Je connais bien la Brenne. Mais cela dépend des régions : aujourd'hui, beaucoup d'espèces de batraciens sont en danger.
La politique de continuité écologique ne prend aujourd'hui en considération que les poissons migrateurs ; aucune étude sérieuse n'a montré ce que l'on y gagne et ce que l'on y perd en matière de diversité biologique.
Je prendrai ici un exemple parlant, celui du lac du Der, en Champagne. Un barrage y a été créé, détruisant une zone de bocage – on peut le comparer à celui qui était projeté à Sivens. À l'époque, cette construction a provoqué également des réactions. Depuis, ce site est devenu un site Ramsar, un site de haute naturalité, car les grues couronnées, et bien d'autres oiseaux migrateurs, y ont élu domicile. Ce que fait l'homme n'est pas toujours négatif ! Cessons de dire que l'homme détruit systématiquement la nature : la diversité biologique européenne a été créée par l'homme ! Notre représentation de la biodiversité, c'est le système rural d'il y a cinquante ou soixante ans, autrement dit une création humaine.
Il faut donc envisager les avantages et les inconvénients de la création – en prévision de la sécheresse provoquée par le réchauffement climatique – comme de la destruction d'un barrage. Il faut donc un juge de paix, qui ne peut être la nature : il est nécessaire de prendre en considération toutes les implications sociales et économiques d'une décision.
Le dogme de la continuité souffre de nombreuses exceptions, vous l'avez compris : on crée des barrages pour se protéger des inondations, pour stocker l'eau… Il s'appuie en outre sur une vision partielle et sectorielle de la diversité biologique : on s'intéresse aux poissons migrateurs, mais l'on oublie tout le reste. Il ne permet pas d'établir un bilan des gains et des pertes, et ignore le fait que la continuité est la porte ouverte aux espèces invasives. Il serait nécessaire d'adapter l'idée de continuité écologique au contexte local, sans mener une politique jacobine et uniforme : le nord et le sud, la Bretagne et le Massif central, ce n'est pas du tout la même chose !
De plus, ce dogme n'est pas étayé par des résultats : il n'y a presque pas de suivi des aménagements ou des arasements de barrage. Les méta-analyses menées sur les restaurations écologiques montrent que la récupération est lente, voire incomplète, et souvent différente. Pour atteindre l'objectif de bon état, il faut d'abord et avant tout se préoccuper de la qualité de l'eau. Nous devrions nous interroger : quels cours d'eau voulons-nous ? Quelle nature voulons-nous ? La réponse devra mêler des aspects scientifiques, mais aussi économiques et sociaux. La confrontation de ces différentes approches et des différentes représentations de la nature est au coeur du développement durable.