COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 23 novembre 2016
Présidence de Mme Danielle Auroi, présidente de la Commission, et de M. Dominique Raimbourg, président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
La séance est ouverte à 10 h 05
Audition de M. Julian King, commissaire européen pour l'Union de la sécurité, conjointe avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
La commission des lois et la commission des affaires européennes ont le plaisir d'accueillir conjointement Sir Julian King, commissaire européen pour l'Union de la sécurité. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le commissaire.
Nous allons passer en revue avec vous toutes les questions relatives à la sécurité, notamment les accords de Schengen, le contrôle aux frontières, la future directive antiterroriste, le contrôle des armes et des explosifs, les dispositifs de lutte contre le blanchiment. Nous sommes particulièrement satisfaits de vous entendre sur ces questions très importantes, qui ont un fort retentissement dans notre pays, eu égard à la terrible vague d'attentats qu'il a connue. En outre, il sera très agréable de vous écouter, car vous maîtrisez parfaitement notre langue.
Lors de votre audition par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBÉ) du Parlement européen, le 8 novembre, vous avez rappelé le caractère dramatique des attentats qui se sont produits en France, et eu une pensée pour les victimes. Vous avez aussi souligné la pertinence de la réponse des autorités françaises à ces attentats.
La commission des Lois est très attentive au lien qui doit être noué entre les parlements nationaux et les instances européennes. D'où cette audition commune avec la commission des Affaires européennes. À l'occasion de la transposition de plusieurs directives, nous avons constaté à quel point il était utile d'intervenir le plus en amont possible : lorsque nous transposons les directives et adaptons notre législation, il est souvent déjà trop tard pour faire valoir les spécificités de notre pays. Or, en matière de justice et de sécurité, chaque État membre a des spécificités à faire valoir, les législations étant, par définition, très différentes d'un pays à l'autre, et les termes ne recouvrant pas les mêmes réalités.
C'est dans cet esprit que je me suis déjà rendu à Bruxelles en septembre et que nous nous retrouverons lundi, de nouveau à Bruxelles, pour réfléchir à la constitution d'un groupe de travail sur la police européenne et Europol. Nous vous avons aussi demandé de venir nous exposer vos projets dans la perspective de la réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) qui se tiendra les 8 et 9 décembre prochains à Bruxelles. Nous demanderons également à M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, de nous présenter la position qu'il défendra à cette occasion, de façon à associer le plus étroitement possible les parlements nationaux au travail des instances européennes.
Je vous souhaite à mon tour la bienvenue, monsieur le commissaire, à cette réunion conjointe de nos deux commissions. Je vous remercie chaleureusement de vous exprimer en français, bien mieux que je ne pourrais le faire en anglais. Nous avons eu l'occasion, les uns et les autres, de discuter séparément avec vous. Nous sommes très heureux d'être tous rassemblés aujourd'hui pour vous entendre exposer les priorités de votre action.
Votre nomination en tant que commissaire pour l'Union de la sécurité est un symbole : elle semble marquer une évolution de la politique de sécurité de l'Union vers une approche plus transversale, qui cherche à intégrer les questions de sécurité extérieure et la stratégie pour la sécurité intérieure. Nous avons parfois regretté que cette logique de transversalité ne soit pas toujours à l'oeuvre au niveau de la Commission européenne. Elle est d'autant plus nécessaire que, dans de nombreux domaines tels que la propagande sur internet ou le retour en Europe de ceux qui combattent en Syrie, l'actualité internationale a des répercussions très concrètes sur la vie de nos concitoyens.
Comment allez-vous coordonner votre action avec celle de M. Dimitris Avramopoulos, commissaire chargé notamment de la lutte contre le terrorisme, des questions migratoires et de la coopération policière, et avec celle de Mme Vĕra Jourová, commissaire chargée notamment de la coopération judiciaire en matière pénale ?
En matière de lutte contre le terrorisme, la question du partage, entre États membres, des informations contenues dans les fichiers de police et de sécurité est tout à fait cruciale. Nous constatons encore des disparités à cet égard, même si la situation s'est améliorée. Selon vous, comment inciter les États à avoir une réelle culture du partage des informations et comment garantir l'interopérabilité des fichiers ?
De nombreuses agences interviennent de manière croissante dans le domaine de la sécurité, en particulier Europol, Eurojust, la nouvelle Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes ou encore le centre d'analyse du renseignement de l'Union européenne (IntCen). Comment voyez-vous votre rôle vis-à-vis de ces agences ? Dans un domaine aussi complexe, comment ces organismes peuvent-ils être contrôlés démocratiquement sans que ce contrôle nuise à l'efficacité de leur action ? Quel rôle le centre européen de lutte contre le terrorisme d'Europol doit-il jouer ? À plus long terme, pensez-vous souhaitable d'oeuvrer pour la constitution d'un service européen de renseignement ?
La lutte contre la cybercriminalité ainsi que la régulation d'internet et des réseaux sociaux sont des sujets particulièrement délicats. La Commission européenne envisage-t-elle de proposer un texte donnant les moyens juridiques nécessaires à la lutte contre le chiffrement et fixant les droits et les obligations de tous les opérateurs proposant des produits ou des services de télécommunications ou internet dans l'Union européenne, que leur siège soit ou non en Europe ? Ce sujet est complexe : plusieurs grandes organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme, notamment Amnesty International, souhaitent que l'on n'aille pas trop loin en matière de lutte contre le chiffrement. Quelles seraient les initiatives urgentes à prendre pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité ? La convention internationale sur la cybercriminalité de Budapest est-elle un bon outil juridique ?
Vous êtes notamment chargé de l'évaluation de la politique européenne de sécurité, question qui est, me semble-t-il, rarement débattue. Comment connaître les failles de notre sécurité intérieure sans travail d'évaluation indépendant ? Comment déceler certains États défaillants et engager des procédures en manquement sans méthodologie pour apprécier l'efficacité des politiques menées ? Avez-vous des propositions à faire en la matière ?
Je vous remercie de votre invitation. C'est un honneur de débattre avec vous aujourd'hui des questions relatives à la sécurité intérieure de l'Union européenne et à la lutte contre le terrorisme.
Le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, considère que le développement de relations plus étroites avec les parlements nationaux est une priorité. Selon ses propres termes, la Commission doit davantage rendre compte aux parlements nationaux, et notre processus politique doit être plus efficace et plus transparent. Je soutiens totalement cet engagement. C'est lors d'échanges tels que celui que nous avons aujourd'hui que ces relations peuvent se développer. L'Assemblée nationale figure parmi les chambres nationales les plus actives sur les questions abordées au niveau européen. La Commission apprécie vivement ses contributions et en tient compte au cours du processus législatif.
