Intervention de Pierre-Yves Le Borgn'

Réunion du 8 novembre 2016 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Le Borgn' :

Merci, monsieur Rupnik, pour ces analyses que vous nous avez fait l'honneur de partager avec nous.

Je suis touché à plus d'un titre par vos développements. Ma circonscription de député des Français établis hors de France, qui couvre l'Allemagne, l'Europe centrale et orientale, comprend les Balkans et j'ai l'impression que c'est une partie de l'Europe que l'on s'est empressé d'oublier dès lors qu'elle n'est plus en guerre, dès lors que ses habitants ne s'entre-tuent plus, dès lors qu'une forme d'équilibre s'y est établie, même s'il est très instable. Elle est devenue le trou noir de l'Europe.

Je me rends dans les Balkans plusieurs fois par an. Je serai, par exemple, jeudi au Monténégro. Au cours de cette année, j'aurai séjourné au Kosovo, en Macédoine, en Albanie. C'est une zone que j'ai fini par connaître et que je trouve profondément attachante au-delà de la rudesse de l'histoire. Trois mille Français y vivent. Souvent dotés de la double nationalité, ils sont des témoins extraordinaires des années les plus récentes comme de combats remontant à plus loin.

J'ai aimé votre expression de « nationalistes euro-compatibles ». C'est le meilleur qualificatif que l'on puisse appliquer à des gens comme M. Vučić ou M. Nikolić – il sied un peu moins à M. Gruevski qui, comme vous le disiez, a besoin de faire du chemin . L'évolution de la Serbie a surpris en bien, compte tenu des positions qui étaient celles de M. Vučić et de M. Nikolić il y a encore une quinzaine d'années.

On est pris entre deux impressions s'agissant des Balkans.

D'un côté, on a tendance à se dire que, par une sorte d'atavisme, leurs habitants continueront à se mettre sur la figure en raison de haines recuites à l'intérieur même des pays ou de frontière à frontière.

D'un autre côté, on peut entrevoir le positif. Je citerai l'exemple symbolique de la création de l'Office régional de coopération des jeunes des Balkans à l'occasion du sommet de Paris sur les Balkans, le 4 juillet dernier. Cette organisation, connue sous l'acronyme de RYCO – Regional Youth Cooperation Office of the Western Balkans – a été conçue par des jeunes des six pays des Balkans occidentaux : deux pour chacun d'entre eux, sauf pour les Bosniens, venus à trois comme le veut l'organisation territoriale de leur pays. Ils ont élaboré des statuts, un projet de budget, qu'ils ont ensuite remis à leurs pays respectifs, de même qu'à la France et à l'Allemagne, avec le concours de l'Office franco-allemand pour la jeunesse. Lorsque je les ai rencontrés, j'ai été bluffé par leur profondeur d'analyse. Voilà de quoi espérer que l'avenir dans les Balkans peut être bien meilleur.

Mais pour y parvenir, il faut que nos amis des Balkans se prennent en main et se posent la question de l'économie et de l'État de droit. Aussi longtemps que ne seront pas réglés les problèmes liés à la corruption et à la sécurité des investissements, ils ne pourront avancer. Dans ma vie d'avant l'Assemblée nationale, j'étais un industriel des énergies renouvelables : j'ai un oeil exercé pour ce qui est des bassins-versants, de la biomasse, de l'ensoleillement et, en la matière, les pays des Balkans ont un fort potentiel qui pourrait leur assurer un boom économique. Encore faut-il qu'ils arrivent à créer des connexions entre pays et à garantir aux investisseurs un retour financier. Or investir dans cette zone reste incroyablement hasardeux. Je connais des Français qui ont fini en taule – pardonnez-moi cette expression triviale – et qui sont restés longtemps derrière les barreaux pour avoir osé investir. Il faut souligner dans toutes les enceintes dans lesquelles nous intervenons – pour moi, le Conseil de l'Europe – la nécessité pour chacun de ces pays de lutter contre la corruption et de garantir la sécurité des investissements.

L'Autriche, vous avez raison, joue un rôle important, même s'il est discret, tout comme l'Italie, pour ce qui est du littoral, notamment de l'Albanie. Il y a aussi le rôle de la Turquie ainsi que des Émirats arabes unis, rôle inquiétant. J'ai été frappé, lors de mon retour en Macédoine au printemps dernier, après deux ans d'absence, par la progression de l'islam dans ce pays qu'ont soulignée mes interlocuteurs dans la société civile comme les diplomates français. Il m'a été rapporté la même chose au Kosovo : le Père Sava, « cyber-monk » à la tête d'un monastère orthodoxe du sud du pays, protégé par les forces italiennes mais entouré de drapeaux albanais, m'a entretenu de la radicalisation dans les Balkans et des actions assez récentes de la Turquie, qui passent notamment par des inaugurations via vidéoconférence par le président Erdoğan de certains sites d'investissements turcs. Je m'inquiète de cette évolution.

La présence russe est symboliquement ressentie du côté du Monténégro et je verrai jeudi ce qu'il en est sur place.

J'ai des craintes, que vous semblez partager, au sujet de la Macédoine. Nous l'avons soutenue pendant longtemps et puis nous l'avons laissée, comme vous l'avez souligné. Nous aurions pu réagir face à la position grecque qui a tout figé. Ce pays est sans doute aujourd'hui plus bas qu'en 2005, quand son statut de candidat à l'Union européenne a été validé. Le centre de Skopje est parsemé de statues hideuses, expression d'un nationalisme délirant. La société civile est en panne. Une chape de plomb pèse sur le pays, du fait notamment de la pénalisation de la diffamation, qui a contribué à l'extinction de tout débat public. Il est impossible d'organiser des élections. Nous sommes toujours à la limite d'une guerre civile, comme cela avait été le cas en 2001-2002 – souvenons-nous du rôle essentiel joué alors par Robert Badinter. J'ai d'ailleurs craint que la traversée de son territoire par les migrants n'entraîne un embrasement. Il faudrait regarder de plus près la situation dans ce pays.

Enfin, s'agissant de la Bosnie, vous avez mille fois raison. Les accords de Dayton ne sont pas une constitution, ils ont permis que les différents protagonistes arrêtent de s'étriper. Dans nos lâchetés collectives et respectives, on a fini par se dire qu'il s'agissait d'une constitution, ce qui est revenu à condamner les Bosniens, quel que soit l'endroit où ils vivent et quelle que soit l'entité à laquelle ils appartiennent, à une sorte de statu quo avec la moitié de la population au chômage et des jeunes privés d'avenir. Cela a abouti à cette étrange affaire traitée par la Cour européenne des droits de l'homme, l'affaire Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine où les deux requérants ont porté plainte parce qu'impossibilité leur était faite, en raison de leurs origines respectivement roms et juives, de se porter candidats à la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, tout simplement parce qu'ils ne peuvent se reconnaître ni dans l'entité croate, ni dans l'entité serbe, ni dans l'entité bosniaque. Il faut aider la Bosnie à retrouver le chemin d'un État de droit, qui à ce jour n'est pas construit. Il y a trois entités, treize gouvernements, une multiplicité de cantons, parfois minuscules. En outre, ce pays est marqué par une absence de vie économique.

Tout cela est extrêmement inquiétant.

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