Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, les langues régionales font partie de notre patrimoine. Comme vient de le souligner Mme la rapporteure, elles sont constitutives de la richesse culturelle de notre pays. C’est un héritage vivant et présent, et c’est bien ainsi qu’elles ont été envisagées dans notre politique, tant par le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche que par celui de la culture et de la communication. Je commencerai mon propos par les aspects de la proposition de loi relevant du ministère de la culture et de la communication : la presse et l’audiovisuel.
Pour ce qui est de la presse, la proposition de loi prévoit dans son article 5 que les aides directes et indirectes sont accordées par l’État aux publications et sites internet d’information rédigés en langue régionale au même titre qu’aux publications et sites rédigés en langue française. Je note que plusieurs amendements de suppression, venus de tous les bancs de l’Assemblée, ont été déposés, invoquant le caractère trop vague de cette disposition et son coût pour les finances publiques. Sans nécessairement partager ces arguments, je veux rappeler que le critère de la langue n’est pas un obstacle pour le bénéfice de toutes les aides indirectes à la presse, qu’il s’agisse de la TVA réduite ou du tarif postal réduit pour la presse imprimée. À titre d’exemple, on notera qu’à l’heure actuelle, quarante-cinq publications en langues régionales, imprimées ou numériques, bénéficient déjà de ces aides. S’agissant des aides directes, la plupart sont accordées aussi bien aux publications et sites de presse rédigés dans une langue régionale en usage en France qu’à ceux rédigés en français. La généralisation de l’octroi des aides directes aux publications et sites en langue régionale ne s’oppose à aucune règle de principe, et la mesure proposée, ainsi que je viens de l’indiquer, est déjà largement satisfaite. Il ne paraît donc pas nécessaire de l’inscrire dans la loi.
J’en viens à l’audiovisuel. Les sociétés nationales de programmes assurent la promotion de langues régionales. Dans son article 43-11, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui fixe les missions générales des organismes de l’audiovisuel public, dispose en effet que ces derniers assurent la promotion de la langue française et, le cas échéant, des langues régionales, et mettent en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France. Le législateur a déjà assigné de manière spécifique des missions en ce domaine à France 3 et à Radio France. L’article 44 de la loi de 1986 prévoit en effet que France Télévisions conçoit et diffuse en régions, sur France 3, des programmes qui contribuent à la connaissance et au rayonnement de ces territoires et, le cas échéant, à l’expression des langues régionales. Il prévoit également que Radio France favorise l’expression régionale sur ses antennes décentralisées du réseau France Bleu. Par ailleurs, la ministre de la culture et de la communication, Audrey Azoulay, et le Gouvernement sont favorables à l’article 6 de la proposition de loi, qui élargit les compétences du CSA à la promotion des langues et des cultures régionales.
En revanche, l’article 7, qui vise à ce que, dans les territoires où sont pratiquées des langues régionales, le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille à ce qu’une ou plusieurs fréquences soient attribuées à des candidats proposant la diffusion de services de radio en langue régionale, soulève une difficulté rédactionnelle. En effet, il pourrait être interprété comme imposant au CSA d’autoriser, lors de chaque appel à candidatures, des services de radio en langue régionale, indépendamment de la prise en compte de l’existence de tels services dans ces territoires. Le Gouvernement aurait privilégié un dispositif imposant au CSA de tenir compte, parmi les critères d’autorisation des services radiophoniques, des engagements des candidats en matière de diffusion de programmes en langues régionales. Il regrette que cette proposition n’ait pas été retenue.