La France a été durement touchée, à plusieurs reprises, par des attaques terroristes. Une de mes dernières actions en tant qu'ambassadeur britannique en France a été d'assister à une cérémonie en mémoire des plus de 230 victimes des attaques terroristes qui se sont produites au cours des douze derniers mois. Et c'est avec une immense tristesse que nous avons commémoré, il y a moins de deux semaines, les attaques du 13 novembre 2015.
Depuis lors, beaucoup a été fait en France pour renforcer la sécurité intérieure. La France a également été à l'initiative, avec l'Allemagne, afin de renforcer la sécurité intérieure à l'échelle européenne, notamment avec la déclaration conjointe du 23 août dernier.
La dimension européenne du combat que nous menons contre le terrorisme est évidente. Prenons l'exemple des effroyables attentats de Paris de novembre 2015 : ils ont été planifiés en Syrie ; certains des terroristes ont voyagé avec de faux passeports, puis ont séjourné en Belgique, où ils ont obtenu des armes clandestines provenant d'autre pays de l'Union européenne et des Balkans ; ils ne se sont rendus en France que la veille des attentats. Compte tenu du caractère multinational ou transnational de leur chaîne d'approvisionnement, la seule façon de vaincre les terroristes et les criminels consiste à travailler ensemble de manière efficace.
Dans le monde actuel, la sécurité d'un État membre est la sécurité de tous. L'article 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est clair : la sécurité nationale reste de la responsabilité des États membres. Mais il leur est impossible de lutter efficacement seuls contre les menaces qui ont un caractère transnational.
L'Europe a donc un rôle à jouer afin d'apporter un soutien aux États membres dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et du renforcement de leur sécurité intérieure, et en leur donnant les outils qui leur permettront de renforcer leur coopération. Les citoyens européens demandent eux aussi, à plus de 80 %, à l'Europe d'en faire davantage dans ce domaine.
L'environnement dans lequel nous vivons aujourd'hui est caractérisé par le niveau très élevé de la menace. Elle risque malheureusement de rester à ce niveau encore un certain temps, étant donné la situation en Syrie et en Irak, entre autres. C'est dans ce contexte que le président Juncker a décidé de créer le portefeuille de commissaire chargé de l'Union de la sécurité.
Ainsi que vous l'avez relevé, madame la présidente, la création de cette fonction offre l'occasion de relier tous les domaines dans lesquels la Commission prend des mesures opérationnelles en faveur de la sécurité. Il s'agit de mener des actions ciblées là où l'Union peut faire la différence. Pour ce faire, je collabore le plus étroitement possible avec les autres commissaires, notamment M. Frans Timmermans, le premier vice-président, M. Dimitris Avramopoulos et Mme Vĕra Jourová, ainsi qu'avec de nombreux autres collègues.
Pour me soutenir dans mon travail, une task force horizontale a été mise en place, qui collabore avec un large éventail de directions générales, dont les responsabilités vont de la justice aux affaires intérieures en passant par les transports et l'éducation. Tous les mois, la Commission adopte un rapport faisant l'état des lieux de la mise en oeuvre de l'Agenda pour la sécurité. Ce document est public et vise à informer également les États membres et les parlements nationaux de la mise en oeuvre des mesures décidées.
Nous devons renforcer notre réponse commune à la menace, et cette réponse doit être à la fois globale et soutenable, basée sur la confiance et la coopération effective entre les États membres, leurs parlements, les institutions européennes et les agences telles qu'Europol et Eurojust.
Mon objectif, dans ce nouveau rôle de commissaire pour l'Union de la sécurité, est triple : aider les États membres à réduire l'espace dans lequel les terroristes peuvent agir, faire davantage pour éviter la radicalisation de certaines personnes, renforcer notre capacité à résister aux attaques.
Premièrement, nous devons réduire l'espace dans lequel opèrent les terroristes en renforçant la législation européenne lorsque cela est nécessaire. Trois textes importants sont en cours de négociation. La Commission souhaite que l'on puisse aboutir à un accord sur ces trois textes avant la fin de l'année.
Il s'agit, d'abord, de la révision du code frontières Schengen, qui permettra la mise en place de contrôles systématiques aux frontières extérieures de l'espace Schengen. La France a déjà mis en place de tels contrôles, ainsi que j'ai pu le constater lors de la visite de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle en octobre dernier. J'ai pu également observer que ces contrôles étaient efficaces. Il faut maintenant que tous les États membres fassent de même. Ce texte est en cours de discussion dans le cadre d'un trilogue avec le Conseil et le Parlement européen, et nous espérons un accord d'ici à la fin de l'année.
Nous travaillons, ensuite, sur la directive relative à la lutte contre le terrorisme, qui permettra d'harmoniser les différentes législations nationales relatives à la pénalisation des départs vers les zones de conflit en Syrie et en Irak et des retours depuis ces zones. La France a déjà mis en place une législation de ce type, mais tel n'est pas encore le cas de tous les États Membres. Ce texte permettra également de renforcer les droits des victimes des attaques terroristes. Un accord politique a été trouvé entre le Conseil, le Parlement et la Commission lors de la dernière réunion dans le cadre du trilogue, la semaine dernière. La directive devrait donc être adoptée rapidement.
Le texte le plus compliqué des trois, enfin, est la directive révisée sur les armes à feu. Elle vise à renforcer l'encadrement de la détention légale des armes à feu et à interdire l'usage civil de celles qui sont les plus dangereuses. Sur ce texte, nous sommes bloqués au Parlement européen, dont la position revient à laisser, entre les mains de civils, des armes automatiques et semi-automatiques dangereuses. Nous avons besoin de votre aide afin de convaincre vos collègues députés européens d'aboutir rapidement à un accord sur un texte qui renforcera la sécurité de nos concitoyens.
Deuxièmement, nous devons renforcer la lutte contre la radicalisation dans nos sociétés, y compris sur internet. Il faut agir en amont et sur le fond, c'est-à-dire travailler sur les questions de société. Il s'agit de comprendre pourquoi certains de nos concitoyens se radicalisent, comment on peut empêcher cette radicalisation et comment y remédier.
Nous devons intervenir bien avant que les individus ne se radicalisent, en nous attachant plus particulièrement aux enfants et aux jeunes. L'approche de terrain collaborative développée par le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation – Radicalisation Awareness Network (RAN) – a certainement porté ses fruits : le RAN a aidé ceux qui interviennent en première ligne à lutter contre la radicalisation dans les prisons et les écoles. Selon moi, nous devons intensifier nos efforts dans ce domaine, en encourageant par exemple l'élaboration de contre-discours par la société civile. Il existe des programmes remarquables dans beaucoup de pays, y compris ici en France. L'Europe peut et doit aider à financer ces programmes, et faciliter l'échange de bonnes pratiques.
