Les poissons migrateurs sont évidemment une priorité nationale, mais il faut gérer la question avec intelligence. On doit d'abord exiger la libération de la continuité écologique vers l'aval, et remonter ensuite vers l'amont. Le niveau d'exigence peut être augmenté au fur et à mesure que l'on a accès à des colonisations intéressantes. Il est en revanche inutile de vouloir imposer partout, au même moment, des passes, « au cas où » les poissons migrateurs remonteraient. On manque vraiment d'une stratégie et d'une politique nationale qui désigneraient les ouvrages d'intérêt national et ceux d'intérêt local.
Les services de l'État ne font preuve d'aucune souplesse, cela a été dit, mais c'est peut-être aussi parce que les textes sont trop précis. Dans le classement d'un cours d'eau, si une annexe fixe la longueur de la rivière et une liste des espèces, le représentant de la DDT ou de l'ONEMA vont exiger que l'on construise partout des passes à poisson pour faire remonter l'alose, même si l'on sait pertinemment qu'après trois ou quatre passes déjà construites en aval, il n'y aura jamais d'alose. Je crois que la précision des textes nuit à l'intelligence de la réflexion locale. Pourquoi dépenser 200 000 euros en construisant une passe pour des poissons qui ne viendront jamais ?
On ignore souvent un aspect essentiel : la qualité de l'eau. Nous avons observé dans le bassin de la Dordogne que 70 % des déplacements de masses d'eau étaient issus des pollutions diffuses ; pourtant, on ne travaille pas sur ces pollutions, et nous savons tous pourquoi. Personne ne veut toucher à l'agriculture. Lorsque l'on me demande de travailler sur un site, je suis le premier à vérifier si les agriculteurs sont là. Les syndicats de rivières vont facilement s'en prendre à un propriétaire de moulin sans toucher à l'agriculteur voisin qui laboure dans le sens du vent, qui draine les terrains, et qui épand au-dessus des cours d'eau. Si on élude 70 à 80 % du problème, à quoi bon s'acharner sur les 20 % restant ?
Il faut donc limiter la précision des annexes, laisser l'intelligence s'exprimer et trouver les moyens de s'attaquer aux vrais problèmes. On fait intervenir les SDAGE et les SAGE en service minimum pour être certain que l'on n'abordera pas les douloureuses questions de l'irrigation ou des épandages – et je n'attaque pas spécifiquement l'agriculture.
Les parlementaires ont inventé la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), qui pose des difficultés. Nous nous étions en effet battus pour privilégier des approches par bassin hydrographique, et monter des EPTB par bassin afin d'assurer une cohérence de gestion et une coordination des politiques. Aujourd'hui, avec la GEMAPI, nous sommes pour le moins décontenancés. Les maires et les présidents de communauté de communes, poussés par les agences de l'eau, nous demandent ce qu'ils « doivent faire ». Vous ne « devez » rien faire, vous « pouvez » tout faire, mais ce que vous « voulez » faire, il faut peut-être que nous en discutions, leur disons-nous. Je leur rappelle qu'il appartient au riverain d'agir, dans le respect du droit de propriété. À défaut, la collectivité devra tenter de mettre en oeuvre une déclaration d'intérêt général (DIG) ce qui risque d'être difficile sur le seul fondement de la continuité écologique – nous avons vu les limites de ce principe, et la manque de rigueur scientifique qui le sous-tend. La GEMAPI pourrait presque servir d'argument pour revenir sur le contenu des annexes et permettre d'analyser localement les situations.
Il faut donc de la souplesse et du temps. Il faut donner la priorité aux grands migrateurs en ciblant sans concession le financement des agences et en poussant les grands opérateurs à faire leur travail : ils doivent cesser de persécuter les petits propriétaires situés sur des axes que les grands migrateurs n'emprunteront jamais. Il faut du pragmatisme, du bon sens, et laisser se manifester l'intelligence locale. Il faut laisser s'exprimer des scientifiques et pas seulement des experts, et limiter l'influence majeure des agences de l'eau.