La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le ministre de la défense, vous êtes l’un des rares ministres en place depuis le début du quinquennat.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Tous ici nous saluons le travail que vous avez accompli à la tête de ce ministère, qui démontre avec évidence que l’on peut cumuler une fonction de maire ou de président d’un exécutif avec un grand ministère, ce que les radicaux ont toujours soutenu.
Rires et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
Mais ma question va bien au-delà. Nous voudrions connaître la position du Gouvernement sur le rétablissement de la conscription, autrement dit le service militaire obligatoire pour toutes les Françaises et tous les Français de dix-huit à vingt-cinq ans pour une durée de six mois à un an.
On ne peut pas continuer de dire que la France est en guerre et ne répondre à cette situation que par l’engagement d’embaucher quelques milliers d’hommes et de femmes. Il s’agit de toute autre chose, monsieur le ministre. Le service militaire obligatoire, c’est la réponse de toute la France au défi qui lui est lancé par les terroristes.
C’est le retour d’un véritable patriotisme, c’est la possibilité de créer une armée européenne.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi le budget de la défense n’a-t-il pas été organisé autour de cette idée forte ? On nous dit que cela coûterait quatre milliards d’euros. Qu’en pensez-vous ?
Le Gouvernement est-il prêt à organiser un débat d’urgence au sein de l’Assemblée nationale car il faudra bien répondre en termes d’aménagement du territoire, en termes de formation, en termes de sécurité et finalement en termes de paix ?
Nous sommes, vous le savez, favorables aux majorités d’idées. Ne serait-il pas bon que celle-ci marque de façon consensuelle la fin du quinquennat
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le député, vous m’interrogez sur l’opportunité de rétablir un service national obligatoire et général, sous une forme ou sous une autre.
Ce débat est récurrent. Il est légitime quand on s’interroge sur le lien social et sur le lien fondamental qui nous unit, sur ce qui unit la Nation.
Cependant, vous le savez, la France a fait le choix il y a vingt ans d’une armée professionnelle.
Elle a fait ce choix pour de bonnes raisons. D’abord je veux rappeler que dès 1996 des travaux du Parlement lui-même faisaient le constat que nous étions loin du creuset républicain rêvé tant étaient nombreux les jeunes gens qui ne faisaient pas leur service.
Plus fondamentalement, monsieur le député, considéré sous l’angle concret de notre outil de défense, un tel retour serait totalement contraire à notre modèle d’armées.
Nos armées sont professionnelles, projetables, avec des implantations et des moyens transformés par rapport à 1995. Elles se sont considérablement renforcées techniquement. Elles ont acquis de nouvelles capacités, que ce soit dans le renseignement, le cyber, les forces spéciales, les drones : autant de compétences nécessaires contre des ennemis déterminés et organisés,que l’on ne pourrait pas acquérir dans le cadre d’un service militaire de moins d’un an. Incorporer par obligation 780 000 appelés chaque année, garçons et filles, qui ne seraient pas destinés à rester dans les armées et monopoliseraient l’encadrement militaire ruinerait ce délicat édifice de compétence et d’efficacité.
J’ajoute que les coûts que vous indiquez sont faibles. J’estime pour ma part qu’ils s’élèveraient, en comptant les équipements et les armements, à plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Voilà pourquoi cette question ne me paraît pas d’actualité !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom à tous la bienvenue à une délégation de la Chambre des députés du Grand-Duché de Luxembourg, conduite par son président M. Mars di Bartolomeo.
Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, le 28 novembre, le groupe d’experts sur le SMIC a rendu son avis. Selon lui il n’est pas nécessaire de donner un coup de pouce au salaire minimum, fixé aujourd’hui à 1 141 euros net par mois et qui concerne 1,6 million de salariés.
Si vous suivez l’avis des experts – comme vous le faites depuis
maintenant quatre ans au nom de la sacro-sainte compétitivité –, le
SMIC n’aura augmenté que de quarante-cinq euros sur l’ensemble du quinquennat, essentiellement du fait des revalorisations automatiques légales. Ce serait une première qu’un gouvernement se réclamant de gauche n’ose pas agir en faveur des bas salaires durant son mandat.
Dans le même temps, quarante milliards d’euros de dividendes ont été versés aux actionnaires en 2016, faisant de la France la championne d’Europe en la matière.
Tout cela n’est que le reflet de la politique que vous menez depuis cinq ans : une politique de baisse de charges pour les entreprises au détriment du pouvoir d’achat des salariés.
Dans ce contexte, l’augmentation du salaire minimum est une exigence sociale autant qu’une nécessité économique.
Une exigence sociale d’abord, les besoins les plus élémentaires d’une grande partie de nos concitoyens n’arrivant plus à être satisfaits. Comment pourrait-on vivre dignement avec 1 141 euros par mois alors qu’on est considéré comme pauvre avec moins de mille euros de ressources ?
Une nécessité économique ensuite car l’augmentation du salaire minimum est le meilleur moyen de lutter contre les inégalités, qui ne cessent de croître dans notre pays. Il est plus que temps de redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens. Cela permettrait de faire repartir la consommation des ménages, moteur de la croissance française.
Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : le Gouvernement va-t-il satisfaire les attentes populaires et les besoins du pays en se décidant enfin à augmenter le SMIC ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
En effet, monsieur le député, à gauche nous luttons contre les inégalités sociales.
Nous croyons au travail qui rend sa dignité au travailleur et à la juste rémunération de ses efforts.
Vous m’interrogez précisément sur le rapport que le groupe d’experts vient de nous remettre, rapport provisoire qui a été transmis aux partenaires sociaux. Celui-ci recommande en effet de ne pas donner de coup de pouce au SMIC. Le Gouvernement prendra sa décision le 19 décembre prochain, après consultation des partenaires sociaux.
Là où je ne vous rejoins pas, c’est quand vous prétendez que ce gouvernement n’a rien fait pour améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs modestes. Vous me permettrez de vous rafraîchir la mémoire d’un temps qui n’est pas si lointain.
Qui a instauré la prime d’activité, qui a déjà accompagné la reprise d’emploi de près de 3,5 millions de foyers modestes, dont plus de 420 000 jeunes, pour un montant d’aide moyen de 165 euros par mois ? Pour un célibataire au SMIC, la prime d’activité est l’équivalent d’un treizième mois, soit beaucoup plus qu’un coup de pouce de revalorisation du SMIC. Qui a fait cela, sinon ce gouvernement ?
Qui a modifié la formule de revalorisation du SMIC, afin précisément de mieux prendre en compte les dépenses contraintes telles que le loyer ou l’énergie, qui pèsent sur le budget des ménages ? Qui a décidé, au bénéfice du pouvoir d’achat des plus modestes, d’une revalorisation du RSA de 10 % sur cinq ans, en plus de l’inflation ? Qui a décidé des mesures de baisse voire de suppression de l’impôt sur le revenu des ménages les plus modestes depuis 2014, leur redonnant ainsi six milliards de pouvoir d’achat supplémentaires ?
Je suis désolée, monsieur le député, aucun gouvernement n’aura fait autant pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages.
Y a-t-il des travailleuses et des travailleurs pauvres dans notre pays ? Oui, et beaucoup trop, bien évidemment, mais nous…
Monsieur le Premier ministre, nous examinons en ce moment le projet de loi de finances rectificative pour 2016, exercice traditionnel en fin d’année. Toutefois, la nouveauté, c’est que ce « collectif budgétaire » propose 5 milliards d’euros de crédits supplémentaires…
…par rapport à ce que nous avions voté pour le budget de 2016. Ces dépenses supplémentaires portent essentiellement sur des sous-budgétisations massives : dérapage des dépenses de personnel, explosion des dépenses de l’aide médicale d’État, etc. Vous financez le tout par effet d’aubaine avec des économies sur la charge de la dette et le prélèvement au profit de l’Union européenne. Cela pourrait paraître anodin, mais c’est en fait très grave.
D’abord, parce que nous savons que les taux d’intérêt vont inévitablement remonter.
Ensuite, parce que vous avez ouvert les vannes de la dépense en cette fin de quinquennat, ce qui met en péril le respect des objectifs de déficit pour 2017 – en somme, vous laissez une dette massive aux Français et à vos successeurs. Vous serez donc une nouvelle fois bien largement au-dessus du déficit à 3 % du PIB prévu par Maastricht en raison de votre incapacité à respecter la trajectoire de sa réduction.
Enfin, parce que vous avez d’ores et déjà grevé le budget 2018.
Ainsi, la prochaine majorité devra gérer vos 12 milliards d’euros déjà dépensés et dont le coût sera supporté en 2018 alors que les recettes manqueront à l’appel en raison des crédits d’impôts que vous aurez distribués dès 2017 comme cadeaux électoraux. Hélas, plus rien ne nous étonne avec vous…
…mais, là, cela dépasse tout entendement ! C’est de la cavalerie budgétaire !
Au terme de ce quinquennat, la dette sera toujours galopante ! Quand, monsieur le Premier ministre, aurez-vous le courage de dire la vérité à nos concitoyens sur nos comptes publics, très largement déficitaires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Mesdames et messieurs les députés, monsieur Hetzel, je crois me souvenir qu’à la fin de 2014 et à la fin de 2015, vous aviez entonné le même discours sur l’insincérité budgétaire.
La réalité, monsieur le député, a montré que les résultats de 2015 et de 2016 corroborent à la fois les éléments d’appréciation portés par le Gouvernement pour la préparation de ses budgets et cette sincérité budgétaire que vous semblez mettre en cause.
Aujourd’hui, vous nous interrogez sur le projet de loi de finances rectificative en essayant de laisser penser que nous serions encore dans l’état d’esprit que vous dénoncez alors qu’il a toujours été démenti.
Nous avons, je le crois, rétabli des fondamentaux.
« Ah bon ? » sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
Parmi eux figure le respect des objectifs que nous nous sommes donnés : un déficit de 3,3 %, qui sera atteint avec ce budget, et inférieur à 3 %, qui sera atteint l’année prochaine. Telle est notre action !
Je rappelle que selon le Haut conseil des finances publiques, ces objectifs sont à la fois atteignables et réalistes, ce qui montre le sérieux des prévisions gouvernementales et celui de la commission qui travaille sur ces enjeux, que je veux saluer.
Je vous rassure donc, monsieur le député, quant à vos craintes, dont je comprends par ailleurs qu’elles sont un élément de discours dans une campagne électorale, car elles ne correspondent pas à la réalité de la situation financière.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à Mme Catherine Beaubatie, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Madame la ministre, « l’ambition est d’assurer le bien-être de tous, de la naissance à la mort. De faire de la vie autre chose qu’une charge ou un calvaire, mais aussi d’assurer l’universalité, la solidarité, la répartition et la démocratie d’une exception française ». Voilà les quelques mots qu’employait Ambroise Croizat, ouvrier et alors ministre communiste du travail et de la santé, quand il instituait notre système de protection sociale en 1946.
Vivre sans la crainte, l’angoisse de la prise en charge financière de la maladie ou de l’accident en cotisant selon ses moyens et en recevant selon ses besoins : tel est le principe de notre système de protection sociale.
La Sécurité sociale, c’est notre service public le plus précieux, celui qui permet à chacune et à chacun, en France, d’être soigné dignement et équitablement. Peu de pays, voire aucun, ont un système comme le nôtre, et beaucoup nous l’envient.
La droite, dans le programme qu’elle propose aux Français pour 2017, s’inspire de la politique des années 1980 de Mme Thatcher
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
20 milliards d’euros d’économies, suppression du tiers payant généralisé, de l’aide médicale d’État, et même substitution du secteur public au secteur privé…
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
…c’est-à-dire une Sécurité sociale qui rembourserait seulement les pathologies lourdes et qui laisserait les autres soins à l’assurance privée. Il y aurait même une nouvelle franchise proportionnelle calculée en fonction des revenus des patients. Ce n’est pas notre conception de la Sécurité sociale, un système devant lequel nous sommes tous égaux et qui doit réduire la fracture sociale.
Ainsi, madame la ministre, pouvez-vous nous rappeler le bilan de votre action…
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Mesdames, messieurs les députés, madame la députée, vous avez raison de vous inquiéter
« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains
et d’appeler les Français à s’inquiéter au cas où le projet de la droite et du centre
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
concernant la Sécurité sociale serait appliqué.
En affirmant que les remboursements seraient désormais concentrés sur, je cite, « les maladies graves ou les affections de longue durée », le candidat de la droite ne propose rien moins que de livrer la santé des Français, pieds et poings liés (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) – oui, mesdames et messieurs les députés de l’opposition ! – aux assurances privées.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Cela, ce n’est pas la France !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La France, ce n’est pas laisser l’individu seul face au risque ! La France, ce n’est pas tourner le dos à la solidarité !
L’histoire de notre pays, c’est dire à chacune et à chacun, aux classes moyennes, et pas seulement aux plus pauvres, aux familles comme aux personnes âgées, que lorsqu’elles auront besoin de se faire soigner, quels que soient leurs besoins de santé, le service de santé, les médecins seront au rendez-vous !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Nous devons la vérité aux Français ! Si seules les maladies graves et les affections de longue durée sont remboursées, cela signifie qu’une personne âgée qui souffre d’hypertension devra payer de sa poche 350 euros par an pour se faire soigner.
Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Cela veut dire, mesdames et messieurs les députés, qu’une femme enceinte – parce que ce n’est ni une maladie grave ni une affection de longue durée – devra payer 600 euros pour le suivi de sa grossesse, sans même parler des frais d’accouchement.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste ; vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Alors, il faut dire les choses telles qu’elles sont, dire la vérité : nous devons combatte ce projet parce qu’il est dangereux pour la France et pour les Français. Nous devons défendre la Sécurité sociale et la solidarité !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Romain Colas, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous avons fait de l’école notre priorité.
Une priorité de politique publique, une priorité budgétaire de ce quinquennat, car l’école doit permettre à chacun de construire son avenir et, au-delà, celui de la nation. L’école doit être le lieu qui permet à tous les élèves d’acquérir savoirs et connaissances et, quel que soit leur milieu, quel que soit leur parcours, quelle que soit leur ambition, de tirer le meilleur parti de leurs capacités.
Nous avons renforcé la formation des enseignants ; nous avons créé des postes supplémentaires pour limiter le nombre d’élèves par classe et renforcer l’efficacité pédagogique…
…nous avons, enfin, repensé les zones d’éducation prioritaire. L’école et le collège ont été réformés, pour accroître l’accompagnement individuel des élèves. Mais il faut également soutenir et accompagner les lycées, notamment dans les secteurs les plus fragiles.
Des zones d’éducation prioritaires ont été définies, qui bénéficient de moyens supplémentaires, car les conditions de vie des élèves et de leur famille y sont plus difficiles qu’ailleurs. Les lycées situés dans ces zones ont également besoin de cette mobilisation particulière. Les enseignants doivent y être plus nombreux, bénéficier d’un soutien accru et être reconnus.
Les lycées généraux et professionnels accueillent les jeunes de notre pays à une période charnière. C’est en leur sein que l’on décide de son avenir, que l’on se construit, que l’on devient un citoyen et que l’on apprend un métier.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que les moyens pour les lycées, notamment dans l’éducation prioritaire, sont et seront mobilisés à la hauteur de l’ambition que nous portons, sur ces bancs, pour la réussite de la jeune génération et, par elle, de la France
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le député, la tâche des personnels d’éducation prioritaire est immense, et je veux commencer par les remercier pour leur engagement incommensurable au service des élèves, pour la réussite de tous, quelles que soient leurs conditions sociales ou leurs difficultés scolaires.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Comme vous l’avez dit, nous avons décidé, durant ce quinquennat, de soutenir davantage l’éducation prioritaire, en menant une réforme considérable. Elle a consisté à mettre fin à la superposition de dispositifs illisibles, à mieux accompagner financièrement les écoles et les collèges de l’éducation prioritaire, en leur consacrant 350 millions d’euros supplémentaires, et à faire en sorte que les résultats des élèves s’y améliorent encore plus qu’ailleurs.
La question se pose aujourd’hui pour les lycées de l’éducation prioritaire. Nous avons toujours dit que ce serait la prochaine étape, et nous nous y attellerons au début du prochain quinquennat.
Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Nous le ferons, j’en prends l’engagement !
Mêmes mouvements.
En attendant cette réforme, est-ce que les lycées d’éducation prioritaire perdent des moyens ? La réponse est non ! Tout a été stabilisé pour qu’en termes de moyens, d’indemnités des personnels, comme d’avantages spécifiques liés à la mutation, les choses ne changent pas. Et je répète que la réforme sera menée à bien.
J’en viens maintenant à la vraie question qui se pose derrière tout cela.
« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Les personnels des lycées d’éducation prioritaire nous demandent ce qu’il adviendra de cette réforme si c’est une autre majorité, celle de la droite et du centre, qui arrive au pouvoir.
Mêmes mouvements.
Qui présidera, l’année prochaine, aux destinées de ce pays ? La réponse à cette question ne relève pas de la fatalité, mais du choix politique.
Chacun sait que si la gauche reste au pouvoir, elle mettra davantage de moyens. Si c’est la droite, on a bien compris que cette réforme n’aurait sûrement pas lieu. Peut-être aussi que la réforme des collèges sera détricotée.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je vous le dis : mon engagement, c’est de mener cette réforme. Mon engagement, pour la rentrée 2017, c’est 450 emplois supplémentaires pour mieux encadrer les élèves dans les lycées d’éducation prioritaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain – Exclamations prolongées sur les bancs du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, tant d’agitation ne sert à rien. La réponse de la ministre est la réponse de la ministre. Pensez à l’image que nous donnons, surtout à la veille d’élections !
Monsieur le président, mes chers collègues, je veux dire tout d’abord à Mme la ministre de la santé qu’elle profère des contre-vérités sur les maladies qui, demain, ne seraient plus remboursées : c’est un tissu de mensonges.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le Premier ministre, l’étude internationale TIMSS, qui évalue les performances scolaires en mathématiques et en sciences, vient de livrer ses conclusions. Les résultats des élèves français sont affligeants, et d’aucuns les qualifient même de tragiques.
Notre pays était pourtant l’un des plus brillants il y a vingt ans ! Votre ministre de l’éducation nationale a, comme toujours, l’explication facile : ces résultats s’expliqueraient par le nombre de postes. C’est faux ! Le taux d’encadrement en primaire était de 22,6 élèves par classe en 2009 ; il est de 23 en 2015. Les programmes, alors ? La baisse en mathématiques et en sciences est tendancielle depuis vingt ans.
La formation, enfin ? Ce que nous avons supprimé, et que vous avez rétabli, ne marche pas vraiment.
En revanche, pourquoi avez-vous supprimé le plan « Sciences » et les stages de remise à niveau ? Pourquoi avez-vous réduit l’aide individualisée ? Pourquoi avoir supprimé l’évaluation nationale ? Sa disparition nous rend aveugles sur le suivi des résultats, dont la lecture est renvoyée à d’humiliantes évaluations internationales !
Il faut en réalité engager un véritable choc qualitatif, en donnant une priorité absolue aux savoirs fondamentaux, régulièrement évalués dans leur enseignement et leur acquisition.
L’apprentissage des sciences et des mathématiques passe aussi par la maîtrise du français, qui permet de comprendre les énoncés. Enfin, il faut des enseignants qui aient une solide culture scientifique.
C’est un défi majeur, qui engage la réussite de nos élèves et la compétitivité de notre pays. Cela mérite mieux, en tout cas, que de vaines polémiques et de piètres explications. Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour répondre à cette situation ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la députée, je veux bien qu’on prenne les Français pour des imbéciles, mais il y a des limites à tout !
Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
De quoi parlons-nous ? D’une étude internationale qui porte sur quarante-neuf pays, et qui vient de démontrer que les petits élèves français de CM1, qui ont été testés en 2015, ont obtenu parmi les plus mauvais résultats. Or ces enfants ont commencé leur scolarité élémentaire en 2011 : sur quoi ont-ils vécu ? Sur des programmes que vous avez adoptés en 2008, et que nous avons changés à la rentrée dernière. Vous comprendrez que ces nouveaux programmes n’aient pas encore produit leurs effets, puisqu’ils viennent juste d’entrer en vigueur !
Ce sont des élèves qui, par ailleurs, ont connu un système éducatif marqué, sous votre majorité, par des suppressions de postes et par la suppression de la formation initiale des enseignants.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Comment voulez-vous que les professeurs des écoles soient à l’aise dans l’enseignement des mathématiques s’ils n’ont pas été formés pour le faire ?
Madame la députée, soyons sérieux !
Vous me parlez d’évaluation : je relève que je suis la première ministre de l’éducation nationale à avoir demandé à ce que notre pays participe à cette évaluation TIMSS, parce que je veux que les choses soient claires. Je veux que les Français sachent que vous avez mené une politique éducative délétère qui a sabordé le système éducatif français.
Nous le relevons depuis 2012. Rendez-vous en 2019, pour évaluer le niveau des élèves grâce à notre politique !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le Premier ministre, dans une tribune publiée dans le journal Les Échos, vous avez posé le constat suivant : « La mondialisation ne fait pas que du bien ! Elle fait aussi beaucoup de dégâts. Elle exerce une pression sur les travailleurs ». Puis, vous avez élaboré des pistes de réflexion pour « humaniser, orienter, réguler la mondialisation […] au service des peuples ». Vos propos sont d’une cruelle actualité. Les 239 salariés de l’usine Seita de Riom, comme les 87 de Fleury-les-Aubrais, ont brutalement appris hier la fermeture de leur outil de travail, dès 2017. Ils ne pourront que partager vos constats, face à ce qui est une délocalisation exclusivement boursière.
En effet, le groupe Imperial Tobacco, propriétaire à 100 % de sa filiale Seita France, génère des bénéfices colossaux et en constante augmentation chaque année. Il s’agit d’une délocalisation en Pologne et en Allemagne, donc en Europe, dont les salariés et leur famille ne sont nullement responsables.
Certains d’entre eux sont même arrivés à Riom il y a tout juste un an, après avoir subi la fermeture du site de Carquefou, cher à mon collègue Michel Ménard. Cette multinationale jette des salariés, leurs familles et toute la région de Riom dans le désarroi.
Monsieur le Premier ministre, face à l’injustice qui touche les salariés et le bassin riomois, nous nous tournons vers vous. Face à cette décision inique prise par Imperial Tobacco, quelle va être la réaction du gouvernement français ?
À défaut, quelle aide et quel accompagnement l’État entend-il apporter aux personnels et à l’ensemble des acteurs locaux mobilisés pour rechercher des repreneurs pour le site ? Comment protéger les salariés de cette violente « insécurité économique », que vous dénonciez dans votre tribune ? Enfin, monsieur le Premier ministre, est-il moral et acceptable de continuer à verser du CICE à une entreprise qui pratique ainsi la délocalisation boursière, et donc les licenciements boursiers ?
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la députée, vous nous alertez fort judicieusement sur la situation extrêmement difficile née de la décision du groupe Seita, qui a été racheté par le groupe britannique Imperial Tobacco, de fermer son implantation à Riom et à Fleury-les-Aubrais. Vous avez été reçue hier par mon cabinet, qui rencontre également le groupe au moment où je m’exprime, afin d’obtenir des informations, mais également des explications, sur les motifs de la décision de supprimer toute implantation sur le territoire national. Ces informations nous permettront de fixer des exigences relatives au dialogue avec les organisations syndicales et les pouvoirs publics ou à la prise en charge par le groupe d’une partie des conséquences de cette décision, si elle est inéluctable.
Madame la députée, je tiens à vous dire combien mon ministère et l’ensemble du Gouvernement, notamment les services de Myriam El Khomri, sont mobilisés dans le suivi de cette décision, que vous avez raison de qualifier d’extrêmement difficile. Nous sommes confrontés à des groupes qui ont des stratégies internationales, que nous contestons lorsque nous n’avons pas d’explications véritables sur les motivations en dehors de celle de l’augmentation des profits. Sachez que nous veillerons à donner le plus d’explications aux organisations syndicales, aux salariés et à leurs familles.
Monsieur le Premier ministre, il y a quinze ans, la Chine accédait à l’Organisation mondiale du commerce – OMC. Le protocole d’adhésion prévoyait que le 11 décembre 2016, c’est-à-dire dans exactement huit jours, la Chine obtiendrait automatiquement le statut d’économie de marché. L’accession à ce statut rend caduques toutes les mesures de défense commerciale prises par l’Union européenne, notamment cinquante-six des soixante-treize mesures anti-dumping qui concernent la Chine. N’importe quel importateur obtiendrait, devant n’importe quel tribunal français ou étranger, l’annulation des droits de douane contre la Chine.
Or la Chine n’est pas une économie de marché. Elle reste lourdement subventionnée par l’État chinois et les salaires y sont très bas. En outre, les échanges avec la Chine représentent la moitié de notre déficit commercial – 30 milliards sur 60 milliards d’euros. Enfin, on estime que 350 000 emplois en France seraient directement concernés en cas de suppression des mesures de défense commerciale. Comme les États européens ne sont pas d’accord entre eux et que personne n’ose dire la vérité aux Chinois, à savoir qu’ils n’ont pas le droit d’obtenir ce statut, c’est la Commission européenne qui s’est emparée du sujet. Elle s’est réveillée brutalement le 9 novembre, un mois avant la date butoir. Elle est en train de fabriquer une directive, qui doit prévoir une nouvelle base juridique pour d’éventuelles mesures de compensation contre les importations chinoises à bas prix.
Monsieur le Premier ministre, puisqu’on ne vous a pas beaucoup entendu – c’est une litote – sur ce sujet, vous me permettrez de vous poser plusieurs questions. Premièrement, que comptez-vous dire aux Chinois le 11 décembre ? Deuxièmement, quelle est votre évaluation de la future directive européenne, s’il y en a une ? Troisièmement, allez-vous la transmettre au Parlement français afin qu’il puisse en évaluer les conséquences sur l’emploi dans notre pays ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
Monsieur le député, nous avons souvent l’occasion de discuter de la question de la mondialisation, du retour des règles après trente années de dérégulation néolibérale et du retour de la puissance publique en la matière. Le Premier ministre a récemment rappelé, dans une tribune, la stratégie française sur le sujet que vous évoquez, qui concerne la Chine, mais également bien d’autres pays du monde, comme les États-Unis ou d’autres pays émergents.
S’agissant de la question du statut d’économie de marché, vous avez raison de rappeler que la Chine a accédé à l’OMC en 2001 et que le protocole d’accession prévoit certaines dispositions. Nous travaillons depuis de longs mois avec la Commission européenne pour pouvoir continuer à prendre des mesures de protection et d’anti-dumping, y compris après la fin du délai de quinze ans. Où en sommes-nous ? Au mois de juillet dernier, après avoir eu, c’est vrai, des tentations contraires, l’Union européenne a convenu que la Chine n’était pas une économie de marché et décidé qu’elle n’aurait pas ce statut, y compris à l’échéance de décembre 2016.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Nous avons, par ailleurs, travaillé sur une nouvelle procédure de calcul pour mettre précisément en oeuvre les instruments de réciprocité. Nous sommes en train d’évaluer dans tous ses aspects légaux la proposition de la Commission européenne, qui a été formulée le 9 novembre. Le coeur du sujet est la méthode de calcul, qui permet de prouver s’il y a ou non dumping. Si la preuve est impossible à apporter, nos entreprises seront évidemment pénalisées. Nous sommes maintenant sur la bonne voie : la France et l’Europe devraient pouvoir maintenir leurs mesures antidumping et leur politique de protection efficace et réactive, destinées à protéger nos usines, nos industries et nos emplois.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, nous sommes à mi-parcours de la période d’attribution des fonds européens qui court entre 2014 et 2020. Pourtant, l’Agence de services et de paiement – ASP – est toujours incapable de procéder au déblocage des sommes liées au programme de développement rural LEADER. La finalisation du logiciel OSIRIS, censé permettre ces paiements, est prévue dans le meilleur des cas pour avril 2017.
