Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30

Résumé de la réunion

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  • art
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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 16 novembre 2016

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

La commission des Affaires culturelles et de l'Éducation examine le rapport d'information sur le marché de l'art (M. Stéphane Travert, rapporteur).

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Mes chers collègues, Michel Herbillon, président de la mission d'information, et Stéphane Travert, rapporteur, vont nous présenter ce matin leur rapport sur le marché de l'art.

Il s'agit d'un moment important pour notre commission puisque nous décidons, chaque année, de constituer deux missions d'information. C'est l'illustration la plus visible de la capacité de notre assemblée, et du Parlement en général, à s'emparer de sujets importants, en l'occurrence pour les acteurs culturels et le rayonnement international de notre pays.

Le rapport devait être envoyé à tous les membres de la commission, mais, à cause d'un mauvais clic, il n'est parvenu qu'aux membres de la mission d'information, lesquels l'avaient déjà en leur possession. Je suis sincèrement désolé, mes chers collègues, que vous n'ayez pas eu le temps, de ce fait, de vous plonger dans la lecture de cet ouvrage. Je laisse à Michel Herbillon et Stéphane Travert le soin de vous expliquer la manière dont ils sont arrivés à des conclusions consensuelles.

Cette mission d'information, qui comportait quatorze membres, a été créée en janvier dernier par notre commission, mais ses travaux n'ont réellement débuté qu'au mois de mai, en raison de la disparition de notre collègue Sophie Dessus, qui en était la rapporteure. Nous avons, toutes et tous, ce matin, une pensée pour Sophie, qui aurait aimé présenter ce rapport concernant un sujet qui lui tenait à coeur. Je remercie Stéphane Travert d'avoir accepté de prendre la relève.

La mission d'information a conduit, en quelques mois, un travail de grande ampleur, nourri de très nombreuses auditions et rencontres. Le projet de rapport, approuvé hier par la mission, étudie tous les aspects et enjeux d'un secteur rarement abordé par la représentation nationale, alors qu'il joue un rôle clé dans la vitalité de la création des arts visuels et le rayonnement artistique de notre pays.

Je vais maintenant donner la parole à Michel Herbillon, puis à Stéphane Travert, afin qu'ils nous rendent compte des travaux de la mission d'information et de ses préconisations.

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Comme l'a dit le président Bloche, nous avons, ce matin, une pensée émue pour notre collègue Sophie Dessus.

Je suis heureux de vous retrouver, avec Stéphane Travert, pour vous présenter ce rapport d'information relatif au marché de l'art français, fruit de nombreuses semaines de travail.

Alors que la France a dominé le marché de l'art jusque dans les années soixante, force est de constater qu'elle est, à présent, réduite à une position bien moins importante : notre pays est aujourd'hui relégué au quatrième rang mondial, loin derrière les trois géants que sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine, qui règnent sans partage et représentent à eux seuls plus de 80 % du marché de l'art. Cette partition relativement récente du marché de l'art procède à la fois d'un phénomène d'internationalisation du marché, auquel les acteurs français peinent à s'intégrer, et de la polarisation de ce marché autour de protagonistes puissants, constitués en un quasi-oligopole.

Face à ce constat sans appel, il nous a semblé essentiel de mettre en valeur les formidables ressources dont nous disposons. Des atouts, la France en regorge, et la longue tradition française en matière de culture peut s'appuyer sur un tissu dense d'acteurs compétents, parmi lesquels on recense des galeries et des marchands d'art, des musées, des collectionneurs, des maisons de vente. Ce sont ces acteurs que nous nous sommes attachés à rencontrer afin de recueillir leur témoignage, leurs expériences et leurs propositions.

Je peux vous dire que toutes ces rencontres, ces tables rondes et les échanges qui s'en sont suivis ont été particulièrement féconds, intéressants, parfois surprenants, toujours sur un ton extrêmement libre. C'est ce que permet, monsieur le président, une mission d'information, et c'est dans ce contexte que nous avons recueilli de nombreux témoignages.

Nous nous sommes donc réunis, le 27 janvier dernier, dans le but d'analyser les forces et les faiblesses du marché de l'art en France et de formuler des propositions propres à lui redonner son lustre. C'est dans cette perspective que j'ai été nommé président de la mission. Celle-ci a d'abord eu pour rapporteur Sophie Dessus, mais nous n'avons pas eu l'occasion de travailler ensemble puisqu'elle m'avait demandé, en raison de sa maladie, de différer les auditions. Après sa disparition, Stéphane Travert a été désigné pour prendre sa suite.

Du mois de mai au mois de novembre, nous avons conduit près de quarante-deux auditions et table rondes et entendu une centaine de personnes : nous avons ainsi reçu la quasi-totalité des acteurs concernés par le champ de nos travaux, brossant, par la même occasion, un panorama complet des différents protagonistes qui animent aujourd'hui le marché de l'art. Si nous avons accueilli la majorité des intervenants ici, à l'Assemblée nationale, nous avons également effectué des déplacements qui nous ont menés dans plusieurs lieux culturels, à Paris, mais aussi à Londres, où nous sommes allés voir la Frieze Art Fair et la Frieze Masters. Nous y avons rencontré un certain nombre d'acteurs du marché de l'art en Grande-Bretagne.

Nous nous sommes efforcés de couvrir, de la manière la plus exhaustive possible, le spectre de toutes celles et ceux qui font le marché de l'art et participent à son fonctionnement.

Nous avons ainsi auditionné des dirigeantes et dirigeants d'institutions muséales et culturelles, parmi lesquelles le Centre Pompidou, le Palais de Tokyo, la Fondation Louis Vuitton, le musée d'Orsay, etc. ; des associations et des organisations professionnelles : le Syndicat national des antiquaires (SNA), le Syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev), l'Association pour la diffusion internationale de l'art français (ADIAF), le Comité professionnel des galeries d'art (CPGA), etc. ; des responsables d'événements privés, comme la Foire internationale d'art contemporain (FIAC), les dirigeants de Paris Photo, de Paris Internationale, de la Biennale des antiquaires ; des maisons de vente : Drouot, Sotheby's France, Christie's France, Artcurial ; des galeries : la galerie Daniel Templon, la galerie Perrotin, la galerie Thaddaeus Ropac, la galerie Applicat-Prazan, etc. ; des experts et personnalités du marché de l'art : MM. François Pinault, Pierre Bergé, Jean-Jacques Aillagon, Alain Seban, Alfred Pacquement, Guillaume Cerutti, Jean-Paul Claverie, conseiller artistique de Bernard Arnault, etc.

