Madame la présidente, je vous remercie d'avoir rappelé ma constance sur le sujet. Comme tout parlementaire, je suis là, non pas pour inscrire mon nom sur une proposition de loi, mais pour essayer de régler les problèmes. Celui que je me propose de traiter est assez majeur pour s'être invité dans le PLFSS, pour 2017, à la faveur d'un amendement de Mme Annie Le Houerou, tendant à conditionner le conventionnement dans les zones « surdotées ». Le Conseil national de l'Ordre des médecins avait regretté cet amendement, adopté par la Commission puis rejeté par le Gouvernement. Pourtant, dans un Livre blanc « Pour l'avenir de la santé », publié en janvier dernier, il constatait que « la présence des médecins sur le territoire est très inégalement répartie » et que « les incitations conventionnelles mises en place par l'assurance maladie obligatoire n'ont pas été suffisantes pour réellement faire bouger les lignes ».
Paradoxalement, malgré la mise en place du numerus clausus en 1971, le nombre de médecins n'a jamais été aussi élevé en France. Toutefois, il faut le rapporter au nombre d'heures de médecine travaillées. Du fait de la nouvelle organisation de la vie, de la féminisation de la profession, les jeunes médecins ont de nouvelles aspirations et ne souhaitent plus travailler 60 à 90 heures par semaine, ce que l'on comprend.
L'Atlas de la démographie médicale en France fait apparaître des zones avec de grandes disparités et des zones de surdensité. Les territoires de la façade Atlantique connaissent généralement une densité importante. Rhône-Alpes également, mais sur une petite partie seulement ; l'Auvergne, en dehors des alentours de Clermont-Ferrand, est un désert médical. La région Centre, dont je suis issu, la Bourgogne, la Picardie souffrent d'une sous-densité médicale.
On peut vraiment parler de « fracture sanitaire ». À cet égard, l'UFC-Que Choisir a réalisé en juin 2016 une étude très intéressante sur l'accès aux soins sur la période 2012-2016. Il en ressort que l'accès aux médecins spécialistes, aux ophtalmologistes et aux gynécologues a diminué respectivement pour 38 %, 40 % et 59 % des Français. Force est bien d'admettre que nous sommes face à un problème majeur de fracture territoriale, lequel induit également un problème d'égalité entre les citoyens. Or le principe de protection de la santé est garanti à tous par le préambule de la Constitution de 1946.
Les barrières territoriales à l'accès aux soins sont toujours plus hautes, et les mesures financières et dispositifs d'incitation financés par l'État ne se sont pas montrés très efficaces. De l'exonération d'impôt sur le revenu au titre d'une installation dans les zones de redynamisation urbaine (ZRU) ou de revitalisation rurale (ZRR), ou au titre de la participation à la permanence des soins, à l'exonération de taxe professionnelle en ZRR, en passant par la garantie de revenu assurée aux praticiens territoriaux de médecine générale (PTMG) et la protection sociale améliorée aux praticiens territoriaux de médecine ambulatoire (PTMA), ces dispositifs sont pourtant très nombreux.
De leur côté, les collectivités territoriales ne sont pas restées sans rien faire : bourses, indemnités kilométriques, financement de logements, aides aux jeunes internes en fin de cursus, « kit installation » gratuit dans les communes de moins de 2 000 habitants. Si ces dispositifs ont apporté un début de réponse ici ou là, la fracture n'en a pas pour autant été réduite globalement. On voit même des jeunes médecins dont les études ont été financées par les collectivités territoriales en échange d'une installation dans les zones sous-dotées, préférer rembourser cette aide pour se soustraire à l'engagement qu'ils avaient signé – ils sont 42 % dans ma région.
La sécurité sociale aussi y est allée de ses dispositifs : majoration, depuis 2005, de 20 % des honoraires des médecins généralistes libéraux exerçant en groupe dans les zones déficitaires ; option démographie, en 2011, assortie d'incitations financières complémentaires ; plus récemment, contrats d'engagement de service public proposant une bourse en contrepartie de l'engagement d'installation en zone sous-dotée. Or, en liant ainsi une installation à une incitation financière, c'est à ceux qui ont le moins d'argent que l'on impose d'aller dans ces zones ! Selon que vous serez puissant ou misérable…
Des régulations, il y en a eu pour les chirurgiens-dentistes, les orthophonistes, les sages-femmes, les masseurs-kinésithérapeutes, les infirmières, sans qu'on invoque la sacro-sainte liberté d'installation. Pourquoi n'est-elle pas non plus mise en avant alors que, depuis 2010, un directeur d'ARS peut s'opposer à l'installation d'un biologiste dans un territoire où la concentration de professionnels est supérieure à 25 % de l'offre ? Pourquoi pas non plus pour les pharmaciens ?
Je veux remercier publiquement Mme la ministre Marisol Touraine de s'être montrée sensible à un problème que je lui avais soumis concernant les jeunes médecins qui, n'ayant pas présenté leur thèse, ne peuvent pas s'installer – ils ne le font, en général, que dans les deux ans qui suivent la fin de leur cursus. Leur permettre d'être associés dans des maisons de santé pluridisciplinaires pourrait être une vraie réponse, à la fois pour eux et pour la réussite d'un projet médical, puisque les professionnels de santé peuvent travailler, dans ces maisons, ensemble et en réseau, grâce au développement de la télémédecine.
Nombre de parlementaires se sont impliqués sur ce sujet. Dès 2007, le sénateur Jean-Marc Juilhard alertait ses collègues. En 2008, le député Marc Bernier, rapporteur de la mission d'information sur l'offre de soins présidée par notre collègue Christian Paul, affirmait que « la liberté d'installation des médecins n'est plus un tabou » et que l'insuffisante efficacité des seules incitations financières, rendait nécessaire « de se préparer à freiner les installations dans les zones excédentaires ». En 2011, Jean-Marc Ayrault déposait une proposition de loi, cosignée par Marisol Touraine, dont l'exposé des motifs insistait sur la nécessité de « revoir sans tabou le dogme de la liberté d'installation des praticiens médicaux ».