Il y a quelques semaines, le RAN a tenu une réunion à haut niveau qui a rassemblé les spécialistes de nombreux États membres en matière de lutte contre la radicalisation. Le sujet sensible du retour dans l'espace européen des enfants nés en zone de combat en Irak et en Syrie y a été abordé. Il est essentiel de partager nos informations et nos connaissances sur ces sujets, afin de mieux préparer nos réponses. Je tiens à remercier les autorités françaises pour leur implication dans le RAN.
Nous pouvons et nous devons aussi agir sur la radicalisation en ligne. Depuis un an, Europol a référencé plus de 10 000 contenus liés au terrorisme. Dans plus de neuf cas sur dix, une suite a été donnée et ces contenus ont été retirés. La France soutient activement ce projet, et je l'en remercie. Nous allons mettre en place, avec les acteurs de l'internet, une plateforme commune de signalement, et travailler avec les entreprises de médias sociaux pour voir comment renforcer notre action afin de retirer les contenus à caractère terroriste. Cette question fera l'objet du Forum européen de l'internet qui se tiendra le 8 décembre prochain à Bruxelles.
Troisièmement, il faut renforcer nos moyens de défense face au terrorisme, améliorer notre résilience et resserrer notre collaboration.
Ainsi que vous l'avez indiqué, madame la présidente, l'efficacité du partage des informations est au coeur de ce programme. La directive européenne sur l'utilisation des données des dossiers passagers – Passenger Name Record (PNR) – a enfin été adoptée. Il faut désormais la mettre en oeuvre, les parlements nationaux ayant un rôle à jouer dans la transposition de ce texte au niveau national. La France et le Royaume-Uni sont parmi les plus avancés dans la mise en oeuvre de ce PNR. Je vais maintenant m'assurer que les autres États membres prennent les mesures nécessaires le plus rapidement possible, avec le soutien, notamment financier, de la Commission européenne.
Il nous faut également renforcer l'alimentation et l'utilisation des fichiers existants, notamment du système d'information Schengen (SIS). Des progrès ont été accomplis dans ce domaine depuis un an, mais nous devons aller plus loin. La Commission européenne fera des propositions en décembre en vue d'ajouter des fonctionnalités au SIS, particulièrement en ce qui concerne l'accès des forces de l'ordre. D'autre part, il faut améliorer l'interopérabilité et l'interconnexion entre les divers fichiers : le SIS, le système d'information sur les visas (VIS), la base de données Eurodac – qui permet de comparer les empreintes digitales dans le cadre de l'application du règlement de Dublin – et le fichier des documents de voyages volés ou perdus – Stolen or Lost Travel Documents (SLTD) – d'Interpol. Le dispositif actuel est trop complexe et fragmenté. Nous travaillons sur toutes ces questions dans le cadre du groupe de travail à haut niveau sur l'interopérabilité, auquel la France participe activement. Ce groupe de travail rendra ses premières conclusions avant la fin de l'année.
Nous devons renforcer nos contrôles aux frontières extérieures. Au-delà de la révision du code frontières Schengen, que j'ai évoquée précédemment, nous discutons actuellement du système d'enregistrement des entrées et des sorties, qui améliorera l'efficacité de ces contrôles. De plus, nous avons adopté la semaine dernière une proposition visant à mettre en place un système électronique d'autorisation de voyage européen, équivalent de l'ESTA américain, qui sera baptisé ETIAS – European Travel Information and Authorisation System. Il permettra d'effectuer des vérifications sur les ressortissants d'États tiers dispensés de visas et de détecter en amont ceux qui pourraient présenter un risque migratoire ou sécuritaire. L'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, opérationnelle depuis le mois d'octobre dernier, à laquelle la France participe activement à travers sa contribution au vivier permanent, concourt elle aussi à garantir la sûreté et la stabilité des frontières extérieures.
Les agences européennes telles qu'Europol et Eurojust ont un rôle important à jouer dans le renforcement de la coopération entre les services de police et de justice européens.
La task force Fraternité mise en place par la France et la Belgique après les attaques du 13 novembre, avec le soutien d'Europol, est un bon exemple. Les données transmises à Europol par la France et la Belgique ont permis d'identifier plus de 800 pistes et de déceler plus de 1 600 transactions financières suspectes.
Nous devons aussi aider les autorités judiciaires à obtenir les éléments qui se trouvent sur internet et sont nécessaires aux enquêtes. La Commission européenne abordera cette question dans le cadre de la prochaine révision de la directive « vie privée et communications électroniques » – directive e-privacy –, prévue au début de l'année prochaine. Il s'agira notamment de soumettre les fournisseurs de services par contournement – over-the-top services (OTT) – aux mêmes obligations que les opérateurs téléphoniques lorsqu'ils sont invités à coopérer dans le cadre d'enquêtes judiciaires. Nous travaillons également à améliorer l'accès aux preuves en ligne au niveau européen. Nous ferons prochainement des propositions sur ce point.
Le chiffrement en tant que tel soulève un autre débat : il est évidemment nécessaire pour protéger les données personnelles, mais il fait aussi parfois obstacle à l'accès à des contenus qui pourraient être utiles dans le cadre d'enquêtes relatives au terrorisme.
Enfin, nous devons renforcer la protection de nos infrastructures critiques et des cibles faciles, les attentats récents ayant mis en lumière certaines faiblesses. La recherche et les nouvelles technologies peuvent contribuer à la mise en place de mesures préventives. D'importants travaux ont déjà été réalisés dans le domaine de la sûreté aérienne. Nous devons prendre des mesures supplémentaires dans ce domaine et élargir notre approche à d'autres secteurs tels que la sécurité maritime et ferroviaire. La directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information – Network and Information Security (NIS) –, qui a été adoptée en juillet dernier, doit désormais être mise en oeuvre dans tous les États membres.
Pour conclure, je souligne que la réponse au risque sécuritaire ne peut être que globale et collective. Nous devons mettre en oeuvre une véritable Union de la sécurité. Il s'agit d'une question cruciale pour la sécurité de nos concitoyens, et nous n'avons pas droit à l'échec. Ainsi que je l'ai déjà indiqué en introduction, la sécurité relève avant tout de la responsabilité des États membres, mais la Commission est là, je suis là en tant que commissaire, pour soutenir les États membres, les aider et leur apporter des outils communs. Je ferai tout mon possible pour mener à bien cette mission.