Nous avons également rencontré les représentants des principales administrations concernées par le marché de l'art : le ministère des Affaires étrangères, avec la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international ; le ministère de la Culture et de la communication, avec la Direction générale de la création artistique (DGCA) – service des arts plastiques – et la Direction générale des patrimoines (DGP) – service des musées de France ; l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin.

À titre anecdotique, sachez que nous avons rencontré les responsables de la répression le lendemain de la révélation de l'affaire des faux meubles, que les professionnels appellent les « faux parfaits ». Réalisés avec des bois anciens du XVIIIe siècle et de fausses estampilles, ils ont abusé les plus grands acheteurs, et même Versailles. Il était intéressant d'entendre « en direct » ceux qui avaient révélé cette affaire.

Enfin, nous avons eu l'occasion, il y a deux semaines, d'auditionner Mme la ministre, Audrey Azoulay, ainsi que les collectionneurs.

Nous avons aussi rencontré les principaux responsables des écoles d'art, comme les Beaux-Arts, à Paris.

Ces auditions, qui se sont avérées aussi riches que passionnantes, nous ont permis de comprendre comment le paysage de l'art s'organisait en France autour des acteurs qui le font vivre. Nous avons ensuite pu dégager une analyse précise et complète de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui le marché de l'art en France.

Au début de nos auditions, nous avions envisagé, avec Stéphane Travert, d'intituler notre rapport « No hope » – titre que nous aurions ensuite francisé –, autrement dit « Plus d'espoir » pour le marché de l'art français. Au fil des auditions et des rencontres, nous avons changé de point de vue. C'est aussi cela qui fait l'intérêt des missions d'information. L'analyse à laquelle nous sommes parvenus nuance le constat alarmant qui avait conduit à la création de cette mission d'information, et a mis en évidence plusieurs pistes pour rendre à notre pays la place qu'il mérite.

C'est la raison pour laquelle nous avons tenu, avec Stéphane Travert, à présenter un certain nombre de propositions. Nous souhaitons, ainsi que le président Patrick Bloche, en assurer le suivi d'ici à la fin de cette législature, comme lors de la prochaine.

Les différents acteurs que nous avons rencontrés nous ont confirmé ce que nous supposions des difficultés qu'ils rencontrent à l'heure actuelle pour peser sur le marché de l'art à l'échelle internationale et y faire exister les artistes français. Ils ont également souligné l'importance des leviers fiscaux et réglementaires, voire législatifs, qui tendent à entraver le développement de notre marché de l'art.

Cela étant, ils ont aussi mis en lumière les éléments sur lesquels nous devons nous appuyer pour agir : aujourd'hui, la France, et Paris en particulier, est une place attractive du rayonnement culturel, nourrie par plusieurs manifestations de grande ampleur et de notoriété internationale, comme la FIAC, le Salon du Dessin, ou encore Paris Photo. Contrairement aux idées reçues, la FIAC n'a pas à rougir de la comparaison avec la Frieze, à Londres. La FIAC est un événement très important pour les acteurs du marché de l'art dans le monde.

En outre, notre pays dispose d'un réseau très fourni d'acteurs spécialisés, qu'il s'agit de faire travailler en bonne intelligence avec une génération d'artistes prometteurs, comme Cyprien Gaillard, Neil Beloufa ou encore Camille Henrot. C'est d'ailleurs un artiste français, présent dans la nouvelle aile de la Tate Modern, à Londres, qui a eu le prix Marcel Duchamp, décerné chaque année au Centre Pompidou à un artiste émergent.

C'est autour de ces axes et des secteurs où la France excelle, comme le design, la photographie – tout le monde nous a dit que Paris et la France étaient le centre mondial de la photo –, l'art urbain, le dessin – avec des salons très importants en matière de dessin ancien ou de dessin contemporain – et les arts premiers, que nous devons concentrer notre action.

Ce sont tous ces éléments que nous avons pris en compte dans l'élaboration de ce rapport d'information.

Je cède à présent la parole à mon collègue Stéphane Travert, qui va vous en livrer les propositions. Je rappelle que le rapport d'information a été adopté hier à l'unanimité par notre mission. Fort heureusement, nous avons très souvent des positions communes sur ces sujets, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons dans l'hémicycle. Ils ne font pas l'objet de clivages ni de polémiques. Je pourrais dire, en utilisant un vocabulaire qui vous est plus familier, mes chers collègues de la gauche, que l'art est plutôt « transcourants ».

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Comme Michel Herbillon, je tiens à souligner la qualité de l'ambiance qui a présidé à nos travaux durant les semaines où nous avons auditionné plus de cent personnes et acteurs majeurs du monde de l'art. Cette harmonie nous permet de vous livrer aujourd'hui une synthèse de nos réflexions.

Je vous remercie, mes chers collègues, de votre participation à nos travaux. Nous avons pu, au travers de nos auditions et de nos déplacements, chercher à comprendre comment donner un nouveau souffle au marché de l'art en France.

Nous avons rencontré de nombreux artistes, des collectionneurs, des galeristes, des présidents d'institutions, qui contribuent aujourd'hui à l'enrichissement du patrimoine national et méritent toute notre gratitude.

Le marché de l'art porte en lui des passions qui rassemblent. C'est le pari de l'audace, la foi des galeristes dans le talent des créateurs qui font vivre le marché et qui créent aujourd'hui des rencontres indispensables à l'épanouissement des talents et à la vitalité culturelle de notre pays. Dans ce rapport, nous avons voulu montrer le dynamisme, le savoir-faire des professionnels de l'art, ainsi que les leviers qu'il faut, selon nous, absolument actionner pour remédier aux faiblesses que nous avons pu recenser durant ces nombreuses heures d'auditions.

