Intervention de Jean-Louis Costes

Séance en hémicycle du 16 novembre 2016 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2017 — Solidarité insertion et égalité des chances

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Costes :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme chaque année, la discussion sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est un moment particulier, car il rappelle à chacun d’entre nous l’importance de la solidarité dans notre pays et notre responsabilité vis-à-vis des populations les plus fragiles de notre société. Mais il nous oblige également à être lucides face aux réussites et aux échecs de nos politiques publiques.

En effet, si le budget général de cette mission est, cette année, en baisse de 2,6 % – ce qui s’explique par le transfert de certains financements –, le programme 304, relatif à l’inclusion sociale et à la protection des personnes est, quant à lui, en hausse de 11 %.

Je mesure, comme vous tous ici présents, l’importance des crédits de ce programme qui a pour but de permettre à chacun de vivre dignement, mais je m’interroge sur l’avenir. Bien sûr, il est de notre devoir d’apporter une aide financière aux plus démunis. Néanmoins, l’augmentation, chaque année, des dépenses consenties à cette fin révèle un visage tragique de notre société, et vient pointer du doigt l’incapacité du Gouvernement à réformer efficacement et durablement notre pays.

L’aide aux plus démunis n’est qu’un pansement sur une plaie profonde, que nous aurions pu soigner depuis longtemps. De véritables réformes économiques et sociales auraient dû être mises en oeuvre afin de relancer la machine économique française, seul moyen efficace de résorber la pauvreté. Or, rien de tout cela n’a été fait. Aussi, il est inutile de se réjouir du succès de la prime d’activité, comme vous l’avez fait, madame la secrétaire d’État, en commission élargie. Nous nous réjouirons quand les personnes concernées n’auront plus besoin de cette prime.

Le niveau de la dépense sociale, je veux aussi le rappeler, est devenu intenable, avec 30 % d’augmentation des dépenses entre 2008 et 2014. Cela met en difficulté l’ensemble de notre système de protection sociale, car nous ne sommes plus en mesure de le financer correctement. La situation des départements est particulièrement révélatrice de cette limite financière ; c’est dire si un réel problème se pose à cet égard.

Au-delà du financement se pose le problème du mécanisme de versement des prestations sociales, bien trop complexes. On parle de la simplification des minima sociaux, notamment de la mise en oeuvre d’une partie des propositions du rapport Sirugue – vous en avez parlé, madame la secrétaire d’État –, mais, une fois encore, le Gouvernement envoie un signal sans véritablement entrer dans le vif du sujet. La France, faut-il le rappeler, compte dix minima sociaux et 4 millions d’allocataires, pour une dépense de plus de 24 milliards d’euros. Pourtant, je le répète, ces aides ne permettent pas à leurs bénéficiaires de sortir de la pauvreté, même avec les hausses successives. Aussi, l’une des mes collègues et moi préconisons, dans un rapport relatif à l’accès aux droits sociaux que nous avons présenté en commission il y a une quinzaine de jours, de mettre en oeuvre un grand chantier de simplification, en lieu et place de quelques mesures éparpillées. Le système doit être complètement remis à plat, de façon que les allocations soient versées à bon droit – j’insiste sur ce point – et que nous puissions continuer à les financer.

Finalement, en matière d’insertion et de solidarité, nous sommes triplement mauvais : mauvais car, les véritables réformes économiques n’ayant pas été faites, des millions de Français se retrouvent dans la difficulté à cause d’un chômage de masse ; mauvais car, pour pallier ce manque de réformes et combattre l’augmentation de la pauvreté, nous avons considérablement accru les prestations sociales, de 30 % entre 2008 et 2014 je le répète, ce qui est considérable et pose aujourd’hui de graves problèmes de financement ; mauvais enfin, car, dans le versement de ces allocations, nous avons construit, au fil des décennies, une usine à gaz incompréhensible pour les bénéficiaires, et même, parfois, pour ceux qui en assurent la gestion quotidienne. De nombreuses prestations sociales, d’ailleurs, n’atteignent même pas le public qu’elles devraient aider.

Au-delà de ces constats accablants, permettez-moi de revenir sur quelques aspects précis de la mission. Concernant la prime d’activité, entre mars et juin 2016, plus de 350 000 foyers supplémentaires ont fait valoir leurs droits. De même, le taux de recours des jeunes est beaucoup plus élevé que prévu, puisque 400 000 d’entre eux – et non 200 000, comme prévu initialement – toucheront la prime. Aussi, comme je l’ai dit en commission élargie, je crains que les 4,3 milliards d’euros inscrits dans la mission s’avèrent insuffisants.

L’élargissement de la prime d’activité aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés – AAH – qui travaillent dans les établissements et services d’aide par le travail – ESAT – me semble une très bonne chose. Mais je me permets aussi de réitérer ma demande quant à la création de places en ESAT. Vous n’y êtes pas favorable, madame la secrétaire d’État : j’ai bien entendu, sur ce point, la réponse que vous avez donnée en commission élargie. Mais, vous l’avez dit vous-même, plus de 480 000 travailleurs handicapés sont en situation de chômage. Certes, les ESAT ne permettront pas à tous de retrouver un emploi, et nous n’allons pas créer 480 000 places dans ces établissements. Néanmoins, ils constituent la seule solution véritable pour un certain nombre de ces chômeurs lourdement handicapés. Je le redirai au besoin lors de la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, et je suis prêt à en discuter avec vous : bien que vous les refusiez depuis plusieurs années, des places supplémentaires en ESAT sont véritablement nécessaires.

Je veux aussi dire quelques mots du programme « Handicap et dépendance ». On y trouve peu de nouveautés : comme chaque année, le Gouvernement rappelle les objectifs de la loi de 2005, à savoir la compensation du handicap et l’accessibilité. Si cette loi reste la référence, je persiste à croire, comme je l’ai dit l’an dernier, que nous ne pouvons laisser les collectivités seules face au chantier et aux coûts que représentent les travaux d’aménagement destinés à rendre l’ensemble des bâtiments publics accessibles aux personnes à mobilité réduite. Les collectivités locales doivent être davantage accompagnées financièrement, d’autant que sur ce plan, vous le savez, leur situation est particulièrement difficile.

Pour les personnes âgées, enfin, le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement a été promulgué. Ce texte, annoncé comme « la » grande loi sur la dépendance, apporte certes quelques avancées, mais il laisse totalement de côté la question cruciale de la prise en charge en établissement et du financement de la dépendance. Pourtant, l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, et les besoins se comptent en milliards d’euros pour les prochaines années.

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas le budget de cette mission.

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