Le discours que vous entendez de notre part est peut-être monolithique, mais il est exceptionnel : en général, on ne l'entend pas. Habituellement, la parole est monopolisée par les services de l'État. Pourtant, nous sommes des fonctionnaires, et nous estimons que nous pouvons aussi dire l'intérêt général et le bien public. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes un peu « mouillés » ce matin.
J'ai été président du conseil scientifique du plan Loire pendant six ans. Lorsque j'ai choisi de faire travailler mes collègues sur la pertinence de sujets de recherche traitant exactement de ce dont nous parlons ce matin, le représentant de l'État m'a demandé de retirer mes paroles. J'ai dû lui rétorquer qu'il n'en était pas question, que nous étions en principe indépendants, et que nous étions intéressés par les résultats d'une recherche donnée, quand bien même elle irait « contre le principe même de la loi », pour reprendre les termes qui m'étaient opposés. Il n'y a pas de principe de la loi, il y a la loi que nous respectons, ai-je dû expliquer, en ajoutant que nous souhaitions discuter de ses modalités d'application. Les travaux en question ont pu être menés et financés.
Nous essayons d'avoir un peu d'indépendance, mais cela est très difficile. Avant de m'exprimer devant vous, j'ai demandé à des collègues ce qu'ils pensaient de ce que je comptais vous dire. « Tu as raison, m'ont-ils répondu, mais nous, nous ne pouvons pas parler comme cela parce nos financements en dépendent. » J'ai dirigé pendant huit ans la Zone Atelier Bassin du Rhône (ZABR) qui regroupait quinze laboratoires et comptait soixante-quinze chercheurs titulaires. Les recherches allaient toutes dans le même sens. Il faut savoir que les financements sont accordés par le ministère de l'environnement, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), EDF, et l'Agence de l'eau. Le système est extrêmement monolithique. Je peux en parler parce je l'ai vécu. Les choses ne sont donc pas si simples. Aujourd'hui, comprenez que nous nous engageons et que nous assumons nos propos.
J'en viens à la question de la spatialisation. Nous sommes d'accord sur le fait que les rivières sont diverses et qu'elles définissent très souvent des territoires. En termes de généalogie des politiques, qu'observe-t-on ? En 1998, des études ont été lancées pour mettre en place le SEQ physique et biologique des cours d'eau. L'année suivante, nous avons obtenu des résultats, et j'ai participé à l'élaboration d'une très belle carte de France qui montrait la complexité des rivières dans leur contexte géologique et sédimentaire. Notre objectif était alors la régionalisation. On n'en a plus parlé depuis.
Quelques années plus tard, en 2004, le sujet a été repris au sein du CEMAGREF, devenu l'institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), avec la notion d'« hydroécorégion ». Sur le fondement d'études antérieures menées par des biologistes terrestres, on pouvait avoir des écorégions hydrologiques avec une écologie adaptée. Ces études ont disparu du paysage parce que la loi de 2006, et tout ce qui en a découlé, a fait de la continuité des montagnes à la mer une sorte de principe universel et systématique. On n'a pas su intégrer les écorégions dans cette nouvelle logique ; je suggère que nous y revenions.
Un territoire est un bassin versant, ou un sous-bassin versant, qui constitue une entité dans laquelle des écoulements de surface ou des ruissellements sur des bassins agricoles mènent aux rivières. Dans la région du bassin du Rhône, il y a de nombreux SAGE : ça marche très bien ! Pourquoi abandonner les SAGE et les SDAGE alors qu'ils ont vocation, dans le cadre des CLE, à réunir des personnes ayant des points de vue différents ? En ce qui concerne les SAGE, la question doit être posée ainsi : quels sont les facteurs de perturbation des rivières issus des terrains agricoles ? S'agissant des terres agricoles, on sait que la quantité des intrants augmente sans cesse, de la même façon que ce qui en sort pour s'écouler vers les rivières. Sans condamner l'agriculture qui se débrouille comme elle peut, trouvons des solutions ensemble dans les bassins où elle pose de gros problèmes. Demandons-nous si le fait de casser les seuils résoudra les problèmes de qualité des eaux liés à l'usage agricole des sols. Pour moi, la réponse est d'une telle évidence que la question ne devrait même pas se poser. En tout cas, discutons et créons des liens – en France, on a toujours tendance à sectoriser.