Moi-même, en janvier 2012, j'avais déposé une PPL qui a été battue par la majorité même à laquelle j'appartenais. En novembre 2012, je remettais l'ouvrage sur le métier en nourrissant quelque espoir : dans le vingtième de ses « 60 engagements pour la France », le candidat François Hollande ne promettait-il pas de « sécuriser l'accès aux soins de tous les Français » ? Le projet socialiste n'indiquait-il pas : « nous demanderons aux jeunes médecins libéraux d'exercer en début de carrière dans les zones qui manquent de praticiens » ?
En 2013, Hervé Maurey, sénateur de Normandie, expliquait dans un très bon rapport que le refus des médecins de s'installer comme autrefois tenaient à plusieurs facteurs : vieillissement de la population médicale, diminution du temps médical disponible, évolution des conditions de vie, accroissement des charges administratives des médecins, préférence marquée des nouvelles générations pour le salariat – que l'on peut comprendre –, augmentation des besoins de santé liés au vieillissement de la population. De fait, actuellement, neuf jeunes médecins sur dix font le choix du public ou du parapublic. Il faut avoir le courage d'admettre que la perte d'attractivité du secteur libéral est patente. Dès lors, quid de l'exercice libéral dans les cinq, dix, quinze ans à venir ? Quid de l'équilibre entre public et privé ? La seule médecine publique ne pourra pas prendre le relais.
À un moment ou à un autre, la régulation devra s'organiser. Il faut écouter les jeunes médecins – je les ai rencontrés hier et je les reverrai début janvier. Une demande récurrente des représentants syndicaux est la poursuite de la formation. Après leur internat, les médecins ne veulent pas se sentir lâchés dans la nature : ils souhaitent que les premières années de leur vie professionnelle soient le prolongement de leur formation. On peut le comprendre si l'on considère que l'âge moyen d'installation d'un médecin en médecine générale est de trente-huit ans, ce qui représente vingt années d'études après le bac !
Le texte qui vous est soumis aujourd'hui reprend une grande part de mes propositions de 2012. À l'époque, j'avais été heureux de constater que nous avions pu faire avancer le numérique, compte tenu des perspectives de développement de la télémédecine.
L'article 1er propose de renforcer les critères de démographie médicale dans la détermination du numerus clausus. En 1971, 8 500 jeunes passaient en deuxième année de médecine ; ce chiffre est tombé à 3 500 au début des années 1990, il est environ de 7 600 aujourd'hui. Or les besoins de santé liés au vieillissement de la population et au développement des pathologies chroniques, conjugués à la diminution du temps de travail et à la féminisation de la profession, ont abouti à une diminution des heures disponibles. C'est pourquoi je propose, non seulement d'augmenter le numerus clausus, mais de revenir à l'internat régional qui permet des fluidités entre régions. Le jeune n'est pas fixé pour toute sa formation dans une région, il peut passer plusieurs concours d'internat dans plusieurs régions, d'où une vraie notion de choix. Actuellement, le concours national d'internat classant est un faux choix et une fausse liberté : un jeune classé 2 500e du concours national n'obtiendra pas nécessairement la ville et la spécialité souhaitées. La vraie liberté, c'est de suivre sa formation là où on le désire.
L'article 3 prévoit la régionalisation de l'internat. Elle existait avant les années 2000 : peut-on dire qu'elle fonctionnait mal ? Le numerus clausus serait adapté aux régions par l'adéquation de l'outil de formation aux besoins. Certaines régions ne disposent pas de structures de formation suffisantes pour accueillir davantage d'internes. En augmentant simplement le numerus clausus sans cette adaptation, on risquerait d'avoir des postes d'internes de médecine générale non pourvus dans certaines régions – dans la région Centre-Val-de-Loire, par exemple, quarante postes d'internes de médecine générale n'ont pas été pourvus.
L'article 5 vise à permettre aux internes en médecine générale qui n'ont pas terminé leur thèse de pratiquer la médecine en qualité de collaborateur. Marisol Touraine semble vouloir aller dans ce sens, et je l'en remercie encore.
L'article 6 prévoit qu'à partir de 2020, les médecins souhaitant exercer à titre libéral à l'issue de leur formation seront tenus de s'installer pour une durée minimale de trois ans dans une zone déficitaire en offre de soins. Or, des zones sous-dotées, il y en a partout : en région Centre-Val-de-Loire, en dehors de Tours, tout est sous-doté ; dans le 20e arrondissement de Paris, le même problème se pose pour d'autres raisons ; pareil en Auvergne, excepté la tête d'épingle de Clermont-Ferrand ; du côté de Toulouse, Mme la présidente peut le dire mieux que moi, il existe des déserts médicaux à seulement quinze kilomètres alentours. Je pose une question : faire un quart d'heure de voiture pour se rendre à son travail situé à quinze kilomètres d'une métropole comme Toulouse, est-ce un obstacle majeur à une bonne qualité de vie, à l'accès aux structures éducatives pour la famille, au travail du conjoint ? Dans mon département, beaucoup de nos compatriotes passent quatre heures par jour en transport pour aller travailler en région Île-de-France. Le moment est venu, je pense, de s'interroger sur la notion de bassin de vie.
En conclusion, je fonde beaucoup d'espoir dans la télémédecine, mais elle ne résoudra pas tout. On pourra imaginer toutes les méthodes modernes de diagnostic, elles ne remplaceront jamais le contact direct, la relation singulière entre un médecin et son patient.