Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, longtemps, Clipperton n’a pas reçu toute l’attention que cette île stratégique méritait. L’île de 8 kilomètres carrés, dont 2 kilomètres carrés de terres émergées, n’est ni un département ou région d’Outre-mer, ni une collectivité d’Outre-mer et ne compte pas de présence humaine. Pour le dire autrement, Clipperton demeure à certains égards un « territoire méconnu », pour reprendre le titre du colloque que vous avez organisé à l’Assemblée nationale l’an passé, monsieur le rapporteur.
L’État a pu lui-même sembler quelque peu distant vis-à-vis de cette île dont l’importance ne doit pas être négligée. Ce temps paraît bien lointain tant le Gouvernement a voulu s’engager à renouveler l’action de l’État à l’égard de Clipperton. Il s’agit là, je crois, d’une volonté forte de l’exécutif en la matière.
Le Premier ministre Manuel Valls, dont il faut saluer la détermination à cet égard, a en effet nommé M. Philippe Folliot, en qualité de parlementaire en mission pour qu’il établisse un rapport portant sur les voies et moyens de moderniser les dispositions juridiques ayant trait à Clipperton.
Monsieur Folliot – et nous l’avons entendu – vous vous êtes passionnément investi dans cette mission qui était un véritable défi, tant la distance géographique était significative et l’objet d’étude singulier. Je souligne en particulier que vous avez été le premier élu de la République à vous rendre sur l’île en mai 2015. Cette expérience signale l’engagement très personnel que vous avez pour Clipperton, dont vous venez encore de témoigner, et cela vous honore.
Votre rapport est unique dans son contenu. Rarement une étude aura été aussi complète au sujet de Clipperton. Le travail réalisé propose des recommandations originales et ambitieuses. Mais il dresse aussi un triste constat, celui d’un territoire insuffisamment mis en valeur, où les déchets s’accumulent dans l’indifférence et où la faune et la flore se dégradent du fait des actions anthropiques.
Nous voulons ici affirmer avec force que Clipperton fait pleinement partie du territoire français et mérite toute notre attention. Dans la continuité des voeux exprimés par le Premier ministre et le Président de la République, ce Gouvernement entend pleinement investir ce territoire.
Nous tenons donc à vous rassurer : en dépit de son éloignement et de son isolement, l’État entend manifester son plein intérêt pour Clipperton qui lui confère une position unique dans le Pacifique Nord. Il continue à affirmer la souveraineté française – notre souveraineté – sur le territoire. L’exercice n’est pas évident. La plus proche des terres françaises disposant de moyens de surveillance est Tahiti, à 5 400 kilomètres et 11 jours de mer. Malgré ces difficultés, la présence française est assurée par le passage régulier d’une frégate – le Prairial – venue de Polynésie française et par des débarquements occasionnels. Pour le dire autrement, Clipperton n’est pas un territoire sans maître et l’État entend bien le rappeler.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui participe dès lors au rappel le plus solennel de la pleine souveraineté de la France sur Clipperton. Elle participe par ailleurs à cette volonté des pouvoirs publics de s’engager de manière plus directe en faveur de l’île et de la protection des ressources qui y sont attachées. Car, nous le savons, l’affirmation de notre souveraineté sur Clipperton passe aussi par la défense des ressources de sa zone économique exclusive ainsi que par la protection de sa formidable biodiversité.
Avec votre permission, monsieur le président, je souhaiterais, en tant que secrétaire d’État chargée de la biodiversité, insister sur l’importance du point de vue écologique, de ce morceau de terre au milieu de l’Océan. Une mission scientifique menée en 2005 par Jean-Louis Étienne avec le concours du Muséum national d’histoire naturelle, du CNRS et d’autres institutions scientifiques, a réalisé un inventaire de la biodiversité de ce territoire qui est un des systèmes insulaires le moins perturbé au monde. Le résultat est très impressionnant, y compris la découverte de nouvelles espèces. Jean-Louis Étienne a conclu qu’il était indispensable de « protéger le laboratoire de l’évolution ». Je remplace aujourd’hui la ministre de l’Outre-mer, mais je souhaite partager avec vous l’honneur et le plaisir de défendre un des joyaux de la biodiversité.
La pêche incontrôlée et la surpêche constituent, vous l’avez dit, une des menaces principales, en particulier celles constatées aux abords de l’atoll. Si rien n’est fait, il n’y aura plus rien à pêcher autour de Clipperton et cet écosystème unique au monde, dont la France est responsable, sera détruit.
Hier, au Journal Officiel, Mme Ségolène Royal a fait paraître deux arrêtés protégeant cette biodiversité. Une preuve de plus de l’importance que le Gouvernement accorde à cet atoll corallien.
J’en viens sans plus attendre au texte qui nous est soumis aujourd’hui. Je voudrais d’abord remarquer que cette proposition de loi révèle à nouveau votre engagement sans faille, monsieur Folliot puisque vous avez pris l’initiative de proposer un texte à la suite des recommandations que vous aviez formulées. Du projet à sa concrétisation, il n’y a qu’un pas qui est aujourd’hui en passe d’être franchi.
