Intervention de Julian King

Réunion du 23 novembre 2016 à 10h00
Commission des affaires européennes

Julian King, commissaire européen pour l'Union de la sécurité :

Je suis arrivé en France peu après les attentats commis le 13 novembre 2015 et j'étais à Nice le 15 juillet dernier. J'ai constaté par moi-même la violence des actes qui ont choqué la France et, au-delà, toute l'Europe. Vous dire cela, c'est répondre pour partie à vos questions. S'il y a eu un retard dans la prise de conscience de la menace, ce n'est certainement plus le cas. L'ampleur du risque que nous courons tous est profondément ressentie au niveau européen et ce sentiment emporte avec lui le besoin d'agir efficacement, ensemble, pour combattre ce défi.

Non, monsieur Ciotti, je ne suis pas naïf et, loin de me limiter à réagir aux événements, je travaille avec mes collègues, les autres institutions et les États membres à construire une défense efficace contre ceux qui nous veulent du mal. Nous les combattons et nous les combattrons avec acharnement : c'est ce que le président Jean-Claude Juncker m'a demandé de faire et c'était mon engagement en prenant ce poste.

Tel est le cadre général de mon action. Bien sûr, dans le détail, de nombreux sujets doivent être traités ; les rapports tels que celui de MM. Fenech et Pietrasanta sont donc éminemment utiles car ils permettent de dresser l'état des lieux et de proposer des solutions possibles. J'ajoute que si l'Union européenne n'est pas au niveau souhaitable dans tous les domaines, ce n'est pas faute de volonté de la part de la Commission : nous avons besoin de votre aide pour légiférer et, surtout, pour appliquer les décisions prises.

Vous avez raison : en matière de contrôle aux frontières, nous devons améliorer la qualité des fichiers européens. Ils doivent être régulièrement alimentés, dûment interrogés, et les agents qui opèrent aux frontières doivent pouvoir les consulter rapidement. Parce que des progrès sont indéniablement nécessaires à toutes ces étapes, la Commission présentera avant la fin de l'année une proposition de modification du règlement SIS visant à le compléter par de nouvelles fonctionnalités, en prévoyant l'utilisation d'images faciales aux fins d'identification biométrique, et la création d'une nouvelle catégorie de signalement dite « personne inconnue recherchée » – les personnes pour lesquelles il peut exister des données de police scientifique dans les fichiers nationaux. Il sera aussi proposé d'utiliser le SIS aux fins de signalement des migrants en situation irrégulière faisant l'objet d'une décision de retour d'une part, de personnes faisant l'objet de mesures d'interdiction d'entrée dans la zone Schengen d'autre part. Je suis d'accord pour que, comme la France l'a demandé, les personnels de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes aient accès à toutes les informations utiles lors des contrôles qu'ils effectuent : celles contenues dans le SIS dès maintenant et, une fois l'interopérabilité acquise, celles de la banque de données Eurodac et d'autres fichiers éventuellement.

Telle est la première étape proposée pour renforcer le SIS. Je présenterai une deuxième proposition de modification l'année prochaine, après que, ayant réuni les utilisateurs du SIS pour connaître leurs besoins, nous aurons tiré les conclusions nécessaires des observations faites par ces agents de première ligne.

S'il est vrai que le contrôle des frontières extérieures doit encore être renforcé, on ne saurait dire que rien n'a été fait au cours des derniers mois. Nous avons lancé l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dont les missions sont, de beaucoup, plus larges que ne l'étaient celles de Frontex. Des analyses de risque seront conduites régulièrement, l'évaluation obligatoire de la vulnérabilité des contrôles visant à repérer et résorber les faiblesses éventuelles. Si des insuffisances apparaissent, l'Agence sera habilitée à exiger des États membres concernés l'application de mesures correctrices. Des agents de liaison sont détachés dans les États membres, à commencer par la Grèce et l'Italie ; une réserve de garde-frontières est mobilisable rapidement et un parc d'équipements techniques sera mis à la disposition de l'Agence et des pays membres en tant que de besoin. La preuve est ainsi faite de la prise de conscience que vous appeliez de vos voeux.

Cela étant, nous continuons de faire face à de graves défis, dont celui du retour en Europe des « combattants étrangers ». Certains craignent que l'évolution de la situation à Mossoul et à Rakka provoque un retour massif. Ce n'est pas mon avis. La menace n'est pas nouvelle puisque de tels retours se produisent déjà ; l'important est d'y être préparé. Je souhaite bien entendu des progrès dans la lutte contre Daech en Syrie et en Irak. Nous devons tirer les leçons de ce qui s'est passé en Afghanistan pour nous garder de toute spéculation : l'Histoire nous enseigne que certains combattants étrangers seront tués lors des affrontements et que certains, particulièrement motivés, continueront probablement de se battre dans d'autres zones. Enfin, il en est qui chercheront peut-être à revenir en Europe – des hommes, mais aussi des femmes et des enfants, ce qui pose une série de problèmes auxquels l'Europe doit se préparer à faire face de manière coordonnée. Pour commencer, un contrôle efficace des frontières extérieures doit permettre de déterminer précisément qui entre et qui sort de l'espace européen. C'est dire l'importance des vérifications qui ont déjà lieu dans les hotspots ; elles seront encore renforcées par les révisions du SIS à venir. Mais des contrôles doivent aussi avoir lieu au sein de la zone Schengen, et dans ce cadre les échanges efficaces d'informations ont une importance cruciale : ils doivent se faire par le biais des fichiers et aussi des agences, telle Europol, que nous allons renforcer. Sur le fond, nous devons réfléchir aux moyens de réintégrer certaines de ces personnes dans la société européenne et nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres car il n'y a pas de solution miracle ; singulièrement, personne ne sait réellement comment agir avec les enfants nés dans les zones de conflit.

La question des moyens est pertinente. Nous avons déjà adopté des textes relatifs aux sujets qui nous préoccupent et nous continuons de légiférer. Encore faut-il, ensuite, appliquer les décisions prises, et certains exemples montrent que, malheureusement, la mise en oeuvre d'un dispositif n'est pas toujours aussi prompte qu'escompté. Ainsi du PNR, à propos duquel, au terme de longues années, un accord s'est trouvé. L'objectif fixé est que la directive soit transposée dans le droit national dans chaque État membre le 25 mai 2018 au plus tard, afin que le dispositif entre en vigueur. Dix-huit mois restent donc à courir ; la perspective est encore lointaine, diront certains, mais à ce jour seuls la France, le Royaume-Uni et la Hongrie ont mis en place les infrastructures numériques nécessaires. Si d'autres pays ont engagé le processus, onze États n'ont pas encore commencé, et c'est un grand travail. En nous fondant sur un rapport mettant en évidence ce qui doit être fait, nous allons donc aider ces États membres à mettre le PNR en oeuvre. Nous avons trouvé 70 millions d'euros supplémentaires à cet effet et nous en trouverons davantage s'il le faut. À ce soutien financier sera associée une aide technique et judiciaire, et la Commission s'attachera à renforcer les liens entre les États les plus et les moins avancés en cette matière. C'est un exemple concret de notre volonté de trouver les moyens nécessaires.

Je sais, monsieur Ciotti, que la révision de la directive sur les armes à feu suscite une controverse. Après les attentats commis en France, des mesures de neutralisation des armes les plus dangereuses ont rapidement été prises, mais la réglementation européenne sur les armes détenues légalement reste à parfaire. Sans doute avons-nous mal présenté l'initiative ; cela a entraîné des malentendus qui doivent être dissipés. Nous n'entendons nullement compliquer la vie des chasseurs ou des tireurs sportifs ni, dans certains pays, celle des réservistes. On peut donc prévoir des dérogations pour ce qui les concerne tout en retirant de la circulation les Kalachnikov et autres fusils d'assaut automatiques et semi-automatiques qui n'ont pas vraiment leur place sur le marché libre. Avec le soutien de la France et d'autres États membres, nous poursuivrons les négociations à ce sujet avec le Parlement européen.

Nous avons proposé d'instituer le système ETIAS parce qu'il importe au plus haut point de disposer de toutes les informations possibles sur l'identité des personnes qui entrent dans l'espace de l'Union et qui en sortent. L'équivalent européen de l'ESTA américain permettra d'identifier les personnes qui peuvent présenter un problème sur le plan sécuritaire ou sur celui de l'immigration avant qu'elles n'arrivent à nos frontières. Ce mécanisme concernera tous les ressortissants de pays tiers exemptés jusque-là d'obligation de visa. Il a été contesté, mais je pense que l'équilibre trouvé est le bon : en contrepartie des 5 euros payés pour obtenir l'ETIAS, chaque titulaire aura le droit de faire un nombre illimité de voyages au sein de l'Union européenne pendant cinq ans. Le produit de ces faibles paiements financera le fonctionnement d'un système qui améliorera notre défense.

J'ai demandé au groupe d'experts sur les systèmes d'information et l'interopérabilité de rendre avant la fin de l'année un rapport d'étape recensant les premières mesures à envisager. Elles sont de deux ordres. Il faut améliorer l'interopérabilité entre les fichiers existants – et, à l'avenir, avec les nouveaux fichiers, tel ETIAS – et aussi améliorer la qualité des données contenues dans les fichiers existants, une nécessité soulignée par M. Pietrasanta. Des moyens techniques peuvent être utilisés rapidement pour encourager, voire obliger les États membres et les services à renseigner correctement ces bases de données. Le groupe d'experts devra d'autre part établir s'il est possible, sur le plan technique, de parvenir à l'interconnexion des fichiers européens. Cela permettrait à tous les services utilisateurs, où qu'ils soient, d'avoir accès à leur contenu complet par une recherche unique, avec des résultats immédiats. S'il est possible d'avancer rapidement, je veux faire le nécessaire dès l'année prochaine.

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