Plus elle est partagée, plus elle est disputée, revendiquée, et plus elle est belle. Il en est ainsi de la République, du sentiment républicain, qui l’une comme l’autre n’ont de sens que s’ils sont partagés et ressentis par le plus grand nombre.
Mais la République est parfois loin pour un grand nombre de nos concitoyens. Elle est loin pour ceux que la crise a reclus dans un chômage profond et durable. Elle est loin pour ceux que leurs origines sociales, pour ceux, trop nombreux, que leurs origines ethniques, pour celles et ceux que leur seul genre ont parfois déclassés ou repoussés dans des rangs ou des rôles subalternes. Pour tous ceux-là, la République est loin et souvent, leur seule façon d’exprimer leur désenchantement, leur sentiment de relégation, leur seule expression est de n’en point avoir, de se taire, de traduire leur réprobation par le silence.
Lorsque s’éloigne la promesse d’un État juste, bienveillant avec tous ses enfants, et que l’espoir de vivre mieux grâce à l’effort de tous s’éteint progressivement, la force de participer, de contribuer vous quitte, jusqu’à ne plus voter. Avec cette lumière qui faiblit, c’est la République qui s’éteint. La première raison de ce texte, et il y en a bien d’autres, est à chercher ici, dans la créativité dont il nous faut faire preuve pour sans cesse tenir en éveil l’intérêt du plus grand nombre pour le modèle républicain – non pas un intérêt d’esthète qui contemplerait une belle oeuvre dont il ne se sentirait ni le créateur, ni le propriétaire, mais l’intérêt que l’on porte à la réalisation d’un ensemble auquel on est fier de contribuer et dont on est conscient qu’il ne peut prospérer que par la contribution que chacun apporte.
Il faut donc, plus que jamais, dans l’époque que nous traversons, où beaucoup trop de nos concitoyens se détournent de la République, faire preuve de créativité, d’inventivité, pour ouvrir de nouvelles routes, offrir de nouveaux terrains sur lesquels l’engagement prospère comme un signe avant-coureur du sentiment républicain. Cette mission de traquer les inégalités trop souvent sources de désengagement, de promouvoir de nouveaux droits et de nouveaux espaces de liberté, donc d’engagement, revient bien sûr à l’État, à ceux qui l’incarnent au Gouvernement, à la représentation nationale et enfin, bien sûr, à la société civile et aux nombreux courants qui la traversent et se cristallisent autour d’innombrables causes.
Ce texte, monsieur le ministre, s’inscrit dans le double objectif de répondre au besoin d’égalité face aux injustices que ressentent encore nombre de nos concitoyens et d’offrir, d’inventer de nouveaux espaces et de nouveaux terrains pour l’engagement.
Je ne m’attarderai pas sur les débats auxquels il a donné lieu au Sénat. Si la commission mixte paritaire a échoué, c’est que l’analyse qui a fondé le principe même de ce texte n’était pas partagée. Cela reste pour moi une source d’incompréhension. Pourquoi, en effet, s’opposer à un meilleur partage, inventif et approfondi, du bien commun qu’est notre République ? Je ne doute pas que l’Assemblée nationale saura rétablir un équilibre un court moment rompu.
Je tiens particulièrement à saluer dans ce texte ce qui, incontestablement, représente un ensemble de progrès pour la démocratie sociale – car ne nous leurrons pas : en appeler à l’engagement de tous sans en offrir les moyens relève de l’incantation gratuite et inopérante. La loi institue le congé d’engagement, qui permettra aux bénévoles dirigeants du monde associatif, lequel en évalue le nombre à 9 millions de nos compatriotes, de bénéficier d’une semaine de congés, éventuellement rémunérés. Cette mesure est une avancée considérable qui, à terme, renforcera le rôle et les capacités de la société civile et de ses mouvements.
Ce texte renforce le service civique, en étendant le champ des missions possibles, institue et développe la réserve civique et instaure la pré-majorité associative, pour des mesures immédiates, visibles et massives. Mais il traite aussi de sujets qui auront sans doute moins d’échos dans l’opinion sans être moins essentiels à la vitalité de l’engagement. J’en ai retenu deux exemples.
La réforme de la procédure de reconnaissance d’intérêt général, d’abord, constitue une avancée importante. Désormais, ce sera aux préfets, plutôt qu’aux seuls services fiscaux, de dire si un organisme est d’intérêt général ou non, en s’appuyant notamment sur les travaux du Haut conseil à la vie associative, dont je salue la qualité.
L’intérêt général ne saurait en effet ne rester qu’une notion économique ou fiscale. Il doit pouvoir se fonder demain sur l’objet même, et seulement lui, de l’organisme concerné. Cette mesure n’est pas anecdotique, puisque que cette reconnaissance détermine la capacité à émettre des reçus de dons, qui permettent aux donateurs de déduire de leurs impôts une partie des dons qu’ils effectuent. Dans une période où l’on invite les associations, en particulier, à diversifier les sources de leurs revenus, cette mesure, tout à fait opérationnelle, prend bien sûr tout son sens.
Deuxième exemple : l’État pourra désormais mettre à disposition du monde associatif les biens qui lui reviennent, réputés mal acquis et qui pourront ainsi, après avoir eu vocation à enrichir des délinquants, venir enrichir des actions d’intérêt général, au service du plus grand nombre. Quel juste retour des choses !
Ce ne sont bien sûr que quelques exemples isolés parmi tant d’autres, qui, appréciés dans leur ensemble, forment un motif remarquable d’encouragement à être demain encore plus et mieux républicain.