Intervention de Stéphane Travert

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert, rapporteur de la mission d'information :

D'une manière générale, l'art contemporain et sa valorisation sont une affaire de génération : il y a une génération « sacrifiée », qui n'a pas pris le train en marche ; désormais, la valorisation de l'art contemporain se fait grâce au travail d'une nouvelle génération, notamment de nouvelles galeries. Le numérique, que Colette Langlade a évoqué, est en train de redonner ses lettres de noblesse à la création contemporaine. Nous avons rencontré à la Frieze Masters des galeristes allemands qui vendaient des oeuvres à 50 000 ou 100 000 euros uniquement sur internet, car ils avaient réussi à reproduire à l'écran les oeuvres d'art telles qu'elles sont accrochées dans une galerie.

Peut-être ne sommes-nous pas, nous Français, suffisamment chauvins ou protectionnistes en la matière. Si les musées n'achètent pas suffisamment d'oeuvres d'art françaises et ne soutiennent pas assez la jeune création française, on ne donne pas de valeur à ces oeuvres d'art, ce qui crée une sorte de brouillage : les acheteurs en viennent à se dire que c'est plutôt en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis que l'on peut trouver des artistes émergents. En outre, effet de mode ou véritable mal français, on a toujours tendance à considérer que « c'est mieux ailleurs », alors que la France regorge de véritables talents, ainsi que nous avons pu le constater.

Le Brexit est une réalité dans les urnes, mais ses implications pour le Royaume-Uni demeurent incertaines. Les avis des économistes et des acteurs du monde de l'art sont assez partagés : tout dépendra des mesures qui seront prises en matière de droit de suite et de TVA à l'importation. D'autre part, quel effet le Brexit aura-t-il sur les exilés fiscaux ? Certains d'entre eux pourraient revenir en France, notamment à Paris. Si celle-ci est considérée comme une nouvelle place financière, elle pourrait attirer des professionnels étrangers à fort pouvoir d'achat. Les avis divergent sur ce point.

Il en va de même sur le droit de suite, que plusieurs d'entre vous ont évoqué. Dans le cadre de la loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, nous avons été aussi loin que possible en ce qui concerne la possibilité de léguer le droit de suite. Les acteurs du monde de l'art critiquaient le fait que le droit de suite soit, en France, à la charge du vendeur, contrairement à ce qui se fait au Royaume-Uni. Selon eux, cela dissuadait les vendeurs de venir dans notre pays. Ce problème a été complètement réglé avec l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 3 juin 2015.

Véronique Besse a évoqué le pillage des oeuvres d'art au Moyen-Orient, ce que l'on appelle les « antiquités du sang ». Nous n'avons pas étudié cette question, car elle relevait du champ non pas de notre mission d'information, mais de celle qui a porté sur les moyens de Daech.

Le président Michel Herbillon a évoqué l'audition des fonctionnaires du ministère des finances. Nous en sommes sortis un peu abasourdis : toutes les propositions que nous avons faites, qui nous semblaient pourtant des mesures de bon sens, ont été refusées. Nous aurions d'ailleurs dû ajouter une proposition supplémentaire dans notre rapport : revoir la chaîne de prise de décision en la matière. C'est encore l'échelon politique qui décide dans ce pays, et il doit prendre ses responsabilités – pour ma part, je ne cesserai pas de l'affirmer. Nous aurons besoin de la mobilisation de tous les acteurs pour défendre ces propositions auprès de Bercy et leur donner une traduction législative concrète.

Les clusters d'art contemporain peuvent contribuer à l'émergence des artistes locaux. Les élus des territoires, dont je fais partie, s'appuient sur les FRAC et sur les artothèques, dont Martine Martinel a eu raison de souligner le rôle. Pour ma part, je connais l'artothèque de Caen, qui est un véritable outil au service de l'art contemporain. Aujourd'hui, les collectivités territoriales ont une place essentielle dans le financement de la culture. Il leur revient de soutenir les FRAC et les artothèques et d'accompagner leur ambition. Les FRAC vont connaître des mutations avec la mise en place des grandes régions. Quant aux artothèques, elles sont en effet quarante, ce qui n'est pas suffisant, et sont majoritairement situées dans les métropoles. Il faut en créer dans les milieux ruraux, de manière à ce que l'art contemporain pénètre ces territoires qui n'y ont souvent pas accès.

La question de l'expertise d'État, soulevée par Patrick Hetzel, n'a pas été évoquée au cours des auditions que nous avons menées. Dans notre rapport, nous proposons de mieux protéger le titre d'expert, afin que cette fonction soit confortée et reconnue, et que l'analyse des experts ne soit pas sans cesse battue en brèche. D'autre part, nous préconisons la création d'un registre de police européen pour mieux protéger les oeuvres. En France, les professionnels du marché de l'art doivent obligatoirement tenir un registre de police indiquant notamment l'origine des oeuvres, ce qui n'est pas nécessairement le cas chez nos voisins européens. Une harmonisation des règles au niveau européen permettrait un contrôle renforcé de la provenance des oeuvres.

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