Intervention de François Brottes

Réunion du 16 novembre 2016 à 16h30
Commission des affaires économiques

François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d'électricité, RTE :

… plutôt que de ne pas les dire du tout.

Je reprends la formule de M. Lionel Tardy : il y a une progressivité ; le dernier levier évoqué – les délestages – n'est susceptible d'être activé que dans le cas où nous serions dans une situation critique. Reste que c'est valable pour l'hiver qui arrive comme ce l'était pour l'hiver dernier… Nous n'inventons pas la Lune.

Nous ne mettons pas en oeuvre davantage de moyens spécifiques en termes de personnels lors d'un hiver à forte vigilance. Nous sommes en veille constante ; parfois, les choses sont plus faciles, mais nos compétences sont mobilisées en permanence. C'est ce que nous avons fait, par exemple, pour mettre en oeuvre le mécanisme de capacité, et, avant cela, le marché de l'effacement. Une fois le nouveau dispositif mis en place, une fois la vitesse de croisière atteinte, les équipes mobilisées passent à autre chose. Mais une situation un peu plus tendue dans le rapport offre-demande n'engage pas nécessairement de moyens complémentaires ; il nous arrive de constituer des cellules de crise, mais ce peut également être lié à des incidents techniques sur notre réseau ou d'autres réseaux.

L'Europe est à peu près coupée en trois en matière de réseaux électriques et nous sommes tous solidaires et liés. Souvenez-vous du black-out – du « grand incident », en français – en 2006 : à cause d'une erreur d'appréciation de l'opérateur allemand E.ON, toute l'Europe de l'Ouest a été plongée dans le noir pendant trois quarts d'heure. J'ai toujours dit que les électrons ne s'arrêtaient pas aux frontières ! Si les opérateurs de réseaux travaillent en permanence ensemble, c'est bien dans le but de nous prémunir de ce type d'incident, et pas seulement à une échelle régionale donnée. Ajoutons que chaque pays a ses propres problèmes. Les Suisses, par exemple, commencent à se préoccuper un peu différemment de ces questions car lorsque l'énergie hydraulique n'est pas au rendez-vous en France, rien ne dit qu'elle le soit forcément en Suisse… Il y a des « liaisons climatiques » que chacun peut comprendre.

Nous avons deux moments compliqués dans la journée, qu'il faut gérer ; le reste du temps, il n'y a pas de difficultés. N'allons pas faire croire que nous nous trouverions en permanence dans une situation compliquée. Ces deux moments de pointe caractérisent notre mode de consommation. De ce fait, il ne faut pas simplement travailler sur un mix énergétique plus diversifié, mais adopter des modes de consommation différents ; dans cette optique, l'effacement et les reports de consommation permettent d'élimer les moments de pointe, et il ne faut pas se contenter d'opposer énergies renouvelable et nucléaire.

