispensables en matière d'attractivité.
Premièrement, il faut aller au-delà de la trajectoire actuelle de baisse de l'impôt sur les sociétés pour rejoindre effectivement la moyenne européenne ; le taux de 28 % visé en 2020 est encore supérieur de cinq points. Deuxièmement, il faut éteindre progressivement la taxe sur les salaires, qui est une taxe sur l'emploi. Troisièmement, il convient de remettre la fiscalité de l'épargne à l'endroit pour privilégier l'épargne de long terme, qui accompagne le financement des entreprises et de l'économie. Enfin, une fois ces réformes accomplies, il faudra faire de la stabilité et de la lisibilité de la norme fiscale réglementaire un principe cardinal pour notre pays. Je crois savoir qu'Anne Hidalgo a annoncé ce matin son souhait à cet égard, ainsi que son voeu de voir la mesure sur les cadres impatriés maintenue, et même élargie.
Je profite enfin de la présence de François Villeroy de Galhau et d'Élisabeth Guigou pour affirmer nos autres priorités, qui concernent l'accélération de la construction européenne avec les pays motivés autour de ce projet. Nous avons deux priorités immédiates : l'accélération de la mise en place du plan Juncker pour le financement des investissements d'infrastructures et de projets en Europe – la place de Paris contribue à remettre des projets – et surtout l'accélération de la capital market union, ou union de financement et d'investissement en Europe, qui est la condition pour la compétitivité de l'Europe dans le monde de demain.