De mon côté, je compte sur vous pour travailler à la mise en oeuvre, au niveau national, des politiques et des décisions européennes. Car celles-ci ne servent à rien si elles ne sont pas effectivement mises en oeuvre sur le terrain.
Je souhaite être en contact régulier avec les parlements nationaux, notamment avec vous. J'espère que nous pourrons renouveler les rencontres de cette nature, et que nous réussirons ensemble ce travail, qui est si important pour nos concitoyens.
En juillet dernier, mon collègue Georges Fenech et moi-même avons remis au président de l'Assemblée nationale le rapport de la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis l'attentat du 7 janvier 2015. Dans le cadre de notre travail, nous avons rencontré un certain nombre de responsables à Bruxelles ainsi qu'au sein d'Europol et d'Eurojust, et nous avons eu le sentiment assez unanime, ainsi que je l'ai écrit dans le rapport, que l'Europe avait certes progressé – au regard de ce que vous nous avez dit, elle va continuer à le faire, notamment grâce aux trois textes en cours de discussion –, mais qu'elle n'avait pas encore atteint le niveau requis en matière de lutte contre le terrorisme. Dans notre rapport, nous avons notamment mis en exergue deux points faibles que vous n'avez pas évoqués.
Il s'agit, premièrement, du SIS. Comme vous le savez, le 14 novembre 2015, quelques heures après les attentats, M. Salah Abdeslam a été contrôlé par la gendarmerie française à Cambrai. Celle-ci a alors consulté le fichier SIS à travers le bureau SIRENE France. Or, outre que le SIS avait été mal renseigné par nos amis et collègues belges, le SIS ne comporte pas de système qui permettrait à un État membre, en cas d'attentat majeur sur son territoire, d'obtenir des renseignements sur la base desquelles il pourrait procéder à des interpellations ou, à tout le moins, à des retenues. Depuis lors, nous avons adopté, en France, la loi du 3 juin 2016, qui permet la retenue pendant plusieurs heures pour vérification. Que pourrait faire l'Europe pour que les États membres renseignent mieux le SIS ? Ne faut-il pas ajouter une « case » au SIS pour qu'il soit opérationnel dans les moments particuliers tels que ceux que la France a connus le 13 novembre 2015 ou que d'autres pays européens ont connus ?
Deuxièmement, lorsque nous nous sommes rendus en Grèce, nous nous sommes rendu compte avec un certain effarement que, plusieurs mois après le début de la crise migratoire et un mois après les attentats du 13 novembre, l'Union européenne avait décidé de n'envoyer qu'un seul agent d'Europol pour aider ses collègues de Frontex à contrôler les migrants. Or on sait qu'un certain nombre de commandos qui ont cherché à toucher la France le 13 novembre et y sont parvenus ou non sont passés par la route des migrants. Tel serait également le cas de M. Abdelhamid Abaaoud. L'Europe a donc eu un certain retard à l'allumage. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes en ce qui concerne le concours qu'Europol apporte à Frontex ?
Vous avez indiqué que la directive relative à la lutte contre le terrorisme visait à harmoniser les législations nationales afin de pénaliser les départs en Syrie et en Irak et les retours depuis ces pays. Selon des chiffres qui circulent, 3 000 à 5 000 ressortissants européens qui sont actuellement dans cette zone seraient susceptibles de revenir en Europe. Qu'en est-il ? Quelle est l'action de l'Europe en la matière ?
En dépit de la volonté politique et des progrès indéniables qui ont été accomplis depuis les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 22 mars 2016 à Bruxelles, nous avons le sentiment que les choses ne vont pas suffisamment vite à l'échelle européenne, que l'Europe n'est pas encore à la hauteur de l'enjeu en matière de lutte contre le terrorisme, alors que cet enjeu est non seulement national, mais européen, que la menace est présente et qu'il est urgent d'agir : ainsi que M. Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure, l'a rappelé hier à ses équipes, la France et l'Europe risquent d'être à nouveau particulièrement frappées au cours des semaines ou des mois qui viennent.
Je vous remercie, monsieur le commissaire, d'avoir répondu à l'invitation qui vous a été faite par nos deux commissions. Nous espérons que votre présence illustre la volonté de la Commission européenne, et donc de l'Union, d'être plus lucide, moins naïve et plus réactive en matière de sécurité, car le sentiment général est que les instances européennes ont été incapables d'assurer la sécurité de nos concitoyens. Le contrôle aux frontières extérieures de l'Union connaît des défaillances majeures. La porosité des frontières est patente – des révélations récentes ont démontré que plusieurs dizaines de terroristes se sont introduits sur le territoire des pays membres, notamment dans les flux de migrants. La Commission européenne n'est pas seule en cause : le triste spectacle qu'a donné l'interminable négociation de la directive instituant le PNR, alors même que les attentats se succédaient, a illustré l'absence complète de prise de conscience de la gravité du sujet par la commission LIBÉ du Parlement européen.
Votre nomination est donc importante ; mais comment vos fonctions s'articulent-elles avec celles du coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme ? De quels moyens budgétaires disposez-vous pour Europol, Eurojust et les autres agences européennes concernées, et pour mieux renseigner les systèmes d'information Schengen et Eurodac, très largement défaillants ? Une volonté plus affirmée, une meilleure réactivité et un budget plus étoffé sont nécessaires pour passer d'une coopération balbutiante appuyée sur de pauvres moyens à une coopération adaptée à la menace.
Enfin, le projet de révision de la directive sur les armes à feu suscite l'inquiétude. Il faut, bien entendu, empêcher le trafic d'armes, notamment d'armes de guerre, mais sans se tromper de cible en visant les chasseurs.
Je vous remercie à mon tour de votre présence. Elle m'importe d'autant plus que mon collègue Joachim Pueyo et moi-même présenterons la semaine prochaine une communication sur la proposition franco-allemande d'un pacte de sécurité. Le conseil « Justice et affaires intérieures » du 18 novembre dernier a largement débattu des systèmes d'information et de l'interopérabilité des systèmes nationaux. La Commission a présenté la proposition de création du système ETIAS qui permettra des contrôles anticipés et, le cas échéant, de refuser l'entrée aux voyageurs de pays tiers exemptés de l'obligation de visa ; il a aussi été question du système d'information Schengen.