Comme l'a souligné Michel Herbillon, la France n'occupe plus aujourd'hui que le quatrième rang mondial sur le marché de l'art et ne représentait plus que 6 % du marché mondial en 2015. Plus inquiétant encore, notre pays ne concentrait, la même année, que 4 % des ventes aux enchères de fine art, et c'est sur l'art contemporain que la situation est la plus critique puisque la France ne pèse que 2 % de ce marché. À l'échelle européenne, nous nous trouvons également en situation de décrochage, puisque nous ne représentons que 19 % du marché, ventes privées et publiques confondues, là où le Royaume-Uni occupe la première place, avec près de 64 % des parts de marché.

C'est en partant de ces données que nous avons décidé d'auditionner un large panel d'acteurs du marché de l'art et que nous avons établi un certain nombre de propositions, que nous estimons aujourd'hui à même de constituer des remèdes aux faiblesses de notre marché de l'art, d'une part, et d'offrir un soutien efficace aux acteurs et aux secteurs qui portent le marché de l'art en France, d'autre part.

Certaines de ces propositions recueillent un large consensus parmi les personnes auditionnées. C'est notamment le cas des mesures concernant la fiscalité du marché de l'art, qui constituent un levier privilégié d'action en faveur de la circulation des oeuvres et de la constitution de collections.

Pour cette raison, je pense qu'il ne faut pas ranimer le débat récurrent sur l'introduction des oeuvres d'art dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Le marché de l'art réclame de la stabilité et n'apprécie guère les annonces et les propositions de modifications de la loi fiscale. Parallèlement, j'estime que le régime de l'ISF doit être défini de façon à favoriser le plus possible le marché de l'art français. Il conviendrait d'exonérer temporairement d'ISF le produit de la vente d'oeuvres et d'objets d'art, à condition que ces biens soient vendus en France et que le produit de leur vente soit remployé dans l'acquisition d'oeuvres ou d'objets d'art dans un délai de deux ans à compter de la vente.

Notre fiscalité doit également limiter les pertes qu'accusent les places françaises et européennes au bénéfice des États-Unis : nous proposons donc d'instaurer une différenciation du taux de la taxe forfaitaire sur la vente ou l'exportation des oeuvres et objets d'art, selon que ceux-ci sont vendus ou exportés au sein ou en dehors de l'Union européenne.

Par ailleurs, si la France accuse un retard substantiel sur ses concurrents, c'est en partie en raison de l'absence d'un réseau important de collectionneurs et de mécènes, comme ceux que l'on peut, par exemple, trouver en Allemagne. C'est pourquoi il est essentiel d'adapter notre fiscalité, afin qu'elle facilite et encourage la constitution de collections et la pratique du mécénat d'entreprise.

Nous avons donc proposé, dans ce rapport, d'augmenter la déduction fiscale ouverte aux petites et moyennes entreprises au titre de l'acquisition d'oeuvres originales d'artistes vivants, ce à quoi Mme la ministre de la culture et de la communication ne s'est pas déclarée hostile. La mesure pourrait prendre la forme d'une franchise de 100 000 euros, au-delà de laquelle s'appliquerait le plafond de 5 ‰ du chiffre d'affaires ou un barème dégressif de seuils différenciés en fonction du chiffre d'affaires des entreprises, cette dernière solution étant particulièrement lisible pour les PME.

Dans la même perspective, nous proposons d'étendre le dispositif de réduction d'impôt dont bénéficient les entreprises qui effectuent des versements pour permettre l'acquisition de trésors nationaux par l'État dans le cadre d'une vente de gré à gré à ceux de ces trésors qui font l'objet d'une préemption en vente publique. Nous pourrions aussi étendre aux particuliers les dispositifs de réduction d'impôt dont bénéficient les entreprises qui effectuent des versements pour permettre l'acquisition de trésors nationaux par l'État et qui acquièrent elles-mêmes des trésors nationaux dont l'État ne souhaite pas se porter acquéreur.

Dans le même esprit, nous proposons d'étendre aux professionnels indépendants, notamment libéraux, ainsi qu'aux particuliers, les dispositifs fiscaux favorisant l'acquisition d'oeuvres originales d'artistes vivants adhérents de la Maison des artistes.

Nous avons également constaté, lors des auditions, que les pays anglo-saxons possèdent toujours une longueur d'avance en matière de maisons de ventes. Cette particularité, pour partie culturelle, s'explique également par le statut et la formation de leurs commissaires-priseurs, mieux préparés à la dimension marchande de leur fonction et à son caractère mondialisé. Nous recommandons donc dans notre rapport d'adapter la formation des commissaires-priseurs aux enjeux commerciaux et aux exigences de maîtrise des techniques de gestion, de communication et de marketing ; nous recommandons aussi de les encourager à exploiter toutes les potentialités des nouvelles technologies, en particulier la vente en ligne.

Par ailleurs, nous jugeons souhaitable de repenser la composition du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV), de façon à donner plus de poids aux professionnels du marché de l'art.

En outre, il est impératif de protéger et de mieux valoriser le statut des experts français du marché de l'art en imposant, par exemple, la mention de leur affiliation à une compagnie d'experts dans les catalogues de vente.

Au-delà de ces recommandations, qui concernent le second marché, le rapport avance également plusieurs propositions relatives au premier marché. Eu égard au manque de visibilité dont pâtissent les artistes français ou travaillant en France, il nous paraît indispensable que les institutions culturelles de notre pays, qui agissent comme des prescripteurs puissants, fassent une part plus importante, notamment dans leurs expositions, à la création artistique contemporaine qui innerve nos territoires.

En parallèle, il serait intéressant de constituer, dans une logique de mise en cohérence de l'action culturelle, des clusters d'art contemporain qui réuniraient des ateliers d'artistes, des moyens de production, des lieux d'exposition et des locaux ouverts aux jeunes entreprises oeuvrant dans le domaine de l'art contemporain. Mme la ministre de la culture s'est montrée très favorable à cette proposition.

S'il est urgent de mettre davantage de moyens et de lieux de production à disposition des artistes – pensons au coût très élevé des ateliers d'artiste dans nos métropoles, à Paris, en particulier –, il importe également d'augmenter les aides aux galeries d'art contemporain, notamment l'aide du Centre national des arts plastiques (CNAP) destinée à la participation à une foire internationale, et de créer de nouveaux dispositifs de soutien, en particulier pour favoriser l'itinérance des expositions et la vente d'oeuvres d'art en ligne.

Je n'évoquerai pas ici l'idée de créer une provision réglementée destinée à favoriser l'investissement dans le stock des galeries puisqu'elle a déjà été débattue dans le cadre du projet de loi de finances.

Des événements tels que la foire Paris Internationale doivent également être soutenus par les pouvoirs publics, car ils contribuent à renforcer l'intérêt des collectionneurs étrangers d'art contemporain pour la place française.

Les crédits des institutions muséales, en forte hausse dans le projet de loi de finances pour 2017, devraient continuer à augmenter chaque année, notamment pour leur permettre de conduire des actions à destination des commissaires étrangers. De la même manière, il importe de fixer à un niveau cohérent avec l'ambition qui est la nôtre dans ce domaine les crédits des postes diplomatiques et des instituts français les plus concernés par le marché de l'art – je pense au Royaume-Uni, aux États-Unis, mais aussi à la Chine.

Pour conclure, il me paraît indispensable de doter le ministère de la culture d'une véritable instance de dialogue et de concertation réunissant tous les acteurs du marché de l'art en France – maisons de ventes, marchands d'art, galeries, experts, institutions culturelles, collectivités territoriales, collectionneurs et mécènes – afin que chacun agisse, en partenariat avec les autres acteurs, en faveur du marché de l'art français. C'est à cette condition que la France pourra pleinement exploiter son potentiel dans ce domaine.

Enfin, comme l'a dit Michel Herbillon, nous souhaitons que les propositions qui sont présentées ici fassent l'objet d'un suivi – c'est dire l'espoir que nous mettons dans la reconduction de nos mandats respectifs lors de la prochaine législature.

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Merci, cher président, cher rapporteur, de cette présentation dynamique de votre rapport. Je remercie en particulier Stéphane Travert d'avoir fait référence aux enjeux fiscaux, essentiels en ce domaine. Pour avoir vécu douloureusement la récente discussion de la première partie du projet de loi de finances, pendant laquelle je me suis senti très seul, je ne peux qu'inviter à une mobilisation collective. Les enjeux ne sont pas seulement culturels, ils sont aussi économiques : développer le marché de l'art, c'est favoriser la localisation d'emplois dans notre pays. Je regrette que cet argument, audible quand il s'agit du cinéma, le soit si peu lorsqu'il s'agit des arts visuels.

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Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, le groupe socialiste, écologiste et républicain tient tout d'abord à saluer les efforts fournis par la mission d'information, et plus particulièrement son président et son rapporteur, qui ont eu à mener à bien ce travail important dans les tristes circonstances que nous avons tous en tête. Sophie Dessus n'était pas une députée comme les autres et nous pensons, bien sûr, très fort à elle.

Le résultat de cette mission est dense mais passionnant, technique mais inspirant : toutes mes félicitations, monsieur le rapporteur.

Vous commencez par rappeler ce que nous oublions souvent, à savoir le poids économique considérable de la culture, et notamment des arts visuels, qui en 2015 ont représenté 21,4 milliards d'euros et quelque 310 000 emplois en France. Comme l'a dit le président de la Maison des artistes, « si l'art relève de la poétique, les biens culturels s'échangent pourtant sur un marché ».

Le marché de l'art recèle bien des spécificités. L'art n'est pas un bien comme les autres : il fait appel au coeur et à l'esprit plutôt qu'à nos simples réflexes consuméristes et, en cela, il est plus durable. Cette tendance est particulièrement observable ces derniers temps, à en croire la théorie émise par le journaliste américain Scott Reyburn selon lequel nous serions « passés d'un marché de la dilapidation à un marché de la rétention ».

Malgré leur contribution essentielle à l'économie et à l'image de la France dans le monde, les acteurs du marché de l'art souffrent d'un véritable déficit de reconnaissance de la part de l'État comme des médias. Relativement peu de crédits sont accordés pour soutenir directement l'activité des artistes et des galeries et les artistes français pâtissent d'une faible exposition dans les musées français, à l'exception peut-être du Palais de Tokyo.

À la différence des médias du Royaume-Uni, où un artiste contemporain peut aisément faire la une des journaux, les médias français parlent peu d'art contemporain, en dehors des scandales – tout le monde se souvient du traitement réservé à l'oeuvre d'Anish Kapoor à Versailles ou à l'« arbre » de Paul McCarthy, place Vendôme –, à tel point – et c'est un comble ! – que le rapport parle d'un « réel déficit de chauvinisme des acteurs du marché de l'art en France ». Comme pour les artistes émergents musicaux, la solution consisterait à mettre en place un soutien public aux artistes contemporains dans la durée, y compris en milieu de carrière, afin d'assurer la diffusion et la promotion de leurs oeuvres. Il importerait aussi de mettre à contribution notre réseau de coopération et d'action culturelle, unique en son genre, pour créer des « relais visuels » partout dans le monde.

Du XVIIe siècle, où Paris était le centre de la création artistique mondiale, aux années soixante, la France a dominé le marché de l'art, que se partagent désormais trois puissances hégémoniques, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine. La partie dans laquelle vous décrivez les « politiques culturelles offensives » d'un pays comme les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale est particulièrement intéressante. En France, dans les années soixante-dix, les artistes ont adopté un positionnement « anti-marché » qui a façonné dans un sens presque opposé notre conception du marché de l'art. Alors que la France occupe seulement la quatrième place mondiale en la matière et que les grosses maisons de ventes profitant de la mondialisation sont américaines, on peut s'interroger sur les phénomènes aux conséquences géopolitiques majeures que sont le Brexit et l'élection de Donald Trump. Pensez-vous, comme on l'a dit pour la finance au moment du Brexit, que la place de Paris pourra se trouver renforcée par rapport à Londres et à New York dans le marché mondial de l'art ?

Vous évoquez dans votre rapport la lutte contre le blanchiment et le trafic de « biens précieux ». Nous avons organisé en juin dernier avec une chercheuse du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) un colloque sur le patrimoine et la culture yéménites où nous avons appris que dans les pays en guerre, le pillage est en plein essor et qu'il est même organisé de manière de plus en plus professionnelle, en particulier dans les régions où le gouvernement central n'exerce plus de contrôle. Quelle est l'ampleur de ce phénomène ? Avez-vous une idée du nombre d'oeuvres d'art issues de ces pillages qui se retrouvent sur le marché de l'art, en France et dans le monde ? Les places mondiales du marché de l'art sont-elles susceptibles de lutter efficacement contre ces trafics absolument illégaux ? Font-elles au contraire preuve d'une certaine complaisance à leur égard ?

Vous parlez aussi de la réforme issue de la loi pour la croissance et l'activité prévoyant de fusionner à l'horizon 2022 la profession de commissaire-priseur judiciaire avec celle d'huissier de justice au sein de la profession de « commissaire de justice ». Ce matin, un bonnet qui aurait appartenu à Charles Lindbergh a été mis aux enchères et, hier, plusieurs éditeurs dont un français ont présenté comme une oeuvre inédite de Vincent Van Gogh un carnet contenant soixante-cinq dessins dont l'authenticité est vivement contestée par le musée Van Gogh d'Amsterdam. Voilà qui démontre la nécessité d'avoir de vrais experts sur le marché. Bien que vous traitiez largement la question dans votre rapport, vous n'évoquez pas le fait que les huissiers de justice n'ont, du fait de leur formation, aucune compétence dans le domaine de l'art et que cette fusion va permettre à des acteurs ayant des formations très disparates d'effectuer, de plein droit et sans restriction, des inventaires, des prisées et des ventes aux enchères publiques. Sans même évoquer le fait que l'atomisation du marché se fera au profit des grandes structures anglo-saxonnes richissimes comme Sotheby's ou Christie's, on peut craindre que cette réforme ne rende plus difficile l'appréciation de la valeur des objets des particuliers, ce qui risquerait de mettre le marché de l'art tout entier en danger.

Le rapport se conclut par une belle idée qui est de « permettre l'émergence d'une nouvelle génération de collectionneurs par l'éducation artistique » alors que les moyens dévolus à l'éducation artistique et culturelle (EAC) ont été doublés par le Gouvernement depuis 2012. Je pense qu'il serait également utile de mettre à profit les temps d'activités périscolaires (TAPs) pour, dès le plus jeune âge, sensibiliser les élèves aux arts visuels et aux arts plastiques en donnant davantage de moyens aux communes pour former des animateurs et faire intervenir des artistes professionnels.

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À mon tour de féliciter le rapporteur et le président de cet excellent travail. Je tiens à souligner le nombre impressionnant d'auditions auxquelles vous avez procédé et le spectre très large que vous avez couvert.

Vous avez décidé de vous consacrer à cette question en raison des inquiétudes qui pèsent sur le marché de l'art en France. Une idée très répandue est qu'aujourd'hui, la France n'occupe plus la place qu'elle avait pendant l'entre-deux-guerres. Il est évident que c'est en partie vrai. Toutefois, comme vous le montrez, notre pays possède encore de précieux atouts : un réseau de galeries très développé, des centres d'arts territoriaux, les Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC), institutions uniques en leur genre, de grandes institutions parisiennes, très nombreuses, des collectionneurs dont deux très grands, des salons, des manifestations de niveau international, et une place particulière dans le domaine du design, du dessin et de l'art urbain. Votre rapport, comme vous le disiez, est rassurant. Le potentiel est là.

Reste que la place de la France est aujourd'hui mineure et que les artistes français ont du mal à s'exporter. Nous l'entendons partout. Vos analyses soulignent le manque de collectionneurs intermédiaires, à la différence de l'Allemagne. En outre, les très grands collectionneurs français, qui s'appuient sur un système de ventes sophistiqué, achètent peu d'artistes de leur pays à la différence, là encore, de ce qui se passe en Allemagne.

Parmi vos nombreuses propositions, j'aimerais que vous nous disiez celle que vous considérez comme la plus significative, la plus à même de dynamiser le secteur. Vous avez avancé beaucoup de propositions de nature fiscale, or le rapport ne se fait pas beaucoup l'écho des réactions du ministère des finances. Il serait intéressant d'avoir la vision de Bercy. Lors des travaux sur la loi relative au mécénat, nous avions établi un tableau comparatif international, moyen qui s'était révélé très efficace pour convaincre qu'il fallait changer nos dispositifs. Sans doute pourriez-vous ajouter cet élément à vos analyses.

J'aimerais vous interroger sur les conséquences du Brexit, de l'élection de Donald Trump ainsi que de l'émergence de deux très grands musées privés sur la place du marché de l'art français.

Vous avez souligné un atout très important : l'axe majeur que constitue la coopération entre le monde privé et le monde public. Elle souffre cependant d'une faiblesse, que vous avez pointée lors de l'audition de Mme la ministre : l'identification du domaine des arts plastiques est bien moindre que par le passé au sein du ministère de la culture.

Nous avons auditionné la semaine dernière le directeur du projet Médicis-Clichy-Montfermeil. L'une des missions qui lui ont été confiées est d'accueillir cent jeunes artistes issus des écoles d'art françaises. Pensez-vous que ce projet constitue un exemple de cluster ?

J'en viens à deux questions à caractère technique.

Pour les galeries, vous n'évoquez pas la mise en place d'un mécanisme d'amortissement de leurs stocks d'oeuvres d'art, « simple de mise en oeuvre et sans effet négatif au plan du budget de l'État », comme le souligne Guillaume Cerutti dans son récent ouvrage.

Par ailleurs, vous parlez peu du droit de suite. La Fondation Giacometti nous avait fait part d'un blocage à ce sujet, notamment lors de la discussion du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. Serait-ce un handicap pour le marché de l'art français ? Ne faudrait-il pas revenir sur nos positions ?

Vous avez largement abordé la question de l'expertise dans votre rapport. Nous sommes tous sensibles aux scandales qui ont eu lieu récemment. Nous disposons d'excellents experts. Comment améliorer le fonctionnement de l'expertise ? Faudrait-il développer les coopérations internationales ?

Enfin, je tiens à souligner les incidences qu'aura le prélèvement à la source souhaité par la majorité. Cette réforme est conçue, vous le savez, pour éviter les niches fiscales et, pour avoir été rapporteur au Conseil des impôts, je peux vous dire qu'elle contribuera à fragiliser tout le dispositif fiscal en faveur de la culture, dont le président de notre commission a justement rappelé l'importance.

