Je vais me concentrer sur trois questions : notre position dans la négociation, le renforcement de l'euro et de la zone euro, et celle du passeport européen selon les scénarios de Brexit « dur » ou « mou » – je ne sais d'ailleurs pas s'il convient de traduire soft Brexit par « Brexit mou » ou « Brexit doux » !
S'agissant de notre position dans la négociation, je voudrais préciser la formule que j'ai employée dans mon propos liminaire : la clé, c'est l'unité pour l'intégrité. Chacun de ces termes emporte deux conséquences.
Deux intégrités sont absolument essentielles dans la négociation. Tout d'abord, l'intégrité du marché unique financier lui-même. Sur ce point, les vingt-sept membres de l'Union européenne ont une position forte, et je pense que c'est l'élément essentiel en réponse à M. Giraud : nous avons construit un marché unique fortement régulé. Nous pouvons encore le renforcer, mais il est hors de question de reculer sur ce point. C'est la première intégrité.
La deuxième intégrité, c'est celle du marché unique entre les différents secteurs. Nous parlons aujourd'hui des services financiers, mais il y a aussi l'agriculture, l'industrie et les services. Cette deuxième intégrité est extrêmement importante. Il ne faudra pas accorder de concessions secteur par secteur ; il est probable que les négociateurs britanniques soient tentés de saucissonner le sujet, mais il sera au contraire très important de maintenir cette deuxième intégrité et l'équilibre d'ensemble du marché unique.
Sur l'unité, M. Savary soulevait la question de l'unité européenne, qui est la première des deux unités. À ce stade, tel que je sens les choses autour de la table du Conseil des gouverneurs, je crois qu'elle est forte. Bien sûr, elle devra résister au déroulement des négociations, mais il y a un intérêt économique, presque patrimonial, à préserver la valeur du marché unique que nous avons construit ensemble. Il y a aussi un intérêt politique à ce que les règles du jeu soient respectées.
La deuxième unité, c'est celle de l'équipe de France. Je ne reviendrai pas sur la TTF, je comprends le débat au sein du Parlement, qui est évidemment souverain en la matière. Le seul point que nous pouvons souligner est qu'aux yeux des observateurs étrangers, plus encore que le niveau des normes fiscales ou réglementaires, c'est leur instabilité qui peut nous pénaliser. Nous devons veiller à une certaine stabilité de nos règles.
Dans l'unité de l'équipe de France, j'ai insisté sur l'engagement de l'industrie financière. Beaucoup d'établissements attendent de voir comment les règles du jeu vont évoluer, mais je crois important qu'ils se préparent à une stratégie alternative en cas de Brexit « dur », comme Mme May semble en donner le signal.
Comme le préconise le rapport de M. Lellouche et de Mme Berger, je souhaite que la part de l'euro se renforce. Après sa naissance, l'euro comme actif international a connu une montée rapide – et positive – avant d'atteindre un palier, puis de redescendre en pente douce au cours de la dernière décennie, non seulement en raison de la crise de la zone euro mais aussi de la montée des devises émergentes, et parce que l'incertitude profite toujours au dollar.
Si nous voulons relancer la consolidation de la zone euro, nous devons en premier lieu poser la question de la localisation des chambres de compensation. Le Chancelier de l'Échiquier britannique estime qu'elles ne pourraient pas déménager ; qui, à sa place, dirait autre chose ? Cela étant, compte tenu des pouvoirs de supervision et de régulation dont nous disposons sur les établissements financiers de la zone euro, nous avons les moyens d'orienter fortement les transactions vers des chambres de compensation qui présentent toutes les garanties nécessaires de sécurité – car, au fond, l'enjeu est bien celui de la stabilité financière. Le fait que les transactions soient compensées via un organisme qui échappe totalement à notre supervision présenterait à l'évidence un risque accru dont il faudrait tirer les conséquences prudentielles. Des adaptations juridiques seront naturellement nécessaires, mais nul ne saurait prétendre que cette question, venant de la zone euro, est illégitime.
Quant à l'idée selon laquelle nous risquerions ainsi de susciter le transfert de la compensation de Londres à New York ou Singapour, elle ne me semble guère robuste : la question prudentielle se poserait exactement dans les mêmes termes, puisque la compensation échapperait également à notre supervision, et nous en tirerions les mêmes conséquences s'agissant du ratio de capital appliqué aux établissements.
Le renforcement de la zone euro doit aller au-delà. M. Elkouby a tracé plusieurs pistes en ce sens ; j'ai, quant à moi, eu l'occasion, avec plusieurs de mes homologues de la zone euro, en particulier Jens Weidmann, président de la Bundesbank, de formuler des propositions dans le champ de l'union économique. Souvenons-nous des débats sur le traité de Maastricht : il s'agissait de fonder une union économique et monétaire. Nous avons fait l'union monétaire, qui est un succès ; nous ne sommes qu'en chemin – c'est un euphémisme – vers l'union économique. Or, il est indispensable d'avancer en ce sens, y compris pour la croissance économique et l'emploi dans la zone euro. La politique monétaire est très active et le restera autant qu'il le faut, mais elle ne peut pas tout faire.
Le renforcement de l'union économique passe par deux étapes. La première consiste à élargir et renforcer l'union des marchés de capitaux – je préfère parler d'union de financement et d'investissement. Cet objectif déjà en vue inclut le plan Juncker sur l'investissement public et des mesures relatives à l'union bancaire. La zone euro dispose d'un formidable atout : son excédent d'épargne sur l'investissement, qui s'élève à 350 milliards d'euros par an. Mobilisons davantage cette épargne au profit des infrastructures publiques, de l'investissement productif et des fonds propres des entreprises européennes. Voilà en quoi consiste l'union de financement et d'investissement.
La deuxième étape pourrait nécessiter une modification des traités : elle consiste en effet à renforcer les institutions de l'union économique – en nommant par exemple un ministre des finances de la zone euro qui serait chargé non pas de décider d'un impôt européen – qui viendra plus tard – mais d'animer une stratégie collective visant à mettre en cohérence les politiques nationales de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de tous les autres pays de la zone euro pour stimuler la croissance et l'emploi. Précisons que la zone euro en tant que telle – y compris ses banques et sa politique monétaire – n'est ni menacée, ni même affectée par le Brexit, même si celui-ci l'invite à se renforcer.
Un dernier mot sur la question du passeport européen et le débat sur un Brexit « dur » ou « doux ». De deux choses l'une : soit le Royaume-Uni entend demeurer au coeur du marché unique en appliquant toutes ses règles – y compris la liberté de circulation des travailleurs – et, quoique sorti de l'Union, reste membre de l'Espace économique européen, en vertu d'un accord semblable à celui qui s'applique à la Norvège. Il ne semble pas que cette voie soit choisie. Deuxième option : le Brexit « dur » – ces adjectifs ne venant pas de nous, mais d'outre-Manche – et, en conséquence, l'abandon du passeport européen. Dans ce cas, l'accord de séparation engloberait le marché unique et ouvrirait la voie à un régime de pays tiers, ce qui n'empêchera pas de continuer à appliquer certaines règles, moyennant des contreparties.
Dans cette hypothèse, le risque de dumping réglementaire sera limité par le fait que le Royaume-Uni n'aura plus accès au marché unique, les règles qu'il édictera ne s'appliquant que sur son propre marché, beaucoup plus limité.