Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 17 juillet 2012 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

La situation au Mali est très difficile, et même dramatique, comme je l'ai indiqué tout à l'heure en réponse à M. François Loncle. Il y a, je le rappelle, six otages français dans cette région. Nous devons donc, les uns et les autres, mesurer nos paroles.

Trois grandes séries de problèmes s'ajoutent les uns aux autres au Mali.

Il y a d'abord la dimension politique : le pays est coupé en deux ; une junte militaire s'est emparée du pouvoir au Sud, avant de laisser la place à un Président qui a fait l'objet d'une tentative d'assassinat et se trouve actuellement en France – j'ai eu l'occasion de le rencontrer, c'est un homme remarquable – et à un Premier ministre qui se trouve, lui, sur place. Le pays est confronté à des difficultés de tous ordres, en particulier économiques.

La Communauté des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) – en particulier le Burkina Faso auquel une mission de médiation a été confiée –, d'une part, et l'Union africaine, d'autre part, ont formulé des propositions pour tenter d'améliorer la situation. Ces deux organisations ont souhaité que le gouvernement malien soit élargi, afin de gagner en représentativité et d'offrir ainsi une assise pour reconquérir le territoire et mettre fin à la coupure Nord-Sud.

Le Premier ministre malien m'a confirmé ce matin qu'il s'attelait à cette tâche, qui lui a été assignée par la CEDEAO et l'Union africaine avec le 31 juillet pour date butoir, et qu'il était en contact avec le Président malien à Paris, auquel il a demandé de jouer un rôle actif dans ce processus.

La question comporte ensuite une dimension terroriste : de nombreux mouvements sont présents au Nord, en plus des Touaregs qui ont des revendications anciennes. D'après notre analyse, qui s'appuie sur les renseignements de nos services, la situation est dominée par le mouvement Aqmi, qui a des ramifications régionales pouvant porter d'autres noms, par exemple Boko Haram au Nigeria.

Le mouvement Aqmi a pour caractéristiques de disposer d'armes en quantité, d'argent – qui provient, pour une part des rançons et, pour une autre, de divers trafics – et de combattants généralement prêts à mourir, ce qui lui confère un avantage dans la lutte qui l'oppose aux autres mouvements. Il se singularise surtout, je le rappelle, par le fait que son ennemi déclaré est la France.

Enfin, il se pose des problèmes humanitaires très préoccupants, que M. Loncle a rappelés avec raison : d'une part, environ 200 000 Maliens ont trouvé refuge dans les pays voisins, dans des conditions épouvantables ; d'autre part, 167 000 personnes se sont déplacées du Nord au Sud du pays. Pour comble de malheur, plusieurs pays de la région sont touchés par une invasion de criquets pèlerins, aux conséquences potentiellement redoutables.

Malgré les décisions préventives prises en 2011, une grave crise humanitaire risque donc de s'ajouter aux difficultés politiques et au terrorisme dans les semaines à venir. La France, avec l'Union européenne, a déjà débloqué d'importantes sommes pour tenter de l'empêcher.

Monsieur Poniatowski, je considère, en parfait accord avec nos amis algériens, que les problèmes politiques doivent être abordés de manière politique. En revanche, le terrorisme, s'il se révèle irréductible, devra être traité par les moyens qui conviennent, le moment venu. Lors de mon séjour à Alger, d'aucuns ont voulu opposer une vision algérienne purement politique, voire angélique – nous en avons souri, le président Bouteflika et moi-même –, à une vision française exclusivement belliqueuse. Cela n'a aucun sens ! J'ai au contraire constaté avec plaisir que les Algériens, particulièrement avertis de ces questions du fait de leur proximité géographique avec le Mali et de leur expérience passée du terrorisme, partagent mon analyse ; mon homologue l'a dit expressis verbis. Ce qui répond également aux remarques tout à fait pertinentes de M. Janquin.

Selon nos amis algériens, en revanche, AQMI est un mouvement spécifique et d'autres mouvements seraient plus ouverts que lui à la discussion, alors que, selon nos services, c'est bien AQMI qui prend le dessus sur les autres. Nous sommes convenus que nos services respectifs travailleraient ensemble sur ces questions.

Les pays voisins défendent des positions diverses mais qui tendent à se rejoindre. Les plus fermes sont le Niger, la Mauritanie et le Nigeria – lequel a d'ailleurs décidé au cours des dernières heures d'attaquer le mouvement Boko Haram.

L'essentiel est l'effort de la communauté internationale. Pour notre part, nous ne voulons pas nous substituer aux Africains mais jouer un rôle facilitateur. Au Mali, il s'agit de favoriser une solution politique au Sud, le respect de l'intégrité du pays et, le moment venu, une solution « sécuritaire » au problème du terrorisme. Le Premier ministre malien me l'indiquait ce matin, la CEDEAO a dépêché sur place des experts militaires chargés d'étudier la situation sécuritaire – y compris au Sud, où il ne faudrait pas que les difficultés actuelles ouvrent la voie à AQMI. L'Union africaine agit dans le même sens. Quant à l'Union européenne, que j'ai saisie, elle apporte son soutien à la formation des militaires ainsi qu'une aide humanitaire. Enfin, le Conseil de sécurité de l'ONU a voté la semaine dernière, à l'initiative de la France, une résolution placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies et dans laquelle, sans autoriser une intervention prochaine, il invite les instances concernées à revenir devant lui le moment venu s'il le faut. La France prend les contacts nécessaires pour que les grands pays – dont les membres permanents du Conseil de sécurité, mais aussi l'Afrique du Sud, qui y siège et dont on connaît l'importance sur le continent – oeuvrent en ce sens.

Nous n'en sommes donc pas, monsieur Janquin, à invoquer la responsabilité de protéger. La France, je le répète, veut être facilitatrice ; nous soutenons nos amis africains, mais c'est à eux seuls, à travers leurs organisations régionales, qu'il appartient d'agir, tandis que nous jouons notre rôle comme membre permanent du Conseil de sécurité et comme membre de l'Union européenne.

Nous y reviendrons, car cette crise ne se dénouera pas en trois semaines !

Sur le difficile problème du génocide arménien et de la Turquie, nous devons également mesurer nos paroles. Une loi que plusieurs d'entre vous ont votée tendait à réprimer sous certaines conditions la négation du génocide. Le Conseil constitutionnel, auquel le texte a été déféré, l'a jugé non conforme à la Constitution. Au cours de la campagne présidentielle, un engagement à sanctionner la négation du génocide a été souscrit – par les deux principaux candidats, si ma mémoire est bonne. Le Gouvernement y travaille. La tâche n'est pas facile, car il s'agit de respecter à la fois cet engagement du Président de la République et l'ordre juridique et constitutionnel qui s'impose à nous.

Par ailleurs, le Président français a rencontré son homologue turc, M. Gül, en marge du sommet de l'OTAN à Chicago, puis le Premier ministre Erdoğan à Los Cabos, au Mexique, dans le cadre du sommet du G20. À l'issue de cette prise de contact très fructueuse, au cours de laquelle ces questions n'ont pas été abordées, les Turcs ont décidé de lever les sanctions économiques qu'ils avaient prises contre la France. J'ai ensuite moi-même reçu le ministre turc des affaires étrangères, avec lequel j'ai discuté de ces sujets. Je lui ai indiqué les termes du problème. La communauté arménienne s'est émue de ma déclaration, craignant que le Président renonce à honorer son engagement. L'Élysée a confirmé sa promesse. Voilà où nous en sommes.

Nous devons tenter de trouver une solution en toute bonne foi. Il faut également faire en sorte que les relations entre l'Arménie et la Turquie s'améliorent ; mais, sur ce point, nous ne pouvons que formuler des propositions. Le ministre turc des affaires étrangères m'a confirmé qu'il souhaitait cette amélioration. Je recevrai dans quelques jours mon homologue arménien.

En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, monsieur Janquin, le gouvernement français entretient de très bonnes relations avec chacune des deux parties. M. Mahmoud Abbas est venu plusieurs fois à Paris. Lors de sa dernière visite, il s'est entretenu avec le Président de la République, avec le Premier ministre et avec moi-même. C'est un homme de dialogue. Dans ce conflit qui est, vous l'avez dit, la mère de bien d'autres, nous nous sommes également efforcés d'être facilitateurs. Du côté israélien, M. Netanyahou nous a envoyé nombre de ses collaborateurs – ministres, conseillers –, ce qui témoigne de l'intérêt qu'il accorde à la position française, et nous a fait savoir qu'il tiendrait la France, à l'instar des États-Unis, particulièrement informée de la situation.

Voici ce que je puis dire. Les Israéliens et les Palestiniens déclarent les uns comme les autres vouloir avancer. Les discussions portent sur deux questions : d'une part, la libération de prisonniers – leur nombre, leur identité ; d'autre part, la livraison d'armes dont l'Autorité palestinienne a besoin pour assurer la sécurité. Or, les élections américaines approchent et, avant même cette échéance, il est envisagé, avec crainte ou avec espoir – c'est selon – , que la question revienne devant l'Assemblée générale des Nations unies, qui se réunit en septembre, voire devant le Conseil de sécurité. Il est souhaitable que les discussions aient progressé d'ici là. La France s'efforce d'oeuvrer en ce sens.

J'ai en outre fait valoir à nos interlocuteurs israéliens qu'ils y avaient tout intérêt, non seulement pour remédier à une injustice et éteindre un foyer de troubles et de drames, mais aussi parce que les pays où ont eu lieu les « printemps arabes » risquent de se retourner contre Israël – ce qu'ils n'ont heureusement pas fait jusqu'à présent – lorsqu'ils connaîtront des revers et des difficultés économiques. C'est lorsque l'on est en position de force du point de vue politique, comme l'est aujourd'hui M. Netanyahou, que l'on doit discuter : voilà ce que j'ai amicalement dit aux Israéliens.

Monsieur Janquin, la France soutient et soutiendra toutes les initiatives qui contribueront à hâter l'issue du conflit. Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire que l'on réussira en quelques jours, avant les élections américaines ; mais des signes favorables, notamment sur les deux points que j'ai soulignés, permettraient d'espérer, dans la région et au-delà, la relance d'une solution à ce conflit aussi ancien que cruel.

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