Certaines communes ont des budgets si tendus qu’elles préfèrent ne pas lancer des projets finançables par le programme LEADER, faute d’assurance sur le paiement. Il en est de même pour des porteurs de projets privés, entreprises ou associations.
Certaines régions dont la Bretagne, qui sont désormais autorités de gestion, ont décidé de suppléer aux carences de l’ASP et d’avancer sur leurs fonds propres les sommes du programme LEADER pour les porteurs de projets privés, tout en bloquant jusqu’à plus ample information toute programmation LEADER.
Le 23 novembre dernier, vous avez réuni un comité État-région associant, aux côtés de vos services et de ceux de l’Agence de services et de paiement, des représentants de l’ensemble des régions de France, dont la Bretagne. Il s’agissait de faire état du caractère inextricable de la situation actuelle et surtout de proposer des solutions pour sortir de l’impasse.
Vous aurez sans doute pu mesurer ainsi l’inquiétude légitime des représentants des régions et compris l’urgence qu’il y a à provoquer une forte mobilisation collective permettant de payer, le plus tôt possible en 2017, tous les bénéficiaires du FEADER dans toutes les régions.
Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure d’obtenir de l’Agence de services et de paiement un calendrier précis concernant le paiement des mesures des fonds LEADER ? Par ailleurs, envisagez-vous la possibilité pour les régions de bénéficier d’une plus grande autonomie dans le paiement des fonds LEADER, au-delà de l’obligation d’en passer par un système informatique unique et centralisé qui montre aujourd’hui ses faiblesses ?
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le député, vous avez évoqué le programme LEADER. Tout d’abord, si nous en parlons aujourd’hui, c’est qu’il a été défendu à l’échelle européenne au moment où étaient discutés et la réforme de la PAC et le budget de l’Europe. Je voudrais le rappeler parce que le Président de la République et le ministre de l’agriculture que vous interrogez se sont mobilisés pour défendre ce programme. Si nous pouvons parler aujourd’hui de LEADER, c’est parce qu’il y a trois ans nous l’avons défendu.
Vous avez ensuite évoqué le fameux système informatique OSIRIS, qui permet à l’ASP de verser les aides du deuxième pilier. Le choix avait été fait en début de quinquennat de déléguer la gestion du deuxième pilier aux régions, alors que l’ASP est un système centralisé. Décentraliser en déléguant une partie de la gestion aux régions tout en conservant un système informatique centralisé n’est pas nécessairement le moyen le plus simple d’atteindre ses objectifs.
Nous avons réuni un comité État-région sur le deuxième pilier avec le président de l’Association des régions de France, M. Richert, afin d’évoquer les solutions mutuelles que doivent apporter l’État, pour simplifier les procédures, et les régions, l’État devant partager avec les régions une partie des mesures à mettre en oeuvre pour obtenir le versement des aides MAE – mesures agroenvironnementales – et LEADER. Un accord a été trouvé pour permettre aux animateurs des groupes d’action locale, qui sont au coeur du processus LEADER, de lancer rapidement au début de l’année prochaine les projets LEADER. Ensuite arriveront l’ensemble des aides LEADER. Telle est la décision qui a été prise.
Vous l’avez rappelé, la région Bretagne a mis en oeuvre la possibilité de lancer dès la fin de l’année ce processus.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le Premier ministre, c’est mon incompréhension profonde et totale, ainsi que celle de nos concitoyens médusés, que je souhaite vous livrer dans l’hémicycle. « Il n’y a pas de crise institutionnelle », déclarez-vous à l’envi : juste un Premier ministre qui veut se porter candidat à la présidentielle contre le Président de la République, juste des anciens ministres, chaque jour plus nombreux, eux-mêmes candidats contre leur ancien Premier ministre, juste un Président de l’Assemblée nationale qui enjoint le Premier ministre à se porter candidat contre le Président.
Mais à part ça, il n’y a pas de crise institutionnelle. Nous y croyons tous.
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Vous en oubliez même que nous sommes en état d’urgence – vous avez vous-même annoncé que nous le resterions –, que nos policiers exténués ont battu le pavé pour vous crier leur besoin de considération et les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs missions, et que l’ensemble des forces de sécurité vous attendent.
Or que reçoivent-ils de votre part ? Le 10 novembre dernier, une circulaire des procureurs aux commissaires de police, qui les oblige à appliquer dans un délai de cinq jours des mesures archifavorables aux prévenus dans toutes les procédures, des lourdeurs insupportables dans les enquêtes, des retranscriptions que leurs logiciels n’autorisent même pas, sans parler du scandale des dysfonctionnements des systèmes d’écoute téléphonique.
Alors, me direz-vous, c’est l’Europe. Non. Le Premier ministre d’un pays que le terrorisme a frappé si durement ne peut pas se contenter de transposer des décisions technocratiques absconses : il doit les infléchir et a minima, comme vingt pays européens l’ont fait, en différer sine die l’application.
Ma question est simple, monsieur le Premier ministre : faudra-t-il qu’un nouveau drame frappe la France pour que les plus hautes autorités de notre État sortent enfin de leur chicaya politicienne et s’occupent des Français, de leur sécurité et de leurs forces de l’ordre ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, la première partie de votre question était plaisante à entendre. On ne savait pas tout à fait à qui elle s’adressait. Le président de l’Assemblée nationale ne peut pas répondre ; me dévouant, je me préparais à le faire.
Mais la fin de votre question me pose un vrai problème. Face aux actes terroristes que la France a subis, devant ces dizaines de morts et de blessés, toutes ces victimes, alors que notre pays a été profondément traumatisé et qu’une menace lourde pèse non seulement sur nous et sur de nombreux pays européens mais aussi sur le monde, est-ce que l’Assemblée nationale au moins, comme nous avons su le faire à chaque fois, sur ce sujet-là, et comme c’est le cas dans de nombreux pays, est-ce que nous ne pourrions pas nous montrer dignes et à la hauteur de la menace et de ce que les Français attendent ? Tout de même !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Nous pouvons, bien sûr, les uns et les autres, c’est normal, diverger sur de nombreux sujets.
Nous l’avons vu il y a un instant. C’est la force de notre pays, c’est la force d’une démocratie que de continuer à débattre sur les orientations que chacun proposera au pays dans quelques mois, parce que c’est le destin de la France qui est en jeu, qu’il s’agisse de l’éducation, du modèle républicain, du modèle social ou de notre vision de l’État et du service public.
Comme, j’en suis convaincu, chacun d’entre vous, j’ai une conviction : alors que nous sommes en guerre – en tout cas le terrorisme nous mène cette guerre –, alors que nous avons des soldats engagés au Sahel et au Levant, dont je veux encore saluer l’héroïsme,
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
alors que nos forces de sécurité et nos magistrats luttent ensemble contre le danger que représente le terrorisme – lisez la presse de cet après-midi sur les risques que représentent aujourd’hui ceux qui combattent nos forces et nos valeurs au Levant –, tout de même, monsieur le député, affirmer que le Président de la République et le Gouvernement n’ont pas pris la mesure des événements que nous connaissons, c’est diviser. Or la division, c’est précisément ce que cherchent les terroristes
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
et moi, inlassablement, je serai pour l’unité et le rassemblement face au terrorisme.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Philip Cordery, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Ma question s’adresse à Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie, et concerne les brevets européens.
L’Office européen des brevets s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise. La pression au travail, le mépris des principes élémentaires du droit du travail et la gestion managériale autoritaire ont créé une situation sociale inédite dans une organisation internationale. En cette année 2016, trois représentants syndicaux ou du personnel ont été licenciés, un autre a été rétrogradé, tandis que d’autres procédures disciplinaires sont en cours. Plus grave encore : ces dernières années, cinq salariés se sont suicidés, dont deux sur leur lieu de travail.
J’aurais préféré vous parler aujourd’hui du sérieux et de la qualité du travail des agents, tous dévoués dans leur mission au service de l’industrie et de l’innovation européennes, ou du rôle essentiel de l’Office européen des brevets dans le domaine de la propriété intellectuelle.
Hélas, nous ne pouvons que déplorer, depuis plusieurs années, les agissements d’une direction aux méthodes dignes d’une autre époque, qui ignore à la fois les décisions de justice et celles de son propre conseil d’administration. Va-t-elle également ignorer la décision du tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail – OIT – rendue ce matin, dénonçant entre autres l’organisation interne de l’Office ? L’immunité de juridiction dont jouit cette organisation internationale ne peut être synonyme d’impunité !
Alors, n’ayons pas peur de le dire : aujourd’hui, la présence du Français Benoît Battistelli à la tête de l’Office nuit gravement à l’image de notre pays. Ses agissements risquent d’avoir des conséquences désastreuses sur la qualité des brevets européens. Jamais l’environnement concurrentiel qui existe autour des brevets ne pourra excuser les dérives de l’équipe dirigeante. Jamais !
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quels sont les moyens d’action de la France et de ses partenaires européens pour mettre un terme à ces pratiques, réintégrer les salariés licenciés abusivement et faire en sorte que l’Office européen des brevets soit à nouveau au service de l’industrie européenne et de la croissance ?
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le député, je veux d’abord me joindre à vous pour saluer l’engagement des agents de l’Office européen des brevets au service de la protection de la propriété intellectuelle dans l’ensemble des États membres de cette organisation internationale.
Comme vous, je regarde avec beaucoup d’inquiétude le climat social qui règne au sein de l’Office et qui s’est fortement dégradé au cours des deux dernières années. En effet, plusieurs éléments extrêmement préoccupants nous alertent.
Concernant les cas de suicides, des procédures sont en cours : je ne les commenterai donc pas. Il n’en demeure pas moins que nous avons l’obligation de constater qu’à plusieurs reprises, les agissements de la direction de l’Office européen des brevets ont fait l’objet de condamnations par les instances judiciaires des Pays-Bas, par les instances de l’OIT et par le conseil d’administration de l’Office, dans lequel la France joue un rôle extrêmement important. Du reste, une décision récente du tribunal administratif de l’OIT a confirmé le caractère extrêmement négatif des décisions prises par cette direction.
Plusieurs actions ont été menées. Au conseil d’administration d’octobre 2015, un audit externe sur la situation sociale a été demandé, notamment par la France. Lors du conseil d’administration de mars dernier, nous avons également fait adopter une résolution qui désapprouve les méthodes utilisées envers les représentants syndicaux. Cette même résolution prévoit une suspension des procédures disciplinaires.
Malheureusement, M. Battistelli a fait le choix de ne pas respecter l’orientation adoptée par son conseil d’administration. J’ai échangé avec lui par téléphone, et je lui ai dit mon mécontentement par rapport à cette situation.
Nous continuons bien évidemment à faire pression, avec d’autres, pour que soient entendues les causes que je crois justes des salariés que vous avez évoqués. Je dois reconnaître que nous manquons d’alliés dans ce dossier, mais soyez sûrs de notre détermination à faire respecter les droits des salariés !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture. J’y associe mes collègues Yannick Favennec, Thierry Benoit et, naturellement, l’ensemble des membres du groupe UDI.
En 2012, le candidat François Hollande s’était engagé à améliorer le niveau des pensions versées aux anciens agriculteurs, en faisant appel à la solidarité nationale. En 2014, une attribution gratuite de points de retraite complémentaire a été décidée. À l’horizon 2017, elle devait porter les plus petites retraites agricoles à 840 euros, soit 75 % du SMIC net.
Mais la dépense correspondante a été mise à la charge du régime des retraites complémentaires obligatoires agricoles. Or vous le savez, monsieur le ministre, la pérennité financière de ce régime est menacée. Ses réserves seront épuisées à la fin de cette année. Si rien n’est fait rapidement, d’ici un an, il sera déficitaire de 120 millions d’euros. Le versement des pensions de nos agriculteurs est en péril.
Monsieur le ministre, pour combler le trou, vous annoncez une hausse de deux points de cotisation de cette retraite complémentaire. Cela représente une hausse de 66 % à la charge des actifs, et donc une nouvelle ponction sur les revenus des agriculteurs. Est-il sérieux d’imposer une telle charge nouvelle à notre agriculture, dans le contexte de crise profonde qu’elle connaît aujourd’hui ? Je ne le crois pas, et je suis persuadé que vous partagez mon sentiment.
Que resterait-il alors de la promesse électorale du candidat François Hollande ? De son appel à la solidarité nationale ?
Aussi, monsieur le ministre, quelles dispositions comptez-vous prendre pour que le financement des revalorisations des petites retraites agricoles soit assuré sans imposer une charge nouvelle à la profession agricole ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Monsieur le député, permettez-moi d’abord de rappeler qu’une revalorisation des retraites à 75 % du SMIC avait été votée en 2001. Je ne reviendrai pas sur l’histoire, mais une alternance a eu lieu. Pendant dix ans, la majorité à laquelle vous avez participé, monsieur le député, n’a rien fait pour revaloriser les retraites agricoles.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Les engagements du candidat devenu président François Hollande sur les retraites agricoles ont été mis en oeuvre. Vous en avez débattu en 2014, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Nous atteindrons les objectifs que nous nous sommes fixés pour 2017 s’agissant de la retraite complémentaire obligatoire, en particulier pour les femmes, et de la revalorisation de la retraite à 75 % du SMIC. Engagements pris, engagements tenus !
Reste à savoir comment sera assuré le financement de ces mesures. C’est sur ce point que porte votre question. Nous avions décidé d’agir sur trois grands leviers.
Le premier consistait à utiliser les réserves de la Mutualité sociale agricole – MSA – et à les mobiliser pour la revalorisation des retraites agricoles. Je pense que vous approuvez cette disposition.
La deuxième mesure, qui devait rapporter 160 millions d’euros de recettes, consistait à remettre à niveau l’assiette des cotisations sociales en empêchant certaines optimisations. Cependant, ces optimisations ont malheureusement été poursuivies dans le cadre d’autres outils, si bien que les recettes que nous espérions n’ont pas été au rendez-vous. Nous disposons à ce jour de 30 millions d’euros sur les 160 millions anticipés.
Le troisième point sur lequel nous avions trouvé un accord était l’augmentation de 1,3 % des cotisations pour financer l’ensemble des mesures prises en faveur des retraites agricoles. Toutefois, cette augmentation n’a pas été demandée. Nous avons aujourd’hui décidé de faire appel à la solidarité nationale pour atteindre notre objectif sans augmenter les cotisations. Il faudra alors débattre de la façon dont on financera la solidarité lorsqu’on veut réaliser plusieurs centaines de milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, au titre des députés non inscrits.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. J’y associe Bruno Le Roux et tous les collègues siégeant sur les différents bancs de notre assemblée avec lesquels j’ai travaillé sur la question de la candidature de la France à une exposition universelle en 2025. En novembre 2014, nous avons proposé que la France soit candidate pour la première fois depuis plus d’un siècle à l’organisation d’une grande et nouvelle exposition universelle.
Le rapport de la mission d’information prenait le relais de travaux lancés par un millier de jeunes issus de grandes écoles et d’universités, des dizaines d’entreprises, rejoints par des dizaines de milliers de Français qui se sont associés à cette initiative. C’était le projet de candidature de toute la France, représentant la diversité de nos territoires, de nos cultures, de nos entreprises. C’était l’idée qui a présidé aux grandes expositions du XIXe siècle que tout un pays se mette en mouvement pour accueillir le monde.
La semaine dernière, le Président de la République a officiellement notifié la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025 sur un thème extrêmement emblématique « La connaissance à partager, la planète à protéger ». Avec le délégué interministériel, nous sommes allés présenter la candidature de la France aux cent soixante-dix pays membres du Bureau international des expositions. Il s’agissait de partager avec tous les pays du monde cette formidable ambition de proposer au monde un rendez-vous en France en 2025. Rappelons-nous qu’en 1900, cinquante millions de visiteurs sont venus en France.
Ma question est simple, monsieur le Premier ministre, mais elle est terriblement ambitieuse. Qu’est-ce que le Gouvernement qui a joué un rôle fondamental dans ce projet va mettre en oeuvre pour amorcer d’ici à 2018 cette grande ambition ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
Monsieur le député, je veux d’abord saluer le rôle que vous avez joué avec le président Le Roux et beaucoup d’autres en portant depuis plusieurs années cette candidature. Je tiens donc à vous saluer pour ce travail et vous en remercier.
Vous l’avez rappelé, le Président de la République a officiellement présenté la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025 au secrétariat général du Bureau international des expositions. Ce sont désormais les cent soixante-dix États membres de ce Bureau qui vont, à l’automne 2017, choisir quel sera le pays hôte pour 2025. Le thème en est « La connaissance à partager, la planète à protéger ». Il permettra dans la continuité de la COP21 de travailler sur la santé, l’éducation, la culture, l’environnement et les nouveaux modèles de développement à inventer en la matière.
Maintenant, la campagne pour être le pays hôte en 2025 s’engage. Vous l’avez dit, c’est une campagne qui doit rassembler le pays dans son ensemble, au-delà des différences. Nous demandons à nos ambassadeurs dans le monde entier de se mobiliser pour relayer cette candidature dans les différents pays et pouvoir obtenir l’appui du plus grand nombre possible de pays.
Il y a également une mobilisation de terrain. Le 8 septembre, toutes les parties prenantes, notamment les collectivités, la Ville de Paris, la région, la métropole, se sont réunies autour du Premier ministre. Tous ont confirmé unanimement leur soutien à ce projet. La constitution du groupement d’intérêt public est en cours pour permettre de rassembler tout le monde, porter cette candidature, assurer un pilotage collectif sous l’égide de Pascal Lamy que je remercie et salue aussi pour l’importance du travail qu’il a effectué.
Vous l’avez dit, la Francea une relation particulière aux expositions universelles. Nous en avons accueilli cinq, nous sommes prêts à en accueillir une nouvelle, montrant que nous sommes un grand pays d’accueil, un grand pays d’hospitalité.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Elle porte sur la situation extrêmement difficile des chambres des métiers et de l’artisanat.
Maillons indispensables des artisans qu’elles représentent, aident et accompagnent tout au long de leur développement et également acteurs indispensables dans le domaine de l’apprentissage, les chambres des métiers et de l’artisanat ont vu, ces dernières années, leur situation financière se dégrader considérablement.
En effet, les collectifs budgétaires présentés par votre majorité tout au long de cette législature ont particulièrement mis à mal les ressources des chambres des métiers, des chambres consulaires au sens large. Il semblerait que le ministre de l’agriculture continuerait dans cette voie, en poursuivant cet élan, avec le financement de la filière bois et des chambres d’agriculture. Depuis 2013, pour les chambres des métiers, le montant des ressources plafonnées initialement fixé à 280 millions d’euros, ce plafond a été abaissé à 245 millions d’euros en 2014, puis abaissé d’environ 1 million d’euros les années suivantes pour aboutir à une baisse totale d’environ 12,5 % du plafonnement.
C’est encore votre majorité qui a voté, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative du 8 août 2014, un prélèvement sur le fonds de roulement des chambres des métiers. Selon votre habitude, vous avez pénalisé les bons gestionnaires. Voilà autant de mauvais signaux envoyés par votre majorité à ceux qui représentent la première entreprise de France.
Avec la loi dite Pinel du 18 juin 2014, votre majorité a mis fin à la dispense de la taxe pour frais de chambre des micro-entreprises et des auto-entrepreneurs, dans le but de financer les chambres consulaires. Depuis le 1er janvier 2015, les micro-entreprises doivent donc obligatoirement verser cette taxe dont le montant est proportionnel au chiffre d’affaires et recouvré en même temps que les cotisations sociales.
Toutefois, les chambres des métiers et de l’artisanat n’ont à ce jour toujours pas perçu le moindre centime d’euros prélevés sur les micro-entreprises. Où est passé cet argent ?
Face à cette situation qui grève fortement les capacités de financement des chambres consulaires, pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, indiquer à la représentation nationale quand le Gouvernement entend assurer le financement des chambres des métiers et de l’artisanat.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, quel était le constat de départ ? D’abord, une forte hausse des recettes de taxes affectées, de l’ordre de 20 % entre 2002 et 2012. Le constat de départ, c’était une réorganisation, une modernisation du réseau dont tout le monde considérait qu’elle était nécessaire, qui permettait à la fois d’importantes économies, mais aussi plus d’efficacité. Comme vous l’avez dit, c’est le sens du travail qui a été engagé dans le cadre de la loi du 14 mars 2016 relative aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat. Les économies qui ont été demandées et qui sont réelles ont été étalées dans le temps pour que nous puissions tenir compte des incidences sur le budget de chacune de ces chambres consulaires.
Nous tenons compte des efforts qui ont été engagés. Et c’est parce que nous en tenons compte, que le Gouvernement a décidé pour 2017 que la baisse demandée ne serait pas de 100 millions d’euros, mais de 60 millions. Cela nous paraît être un point d’équilibre entre les contraintes budgétaires et les capacités d’économies.
Je voudrais néanmoins revenir sur ce que vous mentionniez concernant le fonds de péréquation. Le fonds de péréquation, ce n’est pas la pénalisation des meilleurs élèves,
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
mais la prise en compte d’une solidarité entre les différentes chambres consulaires. Il est important que les chambres consulaires dynamiques soient conscientes que dans le réseau, elles ont besoin d’accompagner des chambres consulaires qui sont parfois dans des secteurs plus isolés, avec des difficultés plus grandes.
De ce point de vue, nous avons maintenu un fonds de péréquation mis en place en 2016 à hauteur de 20 millions d’euros par an. Il s’agit là d’entraide, et nous ne pouvons qu’admettre que cette entraide est nécessaire dans le réseau.
La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le Premier ministre, lundi soir, les représentants des régions Hauts-de-France et Île-de-France et des départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme et de l’Oise, réunis sous l’autorité du secrétaire d’État chargé des transports, ont trouvé un accord sur le protocole financier du Canal Seine-Nord Europe, grâce notamment à un nouvel effort de la région Hauts-de-France et de nos départements.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Dans un contexte budgétaire difficile, nos collectivités font donc le choix de la relance économique par l’investissement. Avec mon collègue Arnaud Richard et les députés concernés par le tracé, nous les en remercions et saluons leur sens des responsabilités.
Il reste cependant encore des décisions à prendre pour que ce projet devienne enfin réalité. Les premières concernent, bien sûr, sa gouvernance.
Le 26 septembre dernier, à Calais, le Président de la République fixait un cadre : une société de projet en place avant la fin de 2016 pour construire le canal et un groupement d’intérêt public pour en assurer les retombées économiques. Le 26 octobre, M. Alain Vidalies me répondait à propos de cette question de la gouvernance que les décrets étaient prêts et qu’il allait saisir le Conseil d’État, précisant quelques jours plus tard à mon collègue Jean-Jacques Cottel que le décret relatif à la gouvernance serait publié dès que le protocole financier serait établi. À la suite de la réunion de lundi, le décret va donc être transmis au Conseil d’État pour être enfin publié avant la fin de 2016. Vous-même, monsieur le Premier ministre, avez récemment confirmé à Bapaume qu’un premier coup de pioche serait donné en 2017, pour une mise en eau en 2023.
Ainsi, l’État, majoritaire dans la société, a désormais entre ses mains une décision très attendue. Monsieur le Premier ministre, ma question est donc simple et directe, afin de faciliter de votre part une réponse également simple et directe : qui allez-vous proposer pour présider cette structure et engager la phase opérationnelle, tant attendue, du canal Seine-Nord Europe ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Monsieur le député, vous connaissez bien ce dossier, dont vous avez rappelé les étapes essentielles. Je rappellerai pour ma part qu’il était totalement dans l’impasse en 2012,…
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
…parce que d’autres projets avaient été évoqués, que le Premier ministre a pris la décision de le relancer et que M. Rémi Pauvros, que je tiens à saluer, a remis un rapport sur la base duquel nous avons travaillé tous ensemble. Le Gouvernement a ensuite rédigé l’ordonnance du 21 avril, qui jette les bases législatives de la constitution de la société de projet.
Il a ensuite fallu engager des négociations longues et difficiles avec l’Europe. Alors qu’aujourd’hui tout le monde vante ce projet, il a d’abord fallu beaucoup convaincre, car de nombreux projets étaient présentés à l’Europe, pour 40 % de subventions. En un temps où l’Europe est beaucoup critiquée et où tous les populistes s’emparent de ces questions, ne manquons pas, lorsqu’est financé un aussi beau projet, qui n’est faisable que grâce à l’Europe, de le rappeler à nos concitoyens, notamment sur ces territoires.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Ensuite a eu lieu la négociation. Elle a été difficile – il y a fallu trois réunions et des heures de discussions –, mais dans un esprit constructif de la part de toutes les parties. Je tiens à saluer comme vous l’effort accompli par la région Hauts-de-France pour permettre de finaliser l’engagement budgétaire.
Je rappelle à cet égard le principe posé : 50 % proviennent de l’État – qui, pour ce qui concerne ce gouvernement et cette majorité, a toujours été au rendez-vous – et 50 % des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, l’accord existe. Le texte prévoit qu’une fois que le protocole aura été évoqué, nous pourrons publier le décret. Celui-ci, qui dépendait du protocole, est en voie de finalisation.
Reste une question subsidiaire que vous me posez : celle de savoir qui pourra diriger ce projet. Il se trouve que je n’ai pas le temps de vous répondre.
Protestations sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.
Nous le ferons au moment opportun. Ce n’est pas la question essentielle. La question essentielle, c’est le projet.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, le gouvernement auquel vous appartenez est malheureusement en train de réaliser cette triste prophétie de Mauriac : « C’est merveilleux, la vieillesse. Dommage que ça finisse si mal ».
Savez-vous que les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – de notre vieux pays connaissent d’immenses difficultés ? Je suis, pour ma part, admiratif de leurs personnels, qui accueillent nos aînés, prennent soin d’eux et les accompagnent,
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
malgré des conditions de travail toujours plus difficiles et, surtout, un manque pathétique de moyens.
Ainsi à Tourcoing, la résidence des Flandres a augmenté sa capacité d’hébergement de 30 % sans que les ressources de fonctionnement soient au rendez-vous. Malgré les incessantes relances de l’adjointe au maire auprès du directeur de l’Agence régionale de santé – ARS – il manque encore à cet établissement 400 000 euros.
Comment diriger des établissements avec si peu de visibilité et dans un contexte d’alourdissement de la dépendance, comme à Bousbecque ou à Roncq ? Tourcoing n’est en outre que l’arbre qui cache la forêt d’une misère sidérante, dont je peux témoigner, sur l’ensemble de ma circonscription.
Le pire, c’est que je connais déjà votre réponse, les éléments de langage d’un gouvernement qui préfère dénoncer sans aucune impartialité le programme à venir de la droite plutôt que de faire son autocritique.
Avec Bernard Gérard, nous écoutons les infirmières, les médecins et les aides-soignantes,
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
qui nous parlent du désastreux bilan des trente-cinq heures à l’hôpital et peuvent en parler mieux que quiconque.
Madame la ministre, au lieu de vous ériger en chevalier blanc de cette fonction publique hospitalière que vous avez conduite dans une terrible situation, qu’allez-vous faire pour répondre aux attentes très fortes de ces personnels soignants, qui assurent la continuité du service public ?
Louis Barthou disait que la vieillesse peut devenir une parure sans être une abdication. N’abdiquez pas, madame la ministre, mais parez nos EHPAD des moyens nécessaires !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, avant de répondre précisément sur la situation de votre EHPAD, je tiens à dire que lorsque j’apporte mon soutien à toutes celles et ceux qui travaillent au quotidien dans les établissements pour personnes âgées dépendantes, je le fais en conscience et en leur apportant le soutien nécessaire et les moyens de leur action. Je sais qu’ils et elles travaillent souvent dans des conditions difficiles.
