Intervention de Julian King

Réunion du 23 novembre 2016 à 10h00
Commission des affaires européennes

Julian King, commissaire européen pour l'Union de la sécurité :

Je vous remercie de votre invitation. C'est un honneur de débattre avec vous aujourd'hui des questions relatives à la sécurité intérieure de l'Union européenne et à la lutte contre le terrorisme.

Le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, considère que le développement de relations plus étroites avec les parlements nationaux est une priorité. Selon ses propres termes, la Commission doit davantage rendre compte aux parlements nationaux, et notre processus politique doit être plus efficace et plus transparent. Je soutiens totalement cet engagement. C'est lors d'échanges tels que celui que nous avons aujourd'hui que ces relations peuvent se développer. L'Assemblée nationale figure parmi les chambres nationales les plus actives sur les questions abordées au niveau européen. La Commission apprécie vivement ses contributions et en tient compte au cours du processus législatif.

La France a été durement touchée, à plusieurs reprises, par des attaques terroristes. Une de mes dernières actions en tant qu'ambassadeur britannique en France a été d'assister à une cérémonie en mémoire des plus de 230 victimes des attaques terroristes qui se sont produites au cours des douze derniers mois. Et c'est avec une immense tristesse que nous avons commémoré, il y a moins de deux semaines, les attaques du 13 novembre 2015.

Depuis lors, beaucoup a été fait en France pour renforcer la sécurité intérieure. La France a également été à l'initiative, avec l'Allemagne, afin de renforcer la sécurité intérieure à l'échelle européenne, notamment avec la déclaration conjointe du 23 août dernier.

La dimension européenne du combat que nous menons contre le terrorisme est évidente. Prenons l'exemple des effroyables attentats de Paris de novembre 2015 : ils ont été planifiés en Syrie ; certains des terroristes ont voyagé avec de faux passeports, puis ont séjourné en Belgique, où ils ont obtenu des armes clandestines provenant d'autre pays de l'Union européenne et des Balkans ; ils ne se sont rendus en France que la veille des attentats. Compte tenu du caractère multinational ou transnational de leur chaîne d'approvisionnement, la seule façon de vaincre les terroristes et les criminels consiste à travailler ensemble de manière efficace.

Dans le monde actuel, la sécurité d'un État membre est la sécurité de tous. L'article 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est clair : la sécurité nationale reste de la responsabilité des États membres. Mais il leur est impossible de lutter efficacement seuls contre les menaces qui ont un caractère transnational.

L'Europe a donc un rôle à jouer afin d'apporter un soutien aux États membres dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et du renforcement de leur sécurité intérieure, et en leur donnant les outils qui leur permettront de renforcer leur coopération. Les citoyens européens demandent eux aussi, à plus de 80 %, à l'Europe d'en faire davantage dans ce domaine.

L'environnement dans lequel nous vivons aujourd'hui est caractérisé par le niveau très élevé de la menace. Elle risque malheureusement de rester à ce niveau encore un certain temps, étant donné la situation en Syrie et en Irak, entre autres. C'est dans ce contexte que le président Juncker a décidé de créer le portefeuille de commissaire chargé de l'Union de la sécurité.

Ainsi que vous l'avez relevé, madame la présidente, la création de cette fonction offre l'occasion de relier tous les domaines dans lesquels la Commission prend des mesures opérationnelles en faveur de la sécurité. Il s'agit de mener des actions ciblées là où l'Union peut faire la différence. Pour ce faire, je collabore le plus étroitement possible avec les autres commissaires, notamment M. Frans Timmermans, le premier vice-président, M. Dimitris Avramopoulos et Mme Vĕra Jourová, ainsi qu'avec de nombreux autres collègues.

Pour me soutenir dans mon travail, une task force horizontale a été mise en place, qui collabore avec un large éventail de directions générales, dont les responsabilités vont de la justice aux affaires intérieures en passant par les transports et l'éducation. Tous les mois, la Commission adopte un rapport faisant l'état des lieux de la mise en oeuvre de l'Agenda pour la sécurité. Ce document est public et vise à informer également les États membres et les parlements nationaux de la mise en oeuvre des mesures décidées.

Nous devons renforcer notre réponse commune à la menace, et cette réponse doit être à la fois globale et soutenable, basée sur la confiance et la coopération effective entre les États membres, leurs parlements, les institutions européennes et les agences telles qu'Europol et Eurojust.

Mon objectif, dans ce nouveau rôle de commissaire pour l'Union de la sécurité, est triple : aider les États membres à réduire l'espace dans lequel les terroristes peuvent agir, faire davantage pour éviter la radicalisation de certaines personnes, renforcer notre capacité à résister aux attaques.

Premièrement, nous devons réduire l'espace dans lequel opèrent les terroristes en renforçant la législation européenne lorsque cela est nécessaire. Trois textes importants sont en cours de négociation. La Commission souhaite que l'on puisse aboutir à un accord sur ces trois textes avant la fin de l'année.