Ces dispositifs sont essentiels à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Et, si j'en juge par le rapport de mars 2016 du coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, de grands progrès doivent encore être faits, qu'il s'agisse d'Europol, de la collecte des données dites PNR, de la mise en oeuvre du traité de Prüm relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière ou de la sécurité des frontières. M. Gilles de Kerchove en appelle avec insistance à des progrès rapides. Il note par exemple que « le système d'information Europol ne contient que 1 473 combattants terroristes étrangers enregistrés par les États membres, et ce alors que, selon des estimations circonstanciées, environ 5 000 citoyens de l'Union européenne se sont rendus en Syrie et en Irak pour rejoindre Daech et d'autres groupes extrémistes ».
Ces lacunes ne laissent pas d'inquiéter. De quels moyens matériels et budgétaires les États membres et l'Union européenne se dotent-ils pour renforcer la coopération en matière de sécurité ? Les difficultés que vous avez évoquées à ce sujet comme dans la mise en oeuvre de l'interopérabilité sont-elles d'ordre technique ou traduisent-elles des réticences politiques à l'idée de laisser à l'Union européenne un champ de compétence nouveau, traditionnellement régalien ? Enfin, les parlements nationaux ne pourraient-ils recevoir un tableau de bord, régulièrement mis à jour, faisant le point sur les objectifs, actions, moyens et calendrier de déploiement de ces dispositifs ?
Je suis arrivé en France peu après les attentats commis le 13 novembre 2015 et j'étais à Nice le 15 juillet dernier. J'ai constaté par moi-même la violence des actes qui ont choqué la France et, au-delà, toute l'Europe. Vous dire cela, c'est répondre pour partie à vos questions. S'il y a eu un retard dans la prise de conscience de la menace, ce n'est certainement plus le cas. L'ampleur du risque que nous courons tous est profondément ressentie au niveau européen et ce sentiment emporte avec lui le besoin d'agir efficacement, ensemble, pour combattre ce défi.
Non, monsieur Ciotti, je ne suis pas naïf et, loin de me limiter à réagir aux événements, je travaille avec mes collègues, les autres institutions et les États membres à construire une défense efficace contre ceux qui nous veulent du mal. Nous les combattons et nous les combattrons avec acharnement : c'est ce que le président Jean-Claude Juncker m'a demandé de faire et c'était mon engagement en prenant ce poste.
Tel est le cadre général de mon action. Bien sûr, dans le détail, de nombreux sujets doivent être traités ; les rapports tels que celui de MM. Fenech et Pietrasanta sont donc éminemment utiles car ils permettent de dresser l'état des lieux et de proposer des solutions possibles. J'ajoute que si l'Union européenne n'est pas au niveau souhaitable dans tous les domaines, ce n'est pas faute de volonté de la part de la Commission : nous avons besoin de votre aide pour légiférer et, surtout, pour appliquer les décisions prises.
Vous avez raison : en matière de contrôle aux frontières, nous devons améliorer la qualité des fichiers européens. Ils doivent être régulièrement alimentés, dûment interrogés, et les agents qui opèrent aux frontières doivent pouvoir les consulter rapidement. Parce que des progrès sont indéniablement nécessaires à toutes ces étapes, la Commission présentera avant la fin de l'année une proposition de modification du règlement SIS visant à le compléter par de nouvelles fonctionnalités, en prévoyant l'utilisation d'images faciales aux fins d'identification biométrique, et la création d'une nouvelle catégorie de signalement dite « personne inconnue recherchée » – les personnes pour lesquelles il peut exister des données de police scientifique dans les fichiers nationaux. Il sera aussi proposé d'utiliser le SIS aux fins de signalement des migrants en situation irrégulière faisant l'objet d'une décision de retour d'une part, de personnes faisant l'objet de mesures d'interdiction d'entrée dans la zone Schengen d'autre part. Je suis d'accord pour que, comme la France l'a demandé, les personnels de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes aient accès à toutes les informations utiles lors des contrôles qu'ils effectuent : celles contenues dans le SIS dès maintenant et, une fois l'interopérabilité acquise, celles de la banque de données Eurodac et d'autres fichiers éventuellement.
Telle est la première étape proposée pour renforcer le SIS. Je présenterai une deuxième proposition de modification l'année prochaine, après que, ayant réuni les utilisateurs du SIS pour connaître leurs besoins, nous aurons tiré les conclusions nécessaires des observations faites par ces agents de première ligne.
S'il est vrai que le contrôle des frontières extérieures doit encore être renforcé, on ne saurait dire que rien n'a été fait au cours des derniers mois. Nous avons lancé l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dont les missions sont, de beaucoup, plus larges que ne l'étaient celles de Frontex. Des analyses de risque seront conduites régulièrement, l'évaluation obligatoire de la vulnérabilité des contrôles visant à repérer et résorber les faiblesses éventuelles. Si des insuffisances apparaissent, l'Agence sera habilitée à exiger des États membres concernés l'application de mesures correctrices. Des agents de liaison sont détachés dans les États membres, à commencer par la Grèce et l'Italie ; une réserve de garde-frontières est mobilisable rapidement et un parc d'équipements techniques sera mis à la disposition de l'Agence et des pays membres en tant que de besoin. La preuve est ainsi faite de la prise de conscience que vous appeliez de vos voeux.
Cela étant, nous continuons de faire face à de graves défis, dont celui du retour en Europe des « combattants étrangers ». Certains craignent que l'évolution de la situation à Mossoul et à Rakka provoque un retour massif. Ce n'est pas mon avis. La menace n'est pas nouvelle puisque de tels retours se produisent déjà ; l'important est d'y être préparé. Je souhaite bien entendu des progrès dans la lutte contre Daech en Syrie et en Irak. Nous devons tirer les leçons de ce qui s'est passé en Afghanistan pour nous garder de toute spéculation : l'Histoire nous enseigne que certains combattants étrangers seront tués lors des affrontements et que certains, particulièrement motivés, continueront probablement de se battre dans d'autres zones. Enfin, il en est qui chercheront peut-être à revenir en Europe – des hommes, mais aussi des femmes et des enfants, ce qui pose une série de problèmes auxquels l'Europe doit se préparer à faire face de manière coordonnée. Pour commencer, un contrôle efficace des frontières extérieures doit permettre de déterminer précisément qui entre et qui sort de l'espace européen. C'est dire l'importance des vérifications qui ont déjà lieu dans les hotspots ; elles seront encore renforcées par les révisions du SIS à venir. Mais des contrôles doivent aussi avoir lieu au sein de la zone Schengen, et dans ce cadre les échanges efficaces d'informations ont une importance cruciale : ils doivent se faire par le biais des fichiers et aussi des agences, telle Europol, que nous allons renforcer. Sur le fond, nous devons réfléchir aux moyens de réintégrer certaines de ces personnes dans la société européenne et nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres car il n'y a pas de solution miracle ; singulièrement, personne ne sait réellement comment agir avec les enfants nés dans les zones de conflit.
