Notre objectif partagé était d’aboutir à un texte d’équilibre, néanmoins ambitieux. Cette proposition de loi a fédéré près de 150 cosignataires ; je souhaite désormais qu’elle obtienne le soutien de la très large majorité de notre hémicycle et ce, au-delà des clivages politiques traditionnels. L’examen des amendements déposés démontre que les soutiens comme les oppositions émanent de familles politiques différentes.
Je veux souligner que l’éducation est le vecteur essentiel du développement des langues régionales. Des obstacles demeurent pourtant en matière d’enseignement, alors que les familles sont de plus en plus nombreuses à solliciter cet apprentissage. Les difficultés d’accès à cet enseignement ont d’ailleurs tendance à s’aggraver au fil de la scolarité, comme en témoigne la faible proportion d’élèves obtenant la mention « langue régionale » au diplôme national du brevet des collèges : 9 % des collégiens étudient le corse, 5 % l’occitan, 4 % le breton, 1 % l’alsacien !
Le deuxième obstacle est lié aux horaires actuels d’enseignement de l’option « langue régionale », qui ne permettent pas de fournir les deux heures trente à trois heures jugées comme le temps minimal pour une sensibilisation linguistique efficace. C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi reprend la solution expérimentée avec succès en Corse depuis la loi du 22 janvier 2002. Amendé afin de maintenir la rédaction existante pour la Corse, l’article étend ce dispositif dans le cadre de conventions entre l’État et les régions, y compris bien évidemment les collectivités d’outre-mer visées à l’article 73 de la Constitution. Cette disposition permet d’intégrer les cours de langue régionale dans les horaires normaux, non seulement des écoles, comme c’est le cas en Corse, mais aussi des collèges et des lycées. Ces cours systématiquement proposés – je tiens à le souligner – demeureront bien sûr au libre choix des familles. Les conventions prévues entre les régions et l’État définiront d’une part, le territoire où cette offre d’enseignement pourra être intensifiée et, d’autre part, les modalités pratiques de cette action. C’est une solution de souplesse qui permettra d’adapter la cartographie de l’enseignement aux besoins, et laissera le temps à l’État de déployer les indispensables moyens nouveaux, notamment les enseignants.
Le troisième obstacle au niveau éducatif concerne un type d’enseignement d’une efficacité exceptionnelle, non seulement pour l’acquisition des langues régionales, mais aussi pour la maîtrise du français et du socle commun. Certains établissements proposent un enseignement bilingue, dit immersif. Le succès de ces établissements est remarquable tant pour la maîtrise d’un français irréprochable que pour celle des langues régionales. Les écoles Diwan en Bretagne, par exemple, alors que la composition sociologique y est proche de celle de la moyenne des établissements publics de leur région, affichent des résultats supérieurs de près de 10 % aux moyennes nationales, s’agissant tant de la maîtrise du français mesurée en CM2 que des taux de réussite au brevet et au baccalauréat. Le Conseil d’État a malheureusement freiné cette méthode en invoquant, en 2002, la nécessité de respecter une stricte parité entre le français et la langue régionale. Ce concept n’a aucun fondement pédagogique. Cette décision du Conseil d’État compromet l’enseignement immersif alors que celui-ci a fait ses preuves sans compromettre aucunement la bonne maîtrise de la langue française. Pour rassurer les uns et les autres, l’article 2 de notre proposition de loi rappelle que ce mode d’enseignement s’effectue dans le respect des objectifs de maîtrise du français fixés par le code de l’éducation.
S’agissant de la présence des langues régionales dans la vie quotidienne, l’article 4 permet aux régions volontaires d’homogénéiser des pratiques aujourd’hui très disparates. Il vise en effet à généraliser, dans leur bassin d’usage, les traductions en langue régionale des signalétiques des voies et des bâtiments publics, ainsi que des principaux supports de communication institutionnelle des services publics.
Enfin, les médias jouent un rôle incontournable dans la diffusion des pratiques linguistiques. Le dernier volet de cette proposition de loi leur est consacré. L’article 5 répare une injustice, qui fait que certaines publications ou sites internet d’information sont aujourd’hui exclus de certaines aides publiques au seul motif qu’ils sont rédigés en langue régionale, pourtant reconnue comme patrimoine de la France par la Constitution. Les articles 6 et 7 traitent de la présence des langues régionales dans l’audiovisuel. Nous proposons, à l’article 6, de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, une nouvelle mission : celle de veiller à la promotion des langues et cultures régionales. Quant à l’article 7, il donne une priorité dans l’attribution des fréquences radio locales aux éditeurs qui émettent en langue régionale. Participer à la sauvegarde d’un patrimoine protégé par la Constitution me semble justifier aisément l’attribution d’au moins une fréquence dans les bassins d’usage de ces langues.
Avant de conclure, je voulais saluer tous ceux qui, sur nos territoires, agissent au quotidien pour la promotion et la transmission des langues régionales, en particulier les enseignants et les professionnels qui assurent cette transmission des savoirs. Je pense notamment aux offices des langues régionales qui font ce travail de promotion indispensable. Je rends hommage également à Armand Jung, qui présidait le groupe d’études de l’Assemblée nationale, et à Jean-Jacques Urvoas, qui en 2012 écrivaient : « Les pouvoirs publics de notre pays sont redevables devant les générations futures de [la] préservation et de [la] pérennisation [des langues régionales]. Car elles contribuent à la richesse de notre Nation, et nul n’a le droit, par indifférence ou hostilité, de laisser se perdre tout ou partie de ce patrimoine inestimable. »
Pour terminer, je voudrais une nouvelle fois citer le chanteur breton Denez Prigent : « Les cultures, les langues, les traditions des peuples sont comme les plantes d’un même jardin, toutes différentes, mais poussant dans un même terreau, d’où l’importance pour chacun de défendre ses racines contre l’uniformisation grandissante du monde qui voudrait faire de ce jardin merveilleux un grand champ aux épis identiques. »