Il s'agit, d'abord, de la révision du code frontières Schengen, qui permettra la mise en place de contrôles systématiques aux frontières extérieures de l'espace Schengen. La France a déjà mis en place de tels contrôles, ainsi que j'ai pu le constater lors de la visite de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle en octobre dernier. J'ai pu également observer que ces contrôles étaient efficaces. Il faut maintenant que tous les États membres fassent de même. Ce texte est en cours de discussion dans le cadre d'un trilogue avec le Conseil et le Parlement européen, et nous espérons un accord d'ici à la fin de l'année.

Nous travaillons, ensuite, sur la directive relative à la lutte contre le terrorisme, qui permettra d'harmoniser les différentes législations nationales relatives à la pénalisation des départs vers les zones de conflit en Syrie et en Irak et des retours depuis ces zones. La France a déjà mis en place une législation de ce type, mais tel n'est pas encore le cas de tous les États Membres. Ce texte permettra également de renforcer les droits des victimes des attaques terroristes. Un accord politique a été trouvé entre le Conseil, le Parlement et la Commission lors de la dernière réunion dans le cadre du trilogue, la semaine dernière. La directive devrait donc être adoptée rapidement.

Le texte le plus compliqué des trois, enfin, est la directive révisée sur les armes à feu. Elle vise à renforcer l'encadrement de la détention légale des armes à feu et à interdire l'usage civil de celles qui sont les plus dangereuses. Sur ce texte, nous sommes bloqués au Parlement européen, dont la position revient à laisser, entre les mains de civils, des armes automatiques et semi-automatiques dangereuses. Nous avons besoin de votre aide afin de convaincre vos collègues députés européens d'aboutir rapidement à un accord sur un texte qui renforcera la sécurité de nos concitoyens.

Deuxièmement, nous devons renforcer la lutte contre la radicalisation dans nos sociétés, y compris sur internet. Il faut agir en amont et sur le fond, c'est-à-dire travailler sur les questions de société. Il s'agit de comprendre pourquoi certains de nos concitoyens se radicalisent, comment on peut empêcher cette radicalisation et comment y remédier.

Nous devons intervenir bien avant que les individus ne se radicalisent, en nous attachant plus particulièrement aux enfants et aux jeunes. L'approche de terrain collaborative développée par le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation – Radicalisation Awareness Network (RAN) – a certainement porté ses fruits : le RAN a aidé ceux qui interviennent en première ligne à lutter contre la radicalisation dans les prisons et les écoles. Selon moi, nous devons intensifier nos efforts dans ce domaine, en encourageant par exemple l'élaboration de contre-discours par la société civile. Il existe des programmes remarquables dans beaucoup de pays, y compris ici en France. L'Europe peut et doit aider à financer ces programmes, et faciliter l'échange de bonnes pratiques.

Il y a quelques semaines, le RAN a tenu une réunion à haut niveau qui a rassemblé les spécialistes de nombreux États membres en matière de lutte contre la radicalisation. Le sujet sensible du retour dans l'espace européen des enfants nés en zone de combat en Irak et en Syrie y a été abordé. Il est essentiel de partager nos informations et nos connaissances sur ces sujets, afin de mieux préparer nos réponses. Je tiens à remercier les autorités françaises pour leur implication dans le RAN.

Nous pouvons et nous devons aussi agir sur la radicalisation en ligne. Depuis un an, Europol a référencé plus de 10 000 contenus liés au terrorisme. Dans plus de neuf cas sur dix, une suite a été donnée et ces contenus ont été retirés. La France soutient activement ce projet, et je l'en remercie. Nous allons mettre en place, avec les acteurs de l'internet, une plateforme commune de signalement, et travailler avec les entreprises de médias sociaux pour voir comment renforcer notre action afin de retirer les contenus à caractère terroriste. Cette question fera l'objet du Forum européen de l'internet qui se tiendra le 8 décembre prochain à Bruxelles.

Troisièmement, il faut renforcer nos moyens de défense face au terrorisme, améliorer notre résilience et resserrer notre collaboration.

Ainsi que vous l'avez indiqué, madame la présidente, l'efficacité du partage des informations est au coeur de ce programme. La directive européenne sur l'utilisation des données des dossiers passagers – Passenger Name Record (PNR) – a enfin été adoptée. Il faut désormais la mettre en oeuvre, les parlements nationaux ayant un rôle à jouer dans la transposition de ce texte au niveau national. La France et le Royaume-Uni sont parmi les plus avancés dans la mise en oeuvre de ce PNR. Je vais maintenant m'assurer que les autres États membres prennent les mesures nécessaires le plus rapidement possible, avec le soutien, notamment financier, de la Commission européenne.

Il nous faut également renforcer l'alimentation et l'utilisation des fichiers existants, notamment du système d'information Schengen (SIS). Des progrès ont été accomplis dans ce domaine depuis un an, mais nous devons aller plus loin. La Commission européenne fera des propositions en décembre en vue d'ajouter des fonctionnalités au SIS, particulièrement en ce qui concerne l'accès des forces de l'ordre. D'autre part, il faut améliorer l'interopérabilité et l'interconnexion entre les divers fichiers : le SIS, le système d'information sur les visas (VIS), la base de données Eurodac – qui permet de comparer les empreintes digitales dans le cadre de l'application du règlement de Dublin – et le fichier des documents de voyages volés ou perdus – Stolen or Lost Travel Documents (SLTD) – d'Interpol. Le dispositif actuel est trop complexe et fragmenté. Nous travaillons sur toutes ces questions dans le cadre du groupe de travail à haut niveau sur l'interopérabilité, auquel la France participe activement. Ce groupe de travail rendra ses premières conclusions avant la fin de l'année.

Nous devons renforcer nos contrôles aux frontières extérieures. Au-delà de la révision du code frontières Schengen, que j'ai évoquée précédemment, nous discutons actuellement du système d'enregistrement des entrées et des sorties, qui améliorera l'efficacité de ces contrôles. De plus, nous avons adopté la semaine dernière une proposition visant à mettre en place un système électronique d'autorisation de voyage européen, équivalent de l'ESTA américain, qui sera baptisé ETIAS – European Travel Information and Authorisation System. Il permettra d'effectuer des vérifications sur les ressortissants d'États tiers dispensés de visas et de détecter en amont ceux qui pourraient présenter un risque migratoire ou sécuritaire. L'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, opérationnelle depuis le mois d'octobre dernier, à laquelle la France participe activement à travers sa contribution au vivier permanent, concourt elle aussi à garantir la sûreté et la stabilité des frontières extérieures.

Les agences européennes telles qu'Europol et Eurojust ont un rôle important à jouer dans le renforcement de la coopération entre les services de police et de justice européens.

La task force Fraternité mise en place par la France et la Belgique après les attaques du 13 novembre, avec le soutien d'Europol, est un bon exemple. Les données transmises à Europol par la France et la Belgique ont permis d'identifier plus de 800 pistes et de déceler plus de 1 600 transactions financières suspectes.

Nous devons aussi aider les autorités judiciaires à obtenir les éléments qui se trouvent sur internet et sont nécessaires aux enquêtes. La Commission européenne abordera cette question dans le cadre de la prochaine révision de la directive « vie privée et communications électroniques » – directive e-privacy –, prévue au début de l'année prochaine. Il s'agira notamment de soumettre les fournisseurs de services par contournement – over-the-top services (OTT) – aux mêmes obligations que les opérateurs téléphoniques lorsqu'ils sont invités à coopérer dans le cadre d'enquêtes judiciaires. Nous travaillons également à améliorer l'accès aux preuves en ligne au niveau européen. Nous ferons prochainement des propositions sur ce point.

Le chiffrement en tant que tel soulève un autre débat : il est évidemment nécessaire pour protéger les données personnelles, mais il fait aussi parfois obstacle à l'accès à des contenus qui pourraient être utiles dans le cadre d'enquêtes relatives au terrorisme.

Enfin, nous devons renforcer la protection de nos infrastructures critiques et des cibles faciles, les attentats récents ayant mis en lumière certaines faiblesses. La recherche et les nouvelles technologies peuvent contribuer à la mise en place de mesures préventives. D'importants travaux ont déjà été réalisés dans le domaine de la sûreté aérienne. Nous devons prendre des mesures supplémentaires dans ce domaine et élargir notre approche à d'autres secteurs tels que la sécurité maritime et ferroviaire. La directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information – Network and Information Security (NIS) –, qui a été adoptée en juillet dernier, doit désormais être mise en oeuvre dans tous les États membres.

Pour conclure, je souligne que la réponse au risque sécuritaire ne peut être que globale et collective. Nous devons mettre en oeuvre une véritable Union de la sécurité. Il s'agit d'une question cruciale pour la sécurité de nos concitoyens, et nous n'avons pas droit à l'échec. Ainsi que je l'ai déjà indiqué en introduction, la sécurité relève avant tout de la responsabilité des États membres, mais la Commission est là, je suis là en tant que commissaire, pour soutenir les États membres, les aider et leur apporter des outils communs. Je ferai tout mon possible pour mener à bien cette mission.

De mon côté, je compte sur vous pour travailler à la mise en oeuvre, au niveau national, des politiques et des décisions européennes. Car celles-ci ne servent à rien si elles ne sont pas effectivement mises en oeuvre sur le terrain.

Je souhaite être en contact régulier avec les parlements nationaux, notamment avec vous. J'espère que nous pourrons renouveler les rencontres de cette nature, et que nous réussirons ensemble ce travail, qui est si important pour nos concitoyens.

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