Ce n’est pas en leur préparant un temps de travail de trente-neuf heures payées trente-sept, comme le fait votre candidat,
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
que vous allez améliorer la situation du travail dans les EHPAD, ni dans aucune administration de santé, ni dans aucun hôpital de France.
Vous évoquez la situation de la résidence des Flandres, EHPAD géré par le centre communal d’action sociale – CCAS – de la ville de Tourcoing, et relayez les inquiétudes qui s’expriment au moment où doit être actualisée la convention unissant le département, le CCAS et l’Agence régionale de santé pour fixer les moyens de l’établissement.
Vous déplorez l’absence de réponse. Or, la première réponse qui vous a été apportée, ce sont des moyens financiers. L’Agence régionale de santé s’est en effet mobilisée depuis le mois de septembre dernier et a attribué des crédits supplémentaires à cet EHPAD, dont je vous annonce – et je ne doute pas que vous saluerez l’action du Gouvernement en la matière – qu’ils seront pérennisés en 2017, ce qui permettra de porter les crédits relevant de l’Agence régionale de santé à 1,3 million d’euros.
Vous savez que les crédits d’un EHPAD ne relèvent pas seulement de l’État, mais aussi du département, et je dois constater que le vôtre a réduit ses engagements auprès des EHPAD.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il lui appartient donc de s’engager et de s’impliquer pour la résidence des Flandres, comme le fait le Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.
La parole est à M. Hervé Féron, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie d’une proposition de loi visant à instituer des funérailles républicaines ou, comme je préfère le dire en des termes moins solennels, des obsèques civiles.
Aujourd’hui, 74 % des Français meurent à l’hôpital et 30 % des obsèques, c’est-à-dire plus d’un quart, sont civiles, à la demande des familles. Ce chiffre, qui a augmenté ces dernières années, démontre une véritable évolution des mentalités ainsi qu’une demande croissante des Français pour ce type de cérémonies. Un dernier chiffre intéressant nous apprend que 53 % des familles recourant à la crémation choisissent une cérémonie non religieuse.
Malgré cela, et les options s’offrant aux familles désireuses d’organiser des obsèques civiles restant encore très limitées, celles-ci sont souvent contraintes d’accepter des obsèques religieuses. En effet, elles doivent la plupart du temps s’adresser aux services de pompes funèbres, qui relèvent aujourd’hui majoritairement d’entreprises privées ; et, selon le lieu des obsèques, la location d’une salle adaptée à l’organisation d’une cérémonie civile n’est pas toujours possible. Comme le dit le directeur général des services funéraires de la Ville de Paris : « De toute évidence, ce ne peut être seulement le rôle des entreprises commerciales de suppléer les religions ou la République pour donner du sens au moment de la mort d’un proche ».
En outre, si certaines communes acceptent de mettre à la disposition des familles qui le souhaitent une salle adaptée, cette possibilité est encore mal connue et fait l’objet d’une application très inégale sur le territoire.
Le but de cette proposition de loi est donc de mieux garantir sur le plan juridique l’égalité entre les personnes souhaitant des obsèques civiles et celles souhaitant des obsèques religieuses. Ce texte jouit d’un soutien rare dans notre Assemblée. Je fais non seulement référence aux plus de 150 collègues qui y ont tout de suite adhéré, mais aussi aux collègues d’autres groupes politiques, peut-être moins convaincus au départ mais qui en sont venus à reconnaître l’importance d’une telle cérémonie au terme de débats nous ayant permis de nous mettre d’accord sur des solutions trouvées grâce à l’intelligence collective. Un long chemin a ainsi été parcouru depuis le dépôt de cette proposition de loi sur le bureau du président de l’Assemblée, il y a deux ans déjà.
À ceux qui nous diraient qu’il ne paraît pas envisageable d’imposer une telle charge à l’ensemble des communes dans le contexte financier actuel, je réponds que l’Association des maires de France – AMF – a elle-même invité dans son vade-mecum de la laïcité les maires à mettre à la disposition des familles une salle communale, lorsque c’est possible, aux fins de célébrer des funérailles non religieuses. En outre, j’ai proposé de limiter l’organisation d’obsèques civiles aux seules communes disposant de salles adaptées, ce qui ne représentera donc pas un effort insurmontable pour les communes, de l’avis même de l’AMF.
Par ailleurs, j’ai toujours pensé qu’il était logique qu’un officier d’état civil procède à la cérémonie car cela concrétise, dans une approche laïque, l’engagement de la collectivité ainsi que sa solidarité lors de la perte d’un proche. Tout comme, lors du parrainage républicain institué par Robespierre dans une loi jamais abrogée, l’enfant est placé sous la protection de la cité, en cas d’obsèques, le défunt et sa famille seront eux aussi accompagnés par la cité.
J’ai néanmoins entendu les arguments de certains collègues et de l’AMF qui craignaient que la mise à disposition d’un représentant de la mairie soit trop contraignante pour certaines communes. Nous avons donc adopté en commission des amendements visant à faire de l’organisation de la cérémonie d’obsèques par un officier d’état civil une faculté pour celui-ci, et non une obligation. Si l’officier d’état civil ne souhaite pas ou ne peut pas y participer, la famille sera libre d’organiser la cérémonie selon son souhait – prise de parole, chants ou autres. Cette organisation sera très simple et la présence d’un représentant du conseil municipal peut ne pas être indispensable.
J’ai également défendu auprès de la commission l’idée que la mise à disposition d’une salle pour les familles en faisant la demande demeure gratuite. Je reste persuadé que le dispositif proposé, d’esprit profondément républicain puisqu’il vise à permettre à toutes les familles qui le souhaitent d’organiser des funérailles républicaines, ne saurait être réservé aux plus aisés. Par ailleurs, le code général de la propriété des personnes publiques prévoit déjà des dérogations au principe de non-gratuité des utilisations privatives du domaine public. L’amendement que nous avons adopté précisant que la mise à disposition d’une salle communale sera gratuite ne constituerait donc qu’une dérogation de plus.
En outre, nous avons jugé utile de préciser le champ d’application de la proposition de loi : seules les familles des personnes décédées ayant le droit d’être inhumées dans la commune pourront demander à utiliser une salle municipale pour une cérémonie civile. Ainsi, nous créons un cadre permettant de limiter le nombre de demandes, qui restera raisonnable au sein de chaque commune. Il ne faudrait pas en effet qu’elles soient surchargées de demandes. À titre d’exemple, je ne procède dans ma commune, en Meurthe-et-Moselle, qu’à trois cérémonies de ce type par an en moyenne.
Le processus de co-construction de cette proposition de loi ne s’est pas arrêté à la commission. En séance, je défendrai un amendement cosigné avec Jean-Pierre Decool et Pierre Morel-A-L’Huissier, signe d’une démarche transpartisane suffisamment rare pour être soulignée. Il s’agira de prévoir que l’obligation de mise à disposition pèsera sur les communes disposant d’une salle « adaptable », expression préférée à celle de salle « adaptée », qui pourrait être interprétée comme désignant une salle spécialement réservée à cet usage. Le qualificatif « adaptable » signifie au contraire que la salle en question pourra bien être utilisée à diverses fins. La commune disposera ainsi d’une certaine souplesse d’organisation.
Je l’ai dit et le répète ici : il ne s’agit en aucune façon de vouloir s’arroger une quelconque dimension idéologique. La présente proposition de loi vise à mieux garantir sur le plan juridique l’égalité entre les personnes souhaitant des obsèques civiles et celles souhaitant des obsèques religieuses. Il s’agit en fait de mettre en application, plus d’un siècle après sa promulgation, la loi du 15 novembre 1887 qui garantit le respect de la liberté de conscience et du principe de laïcité, notamment par la liberté de choisir le caractère civil ou religieux des funérailles. Tout comme l’amendement de notre collègue Yves Daniel a fait reconnaître et inscrire le parrainage civil dans la loi « Égalité et citoyenneté », l’organisation d’obsèques républicaines trouve aujourd’hui tout son sens dans l’histoire et les valeurs de référence de la République.
Je tiens à remercier tous les députés qui ont travaillé avec moi et m’ont aidé à élaborer cette proposition de loi. Plusieurs sont présents aujourd’hui. En tout cas, ils ont été un certain nombre à être la cheville ouvrière de ce texte, que je suis particulièrement fier de présenter aujourd’hui dans cet hémicycle.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le sujet sur lequel nous sommes appelés à débattre cet après-midi n’est pas ordinaire. Parler de la mort, même au Parlement, c’est aborder un sujet qui touche au plus intime et souvent au plus douloureux de la vie de chacune et de chacun d’entre nous, un sujet qui cristallise, bien sûr, les émotions et qui renvoie aussi aux croyances philosophiques et religieuses. Dès lors, la mort, même sur le plan juridique et législatif, ne peut échapper à sa dimension philosophique. Légiférer dans ce domaine exige donc d’avoir à l’esprit la nécessaire mais difficile recherche de l’équilibre entre l’encadrement des pratiques funéraires et le respect des convictions de chaque citoyen. À ce titre, je tiens à saluer le travail approfondi des auteurs de cette proposition de loi, y compris bien sûr celui du rapporteur. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont travaillé sur cette question.
Lors de la perte d’un être cher, les personnes touchées par ce deuil se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité et doivent prendre de nombreuses décisions en moins de vingt-quatre heures. S’intéresser aux modalités des obsèques, à leur formalisme, à leur dimension juridique mais aussi psychologique, et à la question du coût, est par conséquent absolument nécessaire.
La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui vise ainsi à créer un cadre législatif pour l’organisation d’obsèques républicaines lorsque les familles en font la demande.
Elle prévoit la mise à disposition gratuite par la commune d’une salle adaptée pour permettre à la famille de se recueillir. En outre, afin d’accompagner la famille lors de ce moment de recueillement, la proposition de loi prévoit qu’à sa demande, un représentant de la commune, ayant la qualité d’officier d’état civil, puisse procéder à la cérémonie civile. Cette présence permettra de traduire l’engagement de la République auprès des familles au moment de la mort d’un proche.
À cet égard, un parallèle peut être fait avec les cérémonies de mariage civil auxquelles procèdent les officiers d’état civil, ou encore avec la pratique du parrainage civil, aussi appelé « parrainage républicain ». Le rapport de votre commission le souligne : « Ces cérémonies constituent des rites républicains qui manifestent l’engagement de l’État lors de deux étapes importantes : l’entrée dans la communauté républicaine et le mariage. Ils contribuent ainsi à renforcer le lien social et la citoyenneté, dans une démarche laïque. Il est cohérent que la République manifeste également son engagement auprès des familles qui le souhaitent lors de la perte d’un proche. »
Je partage cette analyse. Je trouve en effet légitime et souhaitable que la République puisse apporter son soutien dans les moments les plus difficiles, comme elle le fait pour les plus joyeux, à nos compatriotes qui souhaitent accompagner leurs défunts dans un cadre civil, en dehors de la sphère religieuse. Dans cette optique, il est normal de prévoir les modalités de cet accompagnement, en particulier sur le plan financier, afin que le respect dû aux morts soit le même pour chacun, quelle que soit sa situation pécuniaire.
Le Gouvernement est donc favorable, dans son esprit, au texte que vous allez examiner. Pour autant, celui-ci pose encore un certain nombre de questions, dont plusieurs ont été abordées lors de la réunion de votre commission.
L’idée de funérailles républicaines n’est pas nouvelle. Elle figure même en bonne place dans le vade-mecum sur la laïcité publié par l’Association des maires de France il y a un an. L’AMF invite ainsi les maires à mettre à disposition des familles qui le souhaitent une salle communale, lorsque c’est possible, aux fins de célébrer des funérailles non religieuses. L’article unique de la proposition de loi initiale ne dit pas autre chose : « Chaque commune, dès lors qu’elle dispose d’une salle municipale adaptée, met celle-ci gratuitement à disposition des familles qui le demandent et garantit ainsi l’organisation de funérailles républicaines qui leur permettront de se recueillir. »
Votre rapporteur a expliqué devant la commission que cette rédaction avait été choisie pour ne pas imposer de contrainte uniforme puisque cela signifie que les communes qui n’en disposent pas ou dont la salle n’est pas aux normes ne seront pas concernées par cette obligation et n’auront pas à entreprendre des travaux de construction ou de rénovation. Cette rédaction permet de trouver un bon équilibre entre le besoin de répondre à une attente de nos concitoyens et la nécessité de préserver les élus locaux d’un accroissement de leurs charges. En effet, les collectivités territoriales sont de plus en plus confrontées à une multiplication des normes. Face à ces contraintes, le Président de la République a fait du « choc de simplification », annoncé au mois de mars 2013, l’une des priorités du quinquennat. Le Gouvernement est donc particulièrement attentif à cet aspect des choses.
Reste néanmoins à définir précisément le caractère adapté d’une telle salle. En raison de l’ambiguïté de cette notion, votre rapporteur va proposer, comme il vient de l’indiquer, de remplacer le terme « adaptée » par celui d’« adaptable ». C’est en effet préférable, car le terme « adaptée » pourrait être interprété comme désignant une salle spécialement réservée à cet usage. Or en commission, votre rapporteur a bien précisé que cette mise à disposition n’oblige pas les communes à construire des salles spécifiques : ce n’est que lorsqu’elles disposent déjà d’une telle salle qu’elles devront la mettre à disposition. Cela pouvait sembler évident mais il était important que cela soit précisé explicitement.
Le qualificatif « adaptable » signifie donc que la salle en cause pourra bien être utilisée à diverses fins. Une certaine souplesse d’organisation sera ainsi laissée à la commune. Je pense que cela est de nature à répondre à certaines préoccupations légitimes dont a fait part votre collègue Guy Geoffroy lors de l’examen du texte en commission. J’ajoute qu’il s’agira d’une salle destinée à organiser une cérémonie et non à recevoir le corps du défunt les jours précédant l’inhumation ou la crémation.
Dans le texte initial de la proposition de loi, une disposition prêtait davantage à discussion, puisqu’en plus d’une salle, la mairie devait assurer la présence d’un représentant de la commune, officier d’état civil, qui procède à une cérémonie civile. Votre commission a adopté un amendement de Mme Catherine Beaubatie, sous-amendé par le rapporteur, et deux amendements déposés par M. Pierre Morel-A-L’Huissier d’une part, et M. Jean-Pierre Decool et Mme Marie-Jo Zimmermann d’autre part, visant à faire de l’organisation de la cérémonie d’obsèques par un officier d’état civil une faculté pour celui-ci, et non pas une obligation. Là encore, c’est une évolution positive du texte qui est de nature à répondre aux préoccupations justifiées des maires quant au caractère obligatoire de la présence d’un officier d’état civil, qui aurait pu représenter une contrainte pour certaines communes.
Par ailleurs, à l’initiative du rapporteur, votre commission a précisé le champ d’application de la proposition de loi : celle-ci ne s’appliquera qu’aux seules familles des personnes ayant droit à une sépulture dans le cimetière de la commune. Cette précision est la bienvenue.
Le texte va maintenant être débattu en séance publique. Il reste des points à préciser. En particulier, concernant la cérémonie civile prévue par le texte, le député Guy Geoffroy s’est demandé ce que l’élu aurait à dire. Je pense qu’il faut laisser de la souplesse aux acteurs locaux et ne pas légiférer sur le moindre mot à prononcer, au risque de ne jamais trouver de formulation parfaitement idoine. Il faut faire confiance à la pratique : dans le cas où le maire connaît personnellement le défunt ou sa famille, les mots seront trouvés naturellement ; dans le cas inverse, un entretien préalable avec les proches du défunt permettrait d’en faire l’éloge funèbre.
Il est également tout à fait imaginable que l’officier d’état civil soit présent en silence, pour témoigner du respect de la République pour ses morts, tout en laissant la parole aux membres de la famille. Lorsque l’on touche à l’intime, il faut laisser une place à la libre organisation, sans tout encadrer de manière excessive.
Enfin, se pose la question financière. Si le texte initial prévoyait une compensation par le biais de la dotation globale de fonctionnement – DGF –, un amendement du Gouvernement l’a supprimée en commission. Il n’est ni nécessaire, ni possible de majorer la DGF, dont le rôle n’est pas de financer une politique sectorielle. Dans le cas présent, il serait matériellement impossible d’établir un chiffrage juste et fiable pour toutes les communes.
En outre, la mesure que vous proposez n’est évidemment pas un transfert de compétences et ne s’analyse ni comme une création, ni comme une extension de compétence. En effet, l’organisation d’obsèques civiles est déjà permise par le droit en vigueur. Les communes peuvent déjà mettre une salle à disposition des administrés, dans le cadre d’une occupation temporaire du domaine public ; la gratuité est déjà possible pour des cérémonies organisées par certains opérateurs funéraires. Il est vrai que le prêt de la salle deviendra obligatoire, mais seulement lorsque la salle existe déjà et lorsqu’elle est adaptable. L’intention des auteurs de la proposition de loi n’est manifestement pas d’aggraver les charges qui pèsent sur les communes.
De surcroît, sur proposition du rapporteur, la commission a précisé que la gratuité de la mise à disposition d’une salle constituait une dérogation au principe de non-gratuité des utilisations privatives du domaine public, prévu à l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques. La cérémonie n’est donc pas l’exercice d’une compétence communale mais un cas de mise à disposition gratuite d’un local.
Enfin, messieurs et mesdames les députés, vous avez rattaché ces obsèques à l’exercice des prérogatives de l’officier d’état civil, même si, dans le texte de la commission, sa présence devient facultative. Or nous savons que les activités de l’officier d’état civil n’ouvrent aucun droit à compensation – le Conseil constitutionnel vient encore de le rappeler dans sa décision sur la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Vous le voyez, de nombreuses questions se posent encore sur l’applicabilité concrète du dispositif prévu par la présente proposition de loi. Je ne doute pas que la discussion que nous allons avoir apporte des précisions utiles sur les modalités d’organisation de cette cérémonie laïque.
Car c’est bien de laïcité dont il s’agit in fine. Sans occulter les difficultés pratiques qui peuvent se poser dans l’application de la loi, je souhaite néanmoins saluer le message politique et symbolique très fort porté par les auteurs du texte.
Depuis plus d’un siècle, la laïcité est un pilier du pacte républicain, une référence commune, un cadre collectif. La laïcité, c’est la liberté de conscience, donc la liberté religieuse, dans le respect des droits pour toutes les religions, pour toutes les croyances, de se pratiquer dans le respect réciproque. Faire vivre la laïcité, ce n’est pas seulement la protéger, la préserver : c’est lui donner les moyens d’évoluer et de répondre aux mutations de la société.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à ces nouveaux enjeux. Les enquêtes relatives aux pratiques funéraires montrent en effet qu’un nombre croissant de familles font le choix de cérémonies civiles. Ainsi, selon une étude réalisée par les Pompes funèbres générales, la proportion de cérémonies civiles serait passée de 25 % en 2008 à 30 % en 2013. C’est donc une réalité dont il faut tenir compte.
Il est à l’honneur du Parlement de se saisir de ces questions pour accompagner les évolutions de notre société. Pour reprendre les mots prononcés le 3 novembre par le Premier ministre Manuel Valls lors de la remise du prix de la laïcité : « La laïcité, c’est la France, sa singularité, son âme. La laïcité, c’est la République, son unité, sa flamme. »
Ainsi, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement ne peut que soutenir la démarche entreprise par les auteurs de ce texte fondé sur le principe consistant à instituer des funérailles républicaines, dans un cheminement laïc et respectueux des croyances philosophiques de chacun. Pour autant, certaines questions d’ordre pratique se posent encore et, s’agissant d’une initiative parlementaire, le Gouvernement attend de la discussion qui va s’ouvrir dans votre hémicycle que des éclaircissements soient apportés sur certaines dispositions.
Sous ces réserves, le Gouvernement est favorable au vote de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à instituer des funérailles républicaines et prend acte du nombre croissant de familles sollicitant les mairies afin d’organiser des cérémonies civiles pour les funérailles de leurs proches décédés. En effet, les citoyens ne se réclamant d’aucune religion peuvent souhaiter organiser une cérémonie afin de rassembler leurs familles et amis pour apporter du réconfort et de l’apaisement aux proches du défunt.
Aujourd’hui, lors des funérailles, peu d’espaces permettent aux familles et amis du défunt de se recueillir s’ils ne souhaitent pas aller dans un lieu de culte. Certes, un temps est accordé aux proches pour se recueillir dans les crématoriums, mais les incinérations ne concernent que 30 % des obsèques. Et si quelques cimetières, notamment les plus récents, mettent une salle à la disposition des familles, la majorité d’entre eux ne disposent pas de tels espaces.
Vous le savez, chers collègues, les radicaux de gauche que je représente aujourd’hui, sont fermement attachés au principe de laïcité et à la liberté de conscience et de pratique cultuelle de chacun. En tant que fervents défenseurs du principe de séparation de l’Église et de l’État, consacré par la loi du 9 décembre 1905, nous sommes tout à fait favorables à cette proposition de loi.
Des personnes se réclamant d’une religion peuvent qui plus est souhaiter, pour des raisons personnelles ou familiales, bénéficier d’une cérémonie d’obsèques civile, afin de ne pas intégrer d’aspects religieux. Il apparaissait donc nécessaire de renforcer l’importance et le temps à accorder au rassemblement des proches du défunt, rôle jusqu’alors dévolu aux seuls personnels des pompes funèbres.
Ce texte vise donc à prendre en compte cette demande légitime des citoyens, en intégrant au code général des collectivités territoriales un article prévoyant la mise à disposition gratuite, par dérogation au principe de non-gratuité des utilisations privatives du domaine public, d’une salle municipale adaptée – ou adaptable ! – lorsque la commune dispose d’une telle salle.
À l’initiative du rapporteur, il a été précisé que la mise à disposition de cette salle ne s’appliquerait qu’aux seules familles des personnes ayant droit à une sépulture dans le cimetière de la commune.
Enfin, l’article prévoit qu’à la demande de la famille, un représentant de la commune ayant la qualité d’officier d’état civil, c’est-à-dire le maire, un adjoint ou un membre du conseil municipal bénéficiant d’une délégation par arrêté, puisse procéder à une cérémonie civile. La commission des lois a ainsi adopté des amendements faisant de l’organisation par l’officier d’état civil d’une cérémonie civile de funérailles une faculté pour celui-ci, et non pas une obligation.
Ainsi, et parce que ce texte est une avancée pour le droit de l’ensemble des citoyens de bénéficier de funérailles civiles et d’une cérémonie de recueillement, le groupe RRDP votera ce texte.
Je souhaite souligner en quelques mots les raisons pour lesquelles notre groupe soutient l’ambition de cette proposition de loi visant à mieux garantir l’égalité entre les personnes souhaitant des obsèques civiles et celles souhaitant des obsèques religieuses. L’organisation d’une cérémonie reste en effet une demande forte des familles, même en dehors d’un contexte religieux : la proportion de cérémonies civiles est passée de 25 % en 2008 à 30 % en 2013.
Or le choix d’obsèques civiles n’est pas exclusif d’une recherche de sens et d’accompagnement des familles dans le deuil. Une enquête du CRÉDOC d’octobre 2009 montre ainsi que, s’il ne s’inscrit pas dans un contexte religieux, le rite demeure un élément fondamental du deuil. C’est pourquoi il est légitime et opportun de permettre à chacun d’organiser une cérémonie funéraire signifiante.
C’est aussi pourquoi il importe de donner une base juridique à la mise à disposition d’une salle communale pour l’organisation de funérailles civiles. Certes, la mise à disposition d’une salle gratuite est une pratique fréquente. Elle est toutefois laissée à la libre appréciation de la commune et connaît une application inégale sur le territoire. La rendre obligatoire permettra de garantir le respect de la liberté de conscience reconnue par la loi du 15 novembre 1887.
Comme l’a souligné le rapporteur, cette mise à disposition ne suscitera pas de charge supplémentaire pour les communes car elle n’implique pas l’obligation pour celles-ci de construire des salles spécifiques. Le texte propose par ailleurs qu’à la demande de la famille, un représentant de la commune ayant la qualité d’officier d’état civil puisse procéder à la cérémonie civile. Après l’examen du texte en commission, la présence d’un officier d’état civil n’est plus obligatoire mais facultative.
Certaines inquiétudes avaient été émises, en particulier par l’Association des maires de France, concernant à la fois les nouvelles charges que cela aurait pu générer pour les collectivités territoriales et le manque de personnel auquel les petites communes sont confrontées. Même si ces difficultés n’étaient peut-être pas insurmontables, nous soutenons l’amendement adopté en commission qui rend facultative l’intervention d’un officier d’état civil durant la cérémonie.
Cette proposition de loi constitue indéniablement une avancée. Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, les députés du Front de gauche voteront en sa faveur.
Nous allons enfin examiner la proposition de loi instituant des funérailles républicaines, que nous pourrions aussi nommer funérailles civiles ou funérailles laïques.
En effet, comment dire au revoir dignement quand on est agnostique ou athée ? Comment entamer son deuil quand la personne que l’on a aimée vient de nous quitter et qu’elle a, de son vivant, déclaré ne pas vouloir de cérémonie religieuse ? La laïcité, un des fondements de notre République, garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions. Elle repose sur trois principes : la liberté de conscience et la liberté de culte ; la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses ; et l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient leurs croyances. Elle garantit aussi la liberté envers la religion : personne ne peut être contraint par le droit au respect de dogmes ou de prescriptions religieuses.
En 2008 déjà, Michel Sapin et Jean-Marc Ayrault avaient déposé une proposition de loi visant à permettre aux personnes désirant des obsèques civiles d’avoir le droit à une cérémonie dans un lieu décent, que plus de 120 parlementaires du groupe SRC et divers gauche et apparentés avaient soutenue. Elle n’a malheureusement pas trouvé de suite.
C’est pourquoi, en 2014, les députés du groupe SRC ont déposé une nouvelle proposition de loi. Aujourd’hui, le texte qui nous est soumis doit permettre aux familles des défunts qui ne se réclament d’aucune religion d’organiser un dernier hommage autour d’un rituel funèbre civil.
Les obsèques sont sans conteste un des moments indispensables du travail de deuil. Compte tenu de l’absence de protocoles des funérailles laïques, du nombre important de funérailles religieuses par défaut et de l’augmentation du nombre de cérémonies civiles – environ 30 % ces deux dernières années – on constate une demande de lieux dédiés auprès des autorités municipales.
Les élus que nous sommes considèrent qu’il est important de légiférer pour organiser des funérailles civiles. En effet, nous avons le devoir de ne pas accepter que les familles qui souhaitent enterrer leur défunt mais ne désirent pas passer par un lieu de culte n’aient pas d’autre possibilité que de se retrouver au cimetière, à l’extérieur, pour un moment de recueillement, d’hommage, de souvenir, mais aussi de séparation.
Actuellement, seuls les défunts qui sont incinérés bénéficient d’un semblant de rituel. La République française se doit de prendre en charge la mort de ses citoyens selon des rites laïcs, comme elle le fait pour les naissances, les mariages, voire les parrainages civils. Ce serait conforme à l’esprit de la loi du 9 décembre 1905, qui a consacré le principe de séparation entre l’Église et l’État ainsi que la liberté de conscience et de pratique cultuelle.
Ce texte vise donc à ce que les mairies, si elles disposent d’une salle municipale adaptée, la mettent gratuitement à la disposition des familles. Aussi, l’amendement que nous avons déposé clarifie les conditions d’organisation de cette cérémonie en ne rendant pas obligatoire qu’elle soit présidée par un élu municipal.
Cet acte républicain est un service aux citoyens, qui n’appelle pas de charge financière. La proposition de loi que nous vous soumettons, chers collègues, diffère donc de la précédente car dans un contexte budgétaire contraint, il n’est pas question d’imposer des coûts supplémentaires aux communes.