La question des moyens est pertinente. Nous avons déjà adopté des textes relatifs aux sujets qui nous préoccupent et nous continuons de légiférer. Encore faut-il, ensuite, appliquer les décisions prises, et certains exemples montrent que, malheureusement, la mise en oeuvre d'un dispositif n'est pas toujours aussi prompte qu'escompté. Ainsi du PNR, à propos duquel, au terme de longues années, un accord s'est trouvé. L'objectif fixé est que la directive soit transposée dans le droit national dans chaque État membre le 25 mai 2018 au plus tard, afin que le dispositif entre en vigueur. Dix-huit mois restent donc à courir ; la perspective est encore lointaine, diront certains, mais à ce jour seuls la France, le Royaume-Uni et la Hongrie ont mis en place les infrastructures numériques nécessaires. Si d'autres pays ont engagé le processus, onze États n'ont pas encore commencé, et c'est un grand travail. En nous fondant sur un rapport mettant en évidence ce qui doit être fait, nous allons donc aider ces États membres à mettre le PNR en oeuvre. Nous avons trouvé 70 millions d'euros supplémentaires à cet effet et nous en trouverons davantage s'il le faut. À ce soutien financier sera associée une aide technique et judiciaire, et la Commission s'attachera à renforcer les liens entre les États les plus et les moins avancés en cette matière. C'est un exemple concret de notre volonté de trouver les moyens nécessaires.
Je sais, monsieur Ciotti, que la révision de la directive sur les armes à feu suscite une controverse. Après les attentats commis en France, des mesures de neutralisation des armes les plus dangereuses ont rapidement été prises, mais la réglementation européenne sur les armes détenues légalement reste à parfaire. Sans doute avons-nous mal présenté l'initiative ; cela a entraîné des malentendus qui doivent être dissipés. Nous n'entendons nullement compliquer la vie des chasseurs ou des tireurs sportifs ni, dans certains pays, celle des réservistes. On peut donc prévoir des dérogations pour ce qui les concerne tout en retirant de la circulation les Kalachnikov et autres fusils d'assaut automatiques et semi-automatiques qui n'ont pas vraiment leur place sur le marché libre. Avec le soutien de la France et d'autres États membres, nous poursuivrons les négociations à ce sujet avec le Parlement européen.
Nous avons proposé d'instituer le système ETIAS parce qu'il importe au plus haut point de disposer de toutes les informations possibles sur l'identité des personnes qui entrent dans l'espace de l'Union et qui en sortent. L'équivalent européen de l'ESTA américain permettra d'identifier les personnes qui peuvent présenter un problème sur le plan sécuritaire ou sur celui de l'immigration avant qu'elles n'arrivent à nos frontières. Ce mécanisme concernera tous les ressortissants de pays tiers exemptés jusque-là d'obligation de visa. Il a été contesté, mais je pense que l'équilibre trouvé est le bon : en contrepartie des 5 euros payés pour obtenir l'ETIAS, chaque titulaire aura le droit de faire un nombre illimité de voyages au sein de l'Union européenne pendant cinq ans. Le produit de ces faibles paiements financera le fonctionnement d'un système qui améliorera notre défense.
J'ai demandé au groupe d'experts sur les systèmes d'information et l'interopérabilité de rendre avant la fin de l'année un rapport d'étape recensant les premières mesures à envisager. Elles sont de deux ordres. Il faut améliorer l'interopérabilité entre les fichiers existants – et, à l'avenir, avec les nouveaux fichiers, tel ETIAS – et aussi améliorer la qualité des données contenues dans les fichiers existants, une nécessité soulignée par M. Pietrasanta. Des moyens techniques peuvent être utilisés rapidement pour encourager, voire obliger les États membres et les services à renseigner correctement ces bases de données. Le groupe d'experts devra d'autre part établir s'il est possible, sur le plan technique, de parvenir à l'interconnexion des fichiers européens. Cela permettrait à tous les services utilisateurs, où qu'ils soient, d'avoir accès à leur contenu complet par une recherche unique, avec des résultats immédiats. S'il est possible d'avancer rapidement, je veux faire le nécessaire dès l'année prochaine.
Je vous remercie, monsieur le commissaire, de venir nous rendre compte de la politique de l'Union européenne pour la sécurité. Nous savons que vous voulez associer les parlements nationaux à la définition et à la mise en oeuvre de cette politique. Quelles seront, selon vous, les conséquences du Brexit pour la coopération en matière de sécurité entre le Royaume-Uni, devenu pays tiers, et l'Union européenne ?
Je vous remercie à mon tour pour votre présence et pour votre exposé, tant sur la forme que sur le fond. Mes questions porteront sur les conséquences en matière sécuritaire d'une crise des flux migratoires dont on est fondé à penser qu'elle n'est pas terminée. Au-delà des poncifs sur l'absence d'anticipation du phénomène par l'Union européenne, la crise a révélé que le dispositif Schengen a fonctionné – si bien fonctionné que j'en viens à vous demander si les instances européennes ont pris conscience qu'il est indispensable, dans les périodes de crise, de simplifier les dérogations à son application. Ce qui n'a pas fonctionné, en revanche, c'est le règlement « Dublin III », qui repose sur la confiance accordée aux États membres chargés du contrôle aux frontières extérieures de l'Union. Le constat a été fait en Grèce et en Italie qu'en cas d'afflux massif, la désorganisation est telle que la libre circulation des migrants en Europe est de fait.
Il importe donc de réformer ce règlement pour garantir son fonctionnement en cas de crise, tant pour l'application du principe de relocalisation automatique que pour l'efficacité de l'enregistrement des migrants et réfugiés dans les hotspots, sur lequel beaucoup de notre sécurité repose. La réflexion se poursuit-elle sur le rétablissement du contrôle de l'identité aux frontières extérieures pour les citoyens des pays membres de l'Union européenne ? Se préoccupe-t-on de prémunir l'Union contre les risques qu'induit l'utilisation par des terroristes de « vrais-faux » passeports syriens, irakiens ou libyens ? De manière générale, les mécanismes européens de contrôle sont-ils adaptés à une situation de crise ?
Enfin, quel est votre point de vue sur les accords du Touquet, qui sont une source possible d'insécurité pour la France ?
Je vous remercie, monsieur le commissaire, d'avoir salué l'intérêt du rapport de la commission d'enquête que nous avons animée avec M. Sébastien Pietrasanta ; nous avons été surpris de l'insuffisance de la coopération européenne, alors que le premier programme remonte à 2003. Il a fallu attendre les tragiques événements de novembre 2015 pour qu'une prise de conscience ait lieu.