J’en viens maintenant aux aspects relevant de notre politique éducative. Loin d’avoir été oubliées ou remises en cause par la carte de refondation de l’école, portée par le Gouvernement, les langues régionales ont reçu, avec celle-ci, une impulsion décisive. La refondation de l’école ne remet pas en cause les dispositions de la circulaire du 5 septembre 2001 relative au développement de l’enseignement des langues et cultures régionales à l’école, au collège et au lycée, pas plus que celles de l’arrêté du 12 avril 2013. Elle garantit donc l’existence des sections bilingues de langue régionale, des dispositifs bilangues de continuité en classe de sixième et, dans cette même classe, des enseignements d’initiation ou de sensibilisation. Enfin, elle étend aux enseignants du second degré la possibilité jusqu’alors réservée aux enseignants du primaire de recourir ponctuellement aux langues et aux cultures régionales dans leurs enseignements – une possibilité qui concerne, dans le second degré, l’ensemble des disciplines.
Mais le ministère de l’éducation nationale ne s’est pas contenté, ce qui était déjà important, de conserver ces acquis. La refondation de l’école offre aux langues régionales la possibilité de se développer encore davantage, et ce de façon très concrète. La refondation permet ainsi de recourir aux langues et aux cultures régionales pour l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Elle favorise l’apprentissage complémentaire d’une langue régionale à l’école primaire, en inscrivant l’enseignement bilingue dans la loi, et donne la possibilité d’y accéder dès la maternelle. Et parce qu’une langue n’est jamais indépendante de la culture dans laquelle elle s’inscrit, le Gouvernement, par la voix de sa ministre de l’éducation nationale, a tenu à ce que les collectivités territoriales puissent organiser des activités éducatives et culturelles complémentaires portant sur les langues et cultures régionales.
Avec la réforme des rythmes scolaires, le temps périscolaire offre ainsi un cadre propice au développement d’activités éducatives et culturelles complémentaires de sensibilisation aux langues et aux cultures régionales, en lien, par exemple, avec des associations locales bénéficiant d’un agrément pour intervenir en milieu scolaire. Ces actions, je tiens à le souligner, s’ajoutent à la place déjà occupée dans le temps scolaire par l’enseignement des langues régionales. Cette valorisation est aussi à l’oeuvre dans la réforme du collège, et notamment dans le cadre des nouveaux programmes. Je sais que c’est un point sur lequel vous teniez à avoir des éclaircissements, que je suis heureuse de pouvoir vous fournir, au nom de la ministre de l’éducation. Le temps consacré à un enseignement est important pour l’efficacité de celui-ci. De fait, la réforme du collège prévoit une augmentation du nombre d’heures d’enseignement d’une langue régionale choisie comme deuxième langue vivante – LV2. En effet, son apprentissage débutera en cinquième, et non plus en quatrième, et il y aura, pour les professeurs, sept heures et demie d’enseignement, contre six actuellement.
Parallèlement, il est créé un enseignement de complément de langue et culture régionale, d’une heure en classe de cinquième et de deux heures en classe de quatrième et de troisième. Les collégiens peuvent ainsi toujours apprendre la langue avec une continuité réelle au sein du cycle. Et parce que les langues régionales sont une véritable richesse pour nos élèves, un thème « langues et cultures régionales » a été défini dans les enseignements pratiques interdisciplinaires, auquel la grande majorité des collégiens pourront avoir accès. La carte des langues, quant à elle, instaure une continuité de l’offre entre le primaire et le collège, qui faisait parfois défaut. Cette carte profite ainsi à l’apprentissage des langues régionales et permet de flécher un certain nombre de postes de professeurs, afin de mieux répartir l’offre au sein des académies. Nous avons aussi développé une communication à l’échelle nationale, pour mettre en valeur l’apprentissage et l’enseignement des langues et cultures régionales dans l’école de la République. Le ministère a réalisé et diffusé, à la fin de l’année 2013, une brochure d’information à destination du grand public pour expliquer et mettre en valeur les possibilités et l’intérêt d’apprendre à l’école les langues et cultures régionales.