Dernier point : si les crédits des institutions muséales sont, comme vous l'avez souligné, en forte progression dans le présent budget, c'est après avoir connu une forte diminution au cours des quatre dernières années. C'est un petit détail mais il mérite d'être souligné.

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Ma première question porte sur l'attitude des institutions culturelles à l'égard des collectionneurs. À côté des très grands collectionneurs que sont Bernard Arnault et François Pinault, la majorité mal connue des collectionneurs plus modestes mérite une attention particulière. Comment s'intéresser au marché local et encourager des jeunes talents n'ayant pas accès aux foires internationales ou aux institutions prestigieuses ?

Ma deuxième question a trait au circuit numérique. Les galeries d'art, en particulier d'art contemporain, pâtissent d'une image plutôt négative auprès du grand public. Internet pourrait être un vecteur important pour susciter l'intérêt pour l'art. Comment franchir cette étape numérique, perçue par de nombreux acteurs du marché de l'art comme indigne et réservée aux artistes de seconde catégorie ?

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Merci au président et au rapporteur de la mission d'information pour leur présentation – je dis présentation car, n'étant pas membre de la mission, je n'ai pas été destinataire du rapport, dont je prendrai bientôt connaissance. Vous soulignez que le marché de l'art contribue à la vitalité culturelle mais qu'il constitue aussi un enjeu économique et je partage entièrement votre position.

Je voulais saluer les tableaux de droit comparé qui figurent en annexe : l'un portant sur la fiscalité du marché de l'art, l'autre sur sa réglementation. Ils nous seront utiles pour l'avenir.

Un point qui m'intéresse particulièrement dans cette mission d'information est l'évolution de la profession de commissaire-priseur et le rôle que peut jouer Drouot, qui est un nom mythique, dans cette nécessaire revitalisation du marché de l'art en France.

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Le président et le rapporteur mettent en avant le fait que le marché de l'art est devenu une question géopolitique alors que trois grandes nations sont en compétition avec la France. Dans la revue Commentaire, Jean-Pierre Daviet et Pierre Grégory publient depuis plusieurs années des articles sur cet enjeu stratégique. Dans un article récent, ils pointent un problème particulier, dont je n'ai pas trouvé mention dans votre rapport, celui de l'expertise d'État en matière d'art. Outre le scandale du mobilier de Versailles, pensons à la découverte à Toulouse d'un tableau dont l'attribution au Caravage est encore controversée. Les auteurs de l'article soulignent la difficulté qu'éprouvent nos experts nationaux à donner un avis aux décideurs politiques sur le caractère stratégique de certaines oeuvres en vue d'autoriser ou non leur exportation – le problème s'est posé récemment à propos de deux tableaux de Rembrandt. La question de l'expertise d'État n'est pas neutre : il y va de la gestion du patrimoine artistique de notre pays. Avez-vous des précisions à nous apporter sur ce point ?

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Le groupe d'études sur les chrétiens d'Orient, dont je suis présidente, reçoit régulièrement des personnalités du monde oriental. Plusieurs d'entre elles ont évoqué devant nous l'essor du marché noir de l'art avec l'avènement de Daech : le marché européen est inondé de nombreuses pièces archéologiques en provenance de Mésopotamie. Des sites complets se retrouvent en pièces détachées dans certaines galeries. L'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a qualifié ces vols d'oeuvres antiques de « crimes de guerre ». Monsieur le président, monsieur le rapporteur, quelles pistes envisagez-vous pour permettre la restitution de ce patrimoine volé ?

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Le marché de l'art français connaît une forte concurrence des pays étrangers. Vous préconisez, monsieur le rapporteur, plusieurs dispositions pour le redynamiser.

J'aimerais, à la suite de Véronique Besse, m'attacher à un point particulier. Au cours de vos auditions, la question de la provenance des oeuvres d'art a-t-elle été abordée ? Les conflits au Moyen-Orient ont entraîné la destruction de sites archéologiques et la disparition d'oeuvres d'art. Quelles mesures comptez-vous proposer pour garantir la provenance et enrayer le trafic qui existe aujourd'hui ?

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Je fais à mon tour l'éloge de votre rapport, qui est tout à fait passionnant.

Créées à l'origine dans le cadre de la politique d'implantation des maisons de la culture, les artothèques permettent aux particuliers de s'initier à l'art, d'apprendre à vivre avec des oeuvres d'art contemporain et de faciliter l'emprunt, voire l'achat de ces oeuvres. Les artothèques telles que nous les connaissons actuellement sont nées sous l'impulsion du ministère de la culture, alors dirigé par Jack Lang, en collaboration avec des municipalités, des départements, des régions ou des associations. Elles proposent un fonds d'oeuvres issues, pour une moitié, du Fonds national d'art contemporain (FNAC) et, pour l'autre, d'un fonds d'oeuvres établi sur proposition des structures bénéficiaires, à commencer par les collectivités territoriales.

Depuis 1999, l'association de développement et de recherche sur les artothèques (ADRA) se charge d'étudier les questions relatives à ce qui fonde l'action des quarante artothèques. L'ADRA joue un rôle d'appui, de ressource et de conseil en ce qui concerne la recherche artistique, la diffusion et la médiation des oeuvres. Elle permet aussi l'émergence de nouveaux acheteurs dans le domaine des arts plastiques sans introduire de dimension spéculative. Quel est votre avis, monsieur le rapporteur, sur ce dispositif ? Comment pourrait-on le développer davantage sur l'ensemble du territoire ?

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Merci, mes chers collègues, des appréciations que vous avez formulées, voire des louanges que vous nous avez adressées. Le rapporteur et moi-même y sommes très sensibles.

L'élection de Donald Trump étant assez récente, nous n'en avons pas encore mesuré les conséquences pour le marché de l'art. Au titre du suivi de notre mission, nous envisageons d'auditionner l'intéressé dans les jours prochains, et nous ne manquerons pas d'en rendre compte à la commission ! (Sourires.) Je peux simplement dire que les volontés protectionnistes de M. Trump ne me paraissent guère compatibles avec l'internationalisation du marché de l'art. Ainsi que vous l'avez relevé très justement, mes chers collègues, c'est un marché international où les questions de géopolitique sont évidemment très prégnantes.

Nous avons interrogé les responsables de Sotheby's et de Christie's, à Londres et à Paris, sur les conséquences du Brexit. On y réfléchit notamment chez Christie's, maison qui est la propriété de François Pinault et qui est très présente en France, mais encore plus au Royaume-Uni. Il se trouve que les ventes de grandes oeuvres qui atteignent des prix élevés ont toujours lieu soit à Londres, soit à New York, même s'il y a aussi des ventes importantes en France. Certains espèrent que les grandes ventes quitteront Londres pour d'autres capitales, par hypothèse Paris, mais, selon moi, ce n'est pas demain la veille, tant la place de Londres sur le marché de l'art est importante, singulièrement sur celui de l'art contemporain.

S'agissant des questions de fiscalité, abordées notamment par François de Mazières, nous devons vous faire part de l'audition particulièrement éclairante que nous avons faite des représentants du ministère des finances car, ainsi qu'on peut le lire dans le guide Michelin, non seulement cela « méritait un détour », mais cela « valait le voyage » ! Avec beaucoup de professionnalisme et de courtoisie, ils ont invariablement répondu non à chacune de nos propositions, que nous leur avons présentées avec certitude mais mesure. Lorsque nous avions le moindre espoir qu'ils commencent à esquisser un oui, ils nous indiquaient que le ministère de la culture – horresco referens ! – avait déjà formulé cette proposition après d'eux. Toutefois, ainsi que le président Patrick Bloche l'a très bien dit, nous n'allons pas lâcher : nous allons continuer inlassablement à faire un certain nombre de propositions dans ce domaine.

À la suite de vos remarques, j'insiste à nouveau sur un point : l'ensemble des professionnels que nous avons auditionnés, notamment les galeristes et les maisons de ventes, ont regretté l'absence d'identification et de lisibilité des arts plastiques et de l'art contemporain au sein du ministère de la culture, contrairement à ce qui prévalait auparavant, notamment depuis l'impulsion donnée par Jack Lang, et contrairement à ce qui se passe aujourd'hui pour le spectacle vivant. Actuellement, la responsabilité en matière d'arts plastiques et d'art contemporain relève de la DGCA.

Un point ressort de nos auditions, notamment de celle de François Pinault : l'excellence de notre législation sur les trésors nationaux, qui permet de conserver en France les grandes oeuvres de notre patrimoine. Il faut absolument garder ce dispositif, qui n'existe pas partout.

Ainsi que l'a très justement suggéré François de Mazières, le projet Médicis-Clichy-Montfermeil peut être un exemple de cluster d'art contemporain. Nous suivons avec beaucoup d'attention ce projet, qui peut être l'occasion de développer l'art contemporain.

Il nous est apparu, et nous le regrettons, que la France est dans une situation très différente de l'Allemagne dans le domaine de l'art contemporain. En Allemagne, il y a, d'une part, des collectionneurs intermédiaires qui achètent des oeuvres d'artistes allemands et, d'autre part, de très grands artistes – Georg Baselitz, Anselm Kiefer et Gerhard Richter, entre autres – qui ont une visibilité internationale, leurs oeuvres étant présentes à la fois dans les musées et dans les grandes collections mondiales. Nous peinons à citer des noms d'artistes français de ce niveau, à l'exception notable de Pierre Soulages. Il y a pourtant, en France, à la fois un réseau muséal, le réseau des FRAC, des galeries qui soutiennent les artistes contemporains et des collectionneurs. Nous avons le sentiment que nous disposons de tous les ingrédients pour faire un très bon cocktail dans le domaine de l'art contemporain, mais ce n'est pas ce qui se passe. Selon moi, il faudrait que tous les acteurs, y compris les galeries et les écoles d'art, conjuguent leurs efforts pour que la France passe au stade supérieur en matière de développement et de promotion de l'art contemporain.

Ainsi que François de Mazières l'a souligné, il faudrait notamment que les collectionneurs français achètent davantage d'oeuvres aux artistes français. C'est un cercle vicieux : dans la mesure où les artistes français n'ont guère de notoriété internationale et où leurs oeuvres ne sont pas assez présentes dans les musées, les expositions et les foires internationales, les collectionneurs français achètent moins leurs oeuvres que celles des artistes étrangers.

Il faudrait aussi davantage d'actions pour soutenir les artistes français, notamment les artistes émergents, même si le Palais de Tokyo et le Centre Pompidou font déjà beaucoup en la matière. Le Centre Pompidou expose désormais les oeuvres de tous les artistes nommés pour le prix Marcel Duchamp, et pas seulement celles du lauréat, ce qui était le cas jusqu'à récemment. S'agissant des foires, on sait qu'il est difficile pour les petites galeries et les artistes émergents d'avoir une place à la FIAC, ne serait-ce qu'en raison du coût du stand ; mais il y a, parallèlement à la FIAC, Paris Internationale, où des galeries plus petites et des artistes moins connus exposent. Il s'agit là d'une action tout à fait résolue dans le domaine de l'art contemporain. La directrice de la FIAC a elle-même souligné l'excellence de Paris Internationale.

Colette Langlade a dit très justement qu'il convenait d'accorder davantage d'attention aux collectionneurs intermédiaires ou plus modestes et d'encourager les jeunes talents. Nous avons formulé un certain nombre de propositions à ce sujet dans notre rapport. À l'issue des auditions que nous avons menées, nous restons tout de même assez optimistes, car le terreau et les ingrédients sont bien là. Simplement, il faut que tous les acteurs conjuguent leurs efforts pour franchir une nouvelle étape, ainsi que je viens de l'indiquer.

Toutes les galeries se posent la question du numérique, et les ventes en ligne se développent. Dans le même temps, rien ne remplace le contact direct avec l'oeuvre d'art, que ce soit pour les collectionneurs qui achètent ou pour tous ceux qui développent le goût de l'art en mouvement.

Dominique Nachury a relevé à juste titre que l'enjeu était non seulement culturel, mais aussi économique, compte tenu de la place du marché de l'art. En ce qui concerne les commissaires-priseurs, Drouot est en effet une marque connue à l'international. La difficulté est que, derrière cette marque générique, il y a, si je puis dire, toute une série d'artisans et d'entrepreneurs individuels qui sont extrêmement attachés à leur indépendance. Les tentatives, notamment celle de Pierre Bergé, de fédérer tous les acteurs derrière cette marque et de développer celle-ci à l'international ont échoué en raison de l'individualisme très fort des différents commissaires-priseurs.

Patrick Hetzel a souligné avec raison le problème de l'expertise d'État dans le domaine de l'art, ainsi que l'illustrent les récentes querelles à propos de l'authenticité du tableau du Caravage qu'il a cité, ou encore d'un tableau de Rembrandt et, depuis ce matin, de dessins de Van Gogh. Le rôle de l'expert est important. Selon moi, il convient de professionnaliser davantage encore le métier d'expert d'État et de fluidifier les rapports entre les experts, les collectionneurs et le monde des musées. Il faut notamment qu'il y ait davantage de contacts entre les conservateurs et les experts.

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D'une manière générale, l'art contemporain et sa valorisation sont une affaire de génération : il y a une génération « sacrifiée », qui n'a pas pris le train en marche ; désormais, la valorisation de l'art contemporain se fait grâce au travail d'une nouvelle génération, notamment de nouvelles galeries. Le numérique, que Colette Langlade a évoqué, est en train de redonner ses lettres de noblesse à la création contemporaine. Nous avons rencontré à la Frieze Masters des galeristes allemands qui vendaient des oeuvres à 50 000 ou 100 000 euros uniquement sur internet, car ils avaient réussi à reproduire à l'écran les oeuvres d'art telles qu'elles sont accrochées dans une galerie.

Peut-être ne sommes-nous pas, nous Français, suffisamment chauvins ou protectionnistes en la matière. Si les musées n'achètent pas suffisamment d'oeuvres d'art françaises et ne soutiennent pas assez la jeune création française, on ne donne pas de valeur à ces oeuvres d'art, ce qui crée une sorte de brouillage : les acheteurs en viennent à se dire que c'est plutôt en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis que l'on peut trouver des artistes émergents. En outre, effet de mode ou véritable mal français, on a toujours tendance à considérer que « c'est mieux ailleurs », alors que la France regorge de véritables talents, ainsi que nous avons pu le constater.

Le Brexit est une réalité dans les urnes, mais ses implications pour le Royaume-Uni demeurent incertaines. Les avis des économistes et des acteurs du monde de l'art sont assez partagés : tout dépendra des mesures qui seront prises en matière de droit de suite et de TVA à l'importation. D'autre part, quel effet le Brexit aura-t-il sur les exilés fiscaux ? Certains d'entre eux pourraient revenir en France, notamment à Paris. Si celle-ci est considérée comme une nouvelle place financière, elle pourrait attirer des professionnels étrangers à fort pouvoir d'achat. Les avis divergent sur ce point.

Il en va de même sur le droit de suite, que plusieurs d'entre vous ont évoqué. Dans le cadre de la loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, nous avons été aussi loin que possible en ce qui concerne la possibilité de léguer le droit de suite. Les acteurs du monde de l'art critiquaient le fait que le droit de suite soit, en France, à la charge du vendeur, contrairement à ce qui se fait au Royaume-Uni. Selon eux, cela dissuadait les vendeurs de venir dans notre pays. Ce problème a été complètement réglé avec l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 3 juin 2015.

Véronique Besse a évoqué le pillage des oeuvres d'art au Moyen-Orient, ce que l'on appelle les « antiquités du sang ». Nous n'avons pas étudié cette question, car elle relevait du champ non pas de notre mission d'information, mais de celle qui a porté sur les moyens de Daech.

Le président Michel Herbillon a évoqué l'audition des fonctionnaires du ministère des finances. Nous en sommes sortis un peu abasourdis : toutes les propositions que nous avons faites, qui nous semblaient pourtant des mesures de bon sens, ont été refusées. Nous aurions d'ailleurs dû ajouter une proposition supplémentaire dans notre rapport : revoir la chaîne de prise de décision en la matière. C'est encore l'échelon politique qui décide dans ce pays, et il doit prendre ses responsabilités – pour ma part, je ne cesserai pas de l'affirmer. Nous aurons besoin de la mobilisation de tous les acteurs pour défendre ces propositions auprès de Bercy et leur donner une traduction législative concrète.

Les clusters d'art contemporain peuvent contribuer à l'émergence des artistes locaux. Les élus des territoires, dont je fais partie, s'appuient sur les FRAC et sur les artothèques, dont Martine Martinel a eu raison de souligner le rôle. Pour ma part, je connais l'artothèque de Caen, qui est un véritable outil au service de l'art contemporain. Aujourd'hui, les collectivités territoriales ont une place essentielle dans le financement de la culture. Il leur revient de soutenir les FRAC et les artothèques et d'accompagner leur ambition. Les FRAC vont connaître des mutations avec la mise en place des grandes régions. Quant aux artothèques, elles sont en effet quarante, ce qui n'est pas suffisant, et sont majoritairement situées dans les métropoles. Il faut en créer dans les milieux ruraux, de manière à ce que l'art contemporain pénètre ces territoires qui n'y ont souvent pas accès.

La question de l'expertise d'État, soulevée par Patrick Hetzel, n'a pas été évoquée au cours des auditions que nous avons menées. Dans notre rapport, nous proposons de mieux protéger le titre d'expert, afin que cette fonction soit confortée et reconnue, et que l'analyse des experts ne soit pas sans cesse battue en brèche. D'autre part, nous préconisons la création d'un registre de police européen pour mieux protéger les oeuvres. En France, les professionnels du marché de l'art doivent obligatoirement tenir un registre de police indiquant notamment l'origine des oeuvres, ce qui n'est pas nécessairement le cas chez nos voisins européens. Une harmonisation des règles au niveau européen permettrait un contrôle renforcé de la provenance des oeuvres.

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Merci beaucoup, monsieur le président, monsieur le rapporteur. En vous écoutant, je me suis posé la question suivante : dans le marché de l'art, quel est l'élément qui gêne le plus Bercy, l'art ou le marché ? Peut-être est-ce finalement le marché.

La Commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information relatif au marché de l'art.

La séance est levée à onze heures.