Intervention de Hervé Féron

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, le groupe socialiste, écologiste et républicain tient tout d'abord à saluer les efforts fournis par la mission d'information, et plus particulièrement son président et son rapporteur, qui ont eu à mener à bien ce travail important dans les tristes circonstances que nous avons tous en tête. Sophie Dessus n'était pas une députée comme les autres et nous pensons, bien sûr, très fort à elle.

Le résultat de cette mission est dense mais passionnant, technique mais inspirant : toutes mes félicitations, monsieur le rapporteur.

Vous commencez par rappeler ce que nous oublions souvent, à savoir le poids économique considérable de la culture, et notamment des arts visuels, qui en 2015 ont représenté 21,4 milliards d'euros et quelque 310 000 emplois en France. Comme l'a dit le président de la Maison des artistes, « si l'art relève de la poétique, les biens culturels s'échangent pourtant sur un marché ».

Le marché de l'art recèle bien des spécificités. L'art n'est pas un bien comme les autres : il fait appel au coeur et à l'esprit plutôt qu'à nos simples réflexes consuméristes et, en cela, il est plus durable. Cette tendance est particulièrement observable ces derniers temps, à en croire la théorie émise par le journaliste américain Scott Reyburn selon lequel nous serions « passés d'un marché de la dilapidation à un marché de la rétention ».

Malgré leur contribution essentielle à l'économie et à l'image de la France dans le monde, les acteurs du marché de l'art souffrent d'un véritable déficit de reconnaissance de la part de l'État comme des médias. Relativement peu de crédits sont accordés pour soutenir directement l'activité des artistes et des galeries et les artistes français pâtissent d'une faible exposition dans les musées français, à l'exception peut-être du Palais de Tokyo.

À la différence des médias du Royaume-Uni, où un artiste contemporain peut aisément faire la une des journaux, les médias français parlent peu d'art contemporain, en dehors des scandales – tout le monde se souvient du traitement réservé à l'oeuvre d'Anish Kapoor à Versailles ou à l'« arbre » de Paul McCarthy, place Vendôme –, à tel point – et c'est un comble ! – que le rapport parle d'un « réel déficit de chauvinisme des acteurs du marché de l'art en France ». Comme pour les artistes émergents musicaux, la solution consisterait à mettre en place un soutien public aux artistes contemporains dans la durée, y compris en milieu de carrière, afin d'assurer la diffusion et la promotion de leurs oeuvres. Il importerait aussi de mettre à contribution notre réseau de coopération et d'action culturelle, unique en son genre, pour créer des « relais visuels » partout dans le monde.

Du XVIIe siècle, où Paris était le centre de la création artistique mondiale, aux années soixante, la France a dominé le marché de l'art, que se partagent désormais trois puissances hégémoniques, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine. La partie dans laquelle vous décrivez les « politiques culturelles offensives » d'un pays comme les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale est particulièrement intéressante. En France, dans les années soixante-dix, les artistes ont adopté un positionnement « anti-marché » qui a façonné dans un sens presque opposé notre conception du marché de l'art. Alors que la France occupe seulement la quatrième place mondiale en la matière et que les grosses maisons de ventes profitant de la mondialisation sont américaines, on peut s'interroger sur les phénomènes aux conséquences géopolitiques majeures que sont le Brexit et l'élection de Donald Trump. Pensez-vous, comme on l'a dit pour la finance au moment du Brexit, que la place de Paris pourra se trouver renforcée par rapport à Londres et à New York dans le marché mondial de l'art ?

Vous évoquez dans votre rapport la lutte contre le blanchiment et le trafic de « biens précieux ». Nous avons organisé en juin dernier avec une chercheuse du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) un colloque sur le patrimoine et la culture yéménites où nous avons appris que dans les pays en guerre, le pillage est en plein essor et qu'il est même organisé de manière de plus en plus professionnelle, en particulier dans les régions où le gouvernement central n'exerce plus de contrôle. Quelle est l'ampleur de ce phénomène ? Avez-vous une idée du nombre d'oeuvres d'art issues de ces pillages qui se retrouvent sur le marché de l'art, en France et dans le monde ? Les places mondiales du marché de l'art sont-elles susceptibles de lutter efficacement contre ces trafics absolument illégaux ? Font-elles au contraire preuve d'une certaine complaisance à leur égard ?

Vous parlez aussi de la réforme issue de la loi pour la croissance et l'activité prévoyant de fusionner à l'horizon 2022 la profession de commissaire-priseur judiciaire avec celle d'huissier de justice au sein de la profession de « commissaire de justice ». Ce matin, un bonnet qui aurait appartenu à Charles Lindbergh a été mis aux enchères et, hier, plusieurs éditeurs dont un français ont présenté comme une oeuvre inédite de Vincent Van Gogh un carnet contenant soixante-cinq dessins dont l'authenticité est vivement contestée par le musée Van Gogh d'Amsterdam. Voilà qui démontre la nécessité d'avoir de vrais experts sur le marché. Bien que vous traitiez largement la question dans votre rapport, vous n'évoquez pas le fait que les huissiers de justice n'ont, du fait de leur formation, aucune compétence dans le domaine de l'art et que cette fusion va permettre à des acteurs ayant des formations très disparates d'effectuer, de plein droit et sans restriction, des inventaires, des prisées et des ventes aux enchères publiques. Sans même évoquer le fait que l'atomisation du marché se fera au profit des grandes structures anglo-saxonnes richissimes comme Sotheby's ou Christie's, on peut craindre que cette réforme ne rende plus difficile l'appréciation de la valeur des objets des particuliers, ce qui risquerait de mettre le marché de l'art tout entier en danger.

Le rapport se conclut par une belle idée qui est de « permettre l'émergence d'une nouvelle génération de collectionneurs par l'éducation artistique » alors que les moyens dévolus à l'éducation artistique et culturelle (EAC) ont été doublés par le Gouvernement depuis 2012. Je pense qu'il serait également utile de mettre à profit les temps d'activités périscolaires (TAPs) pour, dès le plus jeune âge, sensibiliser les élèves aux arts visuels et aux arts plastiques en donnant davantage de moyens aux communes pour former des animateurs et faire intervenir des artistes professionnels.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion