Intervention de Jean-Claude Piris

Réunion du 16 novembre 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Jean-Claude Piris, ancien directeur général du service juridique du Conseil de l'Union européenne :

Les valeurs, madame la présidente, sont ce qui nous distinguent, nous Européens, du reste du monde. Je voyage énormément, aux États-Unis, en Asie… Quand des Européens se retrouvent dans ces pays, ils comprennent qu'ils se distinguent et en quoi. La difficulté, pour l'Europe, c'est qu'il n'y a pas de demos, de communauté. Pour créer un début de communauté, ce sont les valeurs qui sont importantes. Nous les avons déjà. En revanche, pour être membre d'un club, il faut connaître les membres du club. Demandez aux Français. Qui connaît le nom des vingt-huit États membres ? Qui connaît le nom des dix-neuf pays dont la monnaie est l'euro ? Nous sommes à présent trop nombreux pour constituer un État fédéral. C'est une idée que l'on pouvait auparavant défendre, et que j'ai défendue dans ma jeunesse, mais qui n'est plus réalisable.

Ce n'est pas un hasard si c'est au Conseil que la transparence est la plus difficile. N'oubliez pas que les clivages à l'Union européenne ne sont pratiquement pas entre partis politiques, sauf peut-être avec le parti de M. Gollnisch, mais plutôt entre États. Au Conseil, nous sommes dans des négociations internationales en même temps que nous sommes législateur, et il est très difficile de tout mettre sur la table lors d'une négociation, alors que le droit doit être parfaitement transparent.

Quand nous adoptons une loi européenne, c'est une seule loi au lieu de vingt-huit, ce qui est tout de même beaucoup plus clair pour un opérateur économique. Quand j'étais au Conseil d'État, nous nous étions penchés sur la codification. C'est quelque chose d'extrêmement lourd et difficile ; il faut sans cesse remettre sur le métier. On procède donc plutôt à de la consolidation pour les praticiens, ce que l'Union européenne fait très bien, avec des instruments informatiques tels que Lexis.

Les citoyens ont de l'Union européenne une image floue, tentaculaire, anonyme, ils se demandent si les décisions sont prises par les fonctionnaires ou par les politiques. Ce ne sont évidemment pas les fonctionnaires qui prennent quelque loi que ce soit à l'Union européenne, vous le savez. C'est vrai que l'Union européenne a été un grand transfert des pouvoirs du législatif vers le pouvoir exécutif, car c'est l'exécutif qui contrôle ce qui est dit au nom de la France quand des lois sont adoptées au Conseil. C'est là que le rôle des parlements nationaux peut et doit être bien plus fort qu'il ne l'est aujourd'hui à l'exception de certains pays comme le Danemark, où le Folketing exerce un contrôle extrêmement tatillon sur le rôle de l'exécutif à Bruxelles. Je crois que les parlements nationaux devraient accroître leur contrôle sur les exécutifs, car si les exécutifs contrôlent leurs fonctionnaires à Bruxelles, ils ne sont pas contrôlés par le législatif et il y a une perte de démocratie à ce niveau.

Un choc mériterait d'être produit, celui que je recommandais dans ma conclusion : il faut affirmer que, pendant les dix ou quinze prochaines années, nous resterons à vingt-sept. Vous n'aurez jamais l'unanimité sur ce point au Conseil car les PECO veulent que leurs voisins de l'Est nous rejoignent, mais pour un élargissement il faut l'unanimité et, en France, un référendum ou une décision du Congrès. De même, sur l'État fédéral il faut dire la vérité aux gens : il n'y aura pas d'États-Unis d'Europe au sens des États-Unis d'Amérique, ce n'est pas possible à vingt-sept. Je pense que les prises de position de Guy Verhofstadt font plus de mal que de bien. En dehors de lui, je pense qu'il y aurait unanimité pour dire que nous ne sommes pas les États-Unis d'Europe, que nous essayons simplement de rendre des souverainetés, parfois purement apparentes, plus réelles. Nous avons, c'est vrai, à faire des petits pas fédéraux s'agissant de l'euro, mais cela ne signifie pas que nous aurons une Constitution commune.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion