Intervention de Stéphane Travert

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert, rapporteur de la mission d'information :

Comme Michel Herbillon, je tiens à souligner la qualité de l'ambiance qui a présidé à nos travaux durant les semaines où nous avons auditionné plus de cent personnes et acteurs majeurs du monde de l'art. Cette harmonie nous permet de vous livrer aujourd'hui une synthèse de nos réflexions.

Je vous remercie, mes chers collègues, de votre participation à nos travaux. Nous avons pu, au travers de nos auditions et de nos déplacements, chercher à comprendre comment donner un nouveau souffle au marché de l'art en France.

Nous avons rencontré de nombreux artistes, des collectionneurs, des galeristes, des présidents d'institutions, qui contribuent aujourd'hui à l'enrichissement du patrimoine national et méritent toute notre gratitude.

Le marché de l'art porte en lui des passions qui rassemblent. C'est le pari de l'audace, la foi des galeristes dans le talent des créateurs qui font vivre le marché et qui créent aujourd'hui des rencontres indispensables à l'épanouissement des talents et à la vitalité culturelle de notre pays. Dans ce rapport, nous avons voulu montrer le dynamisme, le savoir-faire des professionnels de l'art, ainsi que les leviers qu'il faut, selon nous, absolument actionner pour remédier aux faiblesses que nous avons pu recenser durant ces nombreuses heures d'auditions.

Comme l'a souligné Michel Herbillon, la France n'occupe plus aujourd'hui que le quatrième rang mondial sur le marché de l'art et ne représentait plus que 6 % du marché mondial en 2015. Plus inquiétant encore, notre pays ne concentrait, la même année, que 4 % des ventes aux enchères de fine art, et c'est sur l'art contemporain que la situation est la plus critique puisque la France ne pèse que 2 % de ce marché. À l'échelle européenne, nous nous trouvons également en situation de décrochage, puisque nous ne représentons que 19 % du marché, ventes privées et publiques confondues, là où le Royaume-Uni occupe la première place, avec près de 64 % des parts de marché.

C'est en partant de ces données que nous avons décidé d'auditionner un large panel d'acteurs du marché de l'art et que nous avons établi un certain nombre de propositions, que nous estimons aujourd'hui à même de constituer des remèdes aux faiblesses de notre marché de l'art, d'une part, et d'offrir un soutien efficace aux acteurs et aux secteurs qui portent le marché de l'art en France, d'autre part.

Certaines de ces propositions recueillent un large consensus parmi les personnes auditionnées. C'est notamment le cas des mesures concernant la fiscalité du marché de l'art, qui constituent un levier privilégié d'action en faveur de la circulation des oeuvres et de la constitution de collections.

Pour cette raison, je pense qu'il ne faut pas ranimer le débat récurrent sur l'introduction des oeuvres d'art dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Le marché de l'art réclame de la stabilité et n'apprécie guère les annonces et les propositions de modifications de la loi fiscale. Parallèlement, j'estime que le régime de l'ISF doit être défini de façon à favoriser le plus possible le marché de l'art français. Il conviendrait d'exonérer temporairement d'ISF le produit de la vente d'oeuvres et d'objets d'art, à condition que ces biens soient vendus en France et que le produit de leur vente soit remployé dans l'acquisition d'oeuvres ou d'objets d'art dans un délai de deux ans à compter de la vente.

Notre fiscalité doit également limiter les pertes qu'accusent les places françaises et européennes au bénéfice des États-Unis : nous proposons donc d'instaurer une différenciation du taux de la taxe forfaitaire sur la vente ou l'exportation des oeuvres et objets d'art, selon que ceux-ci sont vendus ou exportés au sein ou en dehors de l'Union européenne.

Par ailleurs, si la France accuse un retard substantiel sur ses concurrents, c'est en partie en raison de l'absence d'un réseau important de collectionneurs et de mécènes, comme ceux que l'on peut, par exemple, trouver en Allemagne. C'est pourquoi il est essentiel d'adapter notre fiscalité, afin qu'elle facilite et encourage la constitution de collections et la pratique du mécénat d'entreprise.

Nous avons donc proposé, dans ce rapport, d'augmenter la déduction fiscale ouverte aux petites et moyennes entreprises au titre de l'acquisition d'oeuvres originales d'artistes vivants, ce à quoi Mme la ministre de la culture et de la communication ne s'est pas déclarée hostile. La mesure pourrait prendre la forme d'une franchise de 100 000 euros, au-delà de laquelle s'appliquerait le plafond de 5 ‰ du chiffre d'affaires ou un barème dégressif de seuils différenciés en fonction du chiffre d'affaires des entreprises, cette dernière solution étant particulièrement lisible pour les PME.

Dans la même perspective, nous proposons d'étendre le dispositif de réduction d'impôt dont bénéficient les entreprises qui effectuent des versements pour permettre l'acquisition de trésors nationaux par l'État dans le cadre d'une vente de gré à gré à ceux de ces trésors qui font l'objet d'une préemption en vente publique. Nous pourrions aussi étendre aux particuliers les dispositifs de réduction d'impôt dont bénéficient les entreprises qui effectuent des versements pour permettre l'acquisition de trésors nationaux par l'État et qui acquièrent elles-mêmes des trésors nationaux dont l'État ne souhaite pas se porter acquéreur.

Dans le même esprit, nous proposons d'étendre aux professionnels indépendants, notamment libéraux, ainsi qu'aux particuliers, les dispositifs fiscaux favorisant l'acquisition d'oeuvres originales d'artistes vivants adhérents de la Maison des artistes.

Nous avons également constaté, lors des auditions, que les pays anglo-saxons possèdent toujours une longueur d'avance en matière de maisons de ventes. Cette particularité, pour partie culturelle, s'explique également par le statut et la formation de leurs commissaires-priseurs, mieux préparés à la dimension marchande de leur fonction et à son caractère mondialisé. Nous recommandons donc dans notre rapport d'adapter la formation des commissaires-priseurs aux enjeux commerciaux et aux exigences de maîtrise des techniques de gestion, de communication et de marketing ; nous recommandons aussi de les encourager à exploiter toutes les potentialités des nouvelles technologies, en particulier la vente en ligne.

Par ailleurs, nous jugeons souhaitable de repenser la composition du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV), de façon à donner plus de poids aux professionnels du marché de l'art.

En outre, il est impératif de protéger et de mieux valoriser le statut des experts français du marché de l'art en imposant, par exemple, la mention de leur affiliation à une compagnie d'experts dans les catalogues de vente.

Au-delà de ces recommandations, qui concernent le second marché, le rapport avance également plusieurs propositions relatives au premier marché. Eu égard au manque de visibilité dont pâtissent les artistes français ou travaillant en France, il nous paraît indispensable que les institutions culturelles de notre pays, qui agissent comme des prescripteurs puissants, fassent une part plus importante, notamment dans leurs expositions, à la création artistique contemporaine qui innerve nos territoires.

En parallèle, il serait intéressant de constituer, dans une logique de mise en cohérence de l'action culturelle, des clusters d'art contemporain qui réuniraient des ateliers d'artistes, des moyens de production, des lieux d'exposition et des locaux ouverts aux jeunes entreprises oeuvrant dans le domaine de l'art contemporain. Mme la ministre de la culture s'est montrée très favorable à cette proposition.

S'il est urgent de mettre davantage de moyens et de lieux de production à disposition des artistes – pensons au coût très élevé des ateliers d'artiste dans nos métropoles, à Paris, en particulier –, il importe également d'augmenter les aides aux galeries d'art contemporain, notamment l'aide du Centre national des arts plastiques (CNAP) destinée à la participation à une foire internationale, et de créer de nouveaux dispositifs de soutien, en particulier pour favoriser l'itinérance des expositions et la vente d'oeuvres d'art en ligne.

Je n'évoquerai pas ici l'idée de créer une provision réglementée destinée à favoriser l'investissement dans le stock des galeries puisqu'elle a déjà été débattue dans le cadre du projet de loi de finances.

Des événements tels que la foire Paris Internationale doivent également être soutenus par les pouvoirs publics, car ils contribuent à renforcer l'intérêt des collectionneurs étrangers d'art contemporain pour la place française.

Les crédits des institutions muséales, en forte hausse dans le projet de loi de finances pour 2017, devraient continuer à augmenter chaque année, notamment pour leur permettre de conduire des actions à destination des commissaires étrangers. De la même manière, il importe de fixer à un niveau cohérent avec l'ambition qui est la nôtre dans ce domaine les crédits des postes diplomatiques et des instituts français les plus concernés par le marché de l'art – je pense au Royaume-Uni, aux États-Unis, mais aussi à la Chine.

Pour conclure, il me paraît indispensable de doter le ministère de la culture d'une véritable instance de dialogue et de concertation réunissant tous les acteurs du marché de l'art en France – maisons de ventes, marchands d'art, galeries, experts, institutions culturelles, collectivités territoriales, collectionneurs et mécènes – afin que chacun agisse, en partenariat avec les autres acteurs, en faveur du marché de l'art français. C'est à cette condition que la France pourra pleinement exploiter son potentiel dans ce domaine.

Enfin, comme l'a dit Michel Herbillon, nous souhaitons que les propositions qui sont présentées ici fassent l'objet d'un suivi – c'est dire l'espoir que nous mettons dans la reconduction de nos mandats respectifs lors de la prochaine législature.

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