Dans le cadre de la mise en place d’une politique linguistique cohérente et diversifiée, nos langues régionales, vous le voyez, ne sont pas oubliées, que ce soit au niveau national, bien sûr, ou au niveau académique. En effet, sur le plan académique, des politiques volontaristes de soutien, de valorisation, de développement de l’apprentissage des langues et cultures régionales sont mises en place. Les académies concernées, à partir de l’ensemble des dispositions récentes, et dans le cadre de la réflexion menée en Conseil académique des langues régionales, développent des politiques volontaristes de soutien. Ce sont, par exemple, des dispositions ayant pour objet de repérer et former des étudiants afin qu’ils puissent enseigner en langue régionale, des actions de formation continue, ou une prise en compte améliorée de la continuité des parcours des élèves dans l’offre de formation et la carte scolaire. Les académies, à l’appui de cette politique, renouvellent des conventionnements ou, selon les cas, s’engagent dans de nouveaux conventionnements avec les collectivités territoriales. Une convention est ainsi en cours d’élaboration en faveur de l’enseignement des langues et cultures occitanes entre l’État, les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, et le tout nouvel Office public de la langue occitane, qui est un groupement d’intérêt public réunissant l’État et les régions.
Je n’ignore pas, bien sûr, qu’il existe encore nombre de difficultés : des politiques académiques trop hétérogènes, des moyens, qui, pour être en progression, demeurent parfois limités, enfin, une formation que nous devons encore améliorer. Mais sur un tel sujet, si profondément lié à la diversité de nos régions et de nos territoires, il est important de partir du terrain. Nous n’avancerons pas en nous appuyant sur de grandes directives venues d’en haut, mais en fondant notre action sur le dialogue et la concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. C’est d’ailleurs par le dialogue et la concertation que les services du ministère de l’éducation nationale travaillent actuellement sur une agrégation des langues de France, qui inclura différentes mentions. Ce travail, encore en cours, devrait aboutir pour une première session en 2018 ; il témoigne de la place et de l’importance que nous accordons aux langues régionales dans notre système éducatif. L’engagement de l’État dans son ensemble est donc entier en matière de promotion des langues régionales. En fait d’enseignement, la loi est allée jusqu’au bout de ce qu’il était permis de faire, notamment au regard de la Constitution.
Je veux en effet souligner qu’en l’état, la rédaction de l’article 2 fait encourir un risque d’inconstitutionnalité à cette proposition de loi. En allant au-delà de la parité horaire, le texte vise à reconnaître un enseignement dit « immersif » des langues régionales. Or, le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’enseignement par immersion, en se fondant sur le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, qui proclame que « la langue de la République est le français ». Il a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage. Le Conseil d’État a ainsi annulé l’arrêté du 31 juillet 2001 relatif à l’enseignement des langues régionales à parité horaire, en s’appuyant sur les conclusions du commissaire du Gouvernement, qui estimait que l’enseignement à parité horaire en langue française et en langue régionale était, je le cite, « la limite extrême de ce qui peut être fait dans le service public ». Le commissaire du Gouvernement soulignait aussi la « nécessaire primauté du français » qui doit, en tout état de cause, demeurer la langue de vie exclusive de l’établissement.
C’est en gardant cette décision en mémoire que le législateur a modifié l’article L. 312-10 du code de l’éducation par le I de l’article 40 de la loi du 8 juillet 2013, pour préciser que l’enseignement facultatif de langue et culture régionales peut être proposé sous la forme d’un « enseignement bilingue en langue française et en langue régionale ». C’est pourquoi il me semble qu’en matière législative, il faut s’en tenir là. Nous avons à notre disposition de nombreux leviers, aux niveaux local et national, pour développer encore l’enseignement des langues régionales, et un grand nombre de dispositifs existent déjà – je les ai rappelés – pour soutenir les publications rédigées dans ces langues. C’est à partir de ces dispositifs et de ces leviers qu’il faut agir, et c’est en nous appuyant sur l’existant que nous avons la possibilité de continuer à avancer dans ce domaine.