Je commencerai par rappeler le contexte dans lequel a été négocié ce contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'État et France Médias Monde. C'est le deuxième depuis 2008, année de création de l'Audiovisuel extérieur de la France ; le premier est venu à échéance en décembre 2015. Les dernières années ont marqué une rupture, caractérisée par le terrorisme qui a frappé la France et de nombreux autres pays, la montée du populisme, la difficulté à résoudre la question de l'arrivée des migrants et la crainte pour l'avenir de la construction de l'Union européenne après le vote en faveur du Brexit. La montée des périls, loin de nous décourager, nous fait penser que, plus que jamais, nous avons besoin de médias internationaux porteurs de sens. La bataille qu'il nous faut livrer est aussi celle des idées et, dans cette bataille, la France et France Médias Monde ont une position singulière.
Le projet de COM 2016-2020 s'inscrit dans la continuité du précédent sur lequel je reviens un instant : il était fondateur, puisque nous construisions un groupe rebaptisé France Médias Monde. Je me rappelle mon arrivée à la tête de ce groupe, en octobre 2012. Depuis lors, toutes les équipes ont déménagé en un seul lieu ; nous avons procédé à une réorganisation opérationnelle des équipes, avec un organigramme respectueux des identités éditoriales de chaque média et soucieux de transversalité ; nous avons rétabli un groupe qui avait souffert en 2012 ; enfin, nous avons signé en décembre 2015 un accord d'entreprise qui est le socle nécessaire à la construction d'un groupe audiovisuel international efficace.
Il convenait d'abord de marquer la spécificité de l'offre éditoriale française dans le paysage audiovisuel mondial. C'était l'axe déterminant du COM précédent et ce sera celui du COM à venir. Nous avons pour cela fait beaucoup : nous avons refondu nos grilles de programme, cassé le strict parallélisme des antennes de France 24, augmenté le nombre d'émissions en direct, créé de nouvelles émissions, délocalisé nos programmes pour être au plus près du terrain, et nettement développé l'interactivité participative. Nous avons aussi fait une plus grande place à la culture – indubitable signature française.
Et puis nous avons réaffirmé nos valeurs, comme en témoigne la devise – « Liberté, égalité, actualité » – de France 24. Groupe français, nous avons, tout au long des très douloureuses années 2015 et 2016, porté dans nos émissions, en quinze langues, les valeurs françaises, au nombre desquelles l'universalité et la laïcité, cette dernière notion étant une notion qui n'est pas toujours parfaitement comprise à l'étranger. Nous avons osé, et parfois nous étions les seuls – en langue arabe sûrement, en langue anglaise souvent –, à traiter de la liberté d'expression, de Charlie Hebdo et des survivants des attentats, même si nos journalistes, qui sont de 66 nationalités, ont souvent été menacés sur les réseaux sociaux et font, pour certains, l'objet d'une protection policière.
Nous nous sommes engagés, avec l'émission InfoIntox, en faveur de l'éducation aux médias ; il est nécessaire que le service public apprenne aux jeunes gens à se protéger des manipulations sur internet et à distinguer l'information de la propagande. Nous avons beaucoup défendu la langue française en utilisant des méthodes d'apprentissage à partir des langues africaines ; c'est un enjeu essentiel pour la francophonie et la place de la France en Afrique. Nous avons bien sûr défendu la parité, la diversité dans toutes ses composantes et l'accessibilité des programmes aux personnes handicapées.
Nous avons aussi réformé l'ensemble de nos rédactions en langues étrangères. Que serait un groupe international français sans langues étrangères, au moment où la diffusion de BBC World passe de 37 à 48 langues ? Nous avons relancé notre offre en Roumanie et au Cambodge, et beaucoup augmenté l'offre de RFI en anglais grâce à la synergie avec France 24 ; nous avons aussi lancé la diffusion en mandingue.
Nous avons fondu tous nos sites internet. Notre stratégie relative aux nouveaux médias, aux réseaux sociaux et aux accès mobiles a intéressé le groupe d'information américain Mashable, qui nous a proposé de lancer en partenariat la version française de son site.
Cette stratégie a permis d'obtenir les résultats que je vais rappeler. Avec 51 millions de téléspectateurs, l'audience mondiale de France 24 a augmenté de 22 % en trois ans ; la hausse a été de 16 % pour RFI avec 40 millions d'auditeurs, et de 9 % en deux ans pour Monte Carlo Doualiya (MCD), avec 7,3 millions d'auditeurs. Globalement, en linéaire, nous avons une centaine de millions de téléspectateurs ou d'auditeurs chaque semaine dans le monde. Sur internet, la hausse de fréquentation de nos médias est considérable ; le nombre de visites de RFI est ainsi en hausse de 94 %. Nous avons atteint le nombre record de 50 millions de fidèles sur Facebook et Twitter avec, chaque semaine, 135 millions de contacts pour l'ensemble de nos médias – étant précisé qu'il ne s'agit pas d'extrapolations mais de contacts mesurés.
Ces progressions marquantes ont été rendues possibles parce que nous avons renforcé notre présence mondiale, avec une distribution en croissance supérieure à 50 % pour France 24 et cinq nouvelles fréquences FM pour nos radios. C'est en France seulement que l'audience de nos radios n'a pas progressé.
Le précédent COM tendait aussi à optimiser la gestion de l'entreprise. Notre bilan a toujours été à l'équilibre, bien que nous agissions avec un budget qui est encore inférieur cette année à ce qu'il était en 2011 mais qui a cependant progressé. L'État ayant fait des efforts qu'il faut saluer, l'augmentation des crédits en glissement a été de 0,85 % chaque année. Pour l'essentiel, les mesures prises ont donc été financées par redéploiement.
J'ai tenu à faire ce rappel parce que le prochain COM a été pensé dans la continuité du précédent. Le contexte international est celui que j'ai dit, et la concurrence est très rude. Ainsi, après la vague d'attentats, la BBC s'est vue doter de 47 millions d'euros supplémentaires en 2015, de 47 millions d'euros encore en 2016, et elle disposera de 120 millions dans les années à venir. Dans le même temps, la révolution numérique ne cesse de produire ses effets et, dans un double mouvement, de nous contraindre et de nous stimuler en nous poussant en permanence à nous adapter.
Le projet de COM prévoit qu'entre 2016 et 2020 les ressources publiques qui nous sont allouées augmenteront de 23,1 millions d'euros, soit 9,5 % sur la période et 1,9 % par an – plus du double de ce que nous avons connu pendant la période couverte par le COM précédent. Est également prévue l'augmentation de 15 % de nos ressources propres, ce que nous avons réalisé au cours de la période précédente. Nous poursuivrons bien sûr la maîtrise de nos charges. Ces éléments conjugués devront permettre un résultat net annuel à l'équilibre ; nous en faisons un principe, puisqu'il s'agit de deniers publics. Tel est le cadre budgétaire qui nous a été fixé ; sachant les contraintes qui pèsent sur le budget de l'État, je le salue. Cette trajectoire financière est un témoignage de confiance – même si, évidemment, nous saurions dépenser le double !
Pour remplir ce contrat, nous comptons mettre en oeuvre une stratégie en trois axes : continuer plus que jamais d'affirmer notre singularité, renforcer notre présence mondiale et maintenir une gestion rigoureuse.
Nous entendons consolider ce qui a déjà été fait en matière de contenus et pérenniser notre exigence de qualité, dans toutes nos langues. Nous voulons aussi développer de nouveaux contenus éditoriaux. Cela se traduira notamment par le lancement, en septembre 2017, de France 24 en langue espagnole. Je remercie les nombreux membres de cette commission – à commencer par sa présidente mais aussi, pour ne citer qu'eux, MM. François Rochebloine, Patrice Martin-Lalande et Michel Vauzelle – qui, en appuyant ce projet, l'ont rendu possible. C'était indispensable. Tous les grands médias ont un canal en espagnol, langue de 500 millions de locuteurs et deuxième langue utilisée sur les réseaux sociaux. Nous émettrons, depuis Bogotá, six heures chaque jour. L'appel d'offres a été lancé pour trouver les prestataires et une filiale a été créée ; 28 personnes seront affectées à la chaîne sur place, et six en France qui appartiennent aux rédactions de RFI en espagnol et de France 24. L'engouement que suscite ce projet est si fort que j'ai reçu 700 candidatures ! Nous avons un comité de parrainage, et les Latino-américains nous attendent avec impatience ; c'est très stimulant.
Nous sommes d'autre part le plus gros pourvoyeur de contenus de France Info, la nouvelle chaîne d'information publique nationale. Nous lui fournissons des journaux internationaux et des duplex quotidiens et nous intervenons aussi en cas d'éditions spéciales.
Nous poursuivrons la conquête du numérique et passerons au stade industriel en mettant l'accent sur l'animation des réseaux sociaux et leur modération. Les réseaux sociaux charrient, on le sait, le meilleur et le pire – et souvent le pire quand l'actualité internationale est douloureuse. Ce qu'il nous est arrivé de lire en ces occasions est intolérable pour un groupe de médias qui revendique une mission de service public. Nous devons donc renforcer nos moyens de contrôle des débordements pour ne pas être obligés de fermer nos pages Facebook et nos comptes Twitter quand se produit une catastrophe.
Nous réaffirmons qu'il existe une mission de service public dans l'univers numérique comme dans la diffusion linéaire, en particulier en direction de la jeune génération. Pour cette raison, nous avons lancé cette année RFI Savoirs et nous nous apprêtons à lancer RFI Musique. Mashable France, qui vise les jeunes gens âgés de moins de 35 ans, fonctionne bien : nous avons franchi, plus vite que prévu, le cap du million de visiteurs uniques.
Parce que nous pensons qu'il existe un internet « citoyen », nous avons lancé, en 2016, RFI Challenge App Afrique ; 655 projets nous ont été soumis par de jeunes Africains, qui visaient à améliorer la qualité des soins en Afrique par le biais d'applications numériques permettant de développer l'accès à l'information et aux services de santé. Nous allons poursuivre dans cette voie : on peut envisager des appels à projets dans le domaine de l'éducation et de l'agriculture, et les aider ainsi à prospérer. Nous avons également investi dans le domaine du développement durable avec Les Observateurs du climat. Enfin, nous nous apprêtons à lancer, en coopération avec la Deutsche Welle et l'agence de presse italienne ANSA, un portail destiné aux migrants pour les informer, en particulier, sur les modes de vie des pays d'accueil. Le site mettra notamment à leur disposition des outils d'apprentissage des langues. Ce projet de service public est financé par l'Union européenne.
Nous amplifierons les mutualisations de notre offre éditoriale ; ainsi en sera-t-il pour notre future chaîne en espagnol, qui est un projet commun France 24-RFI. De nombreux annonceurs souhaitant sponsoriser nos émissions pour l'Afrique seulement, nous entendons d'autre part régionaliser le signal « monde » en français. Cela permettra des décrochages de contenus à destination des pays africains et la multiplication des coproductions RFI-France 24 pour cette zone, avec un signal spécifique.
Nous comptons aussi renforcer notre présence mondiale en nous appuyant sur les supports numériques. Cela se fera en Europe par le passage à la haute définition et par des fréquences de télévision numérique terrestre (TNT) en Afrique. En Amérique latine, nous améliorerons notre taux de pénétration avec le développement de France 24 en espagnol. En Asie, nous avons commencé une percée en Inde et en Indonésie et nous signons aujourd'hui deux accords au Viet Nam où, pour la première fois, nous diffuserons dans 1,5 million de foyers. Nous avons également signé un accord avec la Corée où il nous faut maintenant développer notre présence, et nous travaillons avec le Japon. En revanche, il est illusoire d'espérer un développement en Chine : nous l'avons demandé cinq fois, en vain. En Europe, nous aurons vraisemblablement de nouvelles opportunités en Allemagne avant la fin de l'année et nous venons de reconduire la présence de France 24 sur la TNT nationale italienne. La France reste une priorité pour RFI et MCD, de manière ciblée.
Nous voulons aussi renforcer notre marketing et de nouveaux moyens sont prévus dans le projet de COM à cette fin. Enfin, Canal France international (CFI) nous sera rattaché ; ce rapprochement fera l'objet d'un avenant spécifique à notre COM. Une mission est en cours à ce sujet et nous avons déjà prévu d'accueillir CFI dans des locaux situés à côté des nôtres.
Nous entendons aussi poursuivre l'optimisation de notre organisation et la maîtrise de l'équilibre budgétaire. Étant donné la recrudescence des risques, nous continuerons de renforcer la sécurité des équipes envoyées sur le terrain ainsi que celle de nos bâtiments – qui, comme ceux d'autres médias, font partie de listes de cibles – et de nos systèmes d'information et de diffusion. TV5, vous le savez, a failli mourir d'une cyberattaque terroriste. Nous subissons, en moyenne, un million d'attaques de ce type chaque mois. Nous les repoussons, mais nous devons continuer de nous armer contre ce risque.
Nous avons commencé de mettre en oeuvre l'accord d'entreprise signé le 31 décembre dernier et continuerons de le faire. Nous avons aussi pour objectifs de résorber les disparités salariales résiduelles et de continuer à maîtriser la masse salariale.
Nous poursuivrons notre stratégie d'investissement dans le passage à la haute définition, et nous continuerons, par souci d'une gestion rigoureuse, à nous intéresser de plus près à nos marchés en renforçant notre expertise en matière de marchés publics. Nos ressources propres, je vous l'ai dit, devraient croître. Enfin, nous continuerons à renforcer notre coopération transverse, avec TV5 notamment. En ce moment même, à Marrakech où s'est ouverte la COP22, TV5, France 24 et RFI sont sur le point d'interviewer conjointement le président de la République, qui nous a accordé son premier entretien depuis l'élection de M. Donald Trump à la présidence des États-Unis. Nous continuerons de travailler la main dans la main avec TV5 car nous sommes complémentaires. Les audiences de France Médias Monde et de TV5 montent ensemble, et quand, malheureusement, nous sommes attaqués, nous le sommes ensemble. Je me réjouis d'une collaboration fructueuse, qui fait l'objet d'un accord avec TV5.