Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, je vais vous parler de la France, dans sa grandeur et dans sa diversité.
L’île de Clipperton, seule possession française dans le Pacifique Nord, est très méconnue. Elle a été découverte le 3 avril 1711 par un navigateur français, Michel Dubocage, qui croisait au large de cette île jusqu’alors non répertoriée. Cette découverte est le premier élément ayant permis de donner un cadre juridique à la souveraineté française sur cette île, devenue effective en 1858, quand Napoléon III décida d’en prendre officiellement possession. Dès lors, la situation fut assez complexe, du fait des liens amicaux mais aussi parfois plus conflictuels entre la France et le Mexique. Elle fut clarifiée par un arbitrage international décidé en 1910. Cependant, la justice internationale s’est hâtée lentement, et ce n’est qu’en 1931 que le roi d’Italie Victor-Emmanuel III a reconnu la souveraineté pleine et entière de la France sur l’île de Clipperton – nous devrions d’ailleurs parler de l’île de la Passion, comme elle est appelée dans la région, car le 3 avril 1711 était un Vendredi Saint.
Mes chers collègues, c’est avec passion que je vais vous parler de ce territoire qui est certainement le plus reculé et le plus oublié de la République. Notre planète compte peu de terres éloignées de plus de 1 000 kilomètres d’une autre terre ; c’est le cas de l’île de Clipperton, et cette situation présente d’ailleurs un certain nombre d’intérêts, tant au niveau de son écosystème assez spécifique qu’en matière géostratégique.
J’ai eu l’opportunité de me rendre sur place en 2015. Je remercie le Secrétariat général de la mer et la Marine nationale d’avoir facilité cette visite, la première d’un élu de la République dans cette partie du territoire national malheureusement trop souvent et trop longtemps délaissée, pour ne pas dire oubliée.
Sur place, j’ai eu un choc car j’ai découvert un spectacle de désolation. J’ai vu une île abandonnée, puisqu’elle n’est pas habitée. Au-delà des occupations mexicaines plus ou moins légales de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, qui se sont du reste tragiquement terminées par l’épisode des « oubliés de Clipperton », l’île – la Isla de la Pasión, pour reprendre la terminologie mexicaine – n’a pas été véritablement occupée au XXe siècle, excepté en 1944 par les Américains qui y ont aménagé un terrain d’aviation et laissé un certain nombre de témoignages de leur passage, notamment un dépôt d’explosifs. Ce dernier a été neutralisé quelques décennies plus tard par le Gouvernement, suivant une préconisation que j’avais formulée dans mon rapport. Je mentionne aussi les missions Bougainville, entre 1966 et 1969, qui installèrent sur cette île une station destinée à analyser les éventuelles retombées des essais nucléaires réalisés à Mururoa – il faut dire que Clipperton était judicieusement placée, à mi-distance entre la Polynésie française et les États-Unis.
Ainsi, la situation de l’île est quelque peu particulière, compte tenu de son abandon de fait par les autorités françaises depuis plusieurs décennies. Elle est jonchée de déchets. Il s’agit d’un atoll de treize kilomètres de circonférence, fermé, ce qui n’est pas neutre : l’intérieur de l’atoll ressemble aujourd’hui à une fosse septique, car des tonnes de fientes d’oiseaux s’y sont accumulées depuis des décennies. Aujourd’hui, il n’y a plus de vie à Clipperton. Pour m’y être baigné – au moins jusqu’à la taille – en rejoignant le zodiac qui nous a permis de traverser l’atoll de part en part, j’ai pu constater que l’environnement était corrosif. Nous parlons donc d’un atoll mort, avec toutes les conséquences que cela comporte.
À l’issue de mon déplacement, j’ai écrit à M. le Premier ministre, à Mme la ministre George Pau-Langevin, que je salue, ainsi qu’à M. le Président de la République pour dire ce que j’avais constaté. M. le Premier ministre m’a alors fait l’honneur de me charger d’une mission sur le devenir de cette île.
J’ai beaucoup travaillé. Permettez-moi de saluer le Professeur Christian Jost, de l’université de la Polynésie française, qui est le spécialiste français de Clipperton, ainsi que M. Thomas Pailloux, chargé de mission au Secrétariat général de la mer, qui m’a beaucoup aidé dans le cadre de cette mission. Je voudrais aussi saluer un certain nombre de passionnés, membres de l’association Clipperton-Projets d’Outre-Mer, qui essaient depuis plusieurs décennies de maintenir la flamme de la présence et de l’intérêt français pour cette île.
Force est de constater que les autorités publiques, quels que soient les gouvernements qui se sont succédé, ont toujours quelque peu oublié – pour ne pas dire « délaissé » – cette île. Aussi, nous vivons aujourd’hui un événement historique à bien des égards : c’est la première fois dans l’histoire du Parlement que nous allons consacrer autant de temps à l’île de Clipperton, l’île de la Passion. J’espère, madame la secrétaire d’État, que notre débat sera positif !
Ce sujet n’est pas neutre. La France métropolitaine compte 345 000 kilomètres carrés de zone économique exclusive. L’île de Clipperton en compte beaucoup plus : 436 000 kilomètres carrés.