Monsieur Lionel Tardy, sur la disponibilité de notre parc nucléaire, je n'ai pas eu l'impression d'émettre une opinion différente de la vôtre ; dix-huit de nos réacteurs sont à l'arrêt ; certains sont sortis de la phase de test, mais d'autres vont y entrer ; deux réacteurs sont en phase de redémarrage. Sur les autres questions, je n'ai pas de compétence pour vous répondre ; je vous ai invités à vous tourner vers le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Madame Annick Le Loch, j'ai éprouvé une grande satisfaction lorsque nous sommes allés fêter la nomination de la Bretagne et des Pays de la Loire comme « territoires de réseau électrique intelligent » avec les présidents Jean-Yves Le Drian et Bruno Retailleau, et le pacte breton a été largement évoqué à cette occasion. Nous avons fortement contribué à ce pacte, sa réussite étant liée à la mobilisation des élus de la région et à l'intégration du dispositif ÉcoWatt. La ligne souterraine que vous avez évoquée sera bien inaugurée dans les délais prévus, en 2017. La région ne produisait récemment que 7 % de ce qu'elle consommait, mais vous avez doublé la mise. Vous avez parlé d'un seuil de 13 %, et il me semble qu'il atteint désormais 15 %, grâce à une mobilisation très significative et une implication citoyenne, jouant sur tous les leviers : un transit un peu différent, des productions complémentaires et le secteur des énergies marines – offshore flottant, hydrolienne – qui arrivera pleinement à maturité dans peu de temps. L'hydrolien, notamment, va monter en puissance de façon significative ; rappelons qu'il n'est pas sujet aux intermittences, puisque les marées ne s'arrêtent jamais. La région a de belles perspectives dans ce domaine, d'autant plus que les industriels sont très impliqués ; on travaille en collaboration avec des grandes entreprises, situées près de Saint-Nazaire – je vous concède que ce n'est plus la Bretagne, mais c'est tout de même plus près qu'Ajaccio (Sourires) –, pour placer les postes électriques sous la mer, car il ne suffit pas d'éloigner les éoliennes du littoral pour recueillir l'assentiment de la population s'il faut construire un poste électrique sur la plage… Le pacte breton a eu des effets significatifs, même si l'indisponibilité actuelle de certains groupes des centrales de Cordemais et de Civaux ne manque pas de poser question. Rappelons que c'est le réseau de transport qui permet à la Bretagne, comme à la région PACA, de bénéficier d'un service de prix et de qualité identiques à celui dont disposent toutes les autres parties du territoire ; cette solidarité s'appuie sur une péréquation, et le réseau national et européen donnera la possibilité aux énergies marines de demain de trouver preneur en dehors de la péninsule bretonne. Bref, nous ne sommes pas spécialement inquiets pour la Bretagne dont nous connaissons la capacité à se mobiliser pour affronter, avec beaucoup de réalisme, toutes ces questions.

Monsieur Laurent Furst, c'est aux distributeurs qu'il revient de valoriser les productions locales, et j'espère qu'ils s'impliquent dans cette démarche. Les groupes électrogènes des hôpitaux pourraient participer aux mécanismes de marché, mais les hôpitaux s'y refusent pour l'instant. Ils seraient les bienvenus, mais je peux comprendre qu'ils privilégient leurs propres besoins et qu'ils n'osent pas activer cette sécurité pour d'autres.

Les pays sont souverains en matière de mix énergétique et électrique : c'est à l'Allemagne de choisir ses modes de production en fonction de ses valeurs environnementales et ses intérêts économiques. La capacité des interconnexions n'est pas saturée, et les échanges énergétiques entre les pays pourront s'opérer.

Madame Michèle Bonneton, le réseau de distribution français est vaste et porté par un seul opérateur, Enedis, dans 95 % du territoire – le reste étant assuré par des régies antérieures à la loi de 1946, comme à Strasbourg ou à Grenoble –, alors qu'il existe une multitude de petits distributeurs dans les autres pays. À un moment où nous devons faire preuve de cohésion pour que tout se passe bien, il n'est pas stupide d'avoir moins d'interlocuteurs… Je ne suis pas témoin de ce qui se passe dans les autres pays, mais j'ai quelques échanges avec mes collègues européens…

L'Europe de l'énergie et de l'électricité existe : l'interconnexion de millions d'Européens a créé un marché et une solidarité électrique ; chacun se trouve dans une situation d'interdépendance avec les autres, et le dialogue se révèle quotidien. Mais nous souhaitons conserver, à la maille de la journée, une gestion du réseau à l'échelle nationale. Faire des prévisions à l'échelle européenne, c'est indispensable ; mais ensuite, pour faire en sorte que tout se passe bien en temps réel, il vaut mieux agir en proximité. Déléguer la gestion du temps réel à une entité par trop éloignée serait prendre le risque d'une réelle inadéquation entre la réalité du problème et la solution à trouver.

Monsieur Hervé Pellois, l'autoproduction a de beaux jours devant elle, parce que c'est ainsi : de plus en plus de personnes, de quartiers ou de structures souhaiteront en faire. Associée à du stockage, l'autoproduction a du sens, mais le réseau de transport restera indispensable pour garantir la sécurité d'approvisionnement et pour permettre à ces entités de production d'écouler leurs électrons. Reste que le développement de l'autoproduction change notre modèle. D'où la discussion que nous avons avec notre régulateur ; le réseau sera moins utilisé pour le transit, mais davantage dans un but d'assurance. Et comme il doit garantir non seulement l'équilibre, mais également une réserve de puissance utilisable à tout moment, le modèle économique et, par conséquent, le prix ne seront pas tout à fait les mêmes qu'à l'époque où nous étions rémunérés au transit… Ce mouvement s'observe dans tous les réseaux européens : il n'est pas spécifique à la France. Certains pays européens ont anticipé cette évolution de comportement : entre la part réseau et la part énergie, la rémunération du réseau dans certains pays est désormais calculée à 100 % sur la puissance. On constate une augmentation de 16 à 17 % de ce que le réseau de distribution refoule dans le réseau de transport à cause des pics de production d'énergies renouvelables. C'est un phénomène nouveau, qui a un impact sur le réseau ; on s'y adapte car c'est notre métier, et en plus on aime cela… Reste que cela change le modèle économique. Et à ce titre, l'autoproduction fait bouger les lignes – si j'ose dire, moi qui en ai 105 000 kilomètres dans mon portefeuille !

Monsieur Yves Daniel, nous avons en général d'excellentes relations avec la profession agricole et nous associons les chambres d'agriculture et les agriculteurs à nos travaux. Oui, nous avons pris l'engagement de trouver la même emprise que celle des nouveaux postes dans la région nantaise – je vous écrirai pour vous le confirmer tout à fait officiellement. Les agriculteurs sont parmi ceux qui comprennent le mieux les questions auxquelles nous sommes confrontés. Ils sont chargés de la mission d'intérêt général d'alimenter la population ; ils comprennent d'autant mieux la nôtre qui est celle de fournir de l'électricité au même prix dans tous les endroits du pays. Et de temps en temps, eux aussi ont besoin d'énergie…

Madame Jacqueline Maquet, je n'aurais pas mieux expliqué les raisons nous ayant poussés à réaliser des travaux sur la ligne Avelin-Gavrelle. Une signature est nécessaire pour engager le projet, et les travaux débuteraient en 2019, la ligne devant être mise en service en 2021. On construira un pylône « équilibre » qui ressemblera à un mât de bateau exprès pour vous, Madame Jacqueline Maquet ! J'ai étudié tout le parcours de la ligne : le nouveau tracé s'éloigne des maisons actuelles, mais n'emporte pas pour autant l'adhésion de l'ensemble des riverains. Les élus ont bien compris que la sécurisation de l'agglomération de Lille, qui se réindustrialise, impose des exigences de qualité, de quantité et de puissance d'énergie qui ne sont pas toujours remplies actuellement. Cette ligne y participera. La Belgique n'est pas loin, et le circuit de l'interconnexion sera renforcé pour couvrir tous les besoins. Nous ne faisons pas cela pour faire plaisir, mais parce que c'est nécessaire, et nous essayons de le faire du mieux possible. Toutes les précautions environnementales ont été prises, d'où les avis positifs que ce projet a recueillis, et il n'y aura pas de coupure liée à ces travaux. Notre équipe sur le terrain est à la disposition des élus et des associations pour expliquer, en toute transparence, nos opérations sur cette ligne : telle est notre éthique !

Madame Jeanine Dubié, le mécanisme de capacité est un dispositif inventé en France, qui fera école en Europe. Il garantit que les vendeurs d'électricité en aient suffisamment pour faire face à la demande – le même raisonnement vaut pour l'effacement. Il va monter progressivement en puissance car il apporte au gestionnaire de réseau une meilleure qualité de service en nous assurant une visibilité encore plus précise. Ce mécanisme ouvrira le champ de l'intervention à de nouveaux opérateurs, il permettra de trouver des solutions économiques pour des utilisations de production à des moments précis, qui n'ont pas encore suffisamment de réponse et il garantira l'approvisionnement en « vraie » électricité et en effacement.

Monsieur Jean-Luc Laurent, je n'ai pas à commenter la législation et je prends acte de la production électrique mise à la disposition du réseau de transport ; certes, nous n'avons rien en trop pour cet hiver ! Nous travaillons à l'élargissement du champ des possibles, en nous concentrant sur la consommation : c'est un élément très important, dès l'instant où il est régulé différemment, pour réduire notre dépendance à la production. Nous sommes également très proactifs sur l'interconnexion pour élargir le champ des possibles. Mais ce n'est pas à moi de commenter l'adaptation des textes en vigueur à ces actions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion