Intervention de Michel Herbillon

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Herbillon, président de la mission d'information :

Comme l'a dit le président Bloche, nous avons, ce matin, une pensée émue pour notre collègue Sophie Dessus.

Je suis heureux de vous retrouver, avec Stéphane Travert, pour vous présenter ce rapport d'information relatif au marché de l'art français, fruit de nombreuses semaines de travail.

Alors que la France a dominé le marché de l'art jusque dans les années soixante, force est de constater qu'elle est, à présent, réduite à une position bien moins importante : notre pays est aujourd'hui relégué au quatrième rang mondial, loin derrière les trois géants que sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine, qui règnent sans partage et représentent à eux seuls plus de 80 % du marché de l'art. Cette partition relativement récente du marché de l'art procède à la fois d'un phénomène d'internationalisation du marché, auquel les acteurs français peinent à s'intégrer, et de la polarisation de ce marché autour de protagonistes puissants, constitués en un quasi-oligopole.

Face à ce constat sans appel, il nous a semblé essentiel de mettre en valeur les formidables ressources dont nous disposons. Des atouts, la France en regorge, et la longue tradition française en matière de culture peut s'appuyer sur un tissu dense d'acteurs compétents, parmi lesquels on recense des galeries et des marchands d'art, des musées, des collectionneurs, des maisons de vente. Ce sont ces acteurs que nous nous sommes attachés à rencontrer afin de recueillir leur témoignage, leurs expériences et leurs propositions.

Je peux vous dire que toutes ces rencontres, ces tables rondes et les échanges qui s'en sont suivis ont été particulièrement féconds, intéressants, parfois surprenants, toujours sur un ton extrêmement libre. C'est ce que permet, monsieur le président, une mission d'information, et c'est dans ce contexte que nous avons recueilli de nombreux témoignages.

Nous nous sommes donc réunis, le 27 janvier dernier, dans le but d'analyser les forces et les faiblesses du marché de l'art en France et de formuler des propositions propres à lui redonner son lustre. C'est dans cette perspective que j'ai été nommé président de la mission. Celle-ci a d'abord eu pour rapporteur Sophie Dessus, mais nous n'avons pas eu l'occasion de travailler ensemble puisqu'elle m'avait demandé, en raison de sa maladie, de différer les auditions. Après sa disparition, Stéphane Travert a été désigné pour prendre sa suite.

Du mois de mai au mois de novembre, nous avons conduit près de quarante-deux auditions et table rondes et entendu une centaine de personnes : nous avons ainsi reçu la quasi-totalité des acteurs concernés par le champ de nos travaux, brossant, par la même occasion, un panorama complet des différents protagonistes qui animent aujourd'hui le marché de l'art. Si nous avons accueilli la majorité des intervenants ici, à l'Assemblée nationale, nous avons également effectué des déplacements qui nous ont menés dans plusieurs lieux culturels, à Paris, mais aussi à Londres, où nous sommes allés voir la Frieze Art Fair et la Frieze Masters. Nous y avons rencontré un certain nombre d'acteurs du marché de l'art en Grande-Bretagne.

Nous nous sommes efforcés de couvrir, de la manière la plus exhaustive possible, le spectre de toutes celles et ceux qui font le marché de l'art et participent à son fonctionnement.

Nous avons ainsi auditionné des dirigeantes et dirigeants d'institutions muséales et culturelles, parmi lesquelles le Centre Pompidou, le Palais de Tokyo, la Fondation Louis Vuitton, le musée d'Orsay, etc. ; des associations et des organisations professionnelles : le Syndicat national des antiquaires (SNA), le Syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev), l'Association pour la diffusion internationale de l'art français (ADIAF), le Comité professionnel des galeries d'art (CPGA), etc. ; des responsables d'événements privés, comme la Foire internationale d'art contemporain (FIAC), les dirigeants de Paris Photo, de Paris Internationale, de la Biennale des antiquaires ; des maisons de vente : Drouot, Sotheby's France, Christie's France, Artcurial ; des galeries : la galerie Daniel Templon, la galerie Perrotin, la galerie Thaddaeus Ropac, la galerie Applicat-Prazan, etc. ; des experts et personnalités du marché de l'art : MM. François Pinault, Pierre Bergé, Jean-Jacques Aillagon, Alain Seban, Alfred Pacquement, Guillaume Cerutti, Jean-Paul Claverie, conseiller artistique de Bernard Arnault, etc.

Nous avons également rencontré les représentants des principales administrations concernées par le marché de l'art : le ministère des Affaires étrangères, avec la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international ; le ministère de la Culture et de la communication, avec la Direction générale de la création artistique (DGCA) – service des arts plastiques – et la Direction générale des patrimoines (DGP) – service des musées de France ; l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin.

À titre anecdotique, sachez que nous avons rencontré les responsables de la répression le lendemain de la révélation de l'affaire des faux meubles, que les professionnels appellent les « faux parfaits ». Réalisés avec des bois anciens du XVIIIe siècle et de fausses estampilles, ils ont abusé les plus grands acheteurs, et même Versailles. Il était intéressant d'entendre « en direct » ceux qui avaient révélé cette affaire.

Enfin, nous avons eu l'occasion, il y a deux semaines, d'auditionner Mme la ministre, Audrey Azoulay, ainsi que les collectionneurs.

Nous avons aussi rencontré les principaux responsables des écoles d'art, comme les Beaux-Arts, à Paris.

Ces auditions, qui se sont avérées aussi riches que passionnantes, nous ont permis de comprendre comment le paysage de l'art s'organisait en France autour des acteurs qui le font vivre. Nous avons ensuite pu dégager une analyse précise et complète de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui le marché de l'art en France.

Au début de nos auditions, nous avions envisagé, avec Stéphane Travert, d'intituler notre rapport « No hope » – titre que nous aurions ensuite francisé –, autrement dit « Plus d'espoir » pour le marché de l'art français. Au fil des auditions et des rencontres, nous avons changé de point de vue. C'est aussi cela qui fait l'intérêt des missions d'information. L'analyse à laquelle nous sommes parvenus nuance le constat alarmant qui avait conduit à la création de cette mission d'information, et a mis en évidence plusieurs pistes pour rendre à notre pays la place qu'il mérite.

C'est la raison pour laquelle nous avons tenu, avec Stéphane Travert, à présenter un certain nombre de propositions. Nous souhaitons, ainsi que le président Patrick Bloche, en assurer le suivi d'ici à la fin de cette législature, comme lors de la prochaine.

Les différents acteurs que nous avons rencontrés nous ont confirmé ce que nous supposions des difficultés qu'ils rencontrent à l'heure actuelle pour peser sur le marché de l'art à l'échelle internationale et y faire exister les artistes français. Ils ont également souligné l'importance des leviers fiscaux et réglementaires, voire législatifs, qui tendent à entraver le développement de notre marché de l'art.

Cela étant, ils ont aussi mis en lumière les éléments sur lesquels nous devons nous appuyer pour agir : aujourd'hui, la France, et Paris en particulier, est une place attractive du rayonnement culturel, nourrie par plusieurs manifestations de grande ampleur et de notoriété internationale, comme la FIAC, le Salon du Dessin, ou encore Paris Photo. Contrairement aux idées reçues, la FIAC n'a pas à rougir de la comparaison avec la Frieze, à Londres. La FIAC est un événement très important pour les acteurs du marché de l'art dans le monde.

En outre, notre pays dispose d'un réseau très fourni d'acteurs spécialisés, qu'il s'agit de faire travailler en bonne intelligence avec une génération d'artistes prometteurs, comme Cyprien Gaillard, Neil Beloufa ou encore Camille Henrot. C'est d'ailleurs un artiste français, présent dans la nouvelle aile de la Tate Modern, à Londres, qui a eu le prix Marcel Duchamp, décerné chaque année au Centre Pompidou à un artiste émergent.

C'est autour de ces axes et des secteurs où la France excelle, comme le design, la photographie – tout le monde nous a dit que Paris et la France étaient le centre mondial de la photo –, l'art urbain, le dessin – avec des salons très importants en matière de dessin ancien ou de dessin contemporain – et les arts premiers, que nous devons concentrer notre action.

Ce sont tous ces éléments que nous avons pris en compte dans l'élaboration de ce rapport d'information.

Je cède à présent la parole à mon collègue Stéphane Travert, qui va vous en livrer les propositions. Je rappelle que le rapport d'information a été adopté hier à l'unanimité par notre mission. Fort heureusement, nous avons très souvent des positions communes sur ces sujets, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons dans l'hémicycle. Ils ne font pas l'objet de clivages ni de polémiques. Je pourrais dire, en utilisant un vocabulaire qui vous est plus familier, mes chers collègues de la gauche, que l'art est plutôt « transcourants ».

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