Nous avons examiné en commission des finances, la semaine dernière, cet amendement, qui vise à taxer les bénéfices que les multinationales détournent de notre pays alors qu’elles les y ont réalisés.
Je dois tout d’abord saluer le travail que M. Sapin et vous-même, monsieur le secrétaire d’État, menez en ce sens depuis plusieurs années. Les lois que le Gouvernement a fait adopter dans ce domaine et les amendements que le Parlement y a apportés nous permettent aujourd’hui de disposer d’une des législations les plus complètes et les plus offensives d’Europe en matière d’évasion et d’optimisation fiscales.
Il reste encore toutefois, à mon sens, quelques trous dans la raquette. Cet amendement vise à les boucher et nullement à entrer en concurrence avec les dispositifs excellents que votre administration applique – et je tiens à lui rendre hommage. Mon objectif est en effet d’élargir l’assiette, de résoudre quelques problèmes, notamment ceux concernant les accords de commissionnaires, ou de redéfinir la notion d’établissement stable, afin de nous permettre collectivement d’être encore plus offensifs à l’encontre des multinationales rapatriant les bénéfices qu’elles effectuent en France. L’amendement vise par exemple des entreprises contre lesquelles, je le sais, vous avez lancé des contrôles fiscaux. À l’heure actuelle, une entreprise comme Airbnb, qui réalise 65 millions d’euros de chiffre d’affaires en France, ne verse dans notre pays que 68 000 euros d’impôts, le système qu’elle a mis en place lui permettant de rapatrier l’ensemble de ses bénéfices. Toutes ses factures sont d’ailleurs libellées au Luxembourg, aux Pays-Bas ou en Irlande. Il nous faut donc compléter et amplifier le dispositif ; tel est le sens de cet amendement.
Au cours des débats que j’ai eus avec vous, monsieur le secrétaire d’État, ou avec vos services, ainsi qu’en commission des finances, Mme la rapporteure générale, que je salue, a appelé mon attention sur le risque d’inconstitutionnalité que mon amendement comportait. J’ai eu le temps, entre la réunion de la commission des finances et le débat dans l’hémicycle, de recourir à l’expertise de Mme Rabault pour le récrire et effacer tout risque d’inconstitutionnalité, en supprimant la surtaxe de 5 points initialement prévue.
Un second problème demeure, sur lequel, monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas la même vision des choses. Selon les arguments qui m’ont été opposés – je salue également la position de Dominique Lefebvre en commission des finances –, cet amendement pourrait soulever des problèmes liés aux conventions fiscales. Or, après l’avoir retravaillé depuis une semaine, je dois souligner que je ne partage pas ce point de vue. La question s’est aussi posée au Royaume-Uni, qui fut le premier pays européen à adopter une telle législation. Les conventions fiscales, mes chers collègues, ont pour objectif non pas de détourner les bénéfices réalisés dans un pays mais d’empêcher la double imposition. La position de l’OCDE – l’Organisation de coopération et de développement économiques – sur le sujet est très claire : les conventions fiscales ne s’appliquent pas en cas de détournement de la législation en vigueur. Si la question peut être légitimement posée, l’OCDE, je le répète, y a apporté une réponse claire : les conventions fiscales ne doivent pas servir à détourner les législations fiscales. Le présent amendement n’entre donc pas en contradiction avec les conventions fiscales puisqu’il ne porte pas sur l’objet de ces dernières ; telle est mon expertise, qui, je le pense, pourra être partagée par les parlementaires ici présents.
C’est la raison pour laquelle je vous soumets cet amendement, modifié par rapport à celui que la commission des finances a adopté. Il nous permettra d’élargir largement l’assiette et de rendre plus efficace le dispositif.