Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 17 juillet 2012 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Je suis heureux, mesdames et messieurs les membres de la commission, de me retrouver parmi vous, et resterai toujours à votre disposition. Pour l'heure, je me bornerai à brosser par touches rapides un tableau d'ensemble, en vous priant d'excuser le caractère impressionniste de cette présentation.

Avant tout, compte tenu de la situation de la France, notre stratégie globale et notre politique étrangère doivent être subordonnées à un objectif : le redressement du pays, en particulier son redressement économique.

En second lieu, si l'on s'en tient à la distinction désormais classique entre pouvoir de contraindre – hard power – et pouvoir de convaincre – soft power –, la France est une puissance d'influence – influential power. C'est le concept qui doit guider notre action.

Cette influence résulte d'éléments disparates, mais qui, rassemblés, définissent la singularité et l'universalité de la France : notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ; l'arme nucléaire que nous détenons ; notre rang de cinquième puissance économique mondiale ; notre langue, qui est partagée par plusieurs centaines de millions de locuteurs et qui, dans un avenir proche – 2050 –, sera parlée par 700 millions de personnes sur le seul continent africain ; les principes auxquels nous nous référons, tels que le respect des droits de la personne humaine, le respect du droit, notre vision internationale sinon internationaliste, le fait que nous nous nous exprimons au-delà des seuls intérêts de la France avec un souci d'universalisme, nos liens particuliers avec toute une série de pays, notre position singulière sur le conflit israélo-palestinien.

Cette influence dépasse largement celle qui se déduit des simples réalités matérielles, notre population de 60 millions d'habitants et notre puissance économique.

Troisièmement, nous devons privilégier la vision de long terme et la cohérence. Même si la vie internationale est marquée par des crises, auxquelles il faut répondre, l'horizon de la politique étrangère doit être celui du forestier.

Quatrièmement, nos priorités thématiques ne sont autres que les objectifs et les principes forts auxquels nous croyons et auxquels on identifie à juste titre la France : la recherche de la paix, la sécurité, la régulation internationale, le respect des droits de la personne humaine, le développement durable.

Nous avons, en outre, des priorités géographiques : nos relations étroites avec de très grandes puissances telles que les États-Unis d'Amérique – avec lesquels nous sommes alliés, sans être alignés – et la Russie, grand partenaire avec lequel nous avons construit une relation particulière depuis des décennies ; notre appartenance à l'Union européenne, même si la France peut défendre des positions singulières dans ce cadre ; le soutien aux pays en développement.

Au-delà, certains éléments caractérisent notre pays : nous voulons entretenir des relations de proximité avec le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine – les BRIC –, mais aussi avec les « moyens émergents », groupe assez hétérogène comprenant des pays tels que la Turquie, l'Indonésie ou la Colombie. Nous devons établir une doctrine, adopter une attitude et un langage particuliers à l'égard de ces pays.

Je citerai également, au titre des priorités géographiques, le continent africain, qui est – quoi qu'on en dise et malgré la liste des crises – un continent du futur. La France doit avoir à l'égard de l'Afrique, dans sa diversité et dans sa globalité, une politique particulière et forte.

Je mentionnerai enfin la question euro-méditerranéenne, au-delà de la forme qu'elle a prise à travers l'Union pour la Méditerranée. Il nous faut promouvoir une « Euroméditerranée ». Compte tenu de sa position géographique et des évolutions qui se dessinent, la France doit avoir une relation particulière avec cette région. J'ai été très bien reçu hier par les autorités algériennes et par le Président Bouteflika, que je remercie. J'aurai l'occasion de me rendre prochainement dans quelques pays voisins.

Pour mettre en oeuvre les orientations que j'ai mentionnées, notre politique étrangère doit s'appuyer sur deux piliers : la diplomatie économique et la diplomatie culturelle au sens large – éducative, scientifique et culturelle.

S'agissant de la première, j'ai été frappé de constater à quel point notre position relative s'était dégradée depuis que j'ai quitté mes dernières fonctions gouvernementales il y a dix ans. Compte tenu de notre situation difficile et de l'évolution qui nous menace, notre objectif premier doit être, je le répète, le redressement économique et notre diplomatie doit être au service de cet objectif. Je proposerai dans quelques semaines un certain nombre d'actions convergentes avec celles d'autres ministères pour « muscler » notre diplomatie économique.

S'agissant de la seconde, la France dispose, faut-il le rappeler, du réseau culturel le plus important au monde. Il est caractérisé par sa diversité – écoles, alliances françaises, instituts culturels –, mais constitue une force essentielle, qui ne doit pas être séparée de l'aspect économique. Il convient de préserver cet ensemble.

Je souhaite souligner, à ce propos, le professionnalisme de nos agents. La France a la chance de disposer, pour mener sa politique étrangère, d'hommes et de femmes de grande qualité, compétents, dévoués, qui font ce métier parce qu'ils l'ont choisi et qui l'exercent dans des conditions souvent très difficiles aux quatre coins du monde. Ils ont d'ailleurs pu éprouver, à un moment donné, un certain malaise.

J'entends m'appuyer, sur les quatre ministres délégués, notamment en vue d'une meilleure prise en compte de la dimension économique de notre diplomatie.

Je mentionnerai, pour finir, quelques sujets d'actualité qui nous mobilisent, vous comme moi : la question syrienne ; la question du Mali et, plus généralement, du Sahel ; l'Afghanistan, sur lequel nous reviendrons dans quelques jours lorsque vous examinerez le projet autorisant la ratification du traité d'amitié signé en janvier dernier ; la question iranienne, moins présente dans l'actualité, mais non moins lourde de menaces ; les questions européennes que vous avez évoquées, madame la présidente ; la question israélo-palestinienne enfin, matrice de nombreux autres conflits.

La France bénéficie, sur ce dernier sujet, d'une situation favorable. D'un côté, les Palestiniens nous accordent une très large confiance, et nous entretenons de bonnes relations avec M. Mahmoud Abbas, qui vient fréquemment en France. De l'autre, le gouvernement israélien, actuellement en situation de force, considère le gouvernement français actuel comme un de ses interlocuteurs privilégiés, aux côtés des États-Unis.

Nous sommes là pour aborder toutes ces questions posément et publiquement – ce qui doit nous inciter à une certaine retenue, mais n'exclut pas la passion. Les quatre ministres délégués et moi-même sommes, mesdames et messieurs les membres de la commission, à votre disposition. Nous serons heureux d'entendre vos conseils, vos recommandations, vos observations. Le Quai d'Orsay vous est ouvert, sachez-le.

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