Mme Marie-Noëlle Battistel m'a interrogé sur la manière dont cela se passait dans les autres pays. Je rappelle que, sur le marché européen de l'électricité, on compte 341 interconnexions, 19 pays couplés, ce qui fait 525 millions de citoyens européens interconnectés. Nous ne pouvons plus ignorer cette dimension aujourd'hui, la France prenant sa part puisque notre situation géographique est assez centrale entre la péninsule ibérique, les pays du Nord, le Royaume-Uni, l'Irlande… La bourse de l'électricité EPEX SPOT, en 2015, a vu transiter 20 % de la consommation électrique française : ce n'est ni marginal, ni intermittent, c'est devenu une pratique assez courante et qui sera amenée à se renforcer. J'indique à ce propos à Mme Béatrice Santais que la liaison France-Italie verra le jour à la date prévue : l'ensemble des pouvoirs publics, le régulateur et la Commission européenne ont donné un avis favorable à notre demande touchant à un des bipôles. L'échéance sera tenue. Cette liaison France-Italie sera la bienvenue et sera bien utile dans le dispositif. Votre territoire peut être fier de la réalisation de l'une des interconnexions les plus longues – mais vous risquez d'être doublés par un projet de 550 kilomètres sur lequel nous travaillons entre la France et l'Irlande, à ceci près qu'il sera sous-marin et non montagnard.
Mme Marie-Noëlle Battistel se demande si les échanges seront susceptibles, en Europe, de bien se passer. Il existe d'autres difficultés dans d'autres pays : en Belgique, deux réacteurs feront potentiellement défaut ; en Suisse, ce sera le cas d'un réacteur ; au Royaume-Uni, on a annoncé des fermetures de centrales thermiques… Le mix énergétique évolue dans les autres pays, ce qui pourrait amener à des réductions de disponibilités. Si je vous ai fait état d'un potentiel des interconnexions de 7 000 à 9 000 MW, c'est parce que nous savons comment cela se passe chez nos voisins. Le travail de prévision de RTE est réalisé en étroite collaboration avec les autres opérateurs de transport d'électricité européens. Nous ne faisons de science-fiction dans aucun domaine. C'est du reste la raison pour laquelle je ne répondrai pas aux questions qui touchent à l'évolution du parc ou aux décisions de l'ASN : je n'ai pas compétence à le faire, contrairement au président de l'ASN ou d'EDF. RTE se contente, avec rigueur, de prendre en compte les instructions qu'on lui donne et de les appliquer jusqu'à ce qu'on lui en donne d'autres. Mon statut m'interdit de vous dire autre chose que ce que je peux dire et surtout que ce que je sais.
Mme Marie-Noëlle Battistel m'a également interrogé sur l'interruptibilité : il n'y a pas d'autre site potentiel volontaire d'interruptibilité. Je ne dis pas qu'il n'y en aura plus jamais, mais s'il reste du potentiel du côté de l'effacement – et nous sommes train de travailler à la mobilisation de nouveaux sites industriels –, pour ce qui est de l'interruptibilité, nous avons fait le tour des disponibilités.
Vous avez posé une question sur l'évolution du capital de RTE. Une discussion est en cours au sujet de la constitution d'un pacte d'actionnaires entre le groupe Caisse des dépôts et consignations et EDF ; elle devrait s'achever vers la fin du mois de novembre. L'entreprise RTE, si ce pacte est signé, sera davantage publique qu'elle n'était dans la mesure où le capital d'EDF comporte une part privée significative alors que la structure du groupe Caisse des dépôts et consignations est davantage publique. Cette évolution n'aura pas d'impact sur notre trajectoire d'investissements. Nous resterons un opérateur très indépendant de ses actionnaires puisque nous sommes sous la surveillance du régulateur avec l'obligation de ne favoriser personne. Nous resterons fidèles à cette éthique que la loi nous impose. Il est vrai que la Caisse des dépôts et consignations est un actionnaire public significatif, très ancré dans les territoires ; mais la nouvelle configuration, j'y insiste, ne modifiera ni nos gènes, ni notre projet d'entreprise.
Cela m'amène à la question de M. Laurent Furst sur l'évolution du réseau. Notre projet est de doubler le réseau électrique d'un réseau numérique. Nous avons en particulier besoin de connaître en temps réel tout ce qui se passe sur le plan météorologique – jusqu'à la force du vent –, et de pouvoir anticiper les pics de production des énergies renouvelables. L'intermittence est un défaut quand l'énergie est absente, mais quand elle est produite, encore faut-il pouvoir la gérer. Or, désormais, nous maîtrisons tout cela à merveille : nous créons même des lignes virtuelles qui se substituent à de grosses infrastructures – et nous ne pouvons le faire que parce que nous disposons d'infrastructures lourdes ; bref, la numérisation du réseau devient un second métier pour l'électricien que nous sommes.
C'est une obligation impérieuse parce que le mix électrique fait jouer des partenaires nouveaux aux comportements parfois erratiques. Dès lors que nous avons affaire à des consommateurs et à des producteurs plus nombreux et aux comportements différents – certains autoproduisent pour autoconsommer –, le réseau garant de la sérénité, de la sécurité et de l'équilibre se doit de faire preuve d'une capacité de compréhension des phénomènes qui va nous amener à gérer des centaines de milliers de données supplémentaires. Nous sommes donc en train d'équiper le réseau suivant une même trajectoire d'investissements. Toutefois, nous remplaçons des investissements destinés aux infrastructures lourdes par des investissements plus légers consacrés au numérique.
J'en profite pour préciser que notre réseau de transport d'électricité est en bon état : nous y investissons 1,5 milliard d'euros chaque année. Des équipes de maintenance très compétentes travaillent sur le terrain. Nous sommes très vigilants : le programme de sécurisation du réseau que nous avons lancé pour faire face aux tempêtes pour les dix ans à venir est pratiquement terminé. Nous nous employons donc à donner de l'intelligence en plus. Non seulement c'est nécessaire, mais le numérique permet de gérer les problèmes plus vite qu'en construisant de nouvelles infrastructures : c'est toujours un peu compliqué. Comme l'a fait remarquer M. Hervé Pellois, les gens n'aiment guère les pylônes… Il est parfois plus facile de doubler un circuit comme celui d'Avelin-Gavrelle que de construire une nouvelle ligne.
Certains souhaitent qu'on enfouisse davantage les lignes électriques qu'on ne peut le faire : une telle opération a un coût. Nous ne sommes pas une entreprise qui fait du business pour le business : nous sommes exclusivement rémunérés par le tarif ; c'est le consommateur, avec l'accord du régulateur, qui paie tout ce que nous faisons. Je n'ai pas le droit d'engager l'entreprise pour aller faire du business en dehors du secteur régulé. On peut certes s'y employer par le biais de filiales, mais ces dernières sont plus en devenir qu'en capacité de s'épanouir… La loi a posé une règle : le MESIL (mise en souterrain d'initiative locale), établissant un principe de contribution des collectivités territoriales, quelles qu'elles soient, et, en fonction de la vétusté du réseau, RTE met plus ou moins au pot. Cela est calé par les textes et je n'ai pas connaissance qu'on ait empêché des projets de voir le jour. Mais cela oblige la collectivité demandeuse à investir de façon significative ; et si parfois l'emprise foncière ainsi libérée permet de dégager des subsides suffisants, c'est moins vrai à d'autres endroits. En tout état de cause, je peux difficilement aller au-delà de ce que le régulateur accepte de financer par le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE).
Je remercie M. Lionel Tardy d'avoir refait l'inventaire des leviers exceptionnels dont nous disposons mais il me semble l'avoir moi-même fait de façon exhaustive dans mon intervention liminaire.