Intervention de Jérôme Bonnafont

Réunion du 25 octobre 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jérôme Bonnafont, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI), sur l'Irak, la Syrie et l'initiative française de paix au Proche-Orient :

Je n'avais pas prévu de parler du Yémen qui n'était pas à l'ordre du jour mais, puisque quelques questions ont été posées, je peux rajouter ce point.

Suite à l'offensive des Houthis, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution qui rappelle plusieurs choses : il y a au Yémen un gouvernement légitime qui doit être respecté ; il s'agit d'un gouvernement transitoire puisque de nouvelles élections doivent être organisées ; la communauté internationale soutient ce gouvernement légitime et rejette l'offensive des rebelles Houthis.

Nous entretenons un dialogue quotidien avec l'envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU, un Mauritanien, qui a été nommé pour conduire des négociations entre les Houthis et le gouvernement yéménite. Ces négociations visent, d'une part, à instaurer une trêve, et, d'autre part, à créer les conditions d'un dialogue politique. Notre ligne d'action consiste à rappeler deux choses : la légalité ; le fait que le Yémen ne pourra sortir de cette impasse que par la négociation politique et non par une solution militaire. Le ministre a eu l'occasion de s'exprimer à plusieurs reprises sur ce point.

Il y a quelques jours, nous avons reçu l'envoyé spécial à Paris. De cet entretien nous avons compris qu'il faisait porter la responsabilité première de l'échec des négociations sur les Houthis. C'est ainsi. Pour quelles raisons ? Les Houthis voient bien ce qu'ils perdraient à arrêter les opérations militaires mais ils ne voient pas ce qu'ils gagneraient à entrer dans un jeu politique normal : ils représentent une minorité dans le pays et il est plus agréable pour eux d'exercer le pouvoir, y compris en se battant, que d'y renoncer (ndr : dans l'intervalle, le président légitime, Adb Rabbo Mansour Hadi, a rejeté également le plan de paix des Nations Unies…).

Interrogé sur l'existence d'autres acteurs dans ce jeu, l'envoyé spécial nous a cité l'ancien président, Ali Abdallah Saleh, et l'Iran. Ali Abdallah Saleh dispose de moyens financiers, politiques et militaires considérables, et il alimente la rébellion alors qu'il luttait de façon extrêmement déterminée contre les Houthis quand il était président. Quant à l'Iran, il profite de l'occasion pour envoyer des armes aux rebelles de façon à coincer l'Arabie saoudite et sa coalition au Yémen pendant que d'autres conflits se déroulent ailleurs.

Pour l'envoyé spécial, l'Arabie saoudite a accepté des choses qui – de ce que nous avons compris – étaient inespérées selon lui. Voilà la présentation que nous a faite l'envoyé spécial de l'ONU dont chacun sait que son rôle de médiateur lui impose de ne pas prendre parti.

Ne déduisez pas de mon propos que les opérations militaires nous satisfont. À plusieurs reprises, le ministre a exprimé notre condamnation d'un certain nombre de bombardements, notamment de celui qui a été effectué au moment des funérailles d'un dignitaire à Sanaa et qui a conduit à un bilan humain extrêmement lourd. Le gouvernement d'Arabie saoudite a d'ailleurs annoncé une enquête, ce qui représente un développement important.

En résumé, notre action au Yémen est simple : pousser les parties à conclure un accord le plus rapidement possible. Nous parlons à tout le monde, que ce soit avec les Houthis, les partisans du président Saleh, le gouvernement ou nos partenaires. Notre ambassadeur au Yémen, qui est en résidence à Riyad, passe son temps à faire la navette. Il faut qu'un accord intervienne très vite parce que le Yémen est un pays extrêmement pauvre et vulnérable : al-Qaïda et Daech profitent des circonstances pour consolider leurs implantations et faire de ce pays un nid d'aigles dans lequel ils pourront se réfugier le moment venu. Nous avons donc toutes les raisons de vouloir qu'au Yémen les opérations militaires se terminent et que la négociation politique connaisse un résultat positif.

Concernant le Liban, Saad Hariri avait essayé de nouer avec Sleiman Frangié une alliance un peu particulière compte tenu des relations entretenues par ce dernier avec la Syrie. Saad Hariri pensait que cette alliance aurait le soutien du Hezbollah et de l'Iran, ce qui n'a pas été le cas, alors que l'Arabie saoudite avait indiqué qu'elle n'avait pas de raison de ne pas accepter un accord noué par les Libanais. Face à cet échec, Saad Hariri a décidé de reprendre les négociations avec Michel Aoun, il y a quelques semaines, et ils sont parvenus à cet accord.

Qu'en disent les puissances régionales ? Vous posez la question à juste raison. Nous avons interrogé l'Iran comme vous l'avez peut-être fait vous-mêmes hier à l'occasion de la visite de M. Alaeddin Boroujerdi, le président de la commission de la sécurité nationale et de la politique étrangère du Parlement iranien. L'Iran a confirmé son soutien au général Aoun et le résultat positif d'une élection présidentielle. C'est un développement important dont nous verrons l'issue le 31 octobre. Quant à l'Arabie saoudite, elle a reconfirmé qu'elle ne mettrait pas de veto à une formule recueillant l'accord des Libanais.

Dans un deuxième temps, une autre question se posera : avons-nous l'assurance qu'il y aura un gouvernement capable de reprendre rapidement en main les affaires du pays, compte tenu de la période intérimaire s'étendant jusqu'aux élections législatives qui doivent avoir lieu en juin prochain ? Comment organiserons-nous le soutien international à l'action de ce gouvernement, en particulier en matière de rétablissement économique et financier ? Ce double chapitre s'ouvrira après le 31 octobre : travail intérieur de Saad Hariri pour former rapidement un gouvernement efficace avec l'appui des parties qui ont permis l'élection du général Aoun ; travail de la communauté internationale pour apporter au Liban le soutien dont il aura besoin.

La situation entre l'Irak et la Turquie est extrêmement tendue et dangereuse, je ne peux que vous le confirmer. Le ministre était hier en Turquie où il a abordé cette question avec ses interlocuteurs pour voir dans quelle mesure on peut clarifier les choses et assainir cette situation.

Sur la Syrie, je suis alimenté d'informations qui viennent de nos services de renseignement, de la direction du renseignement militaire (DRM), de nos ambassades des pays alentours et des interlocuteurs de toute sorte et de toutes origines que nous pouvons avoir, qu'ils soient Libanais, Saoudiens, Turcs, Syriens émigrés ou autres. On peut considérer que la France ne dispose pas d'une capacité d'analyse autonome. Ma conviction est que la France dispose d'une capacité d'analyse autonome qui lui permet de dire avec une grande vraisemblance que ce qui est en train de se passer à Alep n'est pas un assaut du régime et de ses soutiens – l'Iran, le Hezbollah et la Russie – contre des terroristes. Non, ce n'est pas cela qui se passe, ce n'est malheureusement pas cela qui se joue.

Prenons un élément que vous connaissez : l'objectif des frappes russes et syriennes au cours de ces derniers mois. Nos statistiques nous montrent qu'entre 70 % et 90 % de tirs ne visent pas Daech ou l'ex-Jabhat al-Nosra. Ce sont des informations. Vous pouvez dire que ce sont des mensonges, de la polémique mais ce sont les informations que nous donnent ceux qui, dans l'appareil d'État, sont chargés par la République de regarder ce qui se passe. C'est ainsi.

Prenons un deuxième élément : le choix stratégique effectué ces derniers temps par le régime et ses alliés. Ils auraient pu décider d'aller vers Rakka, considérant que la prise de cette ville était prioritaire. Tandis que la coalition en Irak reprendrait Mossoul, la coalition « menée par les Russes » aurait repris Rakka. En fait, il a été décidé de laisser Rakka tranquille et d'aller prendre Alep.

On a le droit de considérer que des gens qui, depuis cinq ans, se battent contre un régime de la nature de celui de Bachar Al-Assad ne sont que des terroristes. Ce n'est pas du tout la position du Gouvernement, ni ce que nous retenons des observations de terrain.

Prenons d'autres chiffres, désagréables, qui nous viennent de l'ONU : le conflit a fait entre 300 000 et 400 000 morts ; dans 90 % des cas, ces morts ont été causées par le régime.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion