En effet, cher François Loncle, vos questions sont un peu délicates. France Médias Monde s'est constituée partie civile dans la plainte concernant l'assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon. Nous sommes aux côtés des familles et nos avocats sont en contact avec les magistrats. Le nouveau juge, en charge du dossier, n'a pas encore réuni les parties civiles mais il travaille d'arrache-pied.
Le 2 novembre dernier, c'est-à-dire trois ans jour pour jour après ce double assassinat, les familles et les amis ont manifesté leur exaspération parce que le temps de la justice semble bien lent pour ceux qui sont dans la douleur et veulent comprendre. Aux amis je pourrais ajouter les collègues et moi-même. Il n'y a pas de jour sans que l'on pense à cette histoire, à un moment ou à un autre.
La déclassification de certains documents a été tardive ; les avocats ont été déçus quand ils ont constaté que certaines pièces n'avaient pas été déclassifiées et que d'autres avaient été caviardées. Kidal se situe en zone de guerre, ce qui rend l'enquête très difficile. Le juge malien, qui a été désigné, ne fait pas partie de l'équipe des juges antiterroristes ; il ne bénéficie pas de facilités particulières ; il n'a pas pu se rendre à Kidal et aucun juge français n'y est allé non plus.
Nous faisons des suppositions. Ghislaine et Claude ont été assassinés quelques jours après la libération des cinq otages français enlevés à Arlit, sur le site d'Areva au Niger. On sait que Serge Lazarevic n'était pas très loin. Y a-t-il des liens entre ces katibas ? Les familles et les amis font des hypothèses. Trois ans plus tard, la vérité ne jaillit pas. Plus le temps passe, plus cela devient insupportable. Les mamans de Ghislaine et de Claude sont âgées, elles sont dans une course contre la montre. C'est très douloureux. Personne ne lâche l'affaire. Le juge d'instruction et nos avocats travaillent. Peut-être faudrait-il que nous ayons un avocat au Mali pour suivre le dossier ? On ne lâche rien et on peut faire confiance à la rédaction Afrique de RFI pour être au courant de tout.
En mars dernier, Jean-Yves Le Drian, le ministre de la défense, a pris la peine de rencontrer l'association qui regroupe les amis de Ghislaine et de Claude. « Ils ont été trahis », nous a-t-il dit, sans plus de précisions. On se pose évidemment des questions : par qui ? pour quoi ?
Pour vous répondre sur la censure et les interdictions, je dirais que cela arrive. À Kinshasa, en RDC, nous sommes actuellement dans une position un peu délicate car nous avons beaucoup de poids dans ce pays où la situation est tendue. On ne mesure pas ici l'influence que peut avoir RFI en Afrique, sans même compter France 24 et TV5. Aucun média n'occupe en France une telle position. Comment qualifier RFI en Afrique ? C'est une institution, une référence absolue. Ce que dit RFI peut avoir une portée extrêmement importante. Nous continuons à avoir un dialogue avec le gouvernement de RDC où je vais envoyer une mission. Je fais toujours confiance à la raison et j'espère que nous allons trouver un accord. Pour la RDC, il est important que RFI soit là car notre radio fait un travail rigoureux. Peut-être faudra-t-il être plus vigilant encore dans les semaines et les mois à venir parce que la situation est difficile. Chaque chose doit être pesée et nous devons respecter une égalité de traitement absolue.
M. François Rochebloine a rendu hommage aux grands reporters et je l'en remercie. Ils ont besoin du soutien de tout le monde. Ce n'est pas simple de couvrir le terrorisme. On fait des erreurs. Des progrès ont été accomplis. Le CSA a fait un travail avec nous tous et a élaboré un bon texte. C'est bien de dire de temps en temps que les journalistes font un travail difficile.
En Roumanie, RFI a été décorée pour sa contribution à la démocratie roumaine. L'équipe était bouleversée parce qu'elle est la référence dans ce pays. Le Président de la République a prononcé un discours. Je n'aurais pas osé dire des choses aussi belles. Nous sommes très fiers de cette reconnaissance.
Monsieur Guibal, vous m'interrogez sur la ligne éditoriale. Sur France 24 en arabe, par exemple, nous avons une émission qui s'appelle « Pas de tabous ». Nous y abordons des sujets tels que les mariages interreligieux, la liberté des femmes, le mariage pour tous. Des homosexuels arabophones viennent sur notre plateau, ce qui n'est pas très courant. On parle de laïcité, un concept très complexe. En 2012, la traduction que l'on m'avait proposée signifiait « athéisme » en arabe. Si le monde arable comprend que la France laïque est athée, on va au-devant de graves ennuis. Quant aux anglophones, ils traduisent laïcité par secularism. Or la France n'est pas plus sécularisée que la Belgique qui n'est pas laïque. Il est très important d'expliciter ces termes. Nous faisons attention à ces mots et nous les expliquons dans toutes nos langues, y compris celles de RFI.
J'ai aussi lancé des émissions sur les femmes, comme ActuElles qui s'appelle Fifty-one percent en anglais. On donne la parole à des gens qui ne l'ont pas forcément ; on adore la contradiction ; on organise des débats. On montre le Charlie des survivants. La question n'est pas de se définir comme « Je suis Charlie » ou « Je ne suis pas Charlie ». Nous avons montré le Charlie des survivants sur la chaîne en arabe, en contextualisant parce que notre but n'est pas de faire de la provocation. Nous allons continuer à défendre ces valeurs.
Monsieur Martin-Lalande, vous avez raison : il est fondamental de développer des partenariats. Nous le faisons partout et nous avons même signé un partenariat France 24 en espagnol avec le Mexique ! Des représentants de la radio et de la télévision mexicaine sont venus me voir, en exprimant un engouement incroyable. Au terme d'une réunion formidable, ils ont proposé de reprendre tout ce que nous allons produire en espagnol. Ils commencent avec RFI, sans plus attendre. Nous avons donc de nouvelles radios partenaires pour RFI et nous sommes très contents.
Vous me demandez aussi ce qu'il en est de la diffusion de France 24 dans l'Hexagone. J'insiste sur les radios. Je sais que la télévision domine mais la radio est un média de proximité qui vous parle tout doucement dans le creux de l'oreille. Je pense que RFI et MCD peuvent répondre au sentiment d'abandon que peuvent ressentir certaines personnes, ou à des gens qui ne se sentent pas concernés par les autres médias nationaux. Nous avons un vrai rôle à jouer dans les zones que vous décrivez et auprès de populations qui, sinon, iront chercher des médias venus d'ailleurs. En outre, nous nous entendons très bien avec les radios associatives qui oeuvrent dans ces environnements et y font un travail formidable. Elles seraient très contentes que nous soyons avec elles en RNT dans certains endroits. Lorsque nous sommes allés à Marseille, nous avons été approchés par ces radios pour coproduire avec elles, faire des formations pour elles. Le service public, RFI, pourrait jouer un rôle fédérateur pour tout le tissu associatif de radios dans des quartiers qui sont parfois qualifiés de difficiles. France 24 joue un peu ce rôle avec Pas de quartier.
France 24 doit-elle être disponible en TNT ? France Info vient d'être lancée sur un canal de la TNT et la place n'est pas infinie. Déjà présente sur le câble et le satellite, France 24 est accessible partout en France. Elle dispose d'une fenêtre en TNT, ce qui peut donner envie à certains téléspectateurs d'aller en découvrir un peu plus sur le câble et le satellite. Pour le moment, nous nous concentrons sur la chaîne France Info qui est une aventure intéressante et fructueuse, y compris dans le domaine du numérique. Les équipes sont très contentes et elles peuvent travailler ensemble sur le numérique.