Dans le département que je représente, la Haute-Vienne, l’Association laïque pour l’organisation des cérémonies civiles, l’ALORCCI, nous a alertés plusieurs fois sur la mise en place de cérémonies civiles. Cette association, très active et appréciée de mes concitoyens, s’intéresse à tous les événements marquants de la vie, notamment de la vie sociale – pacte civil de solidarité, accès à la citoyenneté, parrainage républicain. Elle promeut le recours à des cérémonies civiles et propose d’aider à leur organisation. Elle a pour objet de créer, de former et de mettre en place un réseau local de conseillers laïques, capables d’assister les familles et chargés de les informer sur les possibilités de recours à des cérémonies civiles.
Elle élabore et met gratuitement à disposition des propositions de support pour la conduite des cérémonies – rituels, textes, musiques, chants… Elle oeuvre aussi à la création d’un répertoire de partenaires et de salles adaptées. Plusieurs maires ont déjà signé avec cette association une convention d’utilisation d’une salle municipale mise à la disposition des familles.
Nous devons donc aujourd’hui donner aux cérémonies civiles un cadre juridique car son absence, nous l’avons constaté, est un obstacle à leur développement. Je me félicite donc que ce texte lève cet obstacle afin d’offrir aux citoyens un réel choix.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui institue des funérailles républicaines et gratuites pour les familles désirant rendre un dernier hommage à un être cher disparu.
Cette ambition est louable, mais dénuée de pragmatisme.
En effet, la proposition de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, d’obliger les maires à mettre à disposition des familles une « salle municipale adaptée » pour l’organisation d’une cérémonie non religieuse. Les maires ont déjà cette possibilité, mais ce n’est pas une obligation. La démarche actuelle est volontariste et je souhaite qu’elle ne soit pas coercitive, pour plusieurs raisons.
Le terme de « salle municipale adaptée » employé dans la proposition de loi ne me semble pas adéquat. Parler de salle « adaptée » signifierait en effet qu’elle doit être spécifiquement aménagée, donc dédiée, pour accueillir des funérailles républicaines. Or, dans les petites communes, nous le savons, certains maires n’ont même pas de bureau. Mettre en place une salle adaptée aux cérémonies funéraires relève donc, pour eux, de l’illusoire. Je préfère pour ma part, et je l’ai proposé en commission, le terme « adaptable » qui apporterait un peu de souplesse à l’organisation conférée aux communes, notamment celles de taille modeste.
Cette nouvelle mesure me paraît également peu envisageable au vu du contexte financier actuel des communes, qui croulent littéralement sous les obligations et les contraintes. On demande aux maires de faire toujours plus avec des moyens qui se réduisent comme peau de chagrin. Créer ou aménager une salle dite « adaptée » à seule fin de funérailles républicaines n’est donc pas judicieux.
Il faut faire confiance aux élus locaux et à leur bon sens pour mettre à disposition des familles endeuillées une salle adaptable aux cérémonies funéraires. Je préfère pour ma part une incitation plutôt qu’une obligation qui, par ailleurs, pourrait être accompagnée financièrement par l’État. Nous aurons l’occasion d’y revenir puisque j’ai déposé un amendement commun avec le rapporteur et mon collègue Pierre Morel-A-L’Huissier afin de modifier cette disposition.
Je relève par ailleurs que le caractère gratuit de la mise à disposition de la salle contrevient aux règles de la domanialité publique. En effet, l’occupation ou l’utilisation du domaine public doit donner lieu au paiement d’une redevance, même minime. Celle-ci pourrait être fixée par délibération du conseil municipal. Je propose donc un amendement donnant la possibilité aux maires d’exiger le paiement de cette redevance.
Cette proposition de loi dispose enfin qu’un représentant de la commune ou un officier d’état civil procède à la cérémonie civile.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire en commission, cette proposition de loi impose aux maires des prérogatives qui ne leur appartiennent pas. Pour le dire très simplement, chacun son métier ! Préparer et présider une cérémonie funéraire ne s’improvise pas. Cela nécessite, au contraire, une expérience et une expertise indispensables pour accompagner au mieux les familles qui traversent une période très douloureuse. Les sociétés de pompes funèbres sont spécialisées en la matière.
Mes chers collègues, plusieurs d’entre vous sont également élus locaux. Mieux que quiconque, vous savez que les maires ont déjà suffisamment de travail, surtout dans les petites communes où ils s’impliquent dans de nombreuses tâches qu’ils ne peuvent, faute de personnel, déléguer. Ne leur imposons pas une nouvelle charge, laissons-les s’occuper uniquement de leurs missions traditionnelles.
Pour conclure, cette proposition de loi laisse encore beaucoup de questions en suspens, notamment pour ce qui est de sa mise en application. À quelles sanctions s’exposent les maires qui refuseraient de se soumettre à la nouvelle obligation ? À quels critères et normes devra répondre la salle municipale adaptée – ou adaptable ? Autant de questions auxquelles ne répond pas la proposition de loi, qui ne fait, à mon avis, qu’effleurer la problématique des funérailles républicaines.
La présente proposition de loi vise à répondre aux demandes exprimées par un certain nombre de familles en instituant des funérailles républicaines.
Il faut, dans un premier temps, rappeler que le schéma des obsèques dans les pays occidentaux, et spécifiquement en France, a longtemps été celui de l’enterrement chrétien. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’organisation des funérailles a connu des évolutions.
La Troisième République a pris une série de mesures législatives afin de permettre l’organisation d’obsèques civiles et non religieuses, en application du principe de la liberté de conscience : les lois du 14 novembre 1881 et du 5 avril 1884 ont affirmé la neutralité des cimetières, puis la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, toujours en vigueur, en lien avec l’élaboration du principe de laïcité affirmé par la loi de 1905, a offert la possibilité à tout individu de choisir le caractère civil ou religieux de ses funérailles ainsi que le mode de sépulture. Enfin, la loi du 28 décembre 1904 a fait du service extérieur des pompes funèbres, auparavant confié au culte reconnu, un service public communal.
Le principe de liberté des funérailles est inscrit dans notre code pénal, qui prévoit un délit d’atteinte à la volonté du défunt. On le trouve également dans le code général des collectivités territoriales, qui interdit toute distinction établie par les autorités selon le caractère civil ou religieux des funérailles. Ce même code impose aux maires le respect du principe de laïcité dans le cadre de ses pouvoirs relatifs à la police des funérailles.
La liberté des funérailles est donc un principe ancien, reconnu de longue date dans notre droit.
Les modes de funérailles ont évolué au fil des siècles et l’on observe aujourd’hui deux phénomènes. Le premier est la baisse, depuis de nombreuses années, du nombre d’obsèques religieuses.
Selon une enquête des Pompes funèbres générales, elles représentaient 70 % des décès en 2013, contre 75 % en 2008. Cela s’explique par une érosion très forte de la pratique religieuse en France.
Ensuite, on observe une augmentation du choix de la crémation comme mode de sépulture. En 2013, la crémation correspondait à 36 % des décès, contre 28 % en 2008. Alors qu’il existait en 1970 six crématoriums en France, ils sont aujourd’hui 170. Or, lorsque le défunt a choisi la crémation, ses obsèques sont le plus souvent civiles.
C’est le cas dans la grande majorité des cas.
Les Français sont donc de plus en plus nombreux à se tourner vers un rite funéraire dénué de toute consonance religieuse. Néanmoins, ils restent majoritairement attachés à l’organisation d’une cérémonie pour leurs propres obsèques et celles de leurs proches.
Dans ce contexte, la proposition de loi entend répondre aux difficultés que peuvent rencontrer les familles en l’absence de cadre juridique.
En effet, les familles souhaitant organiser des obsèques civiles doivent le plus souvent s’adresser au service des pompes funèbres, qui relève aujourd’hui majoritairement d’entreprises privées. En outre, la location d’une salle adaptée à l’organisation d’une cérémonie civile n’est pas toujours possible. Par conséquent, les familles sont souvent contraintes d’accepter la solution des obsèques religieuses.
Il est vrai que certaines communes mettent d’ores et déjà à disposition des citoyens des salles adaptées. Elles sont cependant trop rares et cette possibilité reste peu connue, des citoyens comme des municipalités, puisqu’elle n’est pas à ce jour inscrite dans la loi. Et, en l’absence d’obligation légale, cette possibilité dépend de l’appréciation des communes, ce qui en limite la portée.
La présente proposition de loi vise donc à créer un cadre législatif pour l’organisation des obsèques dites républicaines. Elle prévoit la mise à disposition gratuite des familles, par les communes, d’une salle adaptée pour la cérémonie, à condition qu’elles disposent d’une telle salle. À la demande de la famille, un officier d’état civil de la commune pourra procéder à une cérémonie civile.
Étant donné la forte croissance de l’organisation de rites républicains, le groupe de l’UDI est favorable, tout au moins en majorité, monsieur Rochebloine…
Sourires.
…à ces dispositions dont la formulation a été améliorée en commission.
L’organisation de la cérémonie par un élu a été rendue facultative. Il est important en effet de ne pas créer de contraintes supplémentaires pour les collectivités qui ne souhaitent pas organiser cette cérémonie. Il a en outre été précisé que la mise à disposition gratuite d’une salle communale était une dérogation au principe de non-gratuité des utilisations privatives du domaine public.
Nous sommes favorables à ces modifications. Nous partageons néanmoins quelques interrogations. Qu’entend-ton par le terme de « salle municipale adaptée » ?
Et sous quelles conditions les salles communales seront-elles considérées comme conformes ?
Nous pensons que l’intervention de la municipalité pour commémorer la mort de ses citoyens, comme elle le fait pour les naissances ou les mariages, répondra à la demande de nombreuses familles. Elle devrait permettre d’assurer la prise en charge civile des obsèques, pour que cet événement particulièrement difficile se déroule dans les meilleures conditions.
Le rôle du Parlement est d’adapter la législation aux évolutions de notre société. Nous voterons donc, au moins la majorité d’entre nous, en faveur de cette proposition de loi.
Sourires.
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi consacrée à l’organisation de funérailles républicaines. Si certains s’interrogent légitimement sur l’utilité d’une telle démarche ou manifestent des craintes sur une hypothétique substitution d’un rite funéraire à un autre, il convient de rappeler trois éléments fondamentaux de cette proposition de loi.
Tout d’abord, elle n’enlève aucun droit : elle vise juste à adjoindre au droit de sépulture le droit à une cérémonie d’hommages républicains. C’est une faculté et non une obligation qui imposerait une charge supplémentaire aux communes.
Ensuite, elle complète deux cérémonies républicaines qui cohabitent avec leurs équivalents religieux : le mariage et le parrainage civils.
Enfin, les questions de spiritualité et de foi sont différentes selon les personnes qui les abordent. Elles relèvent de choix libres et raisonnés et font la richesse d’une société républicaine ouverte mais résolument laïque.
Cette proposition de loi, déposée en 2014, avait déjà deux ascendantes sous les XXIIe et XXIIIe législatures : celle de Paulette Guinchard et celle de Michel Sapin et Jean-Marc Ayrault.
Elle est également issue d’une évolution de long terme objectivement constatée et d’une demande exprimée par de nombreuses familles pour une cérémonie en dehors de tout contexte religieux. Elle donne aussi une base juridique à une pratique courante.
La République est fondée sur des principes : la liberté, l’égalité et la fraternité. Mais elle est aussi laïque. Elle garantit à tous nos concitoyens, quelles que soient leur origine ou leur confession, le droit de croire ou de ne pas croire…
...et le droit à une sépulture.
Un droit à une cérémonie républicaine n’est pas un non sens. Son objet n’est pas non identifié, ni non identifiable : disposer de ce droit permettra à nos concitoyens qui le désirent de se recueillir dans le respect de leur histoire, de leur mémoire familiale et de leur philosophie, et de rendre hommage au défunt pour pallier le vide d’une des étapes essentielles du deuil.
Nous ne sommes plus à une époque où le cérémonial des funérailles était un monopole religieux. Mais nous savons aussi que dans les périodes troublées rien n’est jamais acquis. La récente prise de position d’une partie de l’épiscopat canadien pose d’ailleurs question : celle du refus de l’accès aux rites et funérailles religieux aux personnes ayant demandé l’aide à mourir.
Même si l’espace est différent, tout comme l’histoire de nos deux pays, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que la République est hermétique aux discriminations.
Les périodes troublées que nous avons connues, les deuils collectifs que nous portons, la solidarité dont nous savons faire preuve quand nos valeurs essentielles sont attaquées nous rappellent et doivent nous rappeler qu’il est des sujets sur lesquels les polémiques sont inutiles.
Cette proposition de loi s’inscrit dans un mouvement de respect de la liberté de chacun de croire ou non, dans un mouvement d’égalité face au deuil. Ce n’est pas une lutte entre plusieurs spiritualités : il s’agit juste de choisir ce qui nous rassemble dans une société qui fait corps.
Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai en faveur de ces dispositions attendues depuis longtemps.
Chaque année surviennent en France plus d’un demi million de décès, qui concernent autant de familles. C’est un sujet toujours difficile car, il faut bien le dire, Éros est plus sexy que Thanatos, et sans doute la mort nous renvoie-t-elle à l’idée de notre propre disparition ou de celle d’un proche.
Si elle fut longtemps au milieu de la vie, si l’on peut dire, la mort au début du XXIe siècle devient de plus en plus exclue du monde des vivants et se réfugie le plus souvent à l’hôpital. Le scandale qu’elle représente est, pour beaucoup d’entre nous, insupportable.
Cependant, malgré le déni dont elle peut faire l’objet dans nos sociétés contemporaines, la mort cristallise aussi bien les émotions humaines que les relations sociales et les croyances philosophiques et religieuses. Les normes juridiques sont dès lors indissociables des représentations et des valeurs qui imprègnent une société, ce qui explique l’assertion selon laquelle une société se juge à la manière dont elle traite ses morts.
Les rites de passage, comme ceux de la naissance ou du décès, sont les plus présents dans toutes les civilisations, et sans doute les plus étudiés par les anthropologues et les ethnologues. Ensembles de gestes, de paroles et parfois de chants ou de danses, ils relèvent – ou relevaient ? – des religions. Ainsi en est-il des rites funéraires.
La sécularisation de nos sociétés modifie profondément cette approche plus religieuse. Pourtant, le besoin d’un au revoir, le besoin de faire son deuil, demeurent essentiels.
Le besoin du symbolique, du sens, en effet, est aussi très fort. J’ai pu appréhender particulièrement ces questions en 2008 en tant que rapporteur d’une proposition de loi relative à la législation funéraire.
Les évolutions liées à la crémation ont permis un certain nombre de changements, de nouveautés, et sans doute une meilleure prise en compte, nécessaire, des attentes d’un certain nombre de nos concitoyens. La proposition de loi qui nous est soumise en tire quelques conséquences. Elle va plus loin encore, puisqu’elle tend à instituer des funérailles républicaines.
En France, l’activité funéraire relève en grande partie d’une mission de service public, lequel comprend d’une part le service extérieur des pompes funèbres et d’autre part les prérogatives communales relatives aux cimetières et aux crématoriums. Le service extérieur des pompes funèbres se définit par opposition au service intérieur, assuré par les associations cultuelles.
La proposition de loi vise à instaurer des funérailles laïques et gratuites, et donc à compléter la partie dévolue aux communes, les incitant à organiser, à la demande des familles, un dernier hommage au défunt autour d’un rituel civil et, pour ce faire, à mettre une salle à disposition. Il n’y a là rien de choquant sur le principe, dès lors que se trouve ici reconnue la diversité des situations et, sans doute, des croyances, qui est loin d’être nouvelle. Tout au long du XIXe siècle, l’un de nos collègues le rappelait, la laïcité s’est imposée, déconnectant le religieux du temporel, en 1884 et en 1887, mais aussi par la reconnaissance d’une séparation entre les églises et l’État. La proposition de loi, de ce point de vue, n’apporte rien de nouveau en tant que tel.
Je m’interroge cependant sur l’obligation faite aux communes d’organiser ces funérailles républicaines.
Eh oui ! Des lois, encore des lois, toujours des lois, sur tous les sujets !
Encore une fois, ce ne sont pas les aspects laïcs ou républicains du texte qui m’interpellent, comme on dit trivialement, mais l’obligation faite aux communes. Je pense notamment aux plus petites d’entre elles, qui ne disposent pas forcément d’une salle, et je pense – malgré un amendement qui pourrait être adopté sur ce point – à la difficulté d’adapter une salle communale, salle des fêtes ou salle des associations, pour la rendre digne d’accueillir comme il se doit la famille endeuillée.
Faut-il faire peser une obligation sur les communes, alors que certaines d’entre elles, à commencer par celle dont je suis maire, si je puis l’évoquer modestement, mettent à disposition une telle salle gracieusement, et ce depuis de longues années ?
Ce sont ces contraintes, sans doute, qui suscitent des interrogations de ma part.
Je m’interroge aussi sur la possibilité – puisque celle-ci a remplacé l’obligation en cours de route – de mettre à disposition un officier d’état civil ou son représentant. Je le dis en conscience, le deuil étant un moment particulier, où il faut savoir trouver les mots pour s’adresser à une famille évidemment tout à sa peine. Tous les professionnels du service funéraire, notons-le au passage – le Conseil national des opérations funéraires pourrait en témoigner – ont une obligation de formation et parfois de diplôme. Ce n’est pas un hasard : de fait, on ne s’adresse pas n’importe comment à des familles endeuillées.
Tout en reconnaissant une idée louable et respectable, qui ne trahit en rien l’idée de laïcité pas plus qu’elle n’attente, bien entendu, aux croyances des uns ou des autres, je m’interroge sur l’utilité d’un tel texte qui rendrait obligatoire des pratiques qui devraient rester ajustables, au cas par cas, en conscience et en fonction des situations de chaque famille.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’idéologie a un coût ; pour vous autres, socialistes, c’est celui du fossé qui se creuse inexorablement entre le peuple et vos représentants ; pour nous autres, résistants, c’est celui de vos tribunaux, tantôt médiatiques, tantôt classiques. Ainsi le maire de Bollène se trouve-t-il confronté aux magistrats pour avoir refusé de marier deux homosexuels. Sa conscience le lui interdisait ; un préfet voulait la contraindre. Ce courage lui vaut d’être poursuivi par une association survitaminée par les subventions publiques et les accointances militantes. La manoeuvre tient au refus du gouvernement socialiste de respecter les libertés des maires, notamment par l’institution d’une clause de conscience, mesure qui avait pourtant reçu l’assentiment général. À force de faire régner les idéologues, la gauche a transformé notre pays en une nation vassalisée à un État de plus en plus totalitaire.
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Le dernier échelon politique qui conserve le respect des peuples de France, c’est l’échelon municipal. Évidemment, il est le moins partisan. Aussi les mastodontes parisiens le combattent-ils, à travers la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ou la loi « Égalité et citoyenneté », à travers une vraie-fausse décentralisation. Les idéologues-en-chefs cherchent à ridiculiser la fonction municipale.
C’est exactement ce que propose ce texte relatif aux funérailles républicaines.
Il vous a fallu des merveilles d’imagination maladive pour fantasmer la transformation des édiles en croque-morts ou en curés.
Il vous en faudra encore davantage pour prétendre devant les Français que ce texte n’est pas foncièrement idéologique. Son seul exposé des motifs est un charivari des lubies spiritualistes de la gauche anticléricale.
Mêmes mouvements.
Après les mariages républicains de la Révolution avec Fouché, après les noyades républicaines de Carrier, après les baptêmes républicains qui nous rappellent les élucubrations sur l’Être suprême, vous prétendez maintenant offrir un salut républicain.
Marianne sera sa prêtresse, un adjoint sans légitimité son officiant, un énarque épuisé rédigera sa liturgie. Les enfants de choeur se recruteront parmi les cercles rationalistes et Voltaire fera office de missel.
Rires sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Dans dix ans, les mêmes cercles écriront le même exposé des motifs, plaignant les familles démunies par la déchristianisation. Ils seront très étonnés de découvrir qu’après avoir fait de l’anti-christianisme une philosophie politique, de l’avortement un horizon politique, de la gestation pour autrui une méthode de commerce et de l’euthanasie une cause étatique, la société et la nation dépérissent. Certains élus oeuvrent à ce dépérissement.
Cela fait tout de même plus de deux cents ans que la droite classique vous en prévient, et quarante-huit ans que le peuple moque vos fumisteries oligarchiques. Il est temps pour vous d’accepter le retour du vieux monde enraciné.
Tournez-vous, par exemple, vers Marcel Gauchet, qui tentait encore de vous livrer quelques enseignements en juillet dernier dans le journal Le Monde : « Voilà l’événement central », disait-il, « des trente dernières années : l’écroulement de l’idée de l’histoire comme porteuse d’une nécessité intrinsèque qui conduit vers l’émancipation. » Réfléchissez-y… Votre religion du progrès et ses canons ne séduisent plus personne, mes chers collègues.
Georges Bernanos a écrit en 1946 un livre essentiel, La France contre les robots, dans lequel il analyse comment la raison procédurale, la folie du contractualisme et l’hybris démiurgique se sont alliés contre la raison profonde des Français. Il écrivait : « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c’est-à-dire pleinement responsables de leurs actes : la France refuse d’entrer dans le Paradis des Robots ». Et vous voulez nous y faire entrer !
Bernanos nous dit que les hommes ne veulent pas que l’État s’empare de leurs libertés, et certainement pas de leur responsabilité personnelle et familiale face à la mort. C’est cette intrusion de l’État dans les étapes cruciales de la vie sociale que je combats. Et ce texte n’en est qu’une nouvelle et détestable incarnation.
Au risque de déplaire à M. Bompard, mon propos ne sera pas, je le crains, dans la lignée du sien…
« Tant mieux ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Il est essentiel de s’attacher à promouvoir et à faire vivre les grands principes qui sont le socle de notre République, et de les traduire dans la vie quotidienne de tous nos concitoyens. Relisons la première phrase de l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
« Laïque » : plus que jamais, ce mot a un sens, alors que l’on observe une présence de plus en plus affirmée du fait religieux dans l’espace public.
Il signifie que l’État n’a pas à interférer dans les choix personnels, philosophiques ou religieux. Bien évidemment, et bien avant la loi de 1905, la loi du 15 novembre 1887 a garanti la liberté de conscience, notamment en reconnaissant la liberté, pour chacun, de choisir le caractère civil ou religieux de ses funérailles. Mais cette reconnaissance des principes de liberté et de laïcité s’est-elle accompagnée d’une égalité dans l’organisation des obsèques ? Non.
Selon qu’on opte pour une cérémonie religieuse ou non, selon que les services des pompes funèbres proposent ou non des salles de recueillement, selon les moyens dont on dispose pour financer les funérailles – assurées, dans la très grande majorité des cas, par des entreprises privées –, selon qu’on choisisse la crémation ou la sépulture, ou encore selon les habitudes ancrées dans les territoires, nos concitoyens ne sont pas égaux pour dire adieu à leurs défunts.
On assiste, depuis des années, à une évolution culturelle importante en matière de funérailles, le recours croissant à la crémation n’en étant que l’aspect le plus visible. Nos concitoyens aspirent à des obsèques plus économiques, j’allais dire plus démocratiques, dont le coût et les charges à venir ne reposent pas sur les proches. C’est dans cet esprit, par exemple, que vient d’être créée, dans mon département de Loire-Atlantique, la première coopérative funéraire civile en France.
Nos concitoyens aspirent aussi à faciliter l’acceptation de l’absence et de la perte de l’être cher, et la transmission de son souvenir : ils veulent donner du sens, livrer des mots, entourer le mort et ses proches et exprimer les liens qui les unissaient à lui de son vivant. Malheureusement, hors du contexte religieux, les lieux viennent à manquer pour ce simple temps d’humanité.
Nous avons tous le souvenir amer d’obsèques difficiles, qui ajoutent à la tristesse du départ d’un proche ou d’un ami, simplement parce que ses choix philosophiques l’éloignaient d’un enterrement confessionnel. Je repense à ce cortège funèbre d’un militant laïque qui, en pleine guerre scolaire au début des années quatre-vingt, traverse le village jusqu’au cimetière sous les regards hostiles des habitants, la mairie ayant refusé le prêt d’une salle comme elle refusait l’école de la République.
Ainsi, le rassemblement dans un coin, à l’entrée du cimetière, dans le froid, sous la pluie ou en pleine canicule pour évoquer la vie de celui qui part, l’amitié qu’on lui porte et l’absence que sa mort va provoquer était la seule solution. Faire le deuil de l’être cher est pourtant essentiel, à condition que ce deuil ne se fasse pas dans l’improvisation, dans la clandestinité ou sous le regard des autres. « On part comme des chiens ! », s’exclamait le père d’un ami qui avait fait le choix de funérailles civiles, dans son village, tout en sachant qu’aucun lieu, aucune salle – alors qu’il en existait – ne serait mis à disposition pour la cérémonie civile à laquelle il aspirait.
Face à ces images qui restent, à ces deuils suivis de regrets, voire de colère pour ceux qui n’ont pu dire au revoir dans des conditions dignes, le texte qui nous est soumis doit apporter de l’apaisement à des familles déjà bouleversées. Combien de familles se sont résignées à passer par l’église pour ne pas réduire la cérémonie funèbre à un rassemblement au cimetière ?
Les non-croyants ont droit à autant de respect et de considération que les croyants. Notre proposition de loi, déposée le 9 décembre 2014, n’impose ni de construire des salles, ni d’engager des travaux pour aménager celles qui existent. Seules les villes qui disposent d’une salle pouvant accueillir, de manière ponctuelle, ces cérémonies funéraires républicaines, sont concernées.
Tel était également le sens des récentes préconisations de l’Association des maires de France qui, dans son guide Laïcité, le vade-mecum de l’AMF publié il y a un an, invitait les maires, lorsque cela s’avère possible, à mettre à la disposition des familles qui en faisaient la demande une salle communale aux fins de célébrer des funérailles non religieuses. Cette invitation ne présente donc aucun caractère contraignant.
Je crois pouvoir affirmer ici que notre proposition de loi s’appuie sur nos principes républicains et qu’elle les renforce, puisqu’ils servent ici un idéal humaniste : celui de la dignité.
En adoptant cette proposition de loi, nous réaffirmons que l’État garantit la liberté de conscience, qui est un des fondements de la laïcité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Christophe Premat, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.
« La lueur immortelle d’un regard qui constate l’approche de la mort, qui sait à quoi s’en tenir, qui en a fait le tour, qui en mesure face à face les risques et les enjeux, librement, souverainement » écrivait Jorge Semprùn dans L’écriture ou la vie, à propos de Maurice Halbwachs qui venait de mourir dans ses bras au camp de concentration de Buchenwald.
Comme le souligne Paul Ricoeur dans son ouvrage Vivant jusqu’à la mort lorsqu’il commente ce même passage, « il fallait encore aider par une parole non médicale, non confessionnelle, poétique et en ce sens proche de l’essentiel, l’agonisant non moribond ».
Cette très forte parole vient illustrer le répertoire peu étendu de mots à notre disposition pour rendre hommage à un être qui vient de trépasser. Une parole non confessionnelle, cela signifie une parole non religieuse, une parole forte et respectueuse, une parole républicaine et laïque pour « l’agonisant non moribond ».
Nous voici réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi à forte teneur symbolique : celle qui vise à instaurer des funérailles républicaines, autrement dit, des funérailles laïques.
Cette proposition de loi pose un acte républicain essentiel en permettant à chaque municipalité d’assurer un office civil à des défunts n’ayant pas d’appartenance religieuse particulière. Elle offre une manière de faire vivre le lien à la République jusqu’au bout, même dans les moments les plus difficiles que sont le deuil et le trépas.
Rousseau l’écrivait en son temps dans Du contrat social ou Principes du droit politique : pour une nation contractuelle comme la France, il faut une religion civile vivant une forme de sacralisation non religieuse du lien social.
Une religion civile doit pouvoir permettre, selon Rousseau, de générer une passion pour le régime républicain. Ce dernier ne saurait en effet se réduire à des procédures : il lui faut du rituel et une symbolique, ainsi que la possibilité de créer les conditions d’un attachement.
Comment, dans le cadre d’un tel contrat social, pouvons-nous susciter de la passion de la part des individus qui en sont les parties ? Comment éveiller une adhésion possible et souhaitable qui donne au régime républicain une assise suffisante ? La réponse est claire : c’est par des actes forts que l’on réunit la raison et la passion et que l’on installe un cadre collectif durable.
Permettre à la République d’honorer ses morts anonymes, voici le plus beau message que nous puissions délivrer, surtout après le très bel hommage républicain rendu par André Malraux le 19 décembre 1964 à Jean Moulin à l’occasion du transfert de ses cendres au Panthéon. Le cortège des morts anonymes est ainsi porté par la République.
Finalement, les êtres sont réunis autour de la nécessité de faire vivre ce lien de manière concrète. Cela a un nom en République : fraternité. Respecte tes égaux comme toi-même, et assure-toi qu’ils aient pour toi la même considération, telle pourrait être la devise républicaine.
La République est présente tout au long de la vie, que ce soit par l’institution des lois civiles, par la reconnaissance de ses différentes étapes par l’officier de l’état civil ou par l’enseignement de ses valeurs cardinales comme la laïcité. Il manquait, cependant, un rite indissociable du regard porté sur une vie en République : celui des funérailles civiles.
On sait que la mort réanime de manière puissante le lien à une forme de transcendance. Souvent, l’inégalité des réputations est marquée par l’hommage rendu à certains. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi vient rendre possible l’organisation de funérailles civiles.
Cette évolution indispensable vient couronner, avec force et sagesse, l’esprit de la loi du 9 décembre 1905 visant à séparer les ordres politique et religieux.
Cette question n’est en réalité pas nouvelle puisque la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles a, en même temps qu’elle instituait le principe de la liberté des funérailles, donné la possibilité aux maires qui le désiraient d’organiser ces funérailles civiles.
L’article 3 de cette même loi prévoyait que « Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture ». La prise en charge relevait des citoyens. La présente proposition de loi, elle, vise, en accord profond avec les principes de la laïcité, la gratuité de ce service.
La loi no 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit a modifié le code général de la propriété des personnes publiques et laissé le conseil municipal libre de délivrer gratuitement une autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public communal lorsque celle-ci ne présente pas un caractère commercial pour le bénéficiaire de l’autorisation.
Cette proposition de loi dépasse ces ajustements pour consacrer un véritable service civil des funérailles. L’organisation d’un cérémonial républicain pour la mort n’est plus réservée aux grands hommes : elle montre, bien au contraire, que l’on peut assurer la reconnaissance par la République de tous les citoyens défunts.
Convoquer la République au moment des funérailles, c’est une manière de rétablir une possibilité d’élévation collective face à ce que Vladimir Jankélévitch nommait le « scandale de la mort ».
La République vivra toujours au rythme des grandes commémorations et des transferts de cendres républicaines, mais elle pourra aussi, désormais, accompagner toutes les familles citoyennes qui en feront la demande. Elle pourra les aider.
C’est pourquoi je tiens à féliciter le rapporteur, Hervé Féron, pour avoir déposé une proposition de loi que je soutiens avec la plus grande vigueur car elle vient préciser un acte républicain universel. Elle gommera en effet les inégalités d’accès constatées sur nos territoires entre les communes qui offrent ce service et les autres. Elle approfondira la norme républicaine en lui donnant une assise concrète et solide.
Pour conclure, madame la présidente, chers collègues, je tenais à saluer la mémoire de notre collège Sophie Dessus, qui aurait probablement adhéré à cette proposition de loi, elle pour qui la République était pleine d’idéaux, elle qui était pleine d’idées hautes.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.
La parole est à M. Jacques Bompard, pour soutenir l’amendement de suppression no 7.
Vous l’aurez compris lors de la discussion générale, je demande, et à plusieurs titres, la suppression de cet article unique.
Je la demande d’abord parce qu’il est une insulte faite aux maires et parce qu’il est révélateur d’une idéologie du contrat social qui est parfaitement archaïque.
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Je la demande surtout parce que votre majorité n’a aucune légitimité pour traiter de la mort des Français. J’ai d’ailleurs, la semaine dernière, pris part à un repas organisé au conseil départemental du Vaucluse et qui regroupait les anciens et les nouveaux élus. Je leur ai fait part de cette proposition de loi et, aussi bien ceux de droite que ceux de gauche, je les ai beaucoup fait rire !
Sourires.
Aucun ne s’est montré passionné par ce dossier.
De la même façon, le quotidien La Croix pointait la semaine dernière l’échec de votre dernière tentative d’immixtion dans la fin de vie des Français. Elle n’a abouti qu’à montrer une méconnaissance de la question et à complexifier l’intervention de l’État lors des derniers souffles de la vie humaine.
Enfin, entendez cette simple maxime : là où l’homme doit être maître de sa vie, l’État doit savoir se retirer. Ces simulacres de rituel ne feront que couvrir de ridicule les élus comme les municipalités !
Après la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et le projet de loi « Égalité et citoyenneté », les édiles commencent à en avoir assez que la machine technocratique vienne abîmer la dignité et la nature de leurs mandats, qui sont par ailleurs extrêmement lourds et difficiles à exercer.
M. Bompard a participé à l’examen du texte en commission des lois, et nous avons donc eu l’occasion de répondre à toutes ses interrogations. S’il n’avait pas quitté la réunion de la commission avant la discussion des amendements, peut-être aurait-il pu entendre un certain nombre d’arguments qui auraient pu le convaincre.
Sourires.
M. Bompard nous revient dans l’hémicycle avec des arguments ponctués de termes que je trouve agressifs. C’est dommage. Car non, il n’existe pas d’idéologie ou de dogme derrière tout cela.
Je vais donc, monsieur Bompard, redire des choses que vous n’avez pas pu entendre : la liberté de choisir le caractère civil ou religieux de ses funérailles est reconnu par la loi du 15 novembre 1887. Elle garantit le respect de la liberté de conscience comme du principe de laïcité. Or les options s’offrant aux familles souhaitant organiser des obsèques civiles restent limitées : elles doivent, la plupart du temps, s’adresser aux services de pompes funèbres qui relèvent majoritairement, aujourd’hui, d’entreprises privées.
Il ne s’agit en aucun cas de confondre République et spiritualité.
Il ne s’agit pas non plus de s’arroger une quelconque dimension idéologique : la proposition de loi ne vise qu’à mieux garantir, sur le plan juridique, l’égalité entre les personnes souhaitant des obsèques civiles et celles souhaitant des obsèques religieuses.
Tout comme l’amendement portant sur le parrainage civil ou républicain adopté dans le cadre du projet de loi « Égalité et citoyenneté », l’organisation d’obsèques républicaines trouve aujourd’hui tout son sens dans l’histoire comme dans les valeurs référentes de la République.
Pour toutes ces raisons, la commission donne un avis défavorable à cet amendement.
Même avis.
L’amendement no 7 n’est pas adopté.
Cet amendement vise, comme il en a été question à plusieurs reprises au cours de la discussion générale, à remplacer à la première phrase de l’alinéa 4 le mot « adaptée » par le mot « adaptable ».
Il s’agit d’une proposition de Jean-Pierre Decool, à laquelle j’ai adhéré. C’est pourquoi la position qu’il a prise lors de la discussion générale m’étonne.
En fait, la question du choix du mot « adaptée » a été posée à plusieurs reprises, y compris par Mme la secrétaire d’État. En commission, j’ai répondu qu’une salle adaptée était simplement une salle conforme à la règle s’imposant à tous les établissements recevant du public : elle doit répondre aux exigences en matière de sécurité, être accessible, de capacité suffisante et, bien évidemment, disponible.
Nous avons, en commission, entendu la proposition de MM. Decool et Morel-A-L’Huissier et il nous a semblé intéressant de remplacer « adaptée » par « adaptable ». En effet, le mot adaptable suggère que la salle en question ne va pas être réservée à cet usage, ce qui serait pénalisant pour les communes. J’ai par conséquent proposé de déposer cet amendement, que vous avez, chers collègues de l’opposition, demandé à co-signer. Nous l’avons accepté, car une telle démarche nous semble aller dans le bon sens et être conforme à l’intérêt général. Par conséquent, la commission est favorable à l’amendement no 5 .
Le Gouvernement soutient cet amendement et émet un avis favorable, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, pour les mêmes motifs que le rapporteur. Le mot adaptée pouvait laisser à penser que l’utilisation de la salle était figée, entièrement dédiée aux obsèques républicaines. Le terme adaptable laisse au contraire une certaine souplesse aux communes et indique que la salle peut être utilisée à diverses fins. Je trouve cette précision sémantique tout à fait bienvenue.
Je voterai cette proposition de loi, mais en restant, je dois le dire, quelque peu sur ma faim. Je ne dois pas être le seul d’ailleurs, comme en témoignent les interventions faites au cours de la discussion générale.
Cette proposition prévoit des funérailles républicaines : il s’agit d’une bonne initiative, qui permet de tenir compte des évolutions de la société. Elle permettra en effet d’organiser, à côté de cérémonies religieuses, des cérémonies civiles et laïques. Elle s’inscrit donc pleinement dans le cadre républicain qui vise à séparer et à distinguer le spirituel du temporel.
Elle offrira à nos concitoyens la possibilité de disposer d’un temps de recueillement autour des sépultures de leurs proches. Nous le savons, la société a évolué : lors des obsèques, des temps de recueillement civils, des moments au cours de cérémonies laïques sont de plus en souvent ménagés. Ils se déroulent dans les allées des cimetières, dans de mauvaises conditions.
Je voterai donc l’article unique, mais en restant sur ma faim. En effet, il est prévu que chaque commune, dès lors qu’elle dispose d’une salle municipale adaptée, met celle-ci à disposition des familles qui le demandent. J’aurais préféré que ce soit une obligation, pas une simple faculté, quitte à prévoir un moyen de prendre en compte la situation des communes qui ne sont pas actuellement en état de mettre une salle à disposition, parce qu’elles n’en ont pas, et à leur donner un temps pour satisfaire à cette obligation.
Il aurait été possible, comme la loi le prévoit parfois, de fixer une période transitoire pour les communes qui ne disposent pas de salle adaptée aujourd’hui.
L’amendement no 5 est adopté.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 2 .
Le bon sens vient de s’exprimer ici, avec ce terme « adaptable ». Obliger les petites communes à avoir une salle adaptée, alors que des communes de 100, 300, 500 habitants n’ont parfois qu’une petite salle municipale destinée aux associations, très polyvalente mais en aucun cas adaptée pour des funérailles civiles, c’était les engager dans des dépenses superflues – non, superflues n’est peut-être pas le bon mot.
Ne cherchez pas la polémique où il n’y en a pas, mon cher collègue, j’ai retiré ce terme avant même que vous ne m’ayez interpellé, en ayant bien conscience qu’il n’était pas approprié. De telles dépenses en tout cas ne sont sans doute pas nécessaires dans ce cadre et sous cette forme.
Il n’y a aucune polémique dans mon propos, ne cherchez pas à faire monter une espèce de mayonnaise artificielle, cela n’a aucun sens. Restons dignes dans ce genre de débat, je crois que le sujet le mérite amplement.
Je me réjouis donc que les salles puissent être modulables et polyvalentes, mais il me semble que nous pourrions réserver l’obligation de les mettre à disposition aux cas où il n’y a pas d’initiative privée. C’est du reste l’absence d’initiative privée qui implique l’obligation publique dans un certain nombre de cas. Comme je l’ai expliqué dans la discussion générale, les communes auraient une mission de service public liée aux obsèques en l’absence d’initiative privée, ou, ce qui laisse encore plus de marge d’action, au regard d’un autre intérêt public, afin que les funérailles puissent se dérouler dans les meilleures conditions.
Nous vous avions déjà entendu dans la discussion générale. Mais votre grand souci pour les petites communes a été le nôtre, puisque nous avons déjà fait évoluer le texte.
Nous avons dans un premier temps parlé d’une salle adaptée mise à disposition par les communes, puis, dans un second temps, nous sommes passés à la notion de salle adaptable.
Nous sommes un certain nombre ici à être aussi des élus locaux et nous avons conscience du fait que des villages, des petites communes pourraient ne pas avoir de salle permettant d’organiser des obsèques laïques. Pour ne pas leur imposer des frais, nous avons trouvé cette solution. Mais, dès lors qu’une commune dispose d’une salle adaptable, ce sera une obligation, comme c’était préconisé très clairement dans le vade-mecum sur la laïcité de l’Association des maires de France.
Je souhaite donc que la mise à disposition d’une salle soit une obligation et non une simple possibilité, sous réserve, bien sûr, de l’existence d’une salle adaptable.
Je précise que la simple mise à la disposition d’une famille d’une salle municipale ne saurait être assimilée à la création d’un service public industriel ou commercial imposant de préserver l’initiative privée. Avis défavorable.
En fait, monsieur le député, vous voulez que ce soit possible à partir du moment où il serait fait état de la carence du secteur privé.
Je crois vous avoir compris, je parle encore un peu normand.
Sourires.
Cet amendement, finalement, vide un peu le texte de sa substance.
Les petites communes ont la possibilité de s’organiser au niveau intercommunal puisque nous distinguons le lieu d’inhumation de la commune dans laquelle se déroule la cérémonie, ce qui est déjà le cas pour les crématoriums puisqu’il n’en existe pas un dans chacune des communes.
Le Gouvernement souhaite aussi que chacun puisse avoir la cérémonie funéraire qu’il souhaite, ce que permet un accès gratuit à une salle communale. C’est un point qui me semble extrêmement important. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
L’amendement no 2 n’est pas adopté.
Les obsèques religieuses sont des obsèques privées. Or celles que vous mettez en place sont des obsèques publiques, qui vont avoir un coût pour la collectivité. Il y a là une inégalité de traitement devant la loi qui me paraît anormale.
Vous n’avez cessé en commission et en séance de nous parler de la demande populaire pour ces cérémonies républicaines. Si vous n’étiez pas de gauche, l’ensemble des éditocrates se seraient emparés de cette farce. Je suis maire depuis vingt ans d’une commune de 30 000 habitants. En vingt ans, je n’ai pas eu une demande pour une cérémonie républicaine.
Nous mettons à la disposition de tous une salle où chacun peut bien sûr faire ce qu’il veut, mais nous n’avons pas la prétention d’enterrer à la place des religieux.
Avec l’amendement que je vous propose, je vous suggère de me prouver que j’ai tort de croire que vous cherchez à établir une religion républicaine, qui a été revendiquée tout à l’heure par l’un de vos élus.
Il faut dire que nous avons peine à comprendre les sujets que la majorité socialiste met actuellement en avant, la Commune hier, l’avortement demain – à croire que ces provocations n’ont qu’un objectif de publiciste, sans aucun respect pour notre assemblée.
Vous craignez la paupérisation des familles, vous pensez qu’elles ont besoin de soutien pour avoir un lieu digne au moment des enterrements. Très bien, nous sommes d’accord, mais ne cherchez pas à développer une religion républicaine, une religion factice issue de fantasmes libertaires qui n’ont fait que trop de tort dans notre histoire, qui a été assez ensanglantée de ces choses-là.
Je suis un peu étonné par ces propos.
Non, monsieur Bompard, il n’y aura aucun coût. Mme la secrétaire d’État l’a dit, le Gouvernement a décidé qu’il n’était pas nécessaire de le compenser dans la DGF. Si ce n’est pas nécessaire, c’est parce qu’il n’y a aucun coût. Une salle adaptable, c’est une salle en fonctionnement : cela ne générera aucun coût. S’il faut l’intervention d’un officier d’état civil, cela ne générera aucun coût non plus puisqu’un officier d’état civil, on le sait, n’est pas indemnisé.
Cet amendement vide de sa substance la proposition de loi en occultant toute la dimension républicaine de la démarche, qui vise à répondre à la demande exprimée par de nombreuses familles souhaitant organiser une cérémonie civile, en dehors de tout contexte religieux.
Le lien a été fait à plusieurs reprises avec le parrainage républicain. Quelle est son origine ? Dans les temps troublés du Moyen-Âge, l’espérance de vie était de trente ans environ. De nombreux enfants connaissaient donc la dure condition d’orphelin. Plus tard, François Ier a confié la tenue des registres d’état civil aux curés des villages. C’est-à-dire que si vous n’étiez pas catholique, vous n’aviez pas d’existence légale ! C’est Robespierre qui, le 20 prairial de l’an II, a eu l’idée de créer le parrainage républicain. Là, nous sommes dans une démarche républicaine, il n’est pas question de spiritualité.
Enfin, il n’a jamais question d’une salle pour veiller les morts. Votre exposé sommaire est donc en décalage par rapport à la proposition de loi. Avis défavorable.
L’amendement no 8 , repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 3 .
Dire qu’il n’y a aucun coût, honnêtement, monsieur le rapporteur, c’est archifaux. Une salle adaptable, cela suppose qu’elle soit adaptée. Il faudra, et c’est bien normal d’ailleurs, il n’y a pas de polémique dans mon propos, apporter ou enlever des chaises ou des tables. Qui le fera ? Du personnel communal. Il faudra bien ensuite assurer le nettoyage de la salle. C’est tout à fait normal, mais il y aura quelques heures de nettoyage. Ce n’est pas un problème, mais on ne peut pas dire qu’il n’y a aucun coût. Il y a aussi le coût de l’électricité et, l’hiver, du chauffage. S’il s’agit d’une toute petite salle ou d’une plus grande, s’il y a vingt personnes ou cent cinquante, ce n’est pas du tout la même chose. Et une salle adaptée suppose souvent une sonorisation, ce qui n’existe pas dans toutes les salles municipales.
Je ne fais aucune polémique, c’est la réalité concrète du terrain. Le coût est peut-être minime, il ne se chiffre pas en milliers d’euros, mais il y a bien un coût, et donc une charge supplémentaire réelle pour les communes.
Que la DGF ne vienne pas la compenser est une chose, je l’entends. Le Gouvernement ne veut pas ouvrir une boîte de Pandore, il a sans doute parfaitement raison mais je lui en laisse la responsabilité. Mais dire qu’il n’y a aucun coût, honnêtement, c’est faux.
Mon amendement propose tout simplement que, sauf circonstances exceptionnelles, liées par exemple, selon la formule consacrée, à l’indigence des familles, ou à des difficultés financières ou des situations particulières, le coût soit supporté par la famille et non par le budget communal.
La question du coût peut se poser. Il y a en effet, l’aménagement, le fonctionnement de la salle, l’électricité.
C’est un sujet. Cela dit, je reste convaincue qu’on ne peut pas déterminer un coût juste et fiable pour chacune des communes.
Cela offrirait aussi la possibilité de contourner l’objectif du texte en pratiquant des tarifs extrêmement élevés qui priveraient précisément ceux que nous visons par cette proposition de loi d’un accès à une cérémonie funéraire digne, selon la religion ou la philosophie qui est la leur.
Comme je me pose moi-même ces questions, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée en faisant confiance aux élus locaux pour qu’ils pratiquent des tarifs extrêmement bas et acceptables pour ceux que nous visons.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, pour cette ouverture. Il n’est pas question, je le dis très clairement, d’inciter par quelque moyen que ce soit les communes à pratiquer des tarifs élevés. Mais à tout le moins, la mise à disposition de la salle devrait se faire à prix coûtant, d’où cette idée de montant forfaitaire fixé par le conseil municipal, étant entendu que nombre de communes, et c’est le cas de celle dont je suis maire, mettent des salles à disposition gratuitement.
Ce serait peut-être plus équitable, et cela permettrait de faire taire quelques polémiques.
À ma connaissance, on ne fait jamais payer le chauffage en cas d’obsèques dans une église.
On ne fait pas non plus payer le chauffage d’une mairie pour un mariage. Tout cela me paraît donc un petit peu excessif.
L’amendement no 3 n’est pas adopté.
L’amendement no 4 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour soutenir l’amendement no 1 .
Je me réjouis, madame la secrétaire d’État, de cette petite fenêtre que votre avis de sagesse nous laissait. Je ne soutiens pas la gratuité, pour les mêmes raisons que Philippe Gosselin, et je maintiens mon amendement. On me dira que la domanialité ayant des règles, il peut y avoir des dérogations. Mais je crois vraiment que ces cérémonies auront un coût. L’ouverture que vous aviez évoquée, en proposant des redevances modiques, pour ne pas dire modestes, est appropriée.
Il est bien sûr défavorable. Nous avons adopté en commission un amendement créant une nouvelle dérogation au principe de non-gratuité des utilisations privatives du domaine public, afin de rendre cela possible.
Je voudrais vous faire part d’un exemple dans un tout autre domaine. Dans le parcours de soins d’un patient, il est très important de pouvoir conserver les radios, parce que cela permet au médecin, six mois plus tard, de faire des comparaisons et de travailler beaucoup plus sérieusement. À partir du moment où il a été décidé que cet archivage serait payant, les gens les plus pauvres ont choisi de ne pas donner les 2 euros qu’il fallait payer pour conserver la radio, et ils ont été moins bien soignés.
C’est la même chose dans le cas présent. Parmi ces familles qui traversent une période de douleur, de deuil et de peine, les plus pauvres risquent de choisir la facilité et de se laisser imposer un autre mode d’obsèques, ce qui irait à rebours de notre proposition de loi.
Sagesse. Je précise tout de même que sagesse ne vaut pas avis favorable, messieurs les députés de l’opposition !
Sourires.
D’accord, mais quand le Gouvernement veut s’opposer, il le dit clairement !
L’amendement no 1 n’est pas adopté.
Je note que vous n’avez pas répondu à ma remarque sur l’inégalité devant la loi, qui peut rendre votre texte inconstitutionnel. Il faudrait peut-être y réfléchir… Par ailleurs, si les mariés se transportent en général eux-mêmes, les décédés ont de la peine à le faire, ce qui représente potentiellement un nouveau coût qui vient s’ajouter à ceux évoqués tout à l’heure.
René Girard, philosophe et anthropologue, nous quittait il y a quelques mois. Cet esprit éminent avait deux torts pour les élites parisiennes : il était converti au christianisme et provençal – deux réalités qui font horreur aux concepteurs de ce texte. Son grand sujet aura été l’étude du sacrifice et de sa ritualisation au sortir des temps barbares. Pour lui, la civilisation gréco-chrétienne a su développer un certain nombre de pharmakoï pour soigner les violences au coeur de la cité. Ces médecines sont notamment sises dans les grandes étapes culturelles et religieuses qui scandent la vie d’un homme.
Or, voici ce qu’il disait dans un entretien qu’il donnait au Figaro Magazine : « La religion chrétienne, c’est le bouc émissaire révélé. Une fois que le bouc émissaire a été révélé, il ne peut plus y en avoir et, donc, nous sommes privés de violence. Ceux qui attaquent le christianisme ont raison de dire qu’il est indirectement responsable de la violence, mais ils n’oseraient pas dire pourquoi : c’est parce qu’il la rend inefficace et qu’il fait honte à ceux qui l’utilisent et se réconcilient contre une victime commune. » En mettant sa main sur le baptême, le mariage, la mort, l’État ne fera que libérer les violences.
Monsieur Bompard, vous nous faites un procès d’intention permanent, comme quoi nous attaquerions le christianisme. Relisez tout ce que nous avons écrit et tout ce que nous avons dit : à aucun moment nous n’attaquons le christianisme ! Il n’y a rien d’antireligieux là-dedans. Par contre, vous n’êtes pas, me semble-t-il, dans votre rôle de député en défendant le christianisme, car ce n’est pas le sujet.
Votre amendement, une fois de plus, est hors sujet. Mme Maréchal-Le Pen et de M. Collard avaient déposé un amendement identique. L’organisation d’une cérémonie civile, en dehors du contexte religieux, est une demande de longue date de nombreuses familles. Et 30 % des obsèques sont civiles à la demande des familles, chiffre en constante augmentation ces dernières années.
Quant à l’égalité, nous proposons justement dans notre texte de rétablir ce principe d’égalité des familles. Avis défavorable.
L’amendement no 9 , repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article unique, amendé, est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.
La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quinze.
La parole est à Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une nouvelle proposition de loi relative à la promotion des langues régionales. Malheureusement, les conditions n’ont pas été réunies pour ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires signée par la France le 7 mai 1999, il y a plus de dix-sept ans. Pourtant, la proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la charte avait été adoptée en janvier 2014 par une belle majorité de députés de tous les bancs de notre hémicycle : 361 députés avaient voté pour et 149 contre. Notre optimisme a fait long feu lorsque le Sénat a rejeté ce texte, devenu un projet de loi constitutionnel, le 28 octobre 2015. Cette question reste sensible dans notre pays, alors que notre Constitution a consacré dans son article 75-1, le 23 juillet 2008 : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
Si nous considérons dans notre Constitution que les langues régionales font partie de notre patrimoine, alors nous avons une responsabilité majeure pour créer les conditions de leur préservation. Les soixante-quinze langues parlées en France, concernées par ce texte, sont définies par le comité consultatif pour la promotion des langues régionales sur la base de la définition de la charte européenne. Elles sont en déclin, les statistiques le démontrent. Les trois quarts des adultes qui parlaient une langue régionale dans leur petite enfance à la maison n’utilisent aujourd’hui que le français. Et pour ne citer que mon cas particulier, qui illustre celui de plusieurs générations, j’ai appris à ne pas parler breton. Ma première langue maternelle et naturelle était pour ma famille un signe de manque d’éducation que nous nous attachions à enfouir au plus profond de nous-mêmes et à ne surtout pas exprimer. C’est une frustration majeure et une atteinte à la liberté d’expression, valeur chère à notre République. Cet interdit a fait peser la menace de la disparition pure et simple des langues régionales. Le nombre total de personnes capables de s’exprimer dans ces langues a été divisé, entre les générations nées dans les années 1930 et celles nées dans les années 1980, par deux pour le basque, par trois pour l’alsacien, par dix pour le breton.
Se priver de cet apprentissage, c’est se priver d’un potentiel de compétences. La compréhension d’une langue rend plus aisé l’apprentissage d’une deuxième, puis d’une troisième langue. Pour ce qui est de la maîtrise du français, toutes les études démontrent sans ambiguïté que l’apprentissage de la langue officielle de notre République est conforté par celui d’autres langues. Une politique volontariste pour l’enseignement des langues régionales est incontournable pour les sauvegarder, de même que le développement de leur usage dans notre vie de tous les jours. C’est pourquoi nous proposons avec ce texte de construire un socle juridique sans ambiguïté qui permette, à chacun dans son rôle, de promouvoir l’usage des langues régionales. Ce socle s’appuie sur le préalable de la maîtrise de la langue française, fixé par notre cadre constitutionnel et législatif.
Tout au long de cette législature, nous avons saisi plusieurs occasions de progresser. La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école de la République, dite loi Peillon, et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République – loi NOTRe – ont permis de poser des jalons. La loi proposée aujourd’hui permettra une nouvelle avancée pour donner aux langues régionales de notre pays les moyens de ne pas s’éteindre. Poursuivant les travaux engagés notamment par notre collègue Paul Molac qui avait présenté, en décembre 2015, une proposition de loi incluant des articles qui ne faisaient pas consensus, le texte que je rapporte aujourd’hui est un texte d’équilibre. Ainsi, avant d’entrer dans le détail, je veux souligner que son contenu a été travaillé en amont avec de nombreux députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Il a également été enrichi des travaux du groupe d’études transpartisan de l’Assemblée nationale sur les langues régionales. Beaucoup de députés ont aussi consulté les représentants des associations dans leurs circonscriptions. C’est à la lumière de ces contributions que nous avons préparé ce texte qui a, en amont, écarté les principaux points de blocage.
Notre objectif partagé était d’aboutir à un texte d’équilibre, néanmoins ambitieux. Cette proposition de loi a fédéré près de 150 cosignataires ; je souhaite désormais qu’elle obtienne le soutien de la très large majorité de notre hémicycle et ce, au-delà des clivages politiques traditionnels. L’examen des amendements déposés démontre que les soutiens comme les oppositions émanent de familles politiques différentes.
Je veux souligner que l’éducation est le vecteur essentiel du développement des langues régionales. Des obstacles demeurent pourtant en matière d’enseignement, alors que les familles sont de plus en plus nombreuses à solliciter cet apprentissage. Les difficultés d’accès à cet enseignement ont d’ailleurs tendance à s’aggraver au fil de la scolarité, comme en témoigne la faible proportion d’élèves obtenant la mention « langue régionale » au diplôme national du brevet des collèges : 9 % des collégiens étudient le corse, 5 % l’occitan, 4 % le breton, 1 % l’alsacien !
Le deuxième obstacle est lié aux horaires actuels d’enseignement de l’option « langue régionale », qui ne permettent pas de fournir les deux heures trente à trois heures jugées comme le temps minimal pour une sensibilisation linguistique efficace. C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi reprend la solution expérimentée avec succès en Corse depuis la loi du 22 janvier 2002. Amendé afin de maintenir la rédaction existante pour la Corse, l’article étend ce dispositif dans le cadre de conventions entre l’État et les régions, y compris bien évidemment les collectivités d’outre-mer visées à l’article 73 de la Constitution. Cette disposition permet d’intégrer les cours de langue régionale dans les horaires normaux, non seulement des écoles, comme c’est le cas en Corse, mais aussi des collèges et des lycées. Ces cours systématiquement proposés – je tiens à le souligner – demeureront bien sûr au libre choix des familles. Les conventions prévues entre les régions et l’État définiront d’une part, le territoire où cette offre d’enseignement pourra être intensifiée et, d’autre part, les modalités pratiques de cette action. C’est une solution de souplesse qui permettra d’adapter la cartographie de l’enseignement aux besoins, et laissera le temps à l’État de déployer les indispensables moyens nouveaux, notamment les enseignants.
Le troisième obstacle au niveau éducatif concerne un type d’enseignement d’une efficacité exceptionnelle, non seulement pour l’acquisition des langues régionales, mais aussi pour la maîtrise du français et du socle commun. Certains établissements proposent un enseignement bilingue, dit immersif. Le succès de ces établissements est remarquable tant pour la maîtrise d’un français irréprochable que pour celle des langues régionales. Les écoles Diwan en Bretagne, par exemple, alors que la composition sociologique y est proche de celle de la moyenne des établissements publics de leur région, affichent des résultats supérieurs de près de 10 % aux moyennes nationales, s’agissant tant de la maîtrise du français mesurée en CM2 que des taux de réussite au brevet et au baccalauréat. Le Conseil d’État a malheureusement freiné cette méthode en invoquant, en 2002, la nécessité de respecter une stricte parité entre le français et la langue régionale. Ce concept n’a aucun fondement pédagogique. Cette décision du Conseil d’État compromet l’enseignement immersif alors que celui-ci a fait ses preuves sans compromettre aucunement la bonne maîtrise de la langue française. Pour rassurer les uns et les autres, l’article 2 de notre proposition de loi rappelle que ce mode d’enseignement s’effectue dans le respect des objectifs de maîtrise du français fixés par le code de l’éducation.
S’agissant de la présence des langues régionales dans la vie quotidienne, l’article 4 permet aux régions volontaires d’homogénéiser des pratiques aujourd’hui très disparates. Il vise en effet à généraliser, dans leur bassin d’usage, les traductions en langue régionale des signalétiques des voies et des bâtiments publics, ainsi que des principaux supports de communication institutionnelle des services publics.
Enfin, les médias jouent un rôle incontournable dans la diffusion des pratiques linguistiques. Le dernier volet de cette proposition de loi leur est consacré. L’article 5 répare une injustice, qui fait que certaines publications ou sites internet d’information sont aujourd’hui exclus de certaines aides publiques au seul motif qu’ils sont rédigés en langue régionale, pourtant reconnue comme patrimoine de la France par la Constitution. Les articles 6 et 7 traitent de la présence des langues régionales dans l’audiovisuel. Nous proposons, à l’article 6, de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, une nouvelle mission : celle de veiller à la promotion des langues et cultures régionales. Quant à l’article 7, il donne une priorité dans l’attribution des fréquences radio locales aux éditeurs qui émettent en langue régionale. Participer à la sauvegarde d’un patrimoine protégé par la Constitution me semble justifier aisément l’attribution d’au moins une fréquence dans les bassins d’usage de ces langues.
Avant de conclure, je voulais saluer tous ceux qui, sur nos territoires, agissent au quotidien pour la promotion et la transmission des langues régionales, en particulier les enseignants et les professionnels qui assurent cette transmission des savoirs. Je pense notamment aux offices des langues régionales qui font ce travail de promotion indispensable. Je rends hommage également à Armand Jung, qui présidait le groupe d’études de l’Assemblée nationale, et à Jean-Jacques Urvoas, qui en 2012 écrivaient : « Les pouvoirs publics de notre pays sont redevables devant les générations futures de [la] préservation et de [la] pérennisation [des langues régionales]. Car elles contribuent à la richesse de notre Nation, et nul n’a le droit, par indifférence ou hostilité, de laisser se perdre tout ou partie de ce patrimoine inestimable. »
Pour terminer, je voudrais une nouvelle fois citer le chanteur breton Denez Prigent : « Les cultures, les langues, les traditions des peuples sont comme les plantes d’un même jardin, toutes différentes, mais poussant dans un même terreau, d’où l’importance pour chacun de défendre ses racines contre l’uniformisation grandissante du monde qui voudrait faire de ce jardin merveilleux un grand champ aux épis identiques. »
Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales.
Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, les langues régionales font partie de notre patrimoine. Comme vient de le souligner Mme la rapporteure, elles sont constitutives de la richesse culturelle de notre pays. C’est un héritage vivant et présent, et c’est bien ainsi qu’elles ont été envisagées dans notre politique, tant par le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche que par celui de la culture et de la communication. Je commencerai mon propos par les aspects de la proposition de loi relevant du ministère de la culture et de la communication : la presse et l’audiovisuel.
Pour ce qui est de la presse, la proposition de loi prévoit dans son article 5 que les aides directes et indirectes sont accordées par l’État aux publications et sites internet d’information rédigés en langue régionale au même titre qu’aux publications et sites rédigés en langue française. Je note que plusieurs amendements de suppression, venus de tous les bancs de l’Assemblée, ont été déposés, invoquant le caractère trop vague de cette disposition et son coût pour les finances publiques. Sans nécessairement partager ces arguments, je veux rappeler que le critère de la langue n’est pas un obstacle pour le bénéfice de toutes les aides indirectes à la presse, qu’il s’agisse de la TVA réduite ou du tarif postal réduit pour la presse imprimée. À titre d’exemple, on notera qu’à l’heure actuelle, quarante-cinq publications en langues régionales, imprimées ou numériques, bénéficient déjà de ces aides. S’agissant des aides directes, la plupart sont accordées aussi bien aux publications et sites de presse rédigés dans une langue régionale en usage en France qu’à ceux rédigés en français. La généralisation de l’octroi des aides directes aux publications et sites en langue régionale ne s’oppose à aucune règle de principe, et la mesure proposée, ainsi que je viens de l’indiquer, est déjà largement satisfaite. Il ne paraît donc pas nécessaire de l’inscrire dans la loi.
J’en viens à l’audiovisuel. Les sociétés nationales de programmes assurent la promotion de langues régionales. Dans son article 43-11, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui fixe les missions générales des organismes de l’audiovisuel public, dispose en effet que ces derniers assurent la promotion de la langue française et, le cas échéant, des langues régionales, et mettent en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France. Le législateur a déjà assigné de manière spécifique des missions en ce domaine à France 3 et à Radio France. L’article 44 de la loi de 1986 prévoit en effet que France Télévisions conçoit et diffuse en régions, sur France 3, des programmes qui contribuent à la connaissance et au rayonnement de ces territoires et, le cas échéant, à l’expression des langues régionales. Il prévoit également que Radio France favorise l’expression régionale sur ses antennes décentralisées du réseau France Bleu. Par ailleurs, la ministre de la culture et de la communication, Audrey Azoulay, et le Gouvernement sont favorables à l’article 6 de la proposition de loi, qui élargit les compétences du CSA à la promotion des langues et des cultures régionales.
En revanche, l’article 7, qui vise à ce que, dans les territoires où sont pratiquées des langues régionales, le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille à ce qu’une ou plusieurs fréquences soient attribuées à des candidats proposant la diffusion de services de radio en langue régionale, soulève une difficulté rédactionnelle. En effet, il pourrait être interprété comme imposant au CSA d’autoriser, lors de chaque appel à candidatures, des services de radio en langue régionale, indépendamment de la prise en compte de l’existence de tels services dans ces territoires. Le Gouvernement aurait privilégié un dispositif imposant au CSA de tenir compte, parmi les critères d’autorisation des services radiophoniques, des engagements des candidats en matière de diffusion de programmes en langues régionales. Il regrette que cette proposition n’ait pas été retenue.
J’en viens maintenant aux aspects relevant de notre politique éducative. Loin d’avoir été oubliées ou remises en cause par la carte de refondation de l’école, portée par le Gouvernement, les langues régionales ont reçu, avec celle-ci, une impulsion décisive. La refondation de l’école ne remet pas en cause les dispositions de la circulaire du 5 septembre 2001 relative au développement de l’enseignement des langues et cultures régionales à l’école, au collège et au lycée, pas plus que celles de l’arrêté du 12 avril 2013. Elle garantit donc l’existence des sections bilingues de langue régionale, des dispositifs bilangues de continuité en classe de sixième et, dans cette même classe, des enseignements d’initiation ou de sensibilisation. Enfin, elle étend aux enseignants du second degré la possibilité jusqu’alors réservée aux enseignants du primaire de recourir ponctuellement aux langues et aux cultures régionales dans leurs enseignements – une possibilité qui concerne, dans le second degré, l’ensemble des disciplines.
Mais le ministère de l’éducation nationale ne s’est pas contenté, ce qui était déjà important, de conserver ces acquis. La refondation de l’école offre aux langues régionales la possibilité de se développer encore davantage, et ce de façon très concrète. La refondation permet ainsi de recourir aux langues et aux cultures régionales pour l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Elle favorise l’apprentissage complémentaire d’une langue régionale à l’école primaire, en inscrivant l’enseignement bilingue dans la loi, et donne la possibilité d’y accéder dès la maternelle. Et parce qu’une langue n’est jamais indépendante de la culture dans laquelle elle s’inscrit, le Gouvernement, par la voix de sa ministre de l’éducation nationale, a tenu à ce que les collectivités territoriales puissent organiser des activités éducatives et culturelles complémentaires portant sur les langues et cultures régionales.
Avec la réforme des rythmes scolaires, le temps périscolaire offre ainsi un cadre propice au développement d’activités éducatives et culturelles complémentaires de sensibilisation aux langues et aux cultures régionales, en lien, par exemple, avec des associations locales bénéficiant d’un agrément pour intervenir en milieu scolaire. Ces actions, je tiens à le souligner, s’ajoutent à la place déjà occupée dans le temps scolaire par l’enseignement des langues régionales. Cette valorisation est aussi à l’oeuvre dans la réforme du collège, et notamment dans le cadre des nouveaux programmes. Je sais que c’est un point sur lequel vous teniez à avoir des éclaircissements, que je suis heureuse de pouvoir vous fournir, au nom de la ministre de l’éducation. Le temps consacré à un enseignement est important pour l’efficacité de celui-ci. De fait, la réforme du collège prévoit une augmentation du nombre d’heures d’enseignement d’une langue régionale choisie comme deuxième langue vivante – LV2. En effet, son apprentissage débutera en cinquième, et non plus en quatrième, et il y aura, pour les professeurs, sept heures et demie d’enseignement, contre six actuellement.
Parallèlement, il est créé un enseignement de complément de langue et culture régionale, d’une heure en classe de cinquième et de deux heures en classe de quatrième et de troisième. Les collégiens peuvent ainsi toujours apprendre la langue avec une continuité réelle au sein du cycle. Et parce que les langues régionales sont une véritable richesse pour nos élèves, un thème « langues et cultures régionales » a été défini dans les enseignements pratiques interdisciplinaires, auquel la grande majorité des collégiens pourront avoir accès. La carte des langues, quant à elle, instaure une continuité de l’offre entre le primaire et le collège, qui faisait parfois défaut. Cette carte profite ainsi à l’apprentissage des langues régionales et permet de flécher un certain nombre de postes de professeurs, afin de mieux répartir l’offre au sein des académies. Nous avons aussi développé une communication à l’échelle nationale, pour mettre en valeur l’apprentissage et l’enseignement des langues et cultures régionales dans l’école de la République. Le ministère a réalisé et diffusé, à la fin de l’année 2013, une brochure d’information à destination du grand public pour expliquer et mettre en valeur les possibilités et l’intérêt d’apprendre à l’école les langues et cultures régionales.
Dans le cadre de la mise en place d’une politique linguistique cohérente et diversifiée, nos langues régionales, vous le voyez, ne sont pas oubliées, que ce soit au niveau national, bien sûr, ou au niveau académique. En effet, sur le plan académique, des politiques volontaristes de soutien, de valorisation, de développement de l’apprentissage des langues et cultures régionales sont mises en place. Les académies concernées, à partir de l’ensemble des dispositions récentes, et dans le cadre de la réflexion menée en Conseil académique des langues régionales, développent des politiques volontaristes de soutien. Ce sont, par exemple, des dispositions ayant pour objet de repérer et former des étudiants afin qu’ils puissent enseigner en langue régionale, des actions de formation continue, ou une prise en compte améliorée de la continuité des parcours des élèves dans l’offre de formation et la carte scolaire. Les académies, à l’appui de cette politique, renouvellent des conventionnements ou, selon les cas, s’engagent dans de nouveaux conventionnements avec les collectivités territoriales. Une convention est ainsi en cours d’élaboration en faveur de l’enseignement des langues et cultures occitanes entre l’État, les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, et le tout nouvel Office public de la langue occitane, qui est un groupement d’intérêt public réunissant l’État et les régions.
Je n’ignore pas, bien sûr, qu’il existe encore nombre de difficultés : des politiques académiques trop hétérogènes, des moyens, qui, pour être en progression, demeurent parfois limités, enfin, une formation que nous devons encore améliorer. Mais sur un tel sujet, si profondément lié à la diversité de nos régions et de nos territoires, il est important de partir du terrain. Nous n’avancerons pas en nous appuyant sur de grandes directives venues d’en haut, mais en fondant notre action sur le dialogue et la concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. C’est d’ailleurs par le dialogue et la concertation que les services du ministère de l’éducation nationale travaillent actuellement sur une agrégation des langues de France, qui inclura différentes mentions. Ce travail, encore en cours, devrait aboutir pour une première session en 2018 ; il témoigne de la place et de l’importance que nous accordons aux langues régionales dans notre système éducatif. L’engagement de l’État dans son ensemble est donc entier en matière de promotion des langues régionales. En fait d’enseignement, la loi est allée jusqu’au bout de ce qu’il était permis de faire, notamment au regard de la Constitution.
Je veux en effet souligner qu’en l’état, la rédaction de l’article 2 fait encourir un risque d’inconstitutionnalité à cette proposition de loi. En allant au-delà de la parité horaire, le texte vise à reconnaître un enseignement dit « immersif » des langues régionales. Or, le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’enseignement par immersion, en se fondant sur le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, qui proclame que « la langue de la République est le français ». Il a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage. Le Conseil d’État a ainsi annulé l’arrêté du 31 juillet 2001 relatif à l’enseignement des langues régionales à parité horaire, en s’appuyant sur les conclusions du commissaire du Gouvernement, qui estimait que l’enseignement à parité horaire en langue française et en langue régionale était, je le cite, « la limite extrême de ce qui peut être fait dans le service public ». Le commissaire du Gouvernement soulignait aussi la « nécessaire primauté du français » qui doit, en tout état de cause, demeurer la langue de vie exclusive de l’établissement.
C’est en gardant cette décision en mémoire que le législateur a modifié l’article L. 312-10 du code de l’éducation par le I de l’article 40 de la loi du 8 juillet 2013, pour préciser que l’enseignement facultatif de langue et culture régionales peut être proposé sous la forme d’un « enseignement bilingue en langue française et en langue régionale ». C’est pourquoi il me semble qu’en matière législative, il faut s’en tenir là. Nous avons à notre disposition de nombreux leviers, aux niveaux local et national, pour développer encore l’enseignement des langues régionales, et un grand nombre de dispositifs existent déjà – je les ai rappelés – pour soutenir les publications rédigées dans ces langues. C’est à partir de ces dispositifs et de ces leviers qu’il faut agir, et c’est en nous appuyant sur l’existant que nous avons la possibilité de continuer à avancer dans ce domaine.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur Le Fur m’ayant prévenue que la motion de rejet préalable ne serait pas défendue, je vous informe que j’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Marc Le Fur.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, toute avancée, fût-elle extrêmement limitée, comme c’est le cas en l’espèce, est bonne à prendre. Je voterai donc cette proposition de loi, mais avouez qu’elle se caractérise par son opportunisme et sa faiblesse. La faiblesse, vous en êtes les premiers conscients, et on aura l’occasion de le démontrer. Votre proposition de loi n’est pas à la hauteur des ambitions légitimes et désormais urgentes du monde des langues régionales. Admettons que ce texte soit adopté ; que les choses soient bien claires pour tous nos interlocuteurs : rien ne changera !
Mais la faiblesse de ce texte, c’est aussi son opportunisme. En effet, quel est le calendrier, mes chers collègues ? Nous sommes à quatre-vingt-dix jours de la fin de la session, et c’est le moment que vous choisissez pour aborder le sujet des langues régionales, en sachant pertinemment que le temps est très court…
…et que le texte qui nous est proposé a toutes chances de ne pas aller au terme de la navette parlementaire.
Vous êtes dans la situation des élèves médiocres qui, à la veille des examens, se disent qu’il est temps de se mettre au travail. Ce choix du dernier moment pour relancer la question des langues régionales est la preuve implicite que vous avez compris que vous avez déçu. Ce constat, vous le faites implicitement mais clairement : durant ces cinq ans, vous n’avez rien fait, ou presque, pour améliorer la situation de nos langues régionales ; je le répète, vous avez déçu. La déception est d’autant plus forte qu’il vous suffisait de vous engager sur les pas qui avaient été empruntés lors la législature précédente. Permettez-moi de rappeler les choses, même si je suis convaincu que certains s’en souviennent.
Permettez-moi de vous rappeler que, lors de la précédente législature, nous avions introduit dans la Constitution une disposition reconnaissant les langues régionales : l’article 75-1 dispose en effet que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » Tout se présentait sous les meilleurs auspices. Forts de ce dispositif, on pouvait nourrir quelques espérances.
Le candidat François Hollande s’était engagé – pour être tout à fait précis, c’était son engagement no 56 – à faire ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Vous avez d’autant plus déçu que vous disposiez, au début de votre mandat, pendant trois ans, de la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat. Que ne l’avez-vous fait ?
Sourires.
Sur ce sujet comme sur d’autres, une impression de gâchis domine le terme de ce mandat. Vous avez déçu sur le sujet linguistique, mais vous avez aussi déçu dans d’autres domaines qui comptent pour nos identités régionales. Je sais que le terme d’ « identité » est susceptible de vous effrayer, mais il n’en reste pas moins que vous avez déçu, en particulier en Bretagne et en Alsace, quant à la réorganisation de nos régions.
L’Alsace, qui était naguère une région à part entière, chers amis alsaciens Sturni et Reiss, a été intégrée dans une vaste région, où elle ne se reconnaît pas. J’en viens à la Bretagne. Avec Thierry Benoit et bien d’autres, nous sommes allés à Nantes à plusieurs reprises pour dire notre attachement à la Bretagne à cinq. Là aussi, nous avions espéré, là aussi, nous avons été déçus.
Vous avez, j’y insiste, déçu sur les langues régionales. Soyez convaincus, mes chers collègues, que la question des langues régionales ne concerne pas que les locuteurs de ces langues, mais aussi beaucoup de gens qui ont oublié, perdu leur langue régionale, dont les parents parlaient ces langues, et qui gardent, à l’égard de celles-ci – cela vaut pour l’occitan, le breton et bien d’autres langues – un lien affectif. Ils ont des attentes sur ce sujet même si, de fait, ce ne sont pas des locuteurs quotidiens. Cela fait partie de leur identité, de leur personnalité, et cela compte pour eux. Ce n’est pas l’expression d’une quelconque nostalgie. Je pense à des jeunes Bretons qui, souvent, vont loin, aux États-Unis, au Canada, qui s’ouvrent au monde sans hésitation, et qui, dans le même temps, sont attachés aux langues régionales. Ceux-là étaient par exemple rassemblés en plein New York pour un festival des Vieilles Charrues, qui a habituellement lieu à Carhaix mais qui, en l’occurrence, était délocalisé, le temps de quelques jours, au centre de Manhattan. Tous ces gens sont parfaitement intégrés ; ce n’est pas de la nostalgie, c’est de l’attachement, c’est une forme de compensation à la mondialisation. Vous avez déçu ces nombreux publics, en métropole, mais aussi outre-mer. De fait, n’oublions pas l’outre-mer, déçu, également, par votre politique.
En ce qui concerne le fameux engagement no 56 du candidat Hollande sur la ratification de la charte, tout le monde attendait une initiative gouvernementale. Elle n’est pas venue. À défaut, nous avons eu une proposition de loi constitutionnelle Le Roux-Urvoas, déposée tardivement. Mais ce texte était un artifice de communication, mes chers collègues.
Pourquoi ? Parce que l’alinéa 2 de l’article 89 de la Constitution, qui définit la procédure de révision constitutionnelle, dispose que, si l’initiative est parlementaire, elle ne peut aboutir qu’au terme d’un référendum, ce qui était évidemment impossible.
C’est pour cela qu’il fallait une initiative gouvernementale : afin que que nous nous réunissions en Congrès à Versailles pour adopter la charte et lever les obstacles constitutionnels éventuels.
Il n’y a pas eu d’initiative gouvernementale. Vous avez fait semblant ! Et en faisant semblant, vous discréditez la politique !
Protestations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Agissez, ne faites pas semblant !
Pour sauver les apparences, à défaut de l’adoption de cette charte, vous voulez une loi, mais là encore en utilisant la voie parlementaire car sur ces affaires, le Gouvernement est gêné. Il n’y a toujours pas d’initiative gouvernementale – j’ai bien noté votre propos très en retrait sur ce texte, madame la secrétaire d’État. Il n’y a pas eu une seule initiative gouvernementale en cinq ans.
Avec M. Peillon, nous avons connu un ministre de l’éducation nationale clairement hostile à tout texte concernant les langues régionales. Il le disait et la logique jacobine qui l’animait l’y poussait. Aujourd’hui, nous avons, avec Mme Vallaud-Belkacem, un ministre pour le coup indifférent à l’égard de tout cela.
Je suis d’ailleurs surpris que ni le ministre de l’éducation nationale ni celui de la culture ne soient présents cet après-midi alors qu’il s’agit essentiellement d’éducation et de culture. Quel que soit le respect et l’amitié que j’ai pour vous, madame la secrétaire d’État – j’ai eu l’occasion de vous apprécier lors d’un de vos déplacements en Bretagne – il n’en demeure pas moins que les deux ministres compétents ne sont pas là. Indifférence, une fois de plus !
Le ministère de la culture est comme toujours dominé par un parisianisme patent et fait preuve d’une indifférence à l’égard des langues régionales qui confine au mépris pour ces cultures provinciales et populaires. Cette indifférence s’est manifestée encore récemment, le 16 novembre, lors du rejet de l’amendement de mon collègue de Mazières qui proposait simplement de rendre publique la répartition des crédits de la culture entre Paris et la province. Cette répartition relève certainement du secret défense ! Le Président de la République a révélé d’autres informations classées secret défense mais pas celle-là, vous l’avez remarqué. En tout état de cause, cela est une marque de mépris à l’égard de notre culture. Comme je l’ai déjà dit, la province appréciera !
À défaut de ratification de la charte, vous voulez passer par la voie parlementaire. Une occasion s’est présentée au travers de la proposition de loi de notre collègue Molac, dont chacun se souvient. Il s’agissait de poursuivre la logique de la réforme constitutionnelle. Je ne suis pas dans la posture : quand une initiative pour les langues régionales va dans le bon sens, j’y souscris sans réserve. Si un texte est bon, je le vote, peu importe qui a en été à l’initiative.
Je constate que cela n’a pas été le cas de la gauche en 2008, lorsqu’il fallait voter le nouvel article 75-1 de la Constitution énonçant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». La gauche a voté contre, à l’exception de Jack Lang et je tiens à lui rendre hommage.
J’ai regretté qu’à l’époque nous ne votions pas collectivement cette disposition en faveur des langues régionales.
La proposition de loi de M. Molac était intéressante, je l’ai dit dès l’origine. Nous l’avions enrichie par le biais d’une série d’amendements qui avaient tous été adoptés – dont cinq à mon initiative. Tout se passait bien dans l’hémicycle.
Trop bien en effet. C’était le 14 janvier 2016 : certains s’en souviennent, mon collègue Lurton était là également. Or voilà qu’à minuit, lors du vote final, le vote devient défavorable : vous avez utilisé un artifice de procédure en faisant voter sinon les morts, du moins les députés absents ce soir-là pour cause de maladie ou de mission à l’étranger ! Grâce à cela, vous avez évité – de votre point de vue – ou empêché – de notre point de vue – que la proposition Molac améliorée par Le Fur, si j’ose dire, ne soit adoptée.
Tout cela révèle l’hostilité d’une fraction de votre famille politique – je veux bien admettre que ce ne soit pas le cas de tous – qui obéit à une logique jacobine, uniformisante, où tout ce qui peut ressembler à une forme d’identité régionale doit être combattu.
Le 14 janvier 2016, cela s’est passé à quatorze voix contre treize. Je le rappelle pour que les choses soient bien claires. Nous comptons en Bretagne vingt et un députés socialistes : aucun n’était présent ce soir-là pour nous apporter sa voix. Pardonnez-moi, madame la rapporteure, mais vous n’étiez pas là. Si vous et une autre députée socialiste de Bretagne aviez été là, le texte passait.
Ceux qui en douteraient peuvent se reporter à l’analyse du scrutin no 1211 de la séance du 14 janvier 2016. Tout cela est public, notamment les noms de ceux qui ont voté pour et de ceux qui ont voté contre. Il est temps, mes chers collègues, de tirer un bilan de ce mandat.
Exit donc le pauvre Molac qui, en dépit d’un réel travail, n’a pas pu faire passer sa proposition de loi !
Vous revenez aujourd’hui avec un texte a minima parce qu’il faut sauver les soldats Le Houerou et Le Loch. Que chacun défende ses intérêts n’a rien d’illégitime au demeurant mais vous cherchez à les sauver à coups de faux-semblants !
Sur le fond, je vote toutes les évolutions qui vont dans le bon sens, fussent-elles très limitées, et ce d’autant plus que sur les articles 3, 5, 6 et 7 de votre proposition de loi je pourrais exercer mon droit d’auteur puisqu’ils sont la reprise, à la virgule près, de certains articles de ma proposition de 2011. Je ne me plains pas d’être pillé : je constate simplement que c’est le cas, sans demander de droits d’auteur !
Seulement ma proposition de loi était autrement plus riche, comptant une cinquantaine d’articles qui abordaient tous les sujets. Vous avez retenu les dispositions minimales de ce texte dans le seul objectif de pouvoir afficher une loi. Quitte à faire du copier-coller de textes des autres, vous auriez pu prendre les articles les plus ambitieux !
J’espère que nous allons utiliser cette proposition pour enrichir le débat. Nous proposerons de nombreux amendements ambitieux pour donner un tour concret à ce texte.
Il y a en effet une demande qui se manifeste dans plusieurs régions – je pense à la Flandre, cher collègue Decool, qui se bat depuis plusieurs années pour que le flamand occidental soit reconnu et enseigné. Je pense à la Corse chère à nos collègues Marcangeli, de Rocca Serra et Gandolfi-Scheit, au Pays basque, à l’Alsace, à l’Occitanie et bien sur à la Bretagne, chère Isabelle Le Callennec, chers collègues Lurton et Benoit.
En Bretagne, on parle le breton mais également le gallo de Haute Bretagne, qui est enseigné dans certains collèges et fait l’objet d’une épreuve facultative du baccalauréat. Considéré comme langue en danger par l’UNESCO, le gallo conserve néanmoins un dynamisme certain et reprend même du poil de la bête, par le biais en particulier de manifestations, de spectacles, par l’humour et la fête auxquels on a su l’associer.
Toutes ces régions dans leur diversité aspirent à voir leurs langues et leurs cultures reconnues, protégées et renforcées.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces préoccupations s’expriment très sereinement, chère collègue Annie Genevard, dans un cadre on ne peut plus républicain ! On peut être un bon Basque et un bon Français ; on peut être un bon Flamand et un bon Français ; on peut être un bon Occitan et un bon Français ; on peut être un bon Breton et un bon Français.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Tout cela est très cohérent. Il faut le dire pour convaincre ceux qui, sur tous nos bancs, n’en sont pas encore convaincus.
Il ne faut pas oublier la répression dont les langues régionales ont été victimes, dans un passé qui n’est pas si lointain, en particulier le breton. Sous la IIIe République on appliquait la funeste règle de l’abbé Grégoire qui écrivait en 1793 « la réaction parle bas-breton ». Le breton a été combattu, les enfants qui le parlaient à l’école étaient sanctionnés. Vous l’avez dit avec beaucoup d’honnêteté, madame la rapporteure, cette répression était tellement intégrée que c’était les familles elles-mêmes, dont la fonction est pourtant de transmettre, qui combattaient sa transmission.
Le mouvement culturel breton fut lui aussi combattu et objet d’accusations sans aucun fondement à la suite de la Seconde guerre mondiale. C’était oublier qu’en juin 1940, un quart des marins et des soldats français ayant rejoint le général de Gaulle venaient de l’île de Sein qui se trouve à l’extrémité de la pointe la plus occidentale du pays. Si ces hommes ne maîtrisaient pas parfaitement les subtilités de la langue française, il n’en demeure pas moins qu’ils se sont battus pour la France.
Il a fallu attendre les années soixante pour que les pouvoirs publics sortent de cette logique de culpabilisation et de sanction. Les choses ont évolué sensiblement à la suite du discours tenu par le général de Gaulle à Quimper le 2 février 1969. Permettez-moi de citer le général citant son oncle, qui s’appelait lui-même Charles de Gaulle, était un celtisant érudit, très lourdement handicapé par ailleurs, et a passé sa vie à étudier la grammaire bretonne : « Va c’horf zo dalc’het, med daved hoc’h nij va spered, vel al labous, a denn askel, nij da gaout e vreudeur a bell. » Je traduis pour ceux qui n’auraient pas compris – il y en a certainement quelques-uns dans cet hémicycle – : « Mon corps est retenu mais mon esprit vole vers vous comme l’oiseau à tire d’aile vole vers ses frères qui sont loin. »
Je voudrais aussi saluer l’action qui a suivi en Bretagne, portée par diverses sensibilités politiques. Raymond Marcellin puis Yvon Bourges avaient parfaitement compris la nécessité de faire en sorte que la région Bretagne s’investisse sur cette question. Ils l’avaient compris également pour des raisons politiques : le mouvement culturel ne devait pas être capté par des gens qui pour le coup auraient pu être hostiles à la République. Ils ont su faire des choses, se battre. Cette politique volontariste a été poursuivie par Josselin de Rohan et l’est aujourd’hui par Jean-Yves Le Drian.
Concrètement quels sont les projets indispensables ? Comme toujours en matière de langues régionales, il convient d’aborder trois chapitres : l’enseignement, la signalétique, les médias.
S’agissant de l’enseignement, la situation a bien évolué. En Corse – je parle sous le contrôle de mon ami de Rocca Serra – un enseignement en langue régionale est proposé à plus de la moitié des enfants et plus de la moitié des enseignants sont corsophones. Au Pays Basque également les choses ont très sensiblement évolué : 40% des enfants suivent un cursus bilingue et l’immersion est pratiquée dès l’école maternelle, dans l’enseignement catholique en particulier. L’enseignement public a su rattraper son retard grâce à l’accord intervenu en 1994 sous le gouvernement d’Édouard Balladur et grâce à l’action de l’Office public de la langue basque, dont la création a été rendue possible alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur – François Fillon étant alors, je le rappelle, chère Annie Genevard, ministre de l’éducation. Je souhaiterais saluer l’action remarquable en matière d’immersion menée au Pays basque par Patrick Gérard, alors recteur de Bordeaux, et le président fondateur de l’Office public de la langue basque, mon ami Max Brisson.
Si, comme Mme la rapporteure l’a mis en évidence, le nombre de locuteurs des langues régionales décline, le nombre d’enfants, d’adolescents et d’étudiants qui les apprennent ne cesse de croître. Naguère essentiellement familiale, la transmission se fait de plus en plus par le système scolaire, d’où l’importance de l’enjeu éducatif. Comme vous le soulignez, madame la rapporteure, la vitalité d’une langue repose sur son apprentissage par les plus jeunes : ceux-ci doivent pouvoir l’apprendre à l’école si leurs parents le souhaitent.
Je voudrais insister sur le travail accompli par les réseaux associatifs tels que l’ABCM en Alsace, la Bressola pour le catalan, la Calandreta pour l’occitan, Seaska pour le basque et bien sûr Diwan en Bretagne qui a été et demeure pionnier en la matière.
Permettez-moi de citer quelques chiffres concernant la Bretagne publiés par l’Office public de la langue bretonne à propos des trois réseaux Diwan, Divyez et Dihun. Ces derniers ont accueilli plus de 17 000 élèves, 16 000 en Bretagne administrative mais aussi, j’y insiste, 1 000 en Loire-Atlantique qui, comme chacun sait, appartient à la Bretagne historique. Pour l’année scolaire 2016-2017, 679 inscriptions supplémentaires ont été enregistrées dans les filières bilingues. C’est dire si la demande est forte mais encore faut-il la satisfaire, madame la secrétaire d’État !
Derrière ces chiffres se cache toutefois une réalité plus contrastée. Si la création de nouvelles filières progresse en maternelle et en primaire, la situation est plus difficile dans le secondaire. Peu d’élèves rejoignent les collèges et encore moins, ensuite, rejoignent les lycées. C’est pourquoi avec mon collègue David Robo, conseiller régional et maire de Vannes, nous avons proposé au conseil régional de Bretagne de soutenir le projet de création d’un second lycée Diwan à Vannes, lequel viendrait rejoindre celui de Carhaix. La région Bretagne où nous sommes minoritaires – mais présents – a bien voulu reprendre ce projet dont nous espérons une réalisation rapide.
Quelques actions à mener pour combler notre retard.
Tout d’abord, la reconnaissance de l’immersion. Si ce texte était une occasion de progresser sur ce plan-là, ce serait très bien. De quoi s’agit-il ? D’une technique pédagogique permettant à des jeunes d’apprendre non seulement le français – qu’ils pratiquent très bien, les résultats l’attestent en particulier au lycée Diwan de Carhaix, lequel bat des records avec 100 % de reçus au bac chaque année – mais également la langue régionale et de la pratiquer dans des disciplines tierces, c’est-à-dire d’apprendre les mathématiques, la physique, l’histoire… dans cette langue-là. C’est là que cela se passe !
La pratique de l’immersion exige également que la langue régionale puisse être utilisée dans la vie sociale du lycée c’est-à-dire que les enfants, par exemple, puissent continuer à la pratiquer à la cantine. Voilà des choses très concrètes et très simples ! Aujourd’hui, de fait, la technique pédagogique de l’immersion est utilisée mais elle est aussi freinée par un certain nombre d’obstacles, dont ceux que multiplie le Conseil d’État, comme sur d’autres sujets.
Autre difficulté : l’absence de reconnaissance législative de l’immersion. Vous l’évoquez dans l’article 2, madame la rapporteure, mais je souhaiterais quant à moi que cela soit très explicite.
Autre obstacle en matière d’enseignement : la formation des enseignants, des maîtres. Le problème est réel. Des jeunes apprennent les langues régionales mais l’enseignement de la physique, des mathématiques, de l’histoire, que sais-je encore, dans ces langues, vous le savez bien, cher collègue Herth, impliquent une double maîtrise, celle de la langue régionale et celle de la discipline enseignée.
Voilà autant de progrès possibles qui ne figurent absolument pas dans votre proposition de loi, ma chère collègue, mais j’espère que la discussion des amendements nous permettra d’avancer.
Après l’enseignement, la signalétique. Vous l’évoquez à demi-mot mais il faut que les choses soient très claires ! Nous avons beaucoup progressé sur ce plan-là, par exemple en Bretagne, où les noms français et breton figurent sur les panneaux. Dans toute la zone bretonnante, il n’y a pas beaucoup de problème de ce point de vue… sauf sur les routes nationales, où il n’est toujours pas possible de procéder ainsi. Or, dès que la région le demande, il conviendrait que ces routes, comme les autres – départementales ou communales – puissent bénéficier d’une signalétique dans la langue régionale du lieu.
Et enfin, les médias. Les associations de locuteurs nous demandent de faire des efforts dans ce domaine : sous-titrages, présence dans les radios et télévisions… Nous devons dire très clairement que le service public de l’audiovisuel doit exercer ses responsabilités au quotidien pour la promotion et la défense des langues régionales. Elles doivent être utilisées non de façon annexe mais dans des émissions d’information, culturelles, sportives, éducatives. Cela ne figure pas du tout dans votre texte mais il faut aussi que nous disions très clairement que l’une des missions du CSA est d’éviter toute discrimination à l’encontre des langues régionales.
Pourquoi donc défendre un renvoi en commission, mes chers collègues ? Parce que la commission doit améliorer très sensiblement ce texte. Parce que celui-ci ne va pas assez loin et que le président Le Roux – qui dispose encore aujourd’hui d’un poids politique réel – aurait pu faire en sorte qu’il soit plus riche en s’inspirant très clairement des dispositions de la proposition de loi Molac, si possible améliorées par les amendements que j’avais pu faire passer lors du débat sur ce texte. Cela constituait une base de travail intéressante et c’est ce que je vous propose de faire en renvoyant cette proposition en commission.
Vous auriez pu également apporter des garanties pour un certain nombre de secteurs dont il n’est pas du tout question dans cette proposition. Un certain nombre de réseaux, dont le réseau Divskouarn – « deux oreilles » –, en Bretagne, font en sorte que de très jeunes enfants, dès la crèche, puissent entendre la langue régionale. Il n’est pas question de la maîtriser à ce stade, bien sûr, mais ils doivent au moins pouvoir l’entendre de manière à ce qu’elle fasse partie de leur univers. De tels réseaux ont à un moment été gênés, embêtés par les caisses d’allocations familiales, lesquelles financent ces crèches. Aujourd’hui, soyons honnêtes, les choses s’améliorent un peu dans la pratique mais à une certaine époque il a fallu surmonter des difficultés. Là encore, nous aurions pu très clairement garantir un certain nombre de droits.
Enfin, vous auriez pu reconnaître la place et le rôle spécifiques des associations ayant pour objet la défense et la promotion des langues régionales, notamment en leur donnant la capacité d’ester en justice pour lutter contre les discriminations dont leurs locuteurs sont parfois victimes. Je suis très surpris, madame la rapporteure, qu’il n’y ait pas un mot dans cette proposition de loi sur tout ce réseau associatif extrêmement riche – et cela vaut pour toutes les régions dans lesquelles ces associations se battent, s’investissent, consacrent du temps aux langues régionales. Je crois que nous aurions pu tous ensemble progresser sereinement pour enrichir ce texte.
Pour toutes ces raisons, j’estime qu’un renvoi en commission est nécessaire. Sachez toutefois que je ne suis pas dans une logique de posture…
Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
…et si cette motion devait être rejetée, je voterais cette proposition de loi en dépit de son caractère opportuniste, limité et quelque peu hypocrite. Je considère en effet que ce débat doit permettre de saisir toutes les avancées, fussent-elles a minima, comme c’est le cas.
En tout cas, la France est fière de sa culture, de Paris, de son rayonnement international, mais elle doit l’être aussi de ses cultures, de ses racines, de sa diversité. En son coeur, au-delà du périphérique, se trouvent des régions, des cultures, des cultures populaires qui, longtemps, se sont senties méprisées et qui maintenant veulent prendre leur place. Sachons faire en sorte que cela soit le cas. Elles ne demandent pas une place excessive mais elles demandent une place malgré tout. C’est de cela dont il s’agit ! Sachons à notre façon les reconnaître et les reconnaître dans la loi !
Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Je suis saisie de plusieurs demandes d’explication de vote sur cette motion de renvoi en commission.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine
…le sens de ce renvoi en commission. M. Le Fur nous parle de faux-semblants, d’une proposition de loi opportuniste, limitée, puis il nous dit ensuite qu’il la votera et il nous explique qu’on lui a volé ses idées. Est-ce donc une proposition de loi opportuniste, limitée, etc. ou est-ce une bonne base, équilibrée, pour discuter de la promotion des langues régionales ?
J’ai simplement envie de dire, chers collègues, qu’il faut nous mettre au travail. Vous allez faire des propositions, vous allez défendre des amendements, ne tardons plus ! Nous nous opposons donc à cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Jacques Cresta, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
M. Le Fur est monté à la tribune pour un renvoi en commission qui a finalement relevé aussi de la motion de rejet préalable et de la discussion générale…
Il a fait preuve de beaucoup de talent et de conviction mais nous nous demandons pourquoi tant de brio ce soir alors que nous aurions aimé, monsieur le Fur, que ce talent, cette force de conviction aient été employés à convaincre vos collègues du Sénat de ratifier la charte européenne des langues régionales.
J’ai même cru comprendre à un moment votre regret que le Sénat ne soit pas resté à gauche.
Sourires.
Je connais votre force de conviction mais il serait schizophrénique, monsieur le Fur, qu’après avoir déposé quarante amendements vous oeuvriez pour qu’ils ne soient pas discutés. Nous allons donc faire en sorte que vous les défendiez et lorsque cette proposition de loi sera adoptée, je sais que nous pourrons compter sur vos capacités et votre force de conviction pour convaincre vos collègues du Sénat de l’inscrire à l’ordre du jour.
Le groupe socialiste, écologiste et républicain votera contre cette motion.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
Madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, nous débattons à nouveau d’un texte sur la promotion des langues régionales. Ce n’est pas la première fois, en effet, que ce sujet important fait l’objet des travaux de notre Assemblée sans pour autant déboucher sur des décisions, il faut le reconnaître.
Le 14 janvier 2016, notre Assemblée n’avait pas adopté la proposition de loi déposée par notre collègue Molac, laquelle l’avait été par notre commission après avoir été amendée. Ce texte concernait essentiellement l’enseignement immersif et la promotion des langues régionales dans l’espace public. Nous avions émis des réserves sur cette proposition car elle était à la fois peu précise sur la question de la promotion des langues régionales dans les médias et contraignante pour les actes administratifs ; elle devait de surcroît être obligatoirement utilisée par les fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction, mesure que nous ne pouvions approuver, attachés que nous sommes au statut et au rôle de la fonction publique au service de tous nos compatriotes.
En octobre 2015, le rejet par le Sénat du projet de loi gouvernemental autorisant la France, avec ses conditions, à ratifier la charte européenne des langues régionales a isolé notre pays. J’espère que le processus législatif conduisant à la ratification de cette charte sera un jour repris et qu’il ira au bout, témoignant ainsi de l’attachement de notre République à son patrimoine.
C’est le fondement de l’engagement de notre groupe des députés du Front de gauche en faveur de la promotion des langues régionales. La République française, en effet, est riche de son histoire et de sa diversité. Elle s’est construite en choisissant de faire de sa diversité un bien commun de la nation. Ni le français, ni la nation française ne sont donc menacés par les langues régionales et leur promotion.
La France, le peuple doivent avoir une langue commune pour permettre à chacun et à chacune d’accéder à égalité à tous les actes administratifs et politiques, à tous les débats et à toutes les prises de décision. Dans le passé, faute d’avoir eu accès au français pour lire et écrire, une partie de nos compatriotes a été dominée à la fois par l’État central mais aussi par le pouvoir des dominants lettrés dans leur territoire, seigneurs, nobles ou ecclésiastiques.
Il n’est pas anodin de noter qu’au moment où la République était fondée sur les ruines de cet « agrégat inconstitué de peuples désunis » décrié alors par Mirabeau, la République inscrivait son unité et indivisibilité dans la langue unissant le peuple de France.
Heureusement que notre commission n’a pas suivi l’amendement voulant remettre en cause le décret du 2 thermidor de l’an II instituant que « nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu’en langue française ». J’espère qu’il en sera de même ce soir à l’issue de nos travaux.
Parler, lire et écrire une langue commune a été un facteur d’égalité, de liberté et de souveraineté populaire mais cela ne s’oppose pas au rayonnement de notre patrimoine culturel dans sa diversité, dont les langues régionales font partie. Leur insertion dans le patrimoine constitutionnel est complémentaire de l’article 2 de la Constitution faisant du français la langue commune de la République. C’est sur ce fondement qu’a été rédigé l’article 40 de la loi pour la refondation de l’école de la République : « Les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage. »
Cet article permet d’assurer un équilibre entre, d’une part, l’exigence que le français soit la langue commune pour la démocratie et la souveraineté populaire et, d’autre part, le rayonnement des langues régionales. Cet équilibre, au-delà du seul domaine privé, permettra de les faire vivre dans le domaine public et dans le patrimoine culturel immatériel de notre République.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui traite des conditions de l’enseignement non obligatoire des langues régionales, de la signalétique bilingue en région et de leur place dans les médias.
Nous conviennent les articles 1er, 2 et 3 concernant l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur, l’article 4 sur la signalétique en régions – déjà présente dans nombre d’entre elles –, tout comme les articles 6, 7 et 8 concernant les médias même si on peut légitimement s’interroger, vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, sur le contenu contraignant de cette nouvelle responsabilité confiée au CSA, un CSA qui de surcroît sort de cette année parlementaire avec une charge de travail bien lourde.
Je me pose en revanche des questions au sujet de l’article 5, qui porte sur les aides à la presse. En effet, malgré les réponses que Mme la rapporteure m’a faites en commission, je conserve des doutes sur les conséquences que cet article pourrait avoir. S’il ne traite pas directement de la définition de la qualité d’information politique et générale – IPG – pour l’attribution des aides, il n’en reste pas moins que la volonté de traiter à égalité les publications en langue française et en langue régionale laisse planer un risque sur la spécificité de la qualité IPG, telle qu’elle est définie actuellement.
Je reste très attachée à certaines des obligations qu’elle impose aux publications, comme celle d’ « apporter de façon permanente sur l’actualité politique et générale, nationale ou internationale, des informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens » ou celle de « consacrer la majorité de leur surface rédactionnelle à cet objet » et de « présenter un intérêt dépassant de façon manifeste les préoccupations d’une catégorie de lecteurs ». Nous aimerions donc connaître le nombre de publications en langue régionale relevant de ces obligations IPG. Et nous ne vous cachons pas notre inquiétude : cette loi ne risque-t-elle pas d’ouvrir la porte à une remise en cause de la qualité IPG ?
Je dirai un mot sur les langues minoritaires, même si elles ne sont pas du tout concernées par cette loi. Mme la ministre de l’éducation nationale a pris de nouvelles dispositions pour leur apprentissage dans l’école de la République. C’est une bonne chose, et je m’en félicite, même si je regrette que la langue tamazight n’ait pas été retenue pour l’instant, alors qu’elle concerne un million de nos compatriotes.
Notre commission a adopté la proposition de loi telle que, globalement, elle avait été présentée par sa rapporteure. À condition que l’équilibre trouvé ne soit pas bouleversé par voie d’amendements, et malgré nos doutes sur l’article 5, que nous aimerions voir levés, nous voterons cette proposition de loi. Elle concerne en effet un sujet qui a du mal à faire son chemin législatif, mais qui mérite pourtant d’être traité par la loi.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous vivons aujourd’hui un moment particulièrement important. Un an après le rejet par le Sénat de la charte européenne des langues régionales, notre assemblée examine à nouveau une proposition de loi qui vise à leur donner un statut protecteur. C’est la dernière occasion, sous cette législature, d’agir pour la promotion de ces langues, qui font la fierté de notre patrimoine et qui sont entrées dans notre Constitution depuis la révision de 2008.
Je voudrais tout d’abord dire à quel point je suis heureux que notre assemblée se saisisse de ce texte. Nous avons mené, depuis des mois, un long combat pour déposer cette proposition de loi et l’inscrire à l’ordre du jour. Aujourd’hui, nos efforts sont récompensés.
Après avoir participé à la genèse de ce texte aux côtés de la rapporteure, Annie Le Houerou, j’en ai été nommé responsable pour le groupe socialiste, écologiste et républicain. Mon attachement aux langues régionales, mon investissement sur ce sujet au sein de la commission des affaires culturelles, mon engagement sur le terrain dans les Pyrénées-Orientales, mon histoire personnelle, mes racines catalanes, tout me pousse à adhérer à ce texte.
En tant que responsable de cette proposition de loi, je tiens à saluer notre rapporteure pour son travail remarquable, qui a permis d’aboutir à un texte à la fois équilibré et ambitieux, qui a été capable de fédérer près de 150 députés de notre groupe. Je voudrais également remercier d’une manière toute particulière notre président, Bruno Le Roux, pour son engagement.
Cette proposition de loi est le fruit d’un travail collaboratif qui a été ouvert, très en amont, à l’ensemble des députés de notre groupe. Ces échanges ont permis de faire remonter les propositions issues des consultations locales menées dans les circonscriptions. Bien sûr, et c’est le jeu de toute négociation, ce texte ne peut pas répondre à toutes les préoccupations qui se sont exprimées pendant ces mois de travail. Certaines propositions, qui ne faisaient pas consensus, n’ont pas été retenues, et une très grande vigilance a été portée à la rédaction des différents articles. Mais le texte auquel nous avons abouti a permis de nous accorder sur plusieurs avancées majeures, sur les grands domaines qui peuvent concourir, dans la vie quotidienne, à la promotion des langues régionales : l’éducation, la signalétique et les médias.
Je précise néanmoins, car c’est aussi mon rôle en tant que responsable pour notre groupe, que cette proposition de loi n’a pas été déposée au nom du groupe socialiste, mais bien au nom de chaque député cosignataire.
J’aimerais à présent revenir sur le contexte politique qui nous pousse à examiner aujourd’hui ce texte. Mes chers collègues, sans le refus obstiné du Sénat de ratifier la charte européenne des langues régionales et minoritaires, nous n’en serions pas là. Faut-il rappeler que notre assemblée, en janvier 2014, avait donné, à une très large majorité, le feu vert pour ratifier ce texte, et que la ratification de cette charte était un engagement du Président de la République ? Ce rejet n’a pas seulement mis la France en porte-à-faux vis-à-vis de ses partenaires européens ; il a également été néfaste pour nos langues régionales, qui accusent un déclin notoire.
C’est dans ce contexte très particulier que nous avons travaillé à la présente proposition de loi, afin de donner, malgré tout, un statut suffisamment protecteur aux langues régionales dans notre pays. Sans reprendre dans le détail le contenu des articles, j’aimerais souligner quelques avancées majeures contenues dans ce texte. L’article 1er vise à étendre aux territoires concernés, par le biais de conventions entre l’État et les régions, un dispositif qui a brillamment fait ses preuves en Corse. Cet article est très attendu par les associations qui sont engagées dans la promotion des langues régionales, comme me l’a indiqué le vice-président de l’Association pour l’enseignement du catalan.
En effet, le maillage des établissements publics proposant un enseignement en langue régionale est bien trop faible pour répondre aux attentes des familles. Dans un territoire frontalier comme le mien, la maîtrise du catalan donne pourtant un avantage considérable à nos jeunes, tant dans leurs études que sur le marché du travail. Plus généralement, le volet « éducation » de ce texte est capital, car la transmission des langues régionales aux jeunes générations est la condition première de la survie de ces langues.
Les deux autres volets comportent également des avancées importantes dans les domaines de la signalétique et des médias, notamment via l’élargissement des aides à la presse et le nouveau rôle donné au CSA pour la promotion des langues régionales dans l’audiovisuel.
Mes chers collègues, cette proposition de loi était attendue par tous ceux qui ont à coeur de défendre la richesse de nos territoires et la diversité de notre culture, aussi bien en métropole que dans les outre-mer. Pour l’ensemble de ces raisons, et à la condition que l’examen auquel nous allons procéder ne dénature pas l’équilibre de ce texte, je souhaite que notre assemblée puisse adopter cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, l’arrivée impromptue de cette proposition de loi portée par nos collègues Bruno Le Roux et Annie Le Houerou ne laisse pas de surprendre. Pourquoi, en effet, entreprendre in extremis, en fin de législature, une démarche qui n’a que peu de chance d’aboutir, compte tenu de la position du Sénat sur ce sujet ?
Je rappelle que la Haute assemblée a refusé, le 28 octobre 2015, de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Je rappelle également qu’en janvier 2016, votre majorité a rejeté une proposition de loi sur l’enseignement immersif des langues régionales portée par le groupe écologiste.
Pourquoi, donc, engager une telle démarche ?
Son objet, la promotion des langues régionales, aurait besoin, selon l’exposé des motifs, d’un cadre juridique stable et renforcé. Or la défense des langues régionales fait l’objet d’une mention explicite dans notre Constitution – excusez du peu ! Existe-t-il un cadre juridique plus fort que celui-ci ? Son article 75-1 précise en effet que : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » Je rappelle que c’est la droite qui en a ainsi décidé en 2008 – n’est-ce pas, cher Marc Le Fur ?
Mais, selon vous, cela ne suffirait pas. Encore faudrait-il veiller à en assurer convenablement l’enseignement. Allons donc voir ce qui est écrit dans le code de l’éducation ! L’un de ses articles, modifié par la loi de refondation de l’école du 8 juillet 2013, dispose que l’enseignement des langues régionales « est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage » et que « cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage ». L’enseignement facultatif est proposé ; il peut être bilingue.
Comme l’indique le rapport de la commission, dans le cadre de projets d’écoles ou d’établissements, des enseignements extensifs et facultatifs se sont développés. Les écoles peuvent aujourd’hui proposer une heure et demie de langue régionale par semaine, prise sur l’horaire de langue vivante. Au collège, elle peut être choisie comme langue vivante 2 ou 3. Dans tous ces établissements, privés ou publics, des enseignements bilingues sont possibles. Enfin, il existe, dans le primaire et le secondaire, des établissements proposant un enseignement immersif, ce qui signifie que la langue régionale est celle de la vie scolaire. La loi Fillon de 2005 et la loi de refondation de l’école de juillet 2013 ont encouragé le développement de ces formes d’enseignement, ainsi que l’information des familles. Aujourd’hui, 300 000 élèves suivent un enseignement en langue régionale, soit un élève sur 40. Ce n’est pas rien ! Voilà ce qui existe déjà, partout sur le territoire national !
Examinons les articles de cette proposition de loi qui concernent l’éducation. L’article 1er mentionne le cadre conventionnel entre l’État et les collectivités. Mais cela figure déjà, nous l’avons vu, dans le code de l’éducation ! On y ajoute explicitement les collèges et les lycées, mais le code indique déjà que l’enseignement des langues régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité – ce qui signifie qu’il peut se prolonger au collège et au lycée ! Cette mention est donc parfaitement inutile.
Proposer des dispositions qui existent déjà, voilà qui est incompréhensible – sauf à faire une lecture politique de ce texte, j’y reviendrai. Combien de fois avons-nous entendu dans cet hémicycle, à propos d’un amendement de l’opposition : « Avis défavorable, votre amendement est satisfait ! ». Eh bien, madame la ministre, à mon tour, j’ai envie de vous dire : « Avis défavorable, votre loi est déjà satisfaite. » Et elle est bavarde !
Regardons à présent l’article 2, qui semble plus préoccupant. Le Conseil d’État a annulé des dispositions permettant que la langue régionale puisse être la langue principale d’enseignement, car cela contrevient à la loi Toubon. Celle-ci dispose en effet que la maîtrise de la langue française est l’un des objectifs fondamentaux de l’enseignement. Certes, l’article 2 réaffirme l’objectif de maîtrise de la langue française, mais il s’affranchit d’un horaire minimal. Ce point est problématique. Chacun comprend en effet qu’il n’est pas possible de maîtriser convenablement une langue aussi difficile que le français avec des horaires réduits.
Et puisque nous parlons de la maîtrise du français, j’en profite pour rappeler que les chiffres de l’illettrisme et de l’insuffisance de la maîtrise de la langue française sont accablants. Un jeune sur dix rencontre de grandes difficultés de lecture et, sur 770 000 personnes âgées de 15 à 25 ans, près de 10 % ont de très faibles capacités de lecture. Par ailleurs, la proportion de lecteurs médiocres augmente elle aussi, pour atteindre près de 10 %.
Je ne dis pas que les langues régionales sont un obstacle à l’apprentissage du français.
Je dis simplement que l’apprentissage du français n’est pas chose aisée et que c’est sur cet enseignement qu’il faut « mettre le paquet », si vous me passez l’expression. Il faut, pour cela, un volume horaire suffisant, et cet article risque de le réduire, ce qui est préoccupant.
Enfin, que penser de la cohérence d’une politique scolaire qui affaiblit l’enseignement de l’allemand dans les classes bilangues – n’est-ce pas, chers collègues alsaciens ? – et qui veut renforcer les langues régionales dans les classes bilingues ? Allez chercher la cohérence d’une telle position !
La deuxième disposition contenue dans l’article 4 concerne l’usage des langues régionales sur la signalétique des bâtiments publics, les voies publiques de circulation, les voies navigables et les supports de communication institutionnelle. Que dire, sinon que cela a déjà cours, comme Marc Le Fur l’a rappelé, dans de nombreuses régions où il existe une langue régionale ?
Aujourd’hui, rien ne l’empêche et, dans cet article, rien n’y oblige. Donc, à quoi sert-il ? C’est la deuxième preuve qu’il s’agit d’une loi bavarde. Sur le fond, je note que cette double inscription donne lieu parfois à des dégradations de la mention française, comme on peut le voir au Pays basque, par exemple, où cette dernière est très souvent taguée, cachée…
J’y vais régulièrement et j’ai pu le constater par moi-même. Il y a là une forme de radicalité inacceptable de ceux qui tendent à considérer que la langue régionale serait plus légitime que la langue française.
De surcroît, tel que rédigé, l’article 4 prévoit que cela est laissé à la discrétion des régions par voie contractuelle ou conventionnelle. Je précise que cela modifie la loi NOTRe, laquelle, il n’y a pas si longtemps, a attribué aux communes, aux départements, aux régions et aux collectivités à statut particulier la compétence partagée en matière de promotion des langues régionales.
Donc, si on comprend bien, la promotion des langues régionales par l’enseignement est une compétence partagée alors que la promotion par la signalétique deviendrait une compétence exclusive de la région. Tout cela introduit de la confusion, là où la loi NOTRe était censée introduire de la clarification.
Venons-en maintenant au titre III, qui a trait aux médias. Dans votre rapport, madame la rapporteure, vous indiquez que toutes les publications en langue régionale sont juridiquement éligibles aux mêmes aides que celles en langue française et qu’elles en bénéficient progressivement, pour autant qu’elles démontrent s’adresser à un nombre suffisant de lecteurs. Vous jugez cela trop restrictif. Il est pourtant normal, et moral, dès lors que l’on mobilise des fonds publics, de s’assurer qu’ils profitent au plus grand nombre.
Je souligne que Mme la ministre de l’éducation nationale a voulu supprimer les classes bilangues et sacrifier l’enseignement du latin, au motif précisément que cela ne s’adressait pas au plus grand nombre des élèves. Il y a là une différence de traitement qui pose un problème de cohérence. En outre, s’agissant des aides à la presse, dans une enveloppe normée, toute augmentation du nombre de bénéficiaires implique naturellement une diminution de l’aide reçue par chacun. Lorsque l’on connaît la fragilité économique de la presse en France, le sujet mérite réflexion !
L’article 6 assortit, je dirais même assujettit, la notion de liberté d’expression à la promotion des langues régionales. Autrement dit, il n’y aurait pas de définition complète de la liberté d’expression, sans la mention expresse des langues régionales. C’est tout de même très excessif !
Enfin, l’article 7 pose un sérieux problème de constitutionnalité. Réserver des fréquences à des radios diffusant des programmes en langues régionales revient à accorder des droits spécifiques à des locuteurs en langues régionales, ce qui avait précisément motivé la censure du Conseil constitutionnel, au motif que la République est une et indivisible et que la langue de la République est le français. J’ajoute que la radio est ouverte largement aux langues régionales. J’y reviendrai lors de la défense de nos amendements.
On le voit, cette proposition de loi est inutile en ce qu’elle reprend des dispositions déjà existantes. C’est une loi d’affichage, dont certains articles sont de surcroît probablement inconstitutionnels. Que dire de ce qui l’a motivée ?
L’objectif est purement politique. À quelques mois d’une échéance que vous devinez catastrophique, vous appliquez, ou tentez d’appliquer, la méthode préconisée par Terra Nova. Vous segmentez l’électorat et proposez aux différents segments un programme ad hoc pour essayer de limiter la débâcle électorale.
Est-ce une bonne façon de servir la cause des langues régionales que de les instrumentaliser ainsi dans une démarche que vous savez vouée à l’échec ? Je ne le crois pas.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, pour la deuxième fois en moins d’un an, nous débattons du sujet, ô combien passionnant, des langues régionales et minoritaires. Comme l’a dit à l’instant Marc Le Fur, toutes les avancées, aussi minimes soient-elles, sont bonnes à prendre. Tel est l’état d’esprit de mon intervention de ce soir, au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Les députés du groupe UDI, comme avant eux ceux de l’UDF, sont depuis longtemps favorables à la ratification de la charte européenne des langues régionales et à la construction d’une Europe des peuples, dans laquelle le dialogue, les échanges et la communication auraient toute leur importance.
Avec plusieurs collègues du groupe UDI, j’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi visant à ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, comme d’ailleurs beaucoup de mes collègues qui partagent le même objectif – Marc Le Fur, Paul Molac et certainement des députés d’autres groupes. Notre objectif est de protéger les langues régionales et minoritaires, ainsi que de favoriser le droit pour chacun de les pratiquer.
Nous le réaffirmons avec force : faire prospérer les langues régionales ne menace en rien l’unité républicaine. Au contraire, la diversité régionale s’affirme dans l’unité républicaine. Par le biais de ses langues régionales, la France a la chance de posséder un patrimoine linguistique d’une richesse inégalée en Europe. Malheureusement, aujourd’hui, si les collectivités territoriales volontaires tentent de remédier aux carences de l’État, elles le font, comme chacun sait, dans un contexte juridique précaire, qu’il convient d’améliorer et surtout de sécuriser.
Ce texte propose ainsi des mesures concrètes dans le domaine de l’éducation, en prévoyant notamment la possibilité de proposer systématiquement un enseignement facultatif en langue régionale aux élèves des territoires concernés et en donnant une reconnaissance juridique à l’enseignement bilingue françaislangue régionale, quelle que soit la durée d’enseignement dans les deux langues. Ce texte oeuvre également au développement de la signalétique bilingue. Il soutient la presse publiant en langue régionale et offre au CSA de nouvelles missions pour la promotion des langues régionales et l’attribution de fréquences aux radios diffusant en langue régionale.
Mes chers collègues, permettez-moi de poursuivre mon intervention en évoquant l’apprentissage de ces langues à l’école, mère de longues batailles. Les chiffres sont sévères : Mme Le Houerou et Mme Genevard l’ont évoqué, nous assistons à un fort recul de l’usage des langues régionales.
Entre les générations nées dans les années trente et celles nées dans les années quatre-vingts, le nombre de personnes capables de s’exprimer dans la langue régionale a été divisé par deux pour le basque, par trois pour l’alsacien, et par dix pour le breton, même si la Bretagne compte deux langues, le breton et le gallo – n’est-ce pas, mes chers collègues bretons ?
Ainsi la langue bretonne n’est plus parlée que par 3 % des jeunes de 20 ans. Si nous n’agissons pas, cette culture va disparaître et il sera trop tard pour nous en alarmer.
Sur ces territoires, la transmission intergénérationnelle des savoirs et des pratiques est affaiblie. Or, pour prospérer, une langue doit être apprise et accompagner la vie quotidienne de ses locuteurs. La récente réforme du collège a suscité et suscite toujours beaucoup de protestations chez les défenseurs des langues régionales.
L’autonomie laissée aux chefs d’établissements et le flou de certains textes font que, d’une part, la concurrence est souvent rude entre les matières et que, d’autre part, il existe des inégalités flagrantes entre les académies, voire parfois au sein d’une même académie.
Le nouveau module « langues et cultures régionales » ne permet pas toujours d’enseigner également l’histoire régionale et de donner aux élèves une meilleure connaissance de leur environnement régional, grâce une dynamique qui puisse embrasser l’histoire européenne, nationale mais aussi régionale. Les langues régionales, comme les langues étrangères, sont pourtant une richesse, une ouverture d’esprit, une nouvelle façon de penser et de s’exprimer. Il est important de développer l’apprentissage des langues dans les écoles et de former de nouvelles générations de locuteurs.
Si nous soutenons cet apprentissage, nous insistons également sur le fait que l’étude des langues régionales ne doit pas se faire au détriment de l’acquisition des savoirs fondamentaux.
Certains collègues l’ont rappelé, le classement désastreux des élèves français pour la maîtrise des mathématiques, publié hier, doit nous alerter une nouvelle fois sur l’urgence de donner à chaque élève les moyens de maîtriser le français et les mathématiques.
Concernant la visibilité des langues locales dans l’espace public, il est important qu’elles irriguent le territoire. Certains panneaux indicateurs ou d’information à l’entrée et à la sortie des agglomérations proposent ainsi une signalétique en français et en langue régionale. Cette pratique permet à la population, comme aux touristes d’ailleurs, de s’identifier fortement à une région. Le plus bel exemple se trouve dans le département d’Ille-et-Vilaine, où le Stade Rennais n’évolue plus au Stade de la route de Lorient mais au Roazhon Park. Notre seul regret concernant cette disposition, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, est l’absence de moyens supplémentaires alloués aux collectivités. Or, vous le savez bien, les dotations de l’État diminuent et les budgets locaux sont de plus en plus contraints.
En ce qui concerne la diffusion des médias en langue régionale, France Télévisions a déjà prévu un renforcement de l’offre régionale dans son contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2016-2020. À l’horizon 2020, les programmes régionaux proposés par France 3 devront constituer en moyenne 35 % de l’offre. Le renforcement des missions du CSA nous laisse toujours quelque peu dubitatif, mais nous ne nous y opposerons pas.
Nous sommes plus réservés sur l’article 7, qui prévoit l’attribution d’une ou plusieurs fréquences à des candidats prévoyant la diffusion de services de radio en langues régionales. Les fréquences de la TNT sont des biens rares et le législateur doit veiller à la pertinence de leur utilisation.
Faute de modèle économique solide et par manque criant de moyens, les télévisions locales peinent aujourd’hui à trouver leur place face aux médias concurrents. Contrairement au Canada, aux États-Unis ou à l’Espagne, la France ne parvient pas à faire émerger un solide réseau de chaînes locales sur son territoire. Les télévisions locales souffrent du caractère aléatoire de leurs revenus publicitaires et de celui, fluctuant, des aides des collectivités. Nous avons appris il y a quelques jours que les recettes publicitaires des médias étaient déjà en baisse. Si cette proposition de loi va au bout du processus parlementaire, il conviendra impérativement de réétudier le fonctionnement de ces structures, voire d’encourager le rapprochement entre différentes chaînes locales, afin de renforcer leur poids et leur budget, souvent modestes.
Mes chers collègues, nos langues régionales constituent un patrimoine culturel vivant. C’est bien la beauté de la langue provençale qui avait valu à Frédéric Mistral le prix Nobel de littérature en 1904, pour son poème Mirèio. Il faut que la pluralité linguistique et culturelle retrouve droit de cité dans notre pays, après des siècles de relégation dans les catacombes de la marginalité et du mépris.
Nous devons agir pour une France enfin réconciliée avec la multiplicité de ses racines, de ses modes d’expression et de ses génies, qui s’enrichit de ces divers apports au lieu de les combattre au nom de la suprématie d’une norme uniforme s’imposant à chacun.
Je tiens à replacer ce débat sur les langues régionales dans le contexte d’une réforme importante de ce quinquennat : celle de la carte des régions. Je redis ici ma grande désillusion à ce sujet. Promouvoir les langues régionales est une chose, développer des bassins de vie et réconcilier l’histoire et la culture avec la modernité en est une autre. Je pense notamment à la carte des régions et à l’échec de notre projet de réunifier les cinq départements bretons. Il était possible de créer une belle région du Val de Loire, s’appuyant sur les grandes villes que sont Le Mans, Tours et Orléans, et une belle région de Bretagne réunifiée.
« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Puisque la Bretagne compte deux langues, le breton et le gallo, et étant un citoyen des Marches de Bretagne, je tiens à faire une citation en gallo,
l’orateur s’exprime en gallo
qui se traduit ainsi en français : « Il est temps maintenant de mettre tout le monde à prêcher et à parler le gallo, ou toute autre langue. Je veux, nous voulons sauver notre manière de causer en Bretagne, pour transmettre la langue aux plus jeunes d’entre nous et aux générations qui nous succéderont. »
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous exprimer sur une proposition de loi relative à la promotion des langues régionales. Ce texte a été déposé à l’initiative de notre collègue Bruno Le Roux et d’une partie du groupe socialiste, mais pas de sa totalité, comme l’a rappelé Mme la rapporteure. Le groupe Les Républicains a, lui aussi, indiqué qu’il n’avait pas de position unanime sur la proposition de loi. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste n’échappe pas à cette tendance, ce qui montre bien que le sujet ne fait pas consensus : il suffit de regarder nos difficultés à nous accorder lors des six propositions de loi qui ont été déposées sur le sujet depuis le début de la législature.
C’est, somme toute, compréhensible car, si parler une seule et même langue, pouvoir la lire et l’écrire et posséder une législation et une Constitution rédigées dans une langue commune sont des biens inestimables – c’est cette langue commune qui fait nation –, en sens inverse, pouvoir acquérir une ou plusieurs autres langues est une richesse et une chance, qu’il nous faut évidemment encourager. Que la France soit une République une et indivisible, dont la seule langue est le français, n’interdit nullement d’accorder une place aux langues régionales, d’autant que l’article 75-1 de la Constitution dispose qu’elles « appartiennent au patrimoine de la France ».
Je n’oublie pas non plus qu’un pays trouve sa force également dans l’histoire de ses régions et de ses langues. La France, c’est la diversité, et la diversité c’est ma culture, comme disait Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry.
« Ah, nous l’attendions ! » sur divers bancs.
Aujourd’hui, près de 300 000 élèves pratiquent une langue régionale. Pourtant, la diminution du patrimoine linguistique s’accélère depuis les années 1990 : 50 % des quelque 6 000 langues parlées risquent de disparaître avant la fin du siècle. C’est pourquoi l’UNESCO a été à l’initiative, en 2005, de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, dont fait partie la diversité linguistique. C’est cet aspect essentiel qui doit, par-delà les aspects politiciens, nous amener à débattre de ce texte.
L’article 1er pose le principe de la reconnaissance de l’enseignement des langues régionales comme matière facultative. Cet article va même plus loin encore, en établissant que, lorsqu’il existe un besoin reconnu sur un territoire, l’enseignement de la langue régionale devra être proposé aux élèves de maternelle, du primaire et du secondaire, sans toutefois que cet enseignement ait un caractère obligatoire. Cet article encourage l’apprentissage des langues et cultures régionales, sans l’imposer aux élèves. Il ne remet donc nullement en cause notre langue commune ni les principes de la République. Il n’enlève rien à personne et n’impose rien à tout le monde.
En revanche, l’article 2 laisse une grande partie du groupe RRDP sceptique. Pourquoi ? Le XVIe sommet de la francophonie, qui avait pour thème « la croissance partagée et le développement responsable », s’est achevé à Madagascar le 27 novembre. Des positions ont été prises, qu’il s’agisse de la lutte contre la radicalisation dans l’espace francophone ou de l’orientation en faveur d’une place plus importante pour les femmes et les jeunes. Ces valeurs sont les nôtres.
Année après année, les sommets de la francophonie montrent que la France a un rôle central à jouer. C’est d’abord à la France de réaffirmer que l’espace francophone est porteur des valeurs de notre pays. Oui, la francophonie est un atout pour le rayonnement et le développement de notre pays dans le monde. Or l’article 2 nous semble porter atteinte à la position que la France doit avoir sur la scène de la francophonie. Il est en effet excessif et inacceptable de permettre aux langues régionales de supplanter le français à l’école. Nous soutiendrons les amendements de suppression de cet article 2, comme ceux de nos collègues Jean-Luc Laurent ou Marie-Françoise Bechtel.
L’article 3, quant à lui, concerne l’enseignement des langues régionales dans l’enseignement supérieur. Il aurait été opportun que la proposition de loi comporte davantage de dispositions visant à favoriser l’enseignement des langues et cultures régionales dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE. Contraints par l’article 40, nous n’avons pas pu déposer, à l’initiative de notre collègue Ary Chalus, un amendement proposant un module obligatoire d’initiation aux langues et cultures régionales dans les ESPE. La Constitution vous autorise, madame la secrétaire d’État, à déposer un tel amendement.
Le titre II de la proposition de loi, qui vise à généraliser, à la demande de la région concernée, sur tout ou partie de son territoire, la signalétique bilingue dans les services publics ou sur les voies publiques de circulation, nous semble disproportionné.
Enfin, le titre III concerne la place des langues régionales dans les médias. Je reprendrai ici à mon compte les réserves émises par notre collègue Marie-George Buffet tant en commission qu’en séance publique. Pour leur part, les articles 6 et 7 traitent de la présence des langues et cultures régionales dans l’espace audiovisuel et radiophonique français. Avec ces deux articles, la présente proposition de loi répond à son principal objectif : donner aux langues et cultures régionales un rayonnement plus important dans notre pays.
Comme je l’ai souligné au début de mon intervention, les députés du groupe RRDP sont partagés sur les différentes dispositions du texte qui nous est aujourd’hui présenté. Le groupe RDP laisse donc la liberté de vote à chacun de ses membres.
Je voudrais terminer cette intervention en soulignant le fait que nous ne sommes pas opposés, en dépit de ces réserves, aux langues régionales. Je tiens à vous parler de la francophonie, dont le développement doit également s’accompagner de la promotion de notre langue, le français, dans notre pays et dans le monde. Car, si le français, nous le savons tous, est menacé à l’extérieur, il est également fragilisé chez nous non seulement avec la montée du franglais et des anglicismes mais surtout avec ce mal endémique qu’est l’illettrisme. Nous ne devons jamais perdre de vue l’enjeu fondamental de la francophonie à l’international, parce c’est notre langue, le français, qui est le symbole de l’universalisme. Nous ne devons pas l’affaiblir.
Ne perdons jamais une occasion de renforcer l’espace francophone regroupé au sein de l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF, qui représente quatre-vingt-quatre États ou gouvernements, soit près de 900 millions d’habitants. Ce n’est pas rien ! Je suis député de l’Aisne : si le picard est voisin, aucune langue régionale n’est parlée dans ma circonscription, où, en revanche, est située la ville de Villers-Cotterêts. C’est là qu’en 1539 fut signée l’ordonnance de François Ier : cet acte fondateur a fait du français la langue officielle du droit et de l’administration, à la place du latin.
Ce berceau de notre langue et de la culture française est situé à quelques kilomètres seulement de Roissy-Charles-de-Gaulle. Or le château de Villers-Cotterêts, dernier château royal de François Ier, inoccupé, est aujourd’hui menacé. Je vous demande, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir transmettre mes remerciements à Mme la ministre de la culture et de la communication qui, dans un courrier du 15 novembre 2016, nous a informé du déblocage d’une enveloppe de 200 000 euros pour, d’ici à la fin de l’année, réaliser des études et identifier les travaux permettant en toute urgence de préserver ce château.
Les collectivités territoriales, l’agence de développement touristique de l’Aisne et l’association historique de Villers-Cotterêts ont proposé au secrétariat d’État chargé du budget le lancement d’un appel à idées international. Ce n’est donc pas de l’argent qui est demandé à Bercy, mais simplement l’autorisation de solliciter des investisseurs étrangers. Le site internet, ouvert à cet effet, laisse paraître des propositions prometteuses. Comme l’écrivait Alexandre Dumas dans Le Vicomte de Bragelonne : « La nécessité est la mère de l’invention ». Seule la signature de M. le secrétaire d’État chargé du budget manque. Si vous pouviez intervenir, madame la secrétaire d’État, pour l’obtenir, l’État, en signant, favoriserait non seulement un sauvetage patrimonial, mais aussi les fondements d’une action de développement économique autour de la promotion de notre langue et de son histoire, afin de porter encore plus haut les valeurs de notre langue, le français.
La France posséderait ainsi un espace dédié à sa langue et à son histoire. Le château de François Ier à Villers-Côtterets s’impose naturellement pour être ce site. Ce serait également un formidable outil de promotion des langues régionales et de la langue française, car la francophonie est un combat de tous les jours. N’oublions jamais que c’est notre langue, le français, qui porte l’expression des Lumières, la valeur du vivre-ensemble et l’esprit de fraternité entre les peuples.
Vous l’avez compris : si nous ne sommes pas opposés à la promotion des langues régionales, notre priorité, c’est de renforcer notre langue, le français, et de promouvoir la francophonie.
Promouvoir la francophonie, c’est soutenir aussi les langues régionales. Inversement, soutenir les langues régionales ne doit pas affaiblir le français mais au contraire, le renforcer. Voilà ce que le groupe RRDP souhaite défendre en priorité.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, je me tourne vers Marc Le Fur, auquel, assurément, nous ne saurions reprocher d’avoir des convictions. Je tiens cependant à lui dire qu’il a fait preuve de mauvaise foi en rappelant que vingt et un députés socialistes bretons étaient absents de l’hémicycle lors de l’examen de la proposition de loi de M. Molac, puisqu’il fut le seul député du groupe Les Républicains à voter ce texte.
Je partage en revanche avec lui la conviction selon laquelle il est nécessaire de préserver la diversité linguistique et culturelle. C’est un enjeu majeur car c’est une question de dignité. Les langues régionales contribuent au développement personnel et collectif en même temps qu’elles favorisent la diversité de la pensée et de l’expression.
La France, du reste, a, en la matière, une responsabilité particulière au plan international : si la moitié des langues régionales européennes est appelée à disparaître d’ici à la fin du XXIe siècle, la France est très concernée, en raison de la grande diversité et de la richesse de son patrimoine linguistique. Or ce patrimoine est aujourd’hui menacé, sans doute – ce n’est pas la seule raison – parce que le cadre légal demeure trop contraignant pour assurer sa sauvegarde.
Mes collègues l’ont rappelé à plusieurs reprises : la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales consécutive à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 témoigne de l’intérêt de la nation pour ce patrimoine immatériel. Par le nouvel article 75-1, le constituant a reconnu que la sauvegarde des langues régionales n’était pas seulement l’affaire de leurs locuteurs, qui sont de moins en moins nombreux – entre 1 % et 5 % entre les régions : elle concerne au contraire la nation tout entière. Ces langues constituent le patrimoine commun des Français et non pas de la seule catégorie des citoyens qui les parlent. Le libre accès de chaque Français à ce patrimoine immatériel doit désormais être garanti par la loi et le cadre législatif doit donc être complété.
L’actuel code de l’éducation, en dépit d’avancées certaines, n’autorise pas le développement des langues régionales sur l’ensemble du territoire : ici ou là, seules des conventions régionales permettent la mise en oeuvre de leur enseignement. En dépit de la demande, certaines académies et certains départements ne sont pas à même de respecter cet engagement. Tel est également l’objectif de cette proposition de loi.
La réalité, c’est que les langues régionales de France sont, très souvent, moins bien traitées que les langues étrangères,…
…qu’il s’agisse, dans l’enseignement, des concours de recrutement des professeurs des écoles, de la gestion de la ressource humaine ou des coefficients au baccalauréat et au brevet, ou encore de la programmation musicale des stations de radio ou de la diffusion artistique sur les différents médias. La loi n’assure une présence significative des langues régionales ni à l’école ni dans l’audiovisuel.
Il ne fait aucun doute que les langues régionales ont besoin d’une protection juridique différente de celle dont bénéficie la langue française, puisque leur position n’est évidemment pas la même. Comme cela a été relevé dans un grand nombre de pays étrangers pour des langues comparables, il ne suffit pas d’autoriser leur usage ou de supprimer les discriminations dont elles font l’objet pour éviter leur disparition.
Il est donc nécessaire de construire une véritable politique de soutien à ces langues, qui combine les outils juridiques et institutionnels. Sans porter atteinte au statut constitutionnel de la langue française, un tel régime de promotion peut être développé par le législateur – c’est l’objet du texte –, en offrant comme garantie à ces langues et cultures régionales d’être l’objet de l’ensemble de la communauté nationale.
C’est le sens de cette proposition de loi, qui vise à organiser une politique de protection publique. Le soutien que les pouvoirs publics accorderont aux différentes langues de France constituera le meilleur argument en faveur de la politique de pluralisme linguistique que notre pays entend promouvoir bien au-delà de nos frontières.
Je suis profondément attaché à l’école publique, qui me semble le lieu le plus approprié pour la prise en charge de ce patrimoine national. C’est là que j’ai appris l’occitan, que je pratique malheureusement très mal aujourd’hui. La présente proposition de loi, adoptée et appliquée, pourrait au moins corriger la situation actuelle, qui présente certains manques. Si la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a permis quelques avancées, nous devons aller encore plus loin.
Je suis donc convaincu de la nécessité de faire toute sa place à l’enseignement des langues régionales – de l’occitan en ce qui me concerne – dans l’école de la République, sans préjudice aucun pour les autres filières existant à l’heure actuelle, et tout au long de la scolarité. C’est une des solutions qui permettront de promouvoir les langues régionales. Certains exemples locaux attestent de l’efficacité de cette politique et de l’intérêt réel que nos concitoyens portent à leur patrimoine.
Si cette proposition de loi était adoptée, elle serait aussi pour nous, députés de la majorité, une façon de réaliser la promesse de François Hollande de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires,…
…promesse qui a été entendue dans l’ensemble de nos régions mais pas dans l’ensemble du Parlement.
Tels sont les objectifs de la présente proposition de loi, que je vous invite à adopter.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi relative à la promotion des langues régionales.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly