Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le sujet sur lequel nous sommes appelés à débattre cet après-midi n’est pas ordinaire. Parler de la mort, même au Parlement, c’est aborder un sujet qui touche au plus intime et souvent au plus douloureux de la vie de chacune et de chacun d’entre nous, un sujet qui cristallise, bien sûr, les émotions et qui renvoie aussi aux croyances philosophiques et religieuses. Dès lors, la mort, même sur le plan juridique et législatif, ne peut échapper à sa dimension philosophique. Légiférer dans ce domaine exige donc d’avoir à l’esprit la nécessaire mais difficile recherche de l’équilibre entre l’encadrement des pratiques funéraires et le respect des convictions de chaque citoyen. À ce titre, je tiens à saluer le travail approfondi des auteurs de cette proposition de loi, y compris bien sûr celui du rapporteur. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont travaillé sur cette question.
Lors de la perte d’un être cher, les personnes touchées par ce deuil se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité et doivent prendre de nombreuses décisions en moins de vingt-quatre heures. S’intéresser aux modalités des obsèques, à leur formalisme, à leur dimension juridique mais aussi psychologique, et à la question du coût, est par conséquent absolument nécessaire.
La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui vise ainsi à créer un cadre législatif pour l’organisation d’obsèques républicaines lorsque les familles en font la demande.
Elle prévoit la mise à disposition gratuite par la commune d’une salle adaptée pour permettre à la famille de se recueillir. En outre, afin d’accompagner la famille lors de ce moment de recueillement, la proposition de loi prévoit qu’à sa demande, un représentant de la commune, ayant la qualité d’officier d’état civil, puisse procéder à la cérémonie civile. Cette présence permettra de traduire l’engagement de la République auprès des familles au moment de la mort d’un proche.
À cet égard, un parallèle peut être fait avec les cérémonies de mariage civil auxquelles procèdent les officiers d’état civil, ou encore avec la pratique du parrainage civil, aussi appelé « parrainage républicain ». Le rapport de votre commission le souligne : « Ces cérémonies constituent des rites républicains qui manifestent l’engagement de l’État lors de deux étapes importantes : l’entrée dans la communauté républicaine et le mariage. Ils contribuent ainsi à renforcer le lien social et la citoyenneté, dans une démarche laïque. Il est cohérent que la République manifeste également son engagement auprès des familles qui le souhaitent lors de la perte d’un proche. »
Je partage cette analyse. Je trouve en effet légitime et souhaitable que la République puisse apporter son soutien dans les moments les plus difficiles, comme elle le fait pour les plus joyeux, à nos compatriotes qui souhaitent accompagner leurs défunts dans un cadre civil, en dehors de la sphère religieuse. Dans cette optique, il est normal de prévoir les modalités de cet accompagnement, en particulier sur le plan financier, afin que le respect dû aux morts soit le même pour chacun, quelle que soit sa situation pécuniaire.
Le Gouvernement est donc favorable, dans son esprit, au texte que vous allez examiner. Pour autant, celui-ci pose encore un certain nombre de questions, dont plusieurs ont été abordées lors de la réunion de votre commission.
L’idée de funérailles républicaines n’est pas nouvelle. Elle figure même en bonne place dans le vade-mecum sur la laïcité publié par l’Association des maires de France il y a un an. L’AMF invite ainsi les maires à mettre à disposition des familles qui le souhaitent une salle communale, lorsque c’est possible, aux fins de célébrer des funérailles non religieuses. L’article unique de la proposition de loi initiale ne dit pas autre chose : « Chaque commune, dès lors qu’elle dispose d’une salle municipale adaptée, met celle-ci gratuitement à disposition des familles qui le demandent et garantit ainsi l’organisation de funérailles républicaines qui leur permettront de se recueillir. »
Votre rapporteur a expliqué devant la commission que cette rédaction avait été choisie pour ne pas imposer de contrainte uniforme puisque cela signifie que les communes qui n’en disposent pas ou dont la salle n’est pas aux normes ne seront pas concernées par cette obligation et n’auront pas à entreprendre des travaux de construction ou de rénovation. Cette rédaction permet de trouver un bon équilibre entre le besoin de répondre à une attente de nos concitoyens et la nécessité de préserver les élus locaux d’un accroissement de leurs charges. En effet, les collectivités territoriales sont de plus en plus confrontées à une multiplication des normes. Face à ces contraintes, le Président de la République a fait du « choc de simplification », annoncé au mois de mars 2013, l’une des priorités du quinquennat. Le Gouvernement est donc particulièrement attentif à cet aspect des choses.
Reste néanmoins à définir précisément le caractère adapté d’une telle salle. En raison de l’ambiguïté de cette notion, votre rapporteur va proposer, comme il vient de l’indiquer, de remplacer le terme « adaptée » par celui d’« adaptable ». C’est en effet préférable, car le terme « adaptée » pourrait être interprété comme désignant une salle spécialement réservée à cet usage. Or en commission, votre rapporteur a bien précisé que cette mise à disposition n’oblige pas les communes à construire des salles spécifiques : ce n’est que lorsqu’elles disposent déjà d’une telle salle qu’elles devront la mettre à disposition. Cela pouvait sembler évident mais il était important que cela soit précisé explicitement.
Le qualificatif « adaptable » signifie donc que la salle en cause pourra bien être utilisée à diverses fins. Une certaine souplesse d’organisation sera ainsi laissée à la commune. Je pense que cela est de nature à répondre à certaines préoccupations légitimes dont a fait part votre collègue Guy Geoffroy lors de l’examen du texte en commission. J’ajoute qu’il s’agira d’une salle destinée à organiser une cérémonie et non à recevoir le corps du défunt les jours précédant l’inhumation ou la crémation.
Dans le texte initial de la proposition de loi, une disposition prêtait davantage à discussion, puisqu’en plus d’une salle, la mairie devait assurer la présence d’un représentant de la commune, officier d’état civil, qui procède à une cérémonie civile. Votre commission a adopté un amendement de Mme Catherine Beaubatie, sous-amendé par le rapporteur, et deux amendements déposés par M. Pierre Morel-A-L’Huissier d’une part, et M. Jean-Pierre Decool et Mme Marie-Jo Zimmermann d’autre part, visant à faire de l’organisation de la cérémonie d’obsèques par un officier d’état civil une faculté pour celui-ci, et non pas une obligation. Là encore, c’est une évolution positive du texte qui est de nature à répondre aux préoccupations justifiées des maires quant au caractère obligatoire de la présence d’un officier d’état civil, qui aurait pu représenter une contrainte pour certaines communes.
Par ailleurs, à l’initiative du rapporteur, votre commission a précisé le champ d’application de la proposition de loi : celle-ci ne s’appliquera qu’aux seules familles des personnes ayant droit à une sépulture dans le cimetière de la commune. Cette précision est la bienvenue.
Le texte va maintenant être débattu en séance publique. Il reste des points à préciser. En particulier, concernant la cérémonie civile prévue par le texte, le député Guy Geoffroy s’est demandé ce que l’élu aurait à dire. Je pense qu’il faut laisser de la souplesse aux acteurs locaux et ne pas légiférer sur le moindre mot à prononcer, au risque de ne jamais trouver de formulation parfaitement idoine. Il faut faire confiance à la pratique : dans le cas où le maire connaît personnellement le défunt ou sa famille, les mots seront trouvés naturellement ; dans le cas inverse, un entretien préalable avec les proches du défunt permettrait d’en faire l’éloge funèbre.
Il est également tout à fait imaginable que l’officier d’état civil soit présent en silence, pour témoigner du respect de la République pour ses morts, tout en laissant la parole aux membres de la famille. Lorsque l’on touche à l’intime, il faut laisser une place à la libre organisation, sans tout encadrer de manière excessive.
Enfin, se pose la question financière. Si le texte initial prévoyait une compensation par le biais de la dotation globale de fonctionnement – DGF –, un amendement du Gouvernement l’a supprimée en commission. Il n’est ni nécessaire, ni possible de majorer la DGF, dont le rôle n’est pas de financer une politique sectorielle. Dans le cas présent, il serait matériellement impossible d’établir un chiffrage juste et fiable pour toutes les communes.
En outre, la mesure que vous proposez n’est évidemment pas un transfert de compétences et ne s’analyse ni comme une création, ni comme une extension de compétence. En effet, l’organisation d’obsèques civiles est déjà permise par le droit en vigueur. Les communes peuvent déjà mettre une salle à disposition des administrés, dans le cadre d’une occupation temporaire du domaine public ; la gratuité est déjà possible pour des cérémonies organisées par certains opérateurs funéraires. Il est vrai que le prêt de la salle deviendra obligatoire, mais seulement lorsque la salle existe déjà et lorsqu’elle est adaptable. L’intention des auteurs de la proposition de loi n’est manifestement pas d’aggraver les charges qui pèsent sur les communes.
De surcroît, sur proposition du rapporteur, la commission a précisé que la gratuité de la mise à disposition d’une salle constituait une dérogation au principe de non-gratuité des utilisations privatives du domaine public, prévu à l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques. La cérémonie n’est donc pas l’exercice d’une compétence communale mais un cas de mise à disposition gratuite d’un local.
Enfin, messieurs et mesdames les députés, vous avez rattaché ces obsèques à l’exercice des prérogatives de l’officier d’état civil, même si, dans le texte de la commission, sa présence devient facultative. Or nous savons que les activités de l’officier d’état civil n’ouvrent aucun droit à compensation – le Conseil constitutionnel vient encore de le rappeler dans sa décision sur la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Vous le voyez, de nombreuses questions se posent encore sur l’applicabilité concrète du dispositif prévu par la présente proposition de loi. Je ne doute pas que la discussion que nous allons avoir apporte des précisions utiles sur les modalités d’organisation de cette cérémonie laïque.
Car c’est bien de laïcité dont il s’agit in fine. Sans occulter les difficultés pratiques qui peuvent se poser dans l’application de la loi, je souhaite néanmoins saluer le message politique et symbolique très fort porté par les auteurs du texte.
Depuis plus d’un siècle, la laïcité est un pilier du pacte républicain, une référence commune, un cadre collectif. La laïcité, c’est la liberté de conscience, donc la liberté religieuse, dans le respect des droits pour toutes les religions, pour toutes les croyances, de se pratiquer dans le respect réciproque. Faire vivre la laïcité, ce n’est pas seulement la protéger, la préserver : c’est lui donner les moyens d’évoluer et de répondre aux mutations de la société.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à ces nouveaux enjeux. Les enquêtes relatives aux pratiques funéraires montrent en effet qu’un nombre croissant de familles font le choix de cérémonies civiles. Ainsi, selon une étude réalisée par les Pompes funèbres générales, la proportion de cérémonies civiles serait passée de 25 % en 2008 à 30 % en 2013. C’est donc une réalité dont il faut tenir compte.
Il est à l’honneur du Parlement de se saisir de ces questions pour accompagner les évolutions de notre société. Pour reprendre les mots prononcés le 3 novembre par le Premier ministre Manuel Valls lors de la remise du prix de la laïcité : « La laïcité, c’est la France, sa singularité, son âme. La laïcité, c’est la République, son unité, sa flamme. »
Ainsi, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement ne peut que soutenir la démarche entreprise par les auteurs de ce texte fondé sur le principe consistant à instituer des funérailles républicaines, dans un cheminement laïc et respectueux des croyances philosophiques de chacun. Pour autant, certaines questions d’ordre pratique se posent encore et, s’agissant d’une initiative parlementaire, le Gouvernement attend de la discussion qui va s’ouvrir dans votre hémicycle que des éclaircissements soient apportés sur certaines dispositions.
Sous ces réserves, le Gouvernement est favorable au vote de cette proposition de loi.