En effet, le Gouvernement est favorable à une modification du cadre législatif qui régit Clipperton. Cette modification doit ouvrir la voie à une meilleure prise en compte de l’île dans notre droit et dans les priorités de notre action publique. Elle doit poser les bases d’une plus grande valorisation de ce petit territoire et d’une meilleure défense de ses ressources.
Afin de donner tout son sens à l’engagement de l’État en faveur de Clipperton, le Gouvernement proposera des amendements à la proposition de loi qui vous est soumise. Il s’agit en effet de rendre les modifications proposées cohérentes avec les priorités du Gouvernement et de les coordonner avec l’état du droit existant.
S’agissant du changement de nom de l’île, nous sommes évidemment sensibles à l’idée de redonner à Clipperton son nom originel. Ce serait la marque de notre attachement à ce territoire. Mais nous avons deux craintes. D’abord, la dénomination de Clipperton est constitutionnelle et figure à l’article 72, alinéa 3 de notre texte fondamental. Ensuite, il nous semble que ce changement de nom, si louable soit-il, serait de nature à brouiller le message qui est le nôtre : le territoire est connu, aux plans national et international, sous le nom de « Clipperton » ; celui-ci fait désormais partie intégrante de son identité. Lui attribuer un nouveau nom pourrait peut-être nuire à l’appropriation de ce territoire par nos concitoyens. Mais donnons-nous le temps de la réflexion à ce propos.
Venons-en maintenant à l’idée de créer une collectivité à statut particulier. Nous partageons tous le même objectif : consacrer un statut de Clipperton et donner les moyens à l’État d’exercer pleinement sa souveraineté sur l’île. Or l’action administrative tend aujourd’hui à se simplifier, à être plus efficace et plus respectueuse des deniers publics. Dans ces conditions, si nous partageons sans réserve la finalité de la disposition proposée, nous pensons que les moyens envisagés ne sont sans doute pas les plus appropriés. Voilà pourquoi nous proposons de nous abstenir de créer une nouvelle collectivité à Clipperton, création qui induirait des lourdeurs administratives et des surcoûts. Le mot même de « collectivité », étymologiquement, renvoie à la notion de « collectif », donc à un groupement d’individus ce qui n’est pas le cas, nous le savons, pour Clipperton. C’est pourquoi Clipperton ne peut pas être qualifiée comme collectivité territoriale.
Suivant la même logique, le passage du régime d’identité législative au régime de spécialité législative pourrait être à l’origine d’une complexification de l’action publique : pour chaque texte, cette modification induirait de devoir s’interroger sur son applicabilité ou non à Clipperton. Compte tenu des enjeux, il nous paraît donc plus simple de s’en tenir au droit existant qui prévoit que les textes adoptés sur le territoire de la République sont applicables de plein droit à Clipperton, sauf mention expresse en sens opposé.
En revanche, la proposition de créer un poste d’administrateur supérieur pour le territoire paraît propre à rehausser la représentation de Clipperton dans la République. Nous y sommes pleinement favorables. Cette même logique nous conduit à soutenir la proposition d’instaurer un conseil consultatif qui assistera l’administrateur supérieur. Le rapporteur sait mieux que quiconque que l’administration de Clipperton est une affaire de spécialistes et de passionnés. Réunir l’expertise disponible sur l’île au sein d’un conseil donnera à l’administrateur supérieur les outils d’une bonne administration du territoire. Ce conseil consultatif remplacera utilement le comité consultatif que prévoit le droit actuel.
Nous devons également nous assurer que le niveau de protection, tel qu’il vient d’être relevé par les arrêtés publiés hier, ne soit pas diminué et un ajustement est nécessaire à cet égard pour ne prendre aucun risque. C’est ce qui explique que nous ayons procédé à quelques modifications de dernière minute. Je prie la représentation nationale de nous en excuser, car je sais combien il importe de respecter les délais pour pouvoir travailler.
Enfin, la défense de notre souveraineté sur Clipperton nécessite assurément la défense des droits de pêche attachés à cette île. L’instauration de sanctions pour les visites effectuées sur ce territoire sans autorisation préalable doit donc permettre un meilleur contrôle des prélèvements qui y sont opérés. C’est là un message fort à l’adresse de ceux qui peuvent être tentés de penser que Clipperton est un bien public ouvert à tous.
Mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue un progrès significatif dans la modernisation de notre politique à l’égard de Clipperton. Grâce à celle-ci, la France s’investit plus directement et plus volontairement auprès de cette île stratégique. Ce bout de France du Pacifique fait partie intégrante de notre territoire national. Cette île proche des Amériques appartient pleinement à la France. Nous sommes déterminés à le rappeler aujourd’hui de la manière la plus solennelle.