M. Pietrasanta a cité l'exemple de M. Salah Abdeslam, et on pourrait citer d'autres personnes qui ont pu agir à cause d'un manque de coopération au sein de l'UE ; cette lacune ne concerne pas seulement les services de renseignement, mais également la police et les autorités des pays membres. Ainsi, M. Abdelhamid Abaaoud a pu s'enfuir d'Athènes, car les Belges n'avaient pas alerté les Grecs au moment où ils lançaient une opération antiterroriste à Verviers ; on pense qu'il aurait pu être arrêté dès janvier 2015 ! Il y a d'autres exemples : deux des auteurs de l'attentat du Stade de France à Saint-Denis sont passés par les filières migratoires avec des faux papiers syriens, mais les autorités grecques ont reçu trop tard une photographie montrant quatre individus, dont ces deux personnes – les deux autres ont été ensuite condamnées pour entrée irrégulière sur le territoire ; si cette photo avait été transmise plus tôt, ces deux terroristes auraient pu être interpellés dans l'île de Lesbos. Je pourrais malheureusement multiplier les exemples du manque de coopération dans l'UE ; au-delà d'un problème d'organisation et d'interopérabilité, il reste à renforcer la coopération policière et judiciaire au sein de l'UE – tel est le but que, je n'en doute pas, vous vous êtes fixé.
Europol et Frontex ont-ils accès au système d'information Schengen II (SIS II) ? Europol peut-il alimenter ce fichier ?
Les questions concernant le Brexit doivent être posées aux représentants du gouvernement britannique.
Je ne cesse de répéter depuis mon entrée en fonction qu'il faut renforcer le plus possible la coopération entre les pays membres et les agences de l'UE. Voilà pourquoi je fus heureux de la décision du gouvernement britannique, annoncée il y a dix jours, de rester dans Europol après l'entrée en vigueur du nouveau règlement en mai prochain. Il importe que tous les États membres participent activement à cette coopération que nous renforçons en permanence. Des coopérations avec les pays tiers sont également possibles ; Europol a ainsi passé des accords avec des pays comme la Norvège, la Suisse ou les États-Unis. Il n'est pas exclu que d'autres accords de cette nature puissent être signés à l'avenir.
Monsieur Assaf, il est difficile pour moi de commenter les accords du Touquet, qui ont renforcé la coopération bilatérale entre le Royaume-Uni et le France contre le réseau des passeurs. Cependant, ce sujet dépasse les accords bilatéraux, et il convient d'agir à l'échelle européenne car ces réseaux alimentent une économie de plus en plus puissante. Nous devons travailler tous ensemble pour casser ce système économique ; ce défi renvoie à un enjeu de sécurité et de contrôle de nos frontières.
Les faux passeports et documents d'identité posent un problème qu'il faut régler dans le respect des compétences de chacun ; d'ici à la fin de l'année, la Commission présentera un plan d'action visant à renforcer la coopération avec les États membres, ceux-ci ayant la compétence d'émettre ces titres. Nous souhaitons développer l'usage des données biométriques : des progrès ont déjà été accomplis pour les passeports, mais il faut agir pour d'autres documents qui, pouvant être utilisés pour traverser les frontières, s'avèrent moins sécurisés.
La Commission juge comme vous primordial, monsieur Assaf, d'arriver à un accord sur la réforme du règlement de Dublin. Il faut trouver un terrain d'entente dans les semaines à venir. Un Conseil des ministres, tenu il y a quelques jours, a été l'occasion d'élaborer le concept de solidarité efficace, et nous reprendrons cette idée au Conseil européen de décembre prochain. Ce concept repose sur les principes de solidarité et de répartition équitable, reste à trouver un accord pratique entre les États membres, ce qui n'est pas facile. La relocalisation des étrangers représente un défi difficile pour nous tous ; le nombre d'arrivées en Grèce diminue, mais il reste stable en Italie, si bien que la question de la relocalisation reste d'actualité. On a fait quelques progrès, mais on est encore loin de répondre aux besoins. La France joue un rôle moteur dans ce processus, puisqu'elle est le pays qui a relocalisé le plus d'étrangers jusqu'à présent. Nous vous remercions de cet effort.
Monsieur Fenech, Europol a le droit de consulter les fichiers SIS au cas par cas, et j'aimerais proposer une extension de l'accès d'Europol et de Frontex à ces données, en m'appuyant sur les travaux en cours d'un groupe d'experts de haut niveau sur les fichiers.
Je vous remercie, monsieur le commissaire, pour votre exposé, et j'avoue que c'est un crève-coeur de se retrouver en compagnie d'un commissaire européen britannique après le vote sur le Brexit, qui constitue, à mes yeux, une amputation et un deuil.
Les transports, notamment terrestres, sont vulnérables au terrorisme ; l'UE a consenti depuis de très nombreuses années un effort considérable en faveur de la sûreté des transports aériens. Les aéroports renâclent parfois à ces mesures, car elles ont un coût. Il peut y avoir des accidents comme celui de la Germanwings dû à une défaillance humaine ou des failles dans la lutte contre le terrorisme comme l'attentat contre l'avion d'Egyptair – encore qu'on ne soit pas sûr qu'il s'agisse d'un attentat –, mais le modèle s'avère remarquable. Il y a 140 millions de passagers aériens en France par an et 2,5 milliards dans les transports terrestres ; or il n'existe pas le début d'un commencement d'une réflexion de la Commission européenne sur la sûreté dans les transports terrestres. Vous me répondrez avec raison que les États membres ont un grand rôle à jouer dans ce domaine, et ce n'est pas à l'UE de déployer des dispositifs de sûreté dans chaque tramway urbain. Néanmoins, à l'occasion de l'attentat déjoué par l'héroïsme de ressortissants américains dans le Thalys, on s'est aperçu que des améliorations substantielles étaient nécessaires – au moins dans les trajets internationaux. Il convient également de faire progresser les normes : ainsi, en Angleterre, la traçabilité de la billettique dans les métros est bien supérieure à celle qui existe en France. Pensez-vous que la Commission européenne doive ouvrir ce dossier ? Selon moi, la réponse est positive ; une telle action n'empêcherait pas toutes les attaques dans les transports, mais je m'étonne que les transports terrestres constituent un angle mort de la politique de sûreté de l'UE.
Monsieur le commissaire, nous vous remercions pour votre présence, dans un moment compliqué pour l'UE et pour le monde. Des accords comme le traité transpacifique entre l'Amérique et l'Asie font face à des menaces, alors qu'ils étaient sur le point d'être signés.
En matière de chiffrement, l'Europe dispose d'une véritable puissance scientifique et intellectuelle, ainsi que de trois alphabets. Or l'Europe n'a pas de politique visant à tirer profit de ce potentiel ; la plupart des logiciels, qu'ils soient effaçables ou durables, sont écrits en langage informatique binaire et en anglais : ne serait-il pas temps que l'UE s'intéresse à l'élaboration et à la langue des logiciels, qui pourraient être des outils économiques puissants dans la compétition mondiale, mais également, hélas, des instruments aux mains des terroristes ? On reste dans le domaine des incantations en matière de chiffrement, y compris en France, et on ne développe pas de vision stable, solide et ambitieuse permettant d'aboutir à la sûreté des conversations professionnelles et privées, à la sécurité des nations et des personnes, et à l'équilibre indispensable à la paix dans le monde.
Les Français attendent que l'UE et le Gouvernement leur rendent des comptes après avoir subi plusieurs fois la barbarie islamiste sur leur sol. La sécurité faisant partie de vos prérogatives, monsieur le commissaire, je souhaite vous poser quatre questions simples. Avez-vous mis en oeuvre une procédure renforcée d'analyse des liens entre l'État turc et les migrants islamistes au vu des convictions islamistes de M. Recep Erdogan ? Avez-vous noué des liens avec l'État syrien pour recevoir de sa part des listes de terroristes présents sur son sol ? Avez-vous analysé les solutions proposées par les États du groupe de Visegrád pour faire face à la menace de dissolution de notre civilisation sous les assauts de l'islamisme ? Avez-vous des contacts avec l'ensemble des gouvernements du Proche-Orient, et pas seulement avec les monarchies sunnites, pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée ?
Monsieur Savary, grâce au Brexit, vous avez la chance d'avoir un commissaire très pressé ! En effet, j'ai au mieux deux ans et demi devant moi pour obtenir des résultats concrets, dans un domaine où nous avons besoin d'avancées rapides. Daech et les autres groupes qui nous veulent du mal n'attendront pas le Brexit. Il faut agir maintenant, ce que je compte faire avec les autres commissaires et les autres institutions européennes.
Vous avez souligné avec raison les progrès effectués en matière de sécurité des aéroports et du transport aérien, et il faut maintenant aider les pays tiers dans ce chemin. Nous ne serons en sécurité en Europe que si les autres aéroports mettent en oeuvre des mesures de sécurité efficaces. Nous allons identifier les partenaires, mobiliser les fonds et monter les programmes de soutien.
Dans mes fonctions d'ambassadeur du Royaume-Uni en France, j'ai eu l'occasion d'évoquer les risques présentés par le transport maritime avec les services français et de renforcer la coopération renforcée entre nos deux pays dans ce domaine. Il faut développer cette entente à l'échelle européenne.
Le transport terrestre est évidemment le mode le plus utilisé et il pose des problèmes d'une autre échelle. Il est faux d'affirmer que la Commission n'a rien amorcé, puisqu'un débat s'est tenu sur ce sujet il y a deux semaines. Je ne vous cache pas que les choses sont compliquées, et il nous faut trouver un moyen d'engager la discussion avec les États membres ; les autorités belges ont déjà avancé quelques propositions que nous devons étudier. Il convient tout d'abord de nous pencher sur le renforcement de la sécurité des lignes terrestres internationales, et j'aimerais bien rester en contact avec vous pour échanger là-dessus.
Madame Le Dain, le chiffrement pose trois questions distinctes. Tout d'abord, des obligations de coopération peuvent être imposées aux opérateurs d'Internet. Les opérateurs téléphoniques doivent déjà respecter certaines obligations. On présentera l'année prochaine une proposition de révision de la directive du 12 juillet 2002 sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, dite e-privacy, dans laquelle nous imposerons aux opérateurs d'Internet les mêmes obligations que celles remplies par ceux de la téléphonie. Il existe un espace juridique pour poursuivre cette coopération.
Ensuite, il convient de discuter de la nature de cette coopération. Celle-ci devrait au moins permettre de récupérer des informations importantes comme des métadonnées, des liens et des contacts. Nous aborderons ce sujet avec les opérateurs dans les semaines et les mois à venir.
Enfin, la question du contenu renvoie à celle du chiffrement ; le sujet est complexe car il s'agit d'un outil essentiel pour la protection des données des individus et des États. Il n'est pas possible de promouvoir des solutions cassant le chiffrement des communications. Néanmoins, le contenu de certains messages chiffrés est actuellement inaccessible aux enquêteurs travaillant dans des affaires de terrorisme, ce qui empêche des poursuites. Voilà pourquoi nous lancerons une réflexion approfondie sur les dimensions techniques de cette question, et je souhaiterais, là encore, pouvoir vous en reparler dans les mois qui viennent, ce travail s'annonçant long.
Le sujet du chiffrement est vraiment complexe et demandera du temps, mais il ne faut pas, dans l'intervalle, laisser de côté les autres dimensions ; il importe ainsi de s'atteler aux obligations de coopération et de développer cette dernière au-delà de notre continent.
Monsieur Bompard, nous continuerons nos efforts visant à développer une coopération avec la Turquie, y compris dans le domaine sécuritaire, mais il reste à voir si ce pays la souhaite. Aucun cadre de coopération n'existe actuellement avec les autorités syriennes, pour des raisons que nous comprenons tous. Il y a un dialogue avec les pays du groupe de Visegrád et, à l'échelle de l'UE, ce sont les États membres qui alimentent le débat en défendant leurs orientations à chaque Conseil.
Le cadre de coopération avec l'ensemble des pays de notre voisinage d'Afrique du Nord et des Balkans s'avère riche, et l'on ne sépare pas les aspects intérieur et extérieur des questions sécuritaires. Il faut travailler sur ces deux plans en même temps.
Nous vous remercions, monsieur le commissaire, pour la précision de vos réponses. Vous souhaitez rester en contact avec nous et vous serez à nouveau le bienvenu dans notre Assemblée d'ici à la fin de notre session, prévue au mois de février prochain. Nos successeurs – ou nous-mêmes – seront attentifs à la poursuite de ces travaux.
Nous vous remercions, monsieur le commissaire, pour votre intervention. Je suis ravie de vous voir continuer votre mission pendant deux ans et demi ; quant à nous, nous devrons travailler encore plus fort d'ici au mois de mars et aurons donc l'occasion de vous recevoir très rapidement.
Je vous remercie une nouvelle fois pour votre invitation.
La séance est levée